Discours de M. Gaston Defferre, ministre de l'intérieur et de la décentralisation, au congrès de l'association des maires de France, sur la décentralisation et le transfert des compétences aux collectivités locales, Paris le 26 octobre 1982.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Congrès de l'Association des maires de France du 26 au 29 octobre 1982 à Paris

Média : Actualité de Paris - Départements et communes - FRA - PARIS

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Maire de Paris,
Messieurs les Congressistes,


Je prie l'assemblée d'excuser mon ami Michel Rocard appelé à un Conseil de ministres restreint auquel je devais moi-même participer.

Je suis heureux de vous saluer, M. Poher, cette année encore en votre double qualité de président de l'Association des maires de France et du Sénat.

J'ai pu apprécier le travail utile mené au Sénat sous votre autorité et aussi le fait que vous avez bien voulu m'entendre à différentes reprises.

Je vous ai écouté, M. Chirac, et je dois dire qu'ayant des discussions parlementaires et n'ayant pas la prétention de déposer des textes parfaits, j'ai été aujourd'hui comblé par les critiques. J'ai pris des notes, j'essaierai de les retenir pour améliorer les textes qui seront déposés devant le Parlement.

Au cours des précédents débats d'ailleurs, j'ai déjà accepté beaucoup d'amendements parce que je considérais qu'ils amélioraient le texte gouvernemental, allant dans le sens de l'intérêt général.

C'est dans cet esprit que je vais vous répondre.

Il y a un an, j'étais venu devant vous pour vous présenter les projets du gouvernement en matière de décentralisation.

Je vous avais expliqué les objectifs définis, la méthode retenue et le calendrier. Le Sénat commençait à peine la première lecture de la loi « Droits et libertés », nous étions au début d'une oeuvre considérable, tout était à faire. Beaucoup s'interrogeaient et doutaient de notre capacité à conduire le changement dans ce domaine.

Un an après, les choses sont devenues plus claires et personne ne peut nier que la réforme a commencé de s'appliquer.

Nous souhaitons introduire une rupture dans le cours séculaire de la centralisation et traduire immédiatement dans les faits un nouveau rapport de force.

C'est fait.

La première loi avait pour objet de donner le pouvoir aux élus, elle avait un caractère essentiellement institutionnel.

Elle prévoyait :
- la réforme des règles de contrôle sur les actes des collectivités locales.
C'est fait.

- le transfert de l'exécutif départemental et régional.
C'est fait.

Elle permettait aux élus d'agir librement, de supprimer toutes les tutelles juridiques, administratives et techniques.

C'est fait.

La loi a été promulguée le 2 mars 1982 après la décision du Conseil constitutionnel du 25 février qui a reconnu la constitutionnalité de la réforme, sous réserve de deux points d'importance secondaire.

* En ce qui concerne le régime de contrôle

La loi du 22 juillet 1982 a tiré les conséquences de cette décision et de l'expérience des premiers mois.

Nous avons limité l'obligation de transmission aux seuls actes importants, afin de réduire la « paperasse » et d'éviter toute formalité inutile. Nous avons mieux défini la procédure et accru les garanties des collectivités locales. Nous avons rétabli les spécificités du droit local alsacien dans ce domaine, que des parlementaires imprudents avaient supprimé sans voir toutes les conséquences de leur décision.

Depuis que cette seconde loi est entrée en vigueur, je n'ai été saisi d'aucune réclamation, d'aucune protestation. La réforme s'applique bien et est désormais admise par tous ; pas de catastrophe comme certains l'avaient annoncé.

Contrairement à ce qu'on avait dit, elle n'a abouti ni à une surcharge des tribunaux administratifs, ni à la substitution d'une tutelle juridictionnelle à celle du préfet.

Nous avons défini de nouvelles relations qui n'empêchent pas les maires de faire appel lorsqu'ils le souhaitent aux conseils du corps préfectoral.

La loi permet un dialogue, nous l'avons encouragé et j'ai donné des instructions précises en ce sens aux commissaires de la République et aux commissaires adjoints. Chacun est libre d'y recourir ou non. Tel est le sens profond de la réforme.

J'ajoute, pour montrer la détermination du gouvernement, que la circulation d'application de la loi du 2 mars 1982 a été publiée le 6 mars et celle de la loi du 22 juillet le même jour.

