Les infractions pénales sont conçues comme des atteintes à la société dans son ensemble, par le trouble à l'ordre public qu'elles créent. L'objet d'un procès pénal est donc avant tout de sanctionner l'auteur d'un acte d’une conduite que la société réprouve.
Le procès pénal oppose le ministère public (ou parquet), représentant légitime des intérêts de la société, à l'individu mis en cause pour une infraction. C'est généralement le ministère public qui déclenche "l'action publique", qui permet de faire constater par un juge pénal l'infraction commise et établir la culpabilité ou l'innocence de l'individu poursuivi.
La victime, autre acteur de la procédure, n’est prise en considération, au cours du procès pénal, que si elle se constitue "partie civile", c’est-à-dire qu’elle manifeste la volonté de demander réparation des dommages directement causés par l’infraction (indemnisation). On parle alors d'"action civile en réparation du dommage", qui peut être enclenchée par toute personne ayant "personnellement" souffert d'un dommage "directement" causé par une infraction pénale (article 2 du code de procédure pénale).
La définition du droit international et européen
Les victimes sont définies par le droit international et le droit européen comme "des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un État [...]" (voir la résolution du 29 novembre 1985 de l'Assemblée générale des Nations unies).
Une reconnaissance progressive des droits des victimes
En France, les droits des victimes sont d'abord apparus sous la forme d'une reconnaissance de la partie civile comme acteur du procès pénal. En premier lieu reconnue par la jurisprudence (arrêt de la Cour de cassation, du 8 décembre 1906, Laurent Atthalin), c’est désormais en vertu de l'article 1er du code de procédure pénale que la victime peut déclencher elle-même les poursuites (par "voie d'action"). La victime peut également se constituer partie civile une fois que les poursuites ont déjà été engagées (par "voie d'intervention").
Le statut juridique de victime envisagé dans sa globalité a connu un regain d'intérêt dans la deuxième moitié du XXe siècle.
Une considération croissante accordée aux victimes
Une première loi de 1977 instaure la possibilité pour certaines victimes de dommages corporels résultant d'une infraction de se faire indemniser par l’État. Elle crée la Commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI), compétente à l'égard des victimes qui ne peuvent obtenir une réparation "effective et suffisante", sur un principe de solidarité nationale.
Des politiques publiques d'aide aux victimes sont également lancées au début des années 1980, sous l'impulsion de Robert Badinter, alors garde des sceaux. Leur objectif est d’aller au-delà de l’indemnisation matérielle et d’apporter une écoute, une information, une aide en termes d’accueil et de prise en charge, ainsi qu'un accompagnement pendant la procédure.
Estimant insuffisante la place qui leur est réservée dans le procès pénal, les victimes ont, dès le début des années 1980, décidé de se substituer aux carences des institutions et d'investir massivement la scène pénale et médiatique. Créées dans les années 1980, les associations de victimes, regroupées depuis 1986 au sein de l’Institut national d’aide aux victimes (Inavem), devenu la fédération France victimes, proposent :
- une écoute privilégiée pour aider les victimes à identifier leurs difficultés (sentiment d'isolement, souffrance psychologique...) ;
- une information sur leurs droits (procédures judiciaires, systèmes d'indemnisation) ;
- un accompagnement dans leurs démarches (aide psychologique, préparation aux expertises et aux audiences) en les orientant si nécessaire vers des avocats, des services sociaux et médico-psychologiques, des assurances...
En réaction aux retombées d'affaires de santé publique au début des années 1990 (sang contaminé, amiante), de catastrophes comme celles de Furiani en 1992 ou encore des attentats terroristes de 1995 et 1996, l’État va accorder aux victimes une place de plus en plus importante dans le procès pénal. Une circulaire adoptée dès le 13 juillet 1998 traduit cette nouvelle priorité.
Au tournant des années 2000, la victime est placée au cœur du procès pénal
La loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes s’inscrit dans ce long mouvement de promotion des droits de la victime dans la procédure pénale. Le texte s’appuie sur les propositions du rapport Lienemann de 1999, qui souligne que toute politique publique d'aide aux victimes doit d'abord garantir une prise en charge globale des droits fondamentaux des personnes ayant subi les conséquences de l’infraction.
La loi de 2000 crée de nouveaux dispositifs afin de favoriser l’accueil, l’écoute, la protection, et l’indemnisation des victimes. Parmi ceux-ci :
- une facilitation des démarches des victimes pour se constituer partie civile ;
- une reconnaissance de l’infraction d’atteinte à la dignité de la victime d’un crime ou d’un délit (par la reproduction de certaines images, par exemple) ;
- l’extension du principe du contradictoire aux victimes ;
- l'inscription dans les textes que l'autorité judiciaire, au cours de la procédure pénale, "veille à l'information et à la garantie des droits des victimes".
La loi consacre pour la première fois dans le code de procédure pénale le rôle des associations d'aide aux victimes en précisant que le procureur de la République (parquet) peut avoir recours à ces associations pour aider la victime, à certaines conditions. La loi souligne ainsi une volonté de promouvoir l’égalité des rôles, conformément à la position de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) selon laquelle "les principes du procès équitable commandent que les intérêts de la défense soient mis en balance avec ceux des victimes".
Un élargissement des droits des victimes au fil des lois
Les droits de la victime renforcés
Depuis la loi du 15 juin 2000 renforçant les droits des victimes, le législateur a conforté le statut de la victime dans la procédure pénale en lui octroyant de nouveaux droits.
La loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice, dite Perben I, renforce l'accompagnement juridique de la victime au cours des procédures en lui proposant un avocat commis d'office dès le dépôt de plainte et en octroyant l'aide juridictionnelle aux victimes d'infractions les plus graves, sans considération de ressources.
