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© Alexandre ROSA / Stock-adobe.com

La France, championne d'Europe des investissements étrangers : "a French paradox"?

Temps de lecture  13 minutes

Par : Jean-Marc Figuet - Professeur à la Bordeaux School of Economics (UMR CNRS 6060)

Depuis 2019 la France est championne d’Europe en matière d’investissements directs étrangers (IDE). Les investissements directs étrangers renforcent-ils ou affaiblissent-ils le tissu économique français ? Comment cette performance s’explique-t-elle compte tenu des défis macroéconomiques qui persistent en France ?

La France est championne d’Europe des investissements directs étrangers ! Selon le dernier rapport sur le commerce et le développement (2023), la France est l'une des destinations mondiales les plus attractives pour les investisseurs étrangers. Depuis 2019, elle conserve son titre européen, devant le Royaume-Uni et l’Allemagne. Lors du sommet "Choose France", le 13 mai 2024 au Château de Versailles, le Gouvernement  a annoncé 15 milliards d'euros d’investissements étrangers portant sur 56 projets avec, à la clé, la création potentielle de 10 000 emplois. Parmi les projets annoncés, qui se déploieront dans les prochaines années, les projets industriels représentent 44% du total (contre 34% en 2019), ce qui marque une réindustrialisation relative de notre économie. Les États-Unis demeurent le premier pays investisseur en France.

Cependant, cette performance persistante en termes d'IDE contraste avec des déficits macroéconomiques persistants de la France (déficit public, déficit de la balance commerciale et de la balance paiements, chômage élevé…). Comment expliquer ce paradoxe ?

L'IDE, c'est quoi ?

L'investissement direct étranger (IDE) est à distinguer de l'investissement de portefeuille. Le premier IDE implique un contrôle significatif de l'entreprise (au moins 10%) et une gestion directe, alors que le second n'offre pas de réel contrôle sur la gestion. Si l'IDE vise à influencer les opérations et à accéder à des ressources, l'investissement de portefeuille a pour principal objectif l'arbitrage entre le risque et la rentabilité. Enfin, l'IDE est généralement un engagement à long terme, alors que l'investissement de portefeuille peut être de court terme. Sur le plan de la comptabilité nationale, les IDE sont des entrées de capitaux enregistrées dans le compte financier de la balance des paiements sous forme de passifs.

L'investissement direct étranger (IDE) est considéré comme un moteur crucial de la croissance économique mondiale (Borensztein, E., De Gregorio, J., & Lee, J.-W. (1998). How does foreign direct investment affect economic growth?, Journal of International Economics, 45(1), 115-135). Les IDE peuvent stimuler le développement technologique, améliorer la productivité et créer des emplois. Même s'il est parfois difficile de les distinguer, il est d'usage de distinguer les IDE horizontaux qui visent à améliorer l'accès au marché des IDE verticaux qui cherchent à obtenir des intrants intermédiaires à moindre coût.

Si la France attire plus d'IDE que ses partenaires européens, c'est en raison de son attractivité pour les investisseurs étrangers, notamment la qualité et la disponibilité de la main-d'œuvre, la stabilité de l'environnement juridique et réglementaire et la qualité de ses infrastructures. Cependant, les flux d'IDE ne sont pas totalement libres et l'État exerce un contrôle strict. Ce contrôle aboutit dans de nombreux cas à l'interdiction des opérations envisagées. Ainsi, en 2023, la vente des entreprises Segault et Velan a été interdite par le ministère de l'économie. La mondialisation et les crises récentes ont conduit la France (comme beaucoup d'autres pays) à arbitrer entre attraction des investissements étrangers et souveraineté économique. Certains secteurs, considérés comme sensibles, sont protégés comme la défense nationale ou le nucléaire.

Les IDE renforcent-ils ou affaiblissent-ils le tissu économique de la France ? 

Les bénéfices escomptés des IDE

Les IDE ont principalement deux effets positifs :

  • Le transfert de technologies et de compétences
    L'un des principaux avantages des IDE est le transfert de technologies et de compétences. Les entreprises multinationales apportent des technologies avancées et des pratiques de gestion efficaces. Les travaux de Dunning et Lundan (Multinational Enterprises and the Global Economy, Edward Elgar Publishing, 2nd ed., 2021) montre ainsi que les IDE peuvent accélérer l'innovation et améliorer la compétitivité des entreprises locales grâce à des partenariats et des collaborations. Ce transfert peut se faire directement, à travers la filiale locale de l'entreprise multinationale, ou indirectement, via des effets de débordement technologique (spillovers) vers les entreprises locales. On peut alors voir d'un bon œil les investissements d'Amazon, d'IBM ou de KDDL dans l'IA, tout comme ceux de Novartis et d'Astra Zeneca dans la production de médicaments. Ou encore celui de SVOLT pour la production de batteries électriques ;
  • La création d'emplois
    L'IDE est souvent associé à la création d'emplois. Pour Dunning et Lundan (2021), les IDE peuvent entraîner des effets positifs sur le marché du travail, non seulement en termes de quantité mais aussi en termes de qualité des emplois créés. Amazon a ainsi annoncé que son investissement de 1,2 milliard s'accompagnerait de la création d'environ 3 000 emplois en contrat à durée indéterminée (CDI). Les investissements dans l'IA devraient également conduire à la création d'emplois qualifiés sous réserve de disponibilité de la main-d'œuvre, et donc d'adéquation de notre système éducatif. L'IDE peut être également associé à la reconversion de travailleurs qualifiés au chômage. Tel peut être le cas sur le site de Blanquefort, en Gironde, où l'usine Ford a fermé en 2019. Le suisse KL1 va y ouvrir une raffinerie de nickel. Et l'allemand Lilium envisage de créer, dans la région, une usine de construction d'avions électriques.

Les IDE stimulent donc la croissance économique et renforcent la diversification de notre économie en la rendant ainsi plus résiliente aux chocs. Enfin, l'implantation d'entreprises étrangères peut également favoriser le développement de nos infrastructures de transports ou de communication, au travers de l'investissement public, qui, in fine, profite à l'ensemble de l'économie. Selon le Baromètre de l'attractivité 2023 d'EY , le stock d'IDE en France concerne 16 800 entreprises (1% du total) qui emploient 2,2 millions de personnes (un peu moins de 10% des salariés) et contribuent à environ 20% du PIB, 25% de la R&D privée et 35% des exportations industrielles.

Ces bénéfices escomptés ne doivent pas masquer les inconvénients potentiels des IDE. Il y a donc un revers à la médaille.

Les inconvénients potentiels des IDE

Les IDE peuvent avoir trois inconvénients :

  • La dépendance économique et la vulnérabilité
    Une forte dépendance aux IDE peut rendre une économie vulnérable aux chocs externes. Les fluctuations des flux de capitaux internationaux peuvent alors entraîner une instabilité économique (Hausmann R. and Fernández-Arias E. (2000), “Foreign Direct Investment: Good Cholesterol?”, Inter-American Development Bank Working Paper, n°417, Washington ). Les pays fortement dépendants des IDE peuvent subir des répercussions négatives en cas de retrait massif de capitaux, notamment en période de crise économique globale. Par exemple, l'industrie automobile française est fortement dépendante des IDE, notamment des constructeurs étrangers comme Volkswagen, Toyota ou Nissan. Lors de la crise des subprimes (2008-2009), plusieurs de ces groupes ont brutalement réduit leur production et leurs effectifs en France, fragilisant fortement ce secteur clé de l'économie. Et, Renault a dû fermer temporairement plusieurs usines en France en 2009 face à l'effondrement de la demande automobile. L'aéronautique française bénéficie également de nombreux IDE réalisés notamment par AVIC, Mitsubishi ou United Technologies. L'effondrement du trafic aérien, lors de la crise sanitaire, a conduit de nombreux équipementiers étrangers à réduire drastiquement leurs activités en France impliquant des milliers de suppressions d'emplois et une récession sans précédent dans ce secteur ;
  • Les pressions sur les entreprises locales
    Les IDE peuvent également exercer une pression concurrentielle sur les entreprises locales. Les multinationales bénéficient souvent d'avantages en termes de capital, de technologie et d'accès aux marchés internationaux, ce qui peut désavantager les petites et moyennes entreprises locales. Si les IDE stimulent la concurrence et l'innovation, ils peuvent également conduire à la fermeture de certaines entreprises locales incapables de rivaliser. Ainsi, les laboratoires pharmaceutiques français ont souffert de la concurrence des grands groupes étrangers venus s'installer en France. Confronté à la concurrence accrue d'acteurs mondiaux comme Pfizer et Novartis, Sanofi-Synthélabo a dû procéder à plusieurs vagues de restructurations et de fermetures de sites en France dans les années 2000 et 2010. Le rachat de Fournier Pharma, en 2005, par le groupe américain Abbott Laboratories a conduit à la fermeture de plusieurs usines de production en France, entraînant des suppressions d'emplois ;
  • Les risques de rapatriement des bénéfices
    Les profits générés par les entreprises étrangères en France peuvent être rapatriés dans le pays d'origine de la société-mère. Cette stratégie peut limiter les bénéfices économiques pour la France à long terme. Si les IDE apportent des capitaux et des emplois à court terme, le rapatriement des bénéfices peut réduire les gains économiques nets pour le pays hôte. Cette situation découle de la concurrence fiscale entre les pays de la zone euro. L'exemple d'Apple, fiscalement basé, en Irlande où la taxation des profits est plus faible qu'en France, est bien connu.

La position paradoxale de la France

Si la France est bien le premier pays d'accueil des IDE en Europe, elle investit structurellement beaucoup plus à l'étranger. Autrement dit, le stock d'IDE sortants est supérieur au stock d'IDE entrants. Au total, d'un point de vue purement quantitatif, l'effet global des IDE entrants et sortants est défavorable sur notre balance des paiements. L'impact bénéfique des IDE entrants sur la réindustrialisation de la France doit alors être nuancé. Et les IDE entrants ne constituent qu'une fraction marginale de l'investissement total des entreprises en France en 2023 estimé à 335 milliards selon l'INSEE (2024).

