Image principale 1
Image principale 1
© Xose Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Autonomie, travail parlementaire, discipline... Comment fonctionne le Parlement ?

Temps de lecture  19 minutes

Par : Jérémy Martinez - Maître de conférences en droit public, Université Paris Dauphine-PSL

Fonctionnement interne encadré mais en autonomie, respect des équilibres politiques, maîtrise du temps de parole… En quoi le fonctionnement du Parlement se place au service de la démocratie sans être instrumentalisé par des stratégies partisanes ?

Depuis la perte de la majorité absolue à l'Assemblée nationale lors des élections législatives de 2022, renforcée par les effets de la dissolution de 2024, le fonctionnement du Parlement soulève de multiples difficultés comme le révèlent les conditions d'adoption de la réforme des retraites en 2023 ou encore de la loi "Duplomb" (loi du 11 août 2025 visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur). "Obstruction" parlementaire, polarisation des débats, invectives allant jusqu'à l'insulte ou (plus rarement) l'agression physique, telles sont les illustrations d'une vie parlementaire parfois chaotique.

À l'inverse, de nombreux débats retransmis à la télévision se déroulent dans un hémicycle clairsemé, donnant parfois l'image d'une chambre désertée. Entre agitation et absentéisme, certains citoyens comparent le Parlement à une cour d'école et les parlementaires à des élèves indisciplinés.

Dans ce contexte, le fonctionnement du Parlement suscite fréquemment circonspection, interrogation, et parfois exaspération. En quoi le fonctionnement du Parlement se place au service de la démocratie sans être instrumentalisé par des stratégies partisanes ? 

C'est à cette question que la présente contribution souhaite apporter un éclairage, en exposant les principales caractