Texte intégral
1er congrès mondial de médecine pénitentiaire francophone organisé par le Professeur Troisier
« Médecine pour la prison de l’an 2000 », le 25 et 26 octobre 1996 au Palais du Luxembourg
Madame le Professeur Troisier,
Mesdames,
Messieurs,
Avant tout merci, madame le professeur.
Merci à vous, en tant que présidente de l’Association pour la Promotion de la Médecine Pénitentiaire Francophone, d’avoir pris l’initiative d’une telle manifestation.
À l’heure où la santé en milieu pénitentiaire a fait l’objet d’une réforme fondamentale, ce colloque, placé sous le haut patronage du Premier ministre, et auquel pas moins de cinq ministères ont apporté leur soutien, était une nécessité.
Je sais combien vous avez dépensé sans compter votre temps et votre énergie pour organiser un événement de cette ampleur.
Je sais tout le prix que vous avez attaché à lui conférer une dimension internationale. La présence, aujourd’hui, dans cette salle, de nombreuses personnalités étrangères, montre à quel point vous aviez raison, madame le professeur, de croire, à la capacité de rayonnement de la France en ce domaine et à la qualité des relations que nous entretenons avec nos partenaires étrangers.
Je tiens aussi à rendre ici publiquement hommage à votre carrière et à votre charisme. Vous avez toujours été, et vous l’êtes encore, une femme engagée et une combattante.
Votre engagement durant la seconde guerre mondiale, aux côtés du Général de Gaulle, vient de la même flamme que celle dont vous avez fait preuve, dans le cadre de vos fonctions au ministère de la Justice, où pendant près de 10 années vous avez été médecin inspecteur général des prisons.
En poste au ministère de la Justice, vous n’en avez pas moins continué à être une femme de terrain, tirant profit de votre expérience professionnelle acquise depuis 1962 à la prison de la Petite Roquette, puis à celle de Fleury-Mérogis.
De cette expérience, vous avez écrit : « J’ai essayé pendant 10 ans de gérer l’ingérable, de structurer le désordre, d’administrer les médecins qui sont des "inadministratifs" pour mettre du cœur et du chaud là où il n’y a que le "froid pénitentiaire" ».
Vous aimez remuer les montagnes. Et vous y parvenez.
L’action que vous avez menée, tant dans le domaine de l’amélioration des prises en charge, que dans celui de l’amélioration de la coordination entre acteurs de justice et de santé, a compté dans l’évolution de la médecine en milieu pénitentiaire.
Vous continuez d’en être un acteur essentiel, en tant que titulaire de la première chaire mondiale de médecine pénitentiaire, en tant qu’expert près la Cour de cassation, enfin en tant que membre du Comité national consultatif d’éthique, pour ne citer que quelques-unes de vos multiples activités.
Femme d’action, femme de conviction, femme d’expérience, vous êtes aussi une femme de progrès, résolument tournée vers l’avenir. En intitulant cette journée « médecine pour la prison de l’an 2000 », vous nous donnez l’occasion de rendre compte des acquis ; à cet égard, la mise en œuvre de la réforme de la santé en milieu pénitentiaire constitue plus qu’une évolution, mais une véritable révolution.
Mais une révolution n’est pas une fin en soi, et au-delà des bilans, même positifs, ce sont les perspectives qui restent essentielles.
1. Bilan de la loi du 18 janvier 1994
La loi du 18 janvier 1994, fondée sur le principe essentiel de l’accès de la population pénale à des soins comparables à ceux dont bénéficient les personnes libres, n’est pas seulement une réforme de santé publique. Elle est aussi, pour le ministre responsable des prisons, une pierre angulaire de la politique de réinsertion.
1.1. Une réforme de santé publique
Vous avez eu l’occasion, au cours de cette matinée, d’évoquer les enjeux de cette réforme d’ampleur, ainsi que l’expérience du programme 13000, première démarche importante engagée en 1987 sur la voie du transfert de l’organisation des soins par l’administration pénitentiaire.
Vos débats de l’après-midi porteront quant à eux sur des pathologies particulières, au cours desquels interviendront un grand nombre de personnalités étrangères.
La richesse des sujets qui seront abordés montre à quel point il est justifié que l’état sanitaire des détenus soit appréhendé comme un vrai problème de santé publique.