Une comparaison avec l'Allemagne 

La position de la France en matière d'IDE contraste avec celle de l'Allemagne qui, bien qu'ayant une économie plus robuste et des indicateurs macroéconomiques plus favorables, attire moins d'IDE que la France. Sur le plan macroéconomique, la France affiche des déficits persistants, notamment en termes de dette publique et de balance commerciale. En comparaison, l'Allemagne présente des excédents commerciaux et une dette publique sous contrôle. Cette divergence soulève des questions sur l'efficacité des IDE en tant que moteur de croissance économique durable. Si la France attire plus d'IDE que l'Allemagne, c'est sans doute parce que son marché du travail est loin d'être saturé, offrant aux investisseurs de plus grandes possibilités de trouver de la main-d'œuvre. Rappelons, en effet, que le taux de chômage en France est d'environ 7% contre 3% en Allemagne. En outre, la présence en Allemagne de champions industriels incontestables peut dissuader les investisseurs étrangers. Sans oublier que l'Allemagne est la championne du monde des "champions cachés", de ces entreprises du Mittelstand (grosses PME) leaders mondiaux sur un segment souvent très spécifique . Si la France est désavantagée du point de vue de la densité et de l'efficacité du tissu industriel, elle est, en revanche en avance sur l'Allemagne en terme de mix énergétique décarboné dans le cadre de la transition climatique.

Si le coût horaire de la main-d'œuvre est équivalent entre l'Allemagne et la France (environ 43 euros ), il est nettement inférieur en Espagne (environ 24 euros) qui bénéficie, en plus, d'une réserve foncière plus importante que la France pour l'installation d'usines (Rexecode, Indicateurs du coût de l'heure de travail en Europe, hwww.rexecode.fr). En matière d'attraction des IDE, la concurrence pour la France pourrait, dans les années futures, venir plutôt des pays du sud de l'Europe.

Le rôle des politiques publiques 

Les politiques publiques jouent un rôle crucial dans l'attraction des IDE. La France a mis en place plusieurs initiatives pour attirer les investisseurs étrangers, notamment le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et la réforme du marché du travail. Cependant, ces mesures ne peuvent pas, à elles seules, résoudre les problèmes structurels de l'économie française. Les avantages des IDE pour la France sont indéniables à court terme. Ils apportent des capitaux, créent des emplois et stimulent l'innovation. Cependant, pour que ces avantages se traduisent en une croissance économique durable, il est essentiel de résoudre les défis structurels à long terme, tels que la réforme du système éducatif, ou l'amélioration de la compétitivité globale de l'économie :

  • L'intégration des IDE dans une stratégie de développement durable
    Pour maximiser les bénéfices des IDE, la France doit intégrer ces investissements dans une stratégie de développement économique durable. L'enjeu est de favoriser les IDE dans les secteurs verts et les technologies durables. Il s'agit de cibler les investissements étrangers dans les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique, la mobilité électrique... Ces secteurs offrent un fort potentiel de croissance durable. Parallèlement, il faut investir dans la formation et le développement des compétences locales pour tirer pleinement parti des innovations apportées par les multinationales et favoriser les collaborations entre les filiales étrangères et les entreprises locales afin d'améliorer les infrastructures et l'écosystème d'innovation pour faciliter l'intégration des nouvelles technologies. En outre, l'État doit être en mesure d'exiger des engagements en matière de RSE et de transition écologique de la part des investisseurs étrangers. Pour ce faire, il faut conditionner les avantages accordés aux IDE à des objectifs de développement durable puis suivre et évaluer leurs impacts environnemental et social ;
  • IDE sortants, demain encore plus importants ? 
    La France est une championne des investissements étrangers. Les avantages des IDE sont indéniables. Cette performance contraste avec certains déficits macroéconomiques persistants et des défis structurels non résolus. Il s'avère que la concomitance de certains de ses défis macroéconomiques (réserve de main-d'œuvre, voir sous-emploi relatif à ses partenaires) et de certains de ses atouts (la qualité de ses infrastructures, le prix de l'électricité, stabilité des institutions) est un facteur d'attractivité. Le paradoxe de la position de la France en matière d'IDE peut donc être expliqué par une combinaison de politiques publiques attractives et de faiblesses structurelles profondes. Pour transformer cette performance en une véritable croissance économique durable, il est essentiel d'adopter une stratégie de long terme, visant à maximiser les bénéfices des IDE tout en abordant les défis structurels. Les IDE pourraient alors être un levier pour une croissance inclusive et durable. À l'avenir, les IDE sortants pourraient gagner de l'importance, face à une économie où les gains de productivité sont de plus en plus faibles. Depuis la sortie de la crise sanitaire, la France décroche dans ce domaine. Dans ce contexte,  avoir des investissements, réalisés là ou les gains de productivité sont plus importants qu'en France, peut être un atout non négligeable pour l'économie domestique. Proposer un cadre favorable à ce genre d'investissements pourrait être un des enjeux d'avenir.