* En ce qui concerne le transfert des exécutifs

Les choses sont maintenant pratiquement réglées. Quatre-vingt-dix-sept conventions départementales et vingt-six conventions régionales sont aujourd'hui approuvées et permettent un exercice satisfaisant des responsabilités de l'État comme des collectivités locales. Qui croyait, il y a un an, que cette partition des préfectures pourrait se réaliser dans ces conditions et dans ces délais. Qui pensait vraiment que le gouvernement irait jusqu'au bout de ses engagements et passerait des promesses aux réalisations ? J'en rends hommage aux préfets qui ont fait preuve de loyauté et aux présidents des conseils généraux.

Les départements disposent désormais de quatorze mille agents ; 17 % des effectifs du cadre national des préfectures sont placés sous l'autorité des présidents de conseils généraux : ces chiffres sont bien la preuve que l'État a respecté et respectera ses engagements quant aux moyens qui seront mis à la disposition des collectivités locales, pour assurer leurs nouvelles responsabilités.

Les décrets d'application de la loi ont été pris dans des délais très brefs (ce qui n'a pas toujours été le cas dans le passé) :
- convention de partage des préfectures, 15 mars 1982 ;
- mise à disposition des services extérieurs de l'État, 13 avril 1982 ;
- pouvoirs des commissaires de la République, 10 mai 1982 ;
- organisation des services d'incendie et de secours, 4 août 1982 ;
- modalités d'action des garanties d'emprunt, 4 octobre 1982 ;
- composition des CESR, 11 octobre 1982.

Je soumets aujourd'hui à la signature du Premier ministre le décret instituant le comité d'allégement des prescriptions et procédures techniques, cependant que le décret sur la rémunération par les collectivités locales des agents de l'État est soumis au contreseing des ministres intéressés.

Avant la fin de l'année seront également publiés le décret sur les pièces justificatives, le décret sur la liste des informations à fournir pour l'établissement des budgets locaux et le décret sur le comité régional des prêts.

Ainsi, en moins d'un an, nous aurons pris l'ensemble des textes réglementaires prévus par la loi « Droits et libertés ». Nous aurons fait la preuve de notre détermination à réaliser une véritable décentralisation.

J'ajoute que nous avons dans l'intervalle fait voter les deux lois portant statut particulier de la Corse (au cours d'une rencontre début octobre, les élus de la Corse se sont prononcés à l'unanimité contre la violence et pour l'application du nouveau statut), les deux lois relatives aux chambres régionales des comptes et la loi électorale municipale.

Après ce bilan, je voudrais brièvement vous annoncer les prochaines étapes de la décentralisation et vous constaterez que le gouvernement est fidèle au calendrier que j'avais annoncé l'an dernier.

1. - Le transfert de compétences aujourd'hui exercées par l'État vers les communes, les départements et les régions constitue le prolongement logique de la première loi. La répartition actuelle des compétences résulte d'une structure administrative centralisée où l'État assume, de façon centrale ou de façon déconcentrée, l'essentiel des responsabilités. Le transfert de l'exécutif dans les départements et les régions, l'instauration d'un régime de liberté pour toutes les collectivités locales, appellent nécessairement une extension de leurs compétences.

2. - Ce transfert doit d'ailleurs tenir compte des mutations qui ont affecté les collectivités locales, et tout particulièrement les communes, depuis la grande loi de 1884. Si la commune demeure la cellule de base de notre démocratie, ce que personne ne conteste, les citoyens n'entretiennent plus aujourd'hui les mêmes rapports avec leurs élus qu'il y a près d'un siècle. La croissance urbaine, l'extension des domaines d'intervention de l'État et des collectivités locales, la diversification des modes de gestion des services publics sont autant de raisons qui expliquent que, de façon générale, l'administration d'une commune apparaît trop fréquemment comme une affaire de spécialistes parfois lointains ; il est souvent plus facile de rencontrer des fonctionnaires municipaux que les élus eux-mêmes.

Ce constat conduit à définir un troisième volet de la politique de décentralisation consacré à l'association des citoyens à la vie locale, comme le prévoit d'ailleurs l'article premier de la loi du 2 mars 1982. Des mesures favorisant une meilleure information des habitants intéresseront toutes les communes. En outre, dans les villes d'une certaine taille, dont certaines ont déjà créé, de leur propre initiative, des structures de concertation, comme les comités de quartier ou les commissions extra-municipales, des dispositions particulières donneront un cadre juridique à ces nouvelles modalités d'association des administrés à la gestion municipale. Le projet de loi relatif à Paris, Marseille et Lyon s'inscrit dans cette réforme en tenant compte de l'existence dans ces trois villes d'arrondissements.

Dans la même perspective, la réflexion relative à la vie locale conduit à porter un regard nouveau sur la coopération intercommunale de façon à tirer les leçons de l'expérience des syndicats, des districts et des communautés urbaines, le fonctionnement de ces dernières ayant fait l'objet du rapport de M. Notebart.

3. - Cet ensemble de réformes ne peut, bien entendu, s'envisager sans que soit abordé le problème des hommes qui animent la vie des collectivités locales et appliquent ces réformes. Les personnels des communes, des départements et des régions bénéficieront bientôt d'un véritable statut qui permettra de concilier le déroulement de leur carrière, la mobilité entre collectivités et avec la fonction publique d'État, et l'indispensable autonomie locale. Ce code de la fonction publique, qui, pour la première fois, placera sous un même ensemble de droits et obligations fonctionnaires locaux et fonctionnaires de l'État, fait en ce moment l'objet d'une très large concertation avec les syndicats représentatifs du personnel ainsi qu'avec les grandes associations d'élus.

??????????????????? de responsabilités ???????? plus prenantes, exige ???????????? que soient définis le statut des élus ainsi que les règles applicables au cumul des mandats.

Vous savez que c'est un sujet difficile pour lequel je me suis engagé à procéder à une vaste consultation avant de déposer les projets de loi correspondants. Les associations d'élus, ainsi que tous les groupes parlementaires, auront ainsi l'occasion de me faire part de leur sentiment sur cette question dont je sais qu'elle préoccupe nombre d'entre vous.

Le projet est prêt et sera déposé avant les élections municipales.

Ces lois constitueront la quatrième étape de notre démarche décentralisatrice.

4. - Restent, bien évidemment, les problèmes financiers. Chacune des lois que je viens d'énumérer comporte un certain nombre de dispositions financières : la loi du 2 mars 1982 prévoyait un allégement de charges supportées par les collectivités locales de 2 milliards de francs. Elle garantissait le maintien provisoire des concours mutuels que s'assurent l'État, les départements et les régions. M. Chirac a dit que le Parlement était amené chaque année à se prononcer sur le projet de loi de finances. Il n'y a rien de choquant à cela et cela est même conforme.

La loi de finances rectificative pour 198? a modifié certaines dispositions régissant la fiscalité locale. Le projet de loi sur les compétences comprend un important volet financier que je vous  présenterai ultérieurement. La coopération intercommunale enfin fera l'objet de mesures particulières. En outre, chaque année pourra être présenté au Sénat un bilan global au terme des transferts de compétences. Nous analyserons l'ensemble des relations financières entre les collectivités locales et l'État.

Il faudra faire en sorte que chacun supporte directement la charge de ses interventions et des services, ce qui implique une réduction des concours mutuels. Cette indispensable clarification sera l'occasion d'un réexamen des ressources des collectivités locales et des modalités d'aide de l'État.

Par ailleurs, je ne doute pas, instruits par des exemples fiscaux récents au cours de la dernière décennie, que vous partagiez le souci du gouvernement de ne s'engager dans ces domaines qu'avec toutes les précautions, toutes les études et surtout toutes les simulations sur le terrain, qui seules permettront d'éviter la mise en oeuvre de réformes inadaptées et coûteuses.

S'il en avait toujours été ainsi, notamment en matière de taxe professionnelle du temps de M. Chirac, cela aurait évité bien des difficultés.

Voici notre démarche. J'ai tenu à vous la rappeler car je constate, et je regrette, que trop souvent convergent sur la politique de décentralisation des critiques contradictoires. Trop rapide, elle serait hâtive, prématurée, en un mot « bâclée », illustrant l'incertitude du gouvernement quant à sa durée. Trop lente, elle serait timide, timorée, objet des « coups de frein » qu'annoncent la presse périodiquement. Eh bien, non ! La décentralisation est bien une des grandes réformes à laquelle s'attachent le président de la République et le gouvernement. Elle se déroule à son rythme, avec la certitude tranquille de répondre à un besoin impérieux et profond de la société française. Il n'y a ni précipitation ni recul. Le gouvernement mènera à son terme la réforme, en respectant le calendrier qui était fixé et qu'il avait annoncé.

Cette détermination est parfaitement illustrée par le projet de loi relatif à la répartition des compétences que je voudrais vous présenter maintenant.

* Les trois principes fondamentaux des transferts de compétences

A. - Le projet de loi propose un transfert de compétences au profit des collectivités locales existantes, communes, départements et régions. Le gouvernement n'a pas conçu cette seconde étape de la décentralisation comme une redistribution abstraite des compétences entre les différents niveaux. Le caractère pragmatique de la démarche a au contraire conduit à respecter  les structures existantes. Il serait vain de rechercher dans le projet telle ou telle orientation ou préjugé en faveur du département ou de la région, en faveur de la commune ou des regroupements.

Les Français ont montré l'attachement qu'ils portent à chacun des trois niveaux, dont la spécialisation n'est pas remise en cause.

La commune demeure la cellule de base de la démocratie et le lieu privilégié de la participation des citoyens, elle se voit reconnaître la maîtrise du sol, c'est-à-dire l'essentiel des compétences dans le domaine de l'urbanisme, et la responsabilité des équipements de proximité.

Le département constitue l'échelon le plus adapté à l'organisation de services administratifs. Lui revient la mission de solidarité et de péréquation, par la gestion des services lourds, et plus particulièrement l'aide sociale, ainsi que par la redistribution entre les communes notamment rurales.

La région se trouve renforcée dans sa capacité de réflexion, d'incitation, d'impulsion dans les domaines de la planification, de l'aménagement du territoire et, plus généralement, de l'action économique et du développement.

L'État, pour sa part, reprend à sa charge les dépenses liées à l'exercice des fonctions majeures qui ne doivent relever que de la puissance publique. Cette clarification doit permettre à l'État de mieux se consacrer à ses missions essentielles, à un degré de responsabilité qui est celui de la nation tout entière.

On m'a reproché de sacrifier les petites communes, je voudrais dire ici que j'ai été sénateur pendant trois ans, et que j'ai alors été amené à bien connaître leurs problèmes. Ces reproches sont totalement inexacts.

Il est vrai que la faible taille d'un certain nombre de collectivités locales, et notamment de communes, peut constituer un obstacle à l'exercice de leurs nouvelles compétences. Je veux réaffirmer devant vous que le gouvernement récuse formellement toutes les solutions imposées en matière de coopération intercommunale, le plan de fusions de communes de 1971 sera abrogé. Le gouvernement préfère favoriser un apprentissage progressif, pragmatique et librement décidé de l'action en commun.

Le texte relatif à la coopération intercommunale confortera cette option fondamentale.

Je sais que certains d'entre vous se sont parfois émus devant des dispositions évoquant, par exemple, les chartes intercommunales d'aménagement ; le projet de loi respecte la préoccupation de l'autonomie locale, et notamment communale, qui anime tous les maires. Il entend tenir compte des groupements qui fonctionnent déjà, mais nous devons également envisager des modalités de coopération plus légères, sous forme de conventions pour faciliter l'exercice de tout ou partie des nouvelles compétences.

B. - Le second principe traduit le souci de ne pas permettre à une collectivité locale d'exercer une tutelle sur une autre collectivité.

Il s'agit d'un problème fondamental auquel tous les élus et plus particulièrement les maires sont sensibilisés, au point que certains ont cru déceler dans quelques rappels de formes de coopération possibles, des menaces pour l'autonomie locale. Je veux dissiper ce doute, tout en reconnaissant que la tâche est ardue.

Nous avons en effet choisi de transférer les compétences, dans toute la mesure du possible, par « blocs ».

Cependant, l'effort de simplification entre les différentes collectivités publiques n'est pas, et ne peut sans doute pas, être absolu. En effet, subsistent à la fois des domaines de compétences complémentaires, pour le développement économique, pour l'éducation par exemple, mais également des opérations d'investissements d'une ampleur telle qu'elles exigent des participations financières d'origines multiples pour pouvoir être menées à bien.

A côté des compétences des collectivités locales et des compétences de l'État, clairement définies, il existe un champ de compétences partagées. De ce point de vue, je veux rappeler avec force qu'il n'y a, ni dans le projet de loi, ni dans l'esprit du gouvernement, de hiérarchie entre collectivités locales. Aucune d'entre elles ne dispose d'un pouvoir réglementaire, seul l'État détient la faculté de prescrire des règles générales et contraignantes qui s'imposent à tous au nom de l'intérêt général.

C'est cette même volonté qui fait que seul l'État a la faculté de trancher un conflit entre collectivités locales et de jouer un rôle d'arbitre. A cet égard, décentralisation et déconcentration vont de pair. Face à des élus locaux disposant de davantage de pouvoirs et de moyens, il importe que le représentant de l'État soit à même d'être un interlocuteur capable, non seulement d'aider, d'informer, mais aussi de décider au nom de l'État.

S'il en allait autrement, les élus seraient conduits à reprendre le chemin des ministères parisiens dès lors qu'un de leur projet mettrait en jeu l'État.

C. - Enfin, le troisième principe a consisté à accompagner tout transfert de compétences du transfert des ressources correspondantes. Il s'agit d'une garantie fondamentale donnée aux élus qui demain auront à exercer les attributions relevant pour le moment de l'État. Le gouvernement a veillé à ce que l'ensemble des moyens qui étaient consacrés, dans le budget, aux compétences transférées, soit alloué aux collectivités attributaires des nouvelles responsabilités.

J'y reviendrai, en présentant les grandes lignes des dispositions financières.

* Une application échelonnée dans le temps

Une démarche sur trois ans.

Ainsi, les principes que je viens de rappeler ont guidé les transferts de compétences prévus dans des matières aussi complexes et diverses que l'urbanisme, l'action sociale, la protection des sites et monuments ou les transports.

Une telle réforme transforme complètement l'armature administrative du pays et induit, à terme, de nouveaux équilibres de pouvoirs et de ressources. Je demande à chacun d'entre vous, qui êtes des gestionnaires, qui connaissez le poids des habitudes, qui savez l'importance des centres de décision : comment imaginer que de telles novations auraient pu intervenir en un seul jour, voire en une seule année ?

Le gouvernement a décidé, lors du Conseil des ministres du 7 avril dernier, par souci de bonne administration, d'opérer ces transferts de compétences sur trois années, 1983, 1984, 1985. Cette solution progressive et pragmatique peut d'ailleurs paraître bien brève si l'on songe à l'ampleur des modifications introduites.

L'exposé des motifs de la loi rappelle ainsi les compétences qui seront transférées chacune des trois années.

1983 verra s'effectuer les transferts de compétences dans les domaines de l'urbanisme et du logement, de la formation professionnelle et de l'aménagement du territoire.

En 1984, seront concernées les attributions relatives à l'action sociale et à la santé, ainsi qu'aux transports.

Enfin, les transferts de compétences dans les secteurs de l'éducation, de la culture et de l'environnement interviendront en 1985.

Pendant la même période et dans le cadre de la clarification des attributions, les dépenses afférentes à la construction et à l'entretien des cours et tribunaux, ainsi que les dépenses de police supportées par les collectivités locales, qui en feront la demande, seront prises en charge par le budget de l'État.

Cette approche trouve également sa justification dans le souci de corriger l'inégale répartition sur le territoire de certains grands équipements collectifs, notamment dans les domaines culturels, socio-éducatifs et sportifs. L'étalement dans le temps permet la mise en oeuvre de politiques de rattrapage qui visent à combler les lacunes ou les carences des politiques antérieures.

J'ai relu avec intérêt ce qu'écrivait M. Lionel de Tinguy, dans son rapport déposé au Sénat le 3 mai 1979 :
« Il faut en être convaincu : changer les attributions respectives des collectivités locales et de l'État se fera progressivement ou ne se fera pas. »

Le calendrier de la présente session parlementaire ne permettra pas d'adopter avant la fin décembre l'ensemble du projet.

Pour éviter tout retard et permettre un strict respect du calendrier que je viens d'exposer, le gouvernement a donc décidé de retirer de l'ordre du jour les dispositions dont l'entrée en vigueur ne devait intervenir qu'en 1984 et 1985.

Dans un premier temps ne seront discutées que les dispositions dont l'application était prévue pour 1983 et les dispositions générales.

Dans un second temps, à la session de printemps, le reste du texte sera examiné.

Vous comprendrez que nous ne pouvions accepter ni de prendre le risque que le projet ne soit pas adopté au 31 décembre 1982, ni de procéder à un examen hâtif, contraire à la qualité du travail parlementaire qu'exige une telle réforme, alors que les deux tiers des dispositions concernent des compétences qui ne seront transférées qu'en 1984 et 1985.

Les faits sont très clairs, et pourtant cette initiative a été mal comprise et a suscité des polémiques bien inutiles. La discussion générale qui a eu lieu au Sénat la semaine dernière a permis de lever toute ambiguïté, et en déposant une proposition de loi, qui reprend les dispositions retirées, les sénateurs ont montré qu'ils acceptaient la demande du gouvernement.

J'ai déjà dit que je demanderai l'inscription à l'ordre du jour prioritaire de cette proposition de loi lors de la session de printemps.

Le Premier ministre a bien voulu confirmer ce fait lorsqu'il a reçu l'Association des présidents des conseils généraux. Il n'y a donc plus aucun problème.

* Les principales dispositions du texte

Il n'est pas dans mon intention de vous décrire l'ensemble des dispositions du projet de loi. Je voudrai simplement insister sur les points qui me paraissent importants pour vous, les maires de France.

A cet égard, le transfert de compétences le plus significatif concerne l'urbanisme.

C'est un des domaines où le projet de loi marque le plus nettement la volonté d'une réelle décentralisation.

L'urbanisme met en cause la qualité du cadre de vie, l'utilisation de l'espace, la protection de l'environnement et la répartition de l'habitat.

Ces enjeux relèvent d'abord de la responsabilité des communes. Elles devront avoir l'entière maîtrise de leur devenir, et donc de l'utilisation de leur sol, ce qu'elles n'avaient jamais obtenues jusqu'à maintenant. De son affectation dépend en effet la mise en oeuvre de leur politique en matière de logement, de transport, de loisirs, d'action sociale, d'aménagement rural ou dans tout autre domaine concernant la vie quotidienne des habitants.

L'urbanisme ne peut se réduire à la juxtaposition de trente-six mille politiques communales.

La décentralisation des compétences en matière d'urbanisme ne constituera un enrichissement et un progrès que si elle s'accompagne d'un effort préalable de planification, du renforcement des solidarités et de la définition d'une procédure simple permettant de résoudre les conflits inhérents à l'occupation de l'espace.

La commune pourra exercer ses compétences en matière de permis de construire et d'urbanisme opérationnel lorsqu'elle sera dotée d'un plan d'occupation des sols, qui constituera une « règle du jeu » claire et accessible à tous. En l'absence d'un tel plan, la construction hors des zones déjà urbanisées sera limitée. C'est une garantie essentielle de l'équilibre de la réforme.

Dans ce cadre, il est proposé de donner aux communes, et à leurs établissements publics, le pouvoir d'élaborer et d'approuver les schémas directeurs et les plans d'occupation des sols, ainsi que celui de délivrer les permis de construire et autres autorisations d'utilisation du sol.

Toutefois, ce transfert de compétence laisse à l'État la responsabilité de notifier, voire d'imposer en dernière analyse, aux collectivités locales concernées ses propres projets, ainsi que ceux, le cas échéant, des autres collectivités locales.

Je veux revenir, en conclusion de cette partie relative à l'urbanisme, sur l'appréhension que je sens chez un grand nombre d'entre vous à ce sujet, notamment dans les communes moyennes ou petites.

Il nous appartient à cet égard, à la fois, de proposer des textes plus simples, des procédures plus légères, mais aussi et peut-être, surtout, de rendre les élus plus vigilants, afin qu'ils obtiennent que l'esprit des textes ne soit pas détourné par les techniciens.

Je suis persuadé que ce texte, d'une importance capitale, doit être expliqué, afin que tous les élus, et plus particulièrement les maires, ne soient pas victimes d'un contresens. Je pense notamment aux maires des communes rurales, dont certaines ont déjà fait l'effort de réaliser une carte communale qui leur rend de grands services, bien qu'elle ne soit pas opposable aux tiers. Je veux réaffirmer que le désir du gouvernement est de permettre à toutes ces communes de passer d'une carte communale à un POS, aussi simple que possible, avec le minimum de procédure. Pour les autres communes, l'existence d'un POS doit être regardée, non pas par rapport aux documents d'urbanisme les plus complexes qui existent aujourd'hui, mais par rapport à la nouvelle définition du POS que nous proposerons dans le cours du débat.

Nous devons faire partager cette conviction que l'urbanisme peut être simple et accessible à tous les citoyens, et notamment dans les plus petites communes.

En réponse à M. Chirac, je voudrais signaler que j'accepte volontiers les remarques et les amendements, mais ne me reprochez pas la complication de mes textes qui sont très simples à côtés des siens.

Le second domaine concerne le développement économique et l'aménagement rural.