Nous savons bien que les personnes incarcérées sont, dans leur très grande majorité, en situation de précarité économique et sociale, ce qui n’est pas sans conséquence sur leur situation sanitaire, fréquemment très dégradée.
Mais nous savons aussi que ces mêmes personnes sont appelées à quitter ces établissements, la plupart du temps en fin de peine, c’est à dire sans mesure d’accompagnement de quelle que nature qu’elle soit.
C’est dire s’il y a là un temps privilégié pour permettre aux individus d’être mis, ou remis, en contact avec des personnels soignants ; mais aussi et surtout, un moment privilégié pour permettre à la collectivité de prendre en charge sur le plan sanitaire des personnes atteintes de pathologies souvent transmissibles.
Profitons donc de ce moment pour faire en sorte que les risques qu’elles présenteront en sortant soient moindres que ceux qu’elles présentaient en entrant.
Ces véritables fléaux que constituent les maladies émergentes, telle la tuberculose ou les hépatites, et que vous évoquerez cet après-midi, ne doivent pas en effet être considérés comme le problème spécifique de la population pénale, voire de l’administration pénitentiaire.
Ils intéressent la santé de tous, et c’est aussi cela qui justifie une intervention particulièrement attentive des pouvoirs publics.
Enjeu majeur de santé publique, la question de la prise en charge sanitaire des détenus est aussi un enjeu de réinsertion.
1.2. La réforme enjeu de la politique de réinsertion
Il m’apparait primordial de souligner ici que la réforme consacrée par la loi du 18 janvier 1994 contribue à la mise en œuvre de la politique de lutte contre l’exclusion, dans laquelle chaque département ministériel s’est engagé aujourd’hui avec détermination, conformément aux vœux du président de la République. C’est la raison pour laquelle je me suis tout particulièrement attaché à poursuivre avec fermeté l’application de ce dispositif.
L’immatriculation à la sécurité sociale de toutes les personnes détenues, le renforcement des moyens sanitaires et le développement de programmes de prévention et d’éducation pour la santé à destination de la population pénale participent de cette politique.
En tant que garde des sceaux, je considère la mise en œuvre de cette réforme comme significative d’une volonté de maintenir la prison dans la vie de la cité, et non d’en faire un lieu, comme certains le souhaiteraient, loin du monde et hors du temps.
La mise à l’écart temporaire que constitue la peine d’enfermement ne doit faire oublier à personne qu’elle n’a de sens que si elle contribue à préparer le condamné à renouer avec le corps social un lien rompu par l’infraction qu’il a commise.
Ce lien ne peut se renouer sans l’implication directe de partenaires extérieurs, et de ceux-là mêmes qui interviennent dans la société libre, afin de permettre à la prise en charge amorcée en détention de se poursuivre, une fois le détenu libéré.
Transférer l’organisation des soins aux détenus du service public pénitentiaire au service public hospitalier s’inscrit dans cette logique de partenariat et de décloisonnement. Elle est au cœur de la mission de réinsertion confiée au service public pénitentiaire.
À ce titre, la réforme de la santé en milieu pénitentiaire ne marque en rien, bien au contraire, un quelconque désengagement du ministère de la Justice d’une mission qui demeure la sienne.
Si désormais, et je m’en félicite, le ministère chargé de la santé détermine la conduite des politiques de santé en milieu pénitentiaire, les personnes détenues n’en demeurent pas moins confiées par l’autorité judiciaire aux établissements pénitentiaires.
C’est pourquoi il nous faut maintenant travailler à renforcer les liens entre le monde médical et le monde pénitentiaire, non pas sur le plan institutionnel, mais sur le plan culturel.
2. Les perspectives de la réforme
Il reste encore à franchir quelques étapes avant de parvenir au terme de cette réforme.
Ces étapes tiennent à la poursuite de la construction de la nouvelle organisation et au développement du contenu de la prise en charge sanitaire, afin de lui permettre de donner toute la mesure de son efficacité.
2.1. L’achèvement de la réforme de 1994
L’essentiel a été accompli avec le couplage des établissements pénitentiaires et des établissements de santé, qui est aujourd’hui une réalité. Avec 141 protocoles signés sur les 144 prévus, les praticiens hospitaliers interviennent quotidiennement dans nos prisons. Je souligne ici tout particulièrement l’effort accompli depuis mon arrivée à la Chancellerie en 1995 pour parvenir à ce résultat.
Mais cela ne va pas sans conséquences pour les personnels de l’administration pénitentiaires, ni pour ceux des services de police ou de gendarmerie auxquels incombent l’escorte et la garde des détenus hospitalisés.
L’amélioration de la qualité des soins passe en effet par des consultations et des examens plus nombreux, et donc par des mouvements de détenus plus importants, tant à l’intérieur des établissements pénitentiaires que vers les centres hospitaliers.
Il faut donc nous attacher à rationaliser ces opérations, de manière à limiter la charge imposée à ces services, sans pour autant mettre en cause l’accès aux soins des détenus.
Tel est l’objet des discussions engagées entre les départements ministériels intéressés, dans la perspective de l’élaboration d’un schéma national d’hospitalisation des personnes détenues, dont je souhaite qu’il puisse être arrêté dans les meilleurs délais.
Il s’agit là de la dernière pierre que nous devons apporter à l’édifice de cette réforme.
Mais pour trouver sa pleine justification, cette construction doit maintenant avoir un contenu : je veux parler d’une véritable politique de prise en charge sanitaire, adaptée aux besoins spécifiques de la population pénale.
2.2. La mise en œuvre d’une véritable politique sanitaire
Je vous ai fait part, au début de mon intervention, de l’état de précarité sanitaire dans lequel se trouve une bonne partie des personnes incarcérées. Ce constat ne doit cependant pas nous conduire à des prises en charge indifférenciées de ces personnes, et je voudrais à cet égard vous dire la priorité qui me semble s’attacher à deux catégories de détenus : les toxicomanes et les auteurs d’infractions à caractère sexuel.
Les toxicomanes
Ce qui est vrai pour la plupart des détenus, l’est plus encore à l’égard des toxicomanes, fréquemment marginalisés par leur assuétude, et dont vous traiterez également cet après-midi.
Le débat nourri sur le point de savoir s’il fallait considérer les toxicomanes comme des malades ou des délinquants ne me semble plus de mise.
Au même titre que les soins, le rappel à la loi que symbolise l’intervention judiciaire est nécessaire et légitime, contre un fléau qui détruit les individus et met en péril la société toute entière.
Parce que traitement des toxicomanes et prévention de la récidive sont indéfectiblement liés, l’articulation des différents intervenants sanitaires et pénitentiaires paraît essentielle, pour permettre une prise en charge individuelle globale de ces personnes et mieux préparer leur sortie, en lien avec le réseau partenarial extérieur.
La décision du dernier Comité interministériel de lutte contre la toxicomanie, de mettre en place dans les établissements pénitentiaires les plus touchés des unités pour sortants spécialement destinées aux toxicomanes, en constitue une illustration exemplaire et innovante.
Pour autant, si la préparation à la sortie constitue un moment fort de l’exécution de la peine, il m’apparaît essentiel que la dimension globale de la prise en charge des personnes soit également renforcée pendant toute la durée de leur détention, et ce, dès le début de l’incarcération.
Une telle conception implique l’existence d’un véritable dialogue entre partenaires pénitentiaires, judiciaires, sociaux et sanitaires. En effet, si chacun a vocation à exercer ses fonctions propres, il importe de garantir une réelle cohérence à l’égard de la prise en charge des détenus, qui s’inscrit dans le cadre d’une mesure judiciaire.
Rendre la sanction utile, « investir » et non plus « gérer » le temps de détention, constituent des enjeux majeurs de prévention de la récidive, à laquelle doivent également concourir, dans le cadre des missions qui sont les leurs, les personnels soignants qui interviennent en milieu pénitentiaire.
Cette attente n’est pas que celle du garde des sceaux, elle est aussi celle du citoyen que je suis, celle de la société toute entière.
Les auteurs d’infractions à caractère sexuel
La prise en charge des auteurs d’infractions à caractère sexuel, qui sera abordée au cours de vos débats, est au cœur de ces préoccupations.
Je sais combien elle est également au cœur de celles des équipes psychiatriques qui exercent en milieu carcéral et qui, grâce au dynamisme de plusieurs équipes de SMPR, sont de plus en plus nombreux à se mobiliser.
Chacun doit être conscient qu’en ce domaine, ni la prison, ni les médecins ne peuvent faire de miracles.
On apprend, à la lecture du rapport santé-justice sur le traitement et le suivi médical des auteurs de délits et crimes sexuels, publié en mars 1996, combien est lourde, longue et difficile la prise en charge de ce type de patients.
L’on y apprend aussi que cette pathologie exige une intervention précoce, dès l’incarcération. L’on y préconise enfin la poursuite d’un suivi thérapeutique à la sortie, dans le cadre d’une obligation de soins.
Le projet de loi instituant une peine complémentaire de suivi médico-social, qui sera déposé devant le parlement, a précisément pour objet de répondre à cette préoccupation.
Nous savons tous ici, dans un domaine où le caractère dissuasif de la sanction, pour nécessaire qu’il soit, reste un rempart bien fragile contre le passage à l’acte, combien le rôle du soignant est essentiel.
C’est tout le sens de ce projet de loi, qui traduit, dans ce domaine comme dans bien d’autres, le fait que la prévention de la récidive passe par la prise en charge de la maladie.
Pour remplir sa mission à l’égard de tous, le service public de santé doit prendre en charge les personnes détenues, comme il prend en charge les personnes libres.
Pour accomplir la sienne, le service public de la justice doit s’appuyer sur ces nouveaux partenaires, avec l’ambition d’assurer un retour sans récidive à la vie libre.
Tel est le double défi qui s’offre désormais aux personnels de nos administrations.
Sans leur engagement, sans leur mobilisation, rien ne sera possible. Je sais que je peux compter sur eux, comme ils peuvent compter sur moi.
Ma présence parmi vous aujourd’hui est le signe de l’intérêt personnel que je porte à ces questions. Soyez donc assurés que cet engagement personnel ne restera pas sans effet et que je continuerai à me battre, aux côtés de mon collègue en charge de la santé pour faire aboutir ces projets.
Je vous remercie.
Discours au colloque relatif aux dispositifs de contrôle de l’exécution des peines en Europe - 26 octobre 1996
Mesdames et Messieurs les représentants des administrations pénitentiaires et des associations européennes,
Mesdames et Messieurs les organisateurs de ces journées,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais d’abord vous dire combien je suis heureux que ce colloque relatif aux contrôles des conditions de l’exécution des peines se tienne aujourd’hui dans les locaux de I’INJEP. Je remercie tout particulièrement les associations qui sont à l’origine de cette manifestation.
Le contrôle des conditions d’exécution des peines, que vous avez retenu pour thème de vos travaux, m’apparaît en effet comme un sujet de première importance. Les dispositifs de contrôle des conditions de détention sont en effet une garantie essentielle pour le respect des libertés individuelles.
Je n’entends pas vous faire une présentation exhaustive des mécanismes de contrôles existant en France. Mme Faugeron vous a présenté hier les résultats et l’analyse des réponses au questionnaire adressé sur ce point par les différents pays européens.
Je souhaiterais seulement vous rappeler quelques dates phares de l’évolution récente de la législation pénitentiaire française.
Première date : 1945. Au moment où les catégories d’établissements pénitentiaires sont redéfinies, dans le cadre ambitieux de la réforme dite du régime progressif, le législateur institue notamment :
– le corps des assistantes sociales de prison,
– les visiteurs de prison,
– le juge de l’application des peines.
Du travailleur social à l’autorité judiciaire, en passant par les bénévoles et le secteur associatif, les principaux partenaires du contrôle des conditions de vie en prison sont déjà présents.
Deuxième étape : après les émeutes dans les établissements pénitentiaires au début des années 1970, la prison s’ouvre un peu plus sur la société. La réforme des régimes de détention de 1975 redéfinit le rôle et la composition de la commission de surveillance des établissements pénitentiaires, jetant ainsi les bases d’un contrôle administratif plus efficace. D’autre part, les relations du détenu avec l’extérieur (correspondance, presse, radio, etc.) sont autorisées et développées, ce qui contribue à la transformation du paysage pénitentiaire.