La loi du 9 mars 2004, dite Perben II, prévoit la prise en compte des intérêts des victimes dans les procédures d'aménagement de peine, leur consacrant ainsi une place à part entière au stade de l'exécution de la peine.
La loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales prévoit que la nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier plusieurs impératifs comme la protection de la société et les intérêts de la victime. Elle permet également à l'avocat de la partie civile d'intervenir dans le débat contradictoire devant les juridictions d'application des peines.
Un décret du 13 novembre 2007 crée un juge délégué aux victimes (JUDEVI) chargé de "veiller dans le respect de l’équilibre des droits des parties à la prise en compte des droits reconnus par la loi aux victimes".
Le saviez-vous ?
Le comité de réflexion sur la justice pénale mis en place en 2009 voulait aller encore plus loin et envisageait d’octroyer un droit de récusation des jurés d’assises à la victime, un droit jusqu’à présent réservé au ministère public et à l’accusé. Certaines propositions de lois déposées à l’Assemblée nationale, notamment en 2017, prévoyaient d’accorder à la victime un droit d’appel des décisions de relaxe et d’acquittement à l’issue du procès pénal.
Une loi du 15 août 2014 garantit et conforte les droits des victimes tout au long de l’exécution des peines, en permettant par exemple à la victime de saisir l’autorité judiciaire de toutes atteintes à ses intérêts, et en énonçant que doit être prise en compte, s’il y a lieu, la nécessité de garantir la tranquillité et la sûreté de la victime.
Une loi du 3 juin 2016 permet la majoration des amendes prononcées (jusqu'à 10%) pour financer les associations d'aide aux victimes.
L'élargissement des personnes pouvant se constituer partie civile
La qualité de victime a de plus en plus été attribuée à des victimes qualifiées "d'indirectes" (ou "par ricochet"). Ce statut leur est accordé lorsqu'un lien de causalité est établi entre le préjudice qu'elles subissent des dommages causés à la victime directe et l'infraction constatée : c'est le cas par exemple du préjudice subi à la suite du décès d'un proche victime d'un meurtre.
Initialement, des conditions strictes étaient imposées par les juges pour l'attribution de cette qualité : lien de parenté ou d'alliance, preuve d'un intérêt juridiquement protégé... Ces critères restrictifs ont progressivement été abandonnés, au profit, depuis les années 1970, de la démonstration d'un préjudice "personnel et direct, certain et licite" (jurisprudence constante de la Cour de cassation).
La protection de victimes autres que le destinataire direct de l'infraction a également été renforcée par les textes. C'est le cas notamment des mineurs exposés à des violences conjugales qui, depuis un décret du 23 novembre 2021, sont considérés comme des victimes à part entière (et non plus comme de simples témoins).
Enfin, concernant non pas le statut de victime mais la qualité à agir, la constitution de partie civile de groupements (par exemple des syndicats) est possible lorsque l'infraction a porté atteinte aux intérêts du collectif. Depuis les années 2000, plusieurs lois ont conféré à des associations la possibilité d'exercer certains droits de la partie civile. C'est le cas de la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, qui autorise une association à exercer les droits reconnus à la partie civile concernant le délit de bizutage, sous certaines conditions.
Un renouvellement du sens pour le procès pénal ?
La consécration de la place de la victime au sein du procès pénal a renouvelé le sens du procès pénal, tout en suscitant des controverses. L’abondance de réformes réglementaires et législatives depuis les années 2000 traduit à la fois la reconnaissance de plus de droits aux victimes dans la procédure pénale mais aussi la volonté du législateur de punir plus sévèrement les personnes poursuivies au nom de la souffrance des victimes.
Les évolutions successives de la loi, au gré de faits divers fortement médiatisés et de l’interpellation des politiques sur ces faits, portent, de l’avis de certains, le danger d’une dérive "vindicative" de la justice. La satisfaction des intérêts des victimes deviendrait une finalité parmi d’autres dans le procès dont le but deviendrait moins de sanctionner justement l’auteur de l’infraction et de protéger la société que de réparer le dommage causé à la victime.
Pour Robert Badinter, le père de la politique publique du droit des victimes, "la justice pénale n'a pas pour mission d'être une thérapie de la souffrance des victimes. Elle a une fonction répressive, dissuasive et expressive, car elle exprime les valeurs de la société".
Alors que, conformément aux principes fondamentaux de la justice, le tribunal doit être préservé de toutes pressions, la volonté d’orienter le verdict par rapport à la victime peut se faire au détriment de la culture du doute qui doit profiter à l’accusé.
Les débats réguliers sur la prescription de l'action publique illustrent la divergence des opinions en la matière. D'un côté, les défenseurs d'une imprescriptibilité pour certains crimes, notamment de nature sexuelle, considèrent qu'elle permettrait de remédier aux difficultés rencontrées par les victimes : amnésie traumatique, obstacles multiples au dépôt de plainte... Les opposants à cette proposition rappellent les risques liés à l'imprescriptibilité d'une infraction, tels que la disparition des preuves au fil du temps ou les risques d'erreurs judiciaires.
Pour tenter de pallier les insuffisances de la justice pénale en termes de réparation, des mesures de justice restaurative peuvent être mises en place depuis plusieurs années (directive européenne du 25 octobre 2012 et loi du 15 août 2014). Elles confèrent au système de justice pénale français une mission élargie : concourir au maintien de la paix sociale, en mettant l’accent sur la prévention des comportements antisociaux et délictueux par l’établissement de mesures de réparation globales des victimes et la réinsertion sociale des auteurs d’infractions.
Il s'agit d'instaurer un dialogue entre les parties à tous les stades du procès pénal et/ou de leur permettre de comprendre les causes et les conséquences de l'infraction : rencontres encadrées entre auteurs et victimes, cercles de soutien...