De nombreuses communes ne disposent pas de la taille et des moyens nécessaires pour élaborer et mettre en oeuvre isolément une politique de développement économique et social. A cette fin, les communes qui le souhaiteront pourront élaborer des chartes intercommunales d'aménagement qui permettront de renforcer la cohérence de leurs actions en matière d'urbanisme, d'habitat, d'équipement ou de développement agricole et forestier. Sur cette base, les communes pourront développer une politique contractuelle avec le département, la région où l'État pour la réalisation d'actions de leur compétence.

Le département conserve une compétence générale en matière d'aménagement rural, et notamment pour l'électrification rurale, l'alimentation en eau potable, l'assainissement, la collecte et le traitement des ordures ménagères.

Ainsi est confirmé le rôle du département en faveur du développement des services publics en milieu rural et sa vocation à assurer une mission de solidarité à l'égard des communes les plus petites.

De même, il est désormais compétent pour attribuer aux communes les crédits destinés aux actions de remembrement et aux travaux d'hydraulique d'intérêt local.

Je sais que certaines dispositions du projet ont pu faire craindre que le département soit en mesure, par ce biais, d'instituer une tutelle sur les petites communes. Telle n'est pas notre intention, et je suis prêt à étudier au Sénat et à l'Assemblée nationale tous les amendements qui permettront d'accroître les garanties des communes dans ce domaine et de les rassurer.

Ces transferts de compétences donnent lieu au transfert des ressources correspondantes.

J'en arrive à l'aspect financier qui est important. Vous avez dit que la DGF diminuerait en 1983, or ce n'est pas nous qui l'avons relié à la TVA, c'est vous. Je me félicite que l'inflation diminue à 8 %, c'est l'intérêt de tous les Français et de tous les élus.

Deux principes ont guidé la détermination des mécanismes de financement :
- le principe que tout transfert de compétence est obligatoirement accompagné du transfert des moyens correspondants de l'État ;
- le principe de responsabilité des élus à l'égard de leurs ressources. Ce principe conduit à souhaiter que le financement des compétences ne s'effectue pas uniquement par la voie d'un transfert de crédits budgétaires, mais aussi par le moyen d'un transfert de responsabilité fiscale.

A l'heure actuelle dans les recettes des collectivités territoriales, la part des concours versés par l'État (DGF, FCTVA, subventions) est égale à celle du produit de la fiscalité locale. L'attribution de nouvelles ressources destinées à compenser les charges résultant des compétences transférées ne doit pas aboutir à déséquilibrer ce rapport et à augmenter sensiblement l'importance relative des dotations budgétaires. C'est pourquoi a été posé le principe d'un financement reposant pour moitié au moins sur des transferts de crédits budgétaires regroupés dans une dotation générale de décentralisation.

Le transfert de fiscalité d'État portera sur la carte grise dont le produit ira aux régions ; la vignette et les droits de mutation à titre onéreux sur les immeubles iront aux départements. Ces transferts seront opérés en loi de finances, au fur et à mesure des transferts de compétences. Ils porteront au total en trois ans sur environ 15 200 millions de francs.

Chaque année sera établi un bilan des accroissements et diminutions de charges, afin que ce solde puisse être financé selon le double mécanisme que je viens de décrire. La dotation générale de décentralisation doit en particulier permettre les adaptations qu'exige la situation de chaque collectivité, eu égard à ses ressources fiscales et à des charges.

Je veux préciser à cet égard que j'entends bien, comme le souhaitent de nombreux maires, que ce bilan financier soit opéré collectivité par collectivité.

En outre la loi prévoit les conditions de mise en oeuvre de la dotation globale d'équipement.

Il s'agit de satisfaire une revendication formulée de longue date par les collectivités locales. La subvention, qui, au départ, n'était qu'un moyen de soulager les finances communales et les finances départementales, est devenue un procédé plus efficace qu'aucun autre pour soumettre communes, départements et régions à une tutelle quasi totale, aussi bien technique que financière.

Chacun sait parmi vous comment la subvention est subordonnée à toutes les exigences des ministères, exigences qui ont parfois été jusqu'à l'adoption d'une « réalisation type » élaborée à l'échelon national sans aucun souci des situations locales (écoles, piscines, clubs…).

L'attribution des subventions est aléatoire, elle est source de retard et de lenteurs, elle aboutit à une déconcentration des décisions.

Cette situation est d'autant plus paradoxale que dans bien des domaines les communes ont, d'ores et déjà, la capacité juridique d'agir. Elles ont dès maintenant la compétence, mais sans disposer des moyens leur permettant d'intervenir en toute autonomie.