Une troisième étape est franchie en 1985 : l’introduction de la télévision et des parloirs sans dispositifs de séparation accompagnent l’accroissement du rôle de contrôle du juge de l’application des peines dans les prisons et surtout le mouvement de décloisonnement de l’administration pénitentiaire. Les associations, les administrations, les organismes de droit commun viennent eux-mêmes assumer leurs missions respectives auprès du « public » spécifique que constitue la population détenue.
Enfin, la loi du 22 juin 1987 relative au service pénitentiaire définit clairement la mission de ce dernier :
« Le service pénitentiaire participe à l’exécution des décisions et sentences pénales et au maintien de la sécurité publique. Il favorise la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire. Il est organisé de manière à assurer l’individualisation des peines ».
Cette même loi autorise la délégation à des personnes privées, de la conception, la construction et l’aménagement des établissements pénitentiaires puis l’exécution des missions autres que celles de direction, de greffe et de surveillance.
Ce tableau trop rapidement brossé met en évidence combien les prisons françaises sont aujourd’hui ouvertes à la société civile qui y pénètre, y accomplit ses missions, y exerce un contrôle, y intéresse l’opinion publique.
Si les conditions matérielles de détention appellent indéniablement de nouvelles améliorations et croyez-bien que j’y consacre de l’énergie, des crédits et des moyens en personnel, il est faux aujourd’hui de prétendre que l’Administration pénitentiaire vit dans le secret.
Mon intervention s’attachera à vous présenter maintenant plus longuement les réformes récentes qui ont ou vont marquer les conditions d’exécution des peines en France.
Ces réformes sont toutes conduites dans la même logique : renforcer le contrôle des conditions d’exécution des peines.
Elles répondent ainsi aux deux enjeux majeurs que je vais aborder successivement devant vous :
– la protection des libertés individuelles et des droits fondamentaux de la personne humaine d’abord,
– mais aussi la maîtrise de la surpopulation carcérale et la prévention de la récidive.
I. – Deux réformes récentes manifestent les orientations choisies par la France pour améliorer la protection des libertés individuelles et des droits fondamentaux.
1. La réforme du régime disciplinaire des détenus
Tout d’abord, un décret du 2 avril 1996 vient de réformer profondément le régime disciplinaire des détenus. Inspiré de la recommandation du Conseil de l’Europe sur les règles pénitentiaires européennes, il commence par fixer une liste limitative des fautes disciplinaires susceptibles d’être reprochées puis une liste des sanctions susceptibles d’être infligées aux détenus.
Outre l’harmonisation des pratiques des différents établissements pénitentiaires, c’est le respect du principe de la légalité des fautes et des sanctions qui est ainsi organisé.
De l’agression d’un membre du personnel à l’état d’ébriété en passant par le vol ou la communication irrégulière, les fautes limitativement énumérées et classées en trois catégories ne pourront plus être réprimées que par des sanctions adaptées allant du simple avertissement au placement en cellule disciplinaire, limité à 45 jours pour les infractions les plus graves.
Cette réforme vise aussi à accroître les garanties procédurales de la personne incarcérée. Diverses exigences assurent le respect de la procédure contradictoire, notamment une enquête, l’information complète et précise du détenu sur les faits qui lui sont reprochés, la possibilité de présenter des observations écrites ou orales et la comparution devant la commission de discipline.
L’information des autorités judiciaires sur les sanctions complètent ce dispositif.
Enfin, le détenu se voit ouvrir des voies de recours, devant le directeur régional, supérieur hiérarchique du chef d’établissement tout d’abord. Devant les juridictions administratives ensuite. Le Conseil d’État, dans un arrêt Marie du 17 février 1995, reconnaissait en effet pour la première fois la recevabilité du recours pour excès de pouvoir effectué par un détenu contre une décision de placement au quartier disciplinaire prise par un chef d’établissement. Jusqu’alors considérées comme des « mesures d’ordre intérieur », ces décisions se voient désormais contrôlées, dans leur légalité et leur proportionnalité par les juridictions administratives.
J’attache une grande importance à cette évolution qui manifeste que les établissements pénitentiaires, lieux d’exécution des peines, sont aussi des lieux de respect du droit.
J’ai d’ailleurs tout mis en œuvre pour que le décret du 2 avril 1996 puisse être publié dans les meilleurs délais et reçoive une application immédiate.
2. La réforme des soins en milieu pénitentiaire
Deuxième exemple de cette progression de l’État de droit au sein du monde carcéral, la récente réforme des soins en milieu pénitentiaire constitue l’aboutissement de la politique d’ouverture menée depuis plus de 10 ans dans le domaine de la santé des détenus.
Les enjeux de cette réforme sont considérables en terme de santé publique. En effet, le rapport publié en janvier 1993 par le Haut Comité de la santé publique soulignait le poids considérable des pathologies transmissibles ou contagieuses constatées chez les détenus dès leur incarcération : tuberculose, hépatite, sida avec un taux de prévalence du V.I.H. dix fois supérieur à celui de la population générale.
La loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale ainsi que ses textes d’application intègrent désormais le détenu dans le système général de santé en le faisant d’une part bénéficier avec ses ayant droits d’une protection sociale, en lui permettant d’autre part d’accéder à des soins comparables à ceux dispensés en milieu libre.
Depuis le 1er janvier 1994, toute personne détenue est ainsi obligatoirement affiliée au régime général de la sécurité sociale. L’État acquitte les cotisations sociales et les frais restant à la charge des assurés détenus.
Surtout, en application de cette même loi, c’est le service public hospitalier (à l’exception des établissements du programme dit 13 000 dans lesquels la fonction santé reste confiée aux groupements privés) qui assure désormais les soins dispensés aux détenus. La médecine pénitentiaire disparaît ainsi au profit de l’accès des détenus à la médecine de droit commun.
L’objectif est d’assurer la prise en charge globale des soins en milieu pénitentiaire et la continuité des soins à la sortie de prison.
Aujourd’hui dans tous les établissements pénitentiaires concernés par la réforme, les protocoles qui ont permis d’organiser un partage des responsabilités entre les services pénitentiaires et hospitaliers sont entrés en vigueur.
Cette réforme n’aurait pas été conduite sans l’existence de dispositifs de contrôle (l’intervention de l’Inspection générale des affaires sociales notamment) et la dénonciation constante des conditions de délivrance des soins aux détenus. Elle est presqu’unique en Europe.
Par la mise en œuvre de ce nouveau système, la France manifeste clairement sa volonté de considérer la personne détenue comme un sujet de droit, certes privé de sa liberté d’aller et venir, mais détenteur des autres prérogatives attachées à la dignité humaine.
II. – L’évolution des conditions de détention vers une protection toujours plus grande des libertés et des droits est certes un enjeu majeur, et les deux réformes faites sous ma responsabilité le montrent bien.
Mais dans l’ensemble des démocraties occidentales, l’objectif le plus urgent aujourd’hui est de lutter contre la surpopulation carcérale. La première des libertés individuelles est justement le droit de ne pas être privé de sa liberté et en cas de faute de pouvoir être sanctionné autrement que par l’incarcération. J’ai dit depuis longtemps et je le répète aujourd’hui que « pour punir il n’y a pas que la prison ».
Ma politique en matière d’exécution des peines est donc le développement des peines s’exerçant en milieu ouvert.
Or, l’accroissement du contrôle exercé sur les condamnés laissés libres est un facteur de lutte contre la surpopulation carcérale et de prévention de la récidive.
Les organisateurs de ces journées n’entendaient certes pas ainsi, je le sais bien, le terme de contrôle. Mais il m’apparaît très clairement que le renforcement de la crédibilité des peines autres que l’incarcération, par un renforcement de leur contrôle, est finalement la plus sûre garantie du respect de la personne humaine en même temps que l’avenir des politiques pénales européennes.
1. La surpopulation carcérale
Laissez-moi d’abord vous rappelez quelques données chiffrées sur la démographie carcérale.
Au 1er janvier 1996, l’effectif de la population détenue s’élevait en France métropolitaine à 52 658 personnes. Depuis 1980, cet effectif a progressé de 50 %. Seules des mesures de clémence (grâce, amnistie) sont à l’origine des baisses ponctuelles qui ne laissent qu’un court répit à la croissance continue des effectifs. Le taux d’occupation des établissements pénitentiaires est globalement de 111 %, la surpopulation étant accrue en maison d’arrêt où le taux de suroccupation atteint les 125 %.