La dotation globale d'équipement, créée par la loi du 2 mars 1982, répond à cet objectif ; elle a vocation à regrouper, à terme de trois ans, tous les crédits de subvention, afin de verser aux collectivités locales une dotation libre d'emploi, calculée en fonction des investissements réalisés par les communes ou les départements au cours de l'exercice.

La dotation des communes tiendra compte de l'insuffisance potentiel fiscal par rapport à la moyenne des communes de même taille, son montant pouvant même être majoré dans le cas de travaux prévus par une charte intercommunale d'aménagement.

Pour la première année, 20 % des subventions spécifiques d'investissement allant aux communes seront globalisées, ainsi que la totalité des subventions destinées à la voirie communale et aux aménagements des espaces verts forestiers.

Régie par les mêmes principes, la dotation globale d'équipement des départements doit permettre de financer, d'une part, les investissements propres des départements dans le domaine de la voirie et, d'autre part, de développer les programmes d'aide à l'équipement des communes rurales.

La DGE des départements atteindra son montant définitif dès 1983.

Je veux rassurer à ce propos tous ceux, et notamment les maires des communes rurales, qui redoutent l'intrusion du département dans le fonctionnement de ces fonds, et pour tout dire, leur politisation. Je suis prêt, comme je l'ai dit, à réexaminer le texte du gouvernement qui n'a d'autre ambition que de mieux coordonner les actions qu'entreprend le département sur son propre budget en matière d'électrification et d'adduction d'eau avec les programmes de ces fonds.


Conclusion

Lors de l'examen de la loi « Droits et libertés », j'ai fait voter de nombreux amendements de l'opposition.

C'est la conception que je me fais du travail parlementaire de la concertation entre exécutif et législatif, à l'écoute des élus et de leurs souhaits. Je souhaite que les maires nous apportent leurs concours dans cette construction, pour améliorer la réforme en cours. Il vous appartient de participer à ce vaste débat et de prolonger, dans chacune de vos communes, la réflexion que nous amorçons ensemble.

En effet, rarement un projet de texte aura été aussi lourd de conséquences ; il est peut-être, par là même, imparfait. Par la qualité de vos réflexions, les leçons de votre expérience, je crois que nous pouvons rendre ces propositions plus efficaces, mieux adaptées à l'attente unanime des élus, et de l'ensemble de la nation.

Je suis en effet frappé de constater la grande stabilité de nos institutions locales, dont les textes fondamentaux datent de 1871 pour le département et de 1884 pour les communes, et alors que ces textes étaient eux-mêmes, non des points de départ, mais l'achèvement démocratique d'une évolution administrative engagée sous le consulat.

Or, entre le début de la IIIe République et de nos jours, la démocratie a marqué des progrès réels, mais toujours au niveau des institutions nationales : régime parlementaire de 1875, liberté publique… droits syndicaux, droits des femmes… élection du président de la République au suffrage universel…

Face à ces conquêtes de la démocratie nationale et sociale, la démocratie locale ne peut guère compter à son actif que les allégements de tutelle administrative, mais en contrepartie, que de reculs ! Face à un État qui a multiplié ses moyens et ses institutions, les collectivités locales ont perdu une grande partie de leurs responsabilités, de leurs ressources, de leur autonomie.

Il revient à ce projet de loi, qui s'inscrit dans le prolongement naturel de la loi relative aux droits et libertés, d'inverser ce courant et d'accroître les compétences des communes, des départements et des régions.

Je ne doute pas que vous soyez décidés à apporter à ce débat votre irremplaçable contribution,  qui est celle des 36 000 communes de France.

Si au cours de votre congrès, si au cours de débats ultérieurs, si votre président et votre bureau désiraient m'entendre, je serais à leur entière disposition.

J'apprécie les discussions parlementaires, même s'il arrive parfois qu'elles soient violentes. Il faut accepter qu'un texte soit amélioré, et c'est ce que je ferai.

Sous les IIIe, IVe et Ve Républiques, un certain nombre de choses ont été faites à la fois pour perfectionner les institutions et pour faire des progrès, depuis maintenant un siècle, il n'a pas été fait de grands progrès pour moderniser les institutions territoriales. Il faut le faire maintenant, mais avec un esprit ouvert, de discussions avec efficacité dans l'intérêt des départements, des régions et des communes.