L’analyse plus précise des statistiques met en évidence qu’à l’instar des autres pays européens la surpopulation carcérale n’est pas due à une augmentation du nombre des incarcérations mais à un allongement de la durée des peines.
En 1980, 2 000 condamnés détenus devaient purger une peine supérieure à 10 ans. En 1996, ils étaient plus de 5 000.
Il s’agit aujourd’hui d’éviter, et c’est mon objectif, que les prisons françaises aient à accueillir plus de 70 000 détenus en l’an 2000. Seule la mise en œuvre d’une nouvelle politique pénale, principalement fondée sur le développement de mesures dites de milieu ouvert, est susceptible d’y parvenir.
2. Le Plan Pluriannuel de la Justice (PPJ)
Nous avons à travers la loi de programme du 6 janvier 1995 manifesté notre intérêt pour cette politique. Contribuant à résoudre les problèmes de l’administration pénitentiaire en créant 3 920 emplois supplémentaires, en consacrant 3 milliards de francs à l’investissement sur les années 1995 à 1999, les objectifs de la loi visent à renforcer l’encadrement des détenus, restaurer le parc immobilier mais aussi lutter contre la surpopulation carcérale et mettre en œuvre concrètement une nouvelle politique pénale.
Sur ce dernier point, c’est principalement le renforcement des effectifs des comités de probation et d’assistance aux libérés qui est visé. Leur action reposait en 1994 sur 768 travailleurs sociaux. 768 créations d’emplois sont prévues de 1995 à 1999 soit le doublement des effectifs. Plus de 200 emplois ont déjà été créés en 1995 et 1996.
Dans le même temps, une réforme de l’organisation administrative de ces services est engagée. Plus proches des juridictions, les CPAL devront assurer un suivi plus efficace des mesures alternatives à l’incarcération : travail d’intérêt général, sursis avec mise à l’épreuve, libération conditionnelle.
Plus de 100 000 personnes par an font en effet en France l’objet d’une mesure de suivi en milieu ouvert.
Autre mesure phare du PPJ, la création de 1 200 places de semi-liberté.
Des travailleurs sociaux mieux organisés, la multiplication des structures permettant les aménagements des peines privatives de liberté, voilà concrètement comment la France envisage les conditions d’exécution des peines pour demain.
Il ne faut pas omettre non plus le travail que nous avons entrepris à l’intérieur même des détentions pour réformer l’organisation du service afin de mettre en œuvre le projet d’exécution de peine (PEP) des condamnés. Le suivi et l’observation des détenus sont en effet indispensables et doivent être renforcés dans un souci de mieux prévenir la récidive. Cela nécessite une révision du mode de travail des personnels.
3. Le placement sous surveillance électronique
Enfin, le Parlement Français examine actuellement une proposition de loi portant création du placement sous surveillance électronique.
Inspiré d’expériences étrangères (Grande-Bretagne, Norvège) l’enjeu est de permettre l’exécution de courtes peines d’emprisonnement ou de fins de peine sous un contrôle électronique, c’est à dire de remplacer l’exécution de la peine en prison par une peine soumis à l’extérieur des murs. Il constitue incontestablement une mesure d’avenir.
Depuis mon arrivée à la Chancellerie, j’ai fait étudier cette possibilité et je suis pour ma part tout à fait acquis à l’idée, que, sous certaines conditions, et notamment l’accord du condamné, il s’agit d’une modalité d’exécution de la peine qui permet d’éviter la rupture des liens sociaux et professionnels et de lutter contre la surpopulation carcérale, sans porter atteinte à la dignité de la personne.
Les associations et organismes que vous représentez doivent continuer à participer au contrôle des conditions de détention. En effet, vous savez garder sur la prison le regard lucide de ceux qui aident mais aussi s’interrogent sur les situations et les pratiques qu’ils perçoivent. Mais aujourd’hui, je crois que cette action et cette capacité de réflexion qui sont les vôtres doivent également se tourner vers la mise en œuvre d’alternatives à l’incarcération. Il y a la prison et son contrôle ; mais il reste à inventer d’autres mesures et leurs contrôles. Je sais que vous contribuerez à développer ces approches nouvelles, qui passent par le partenariat entre les pouvoirs publics et les associations, et je vous en remercie par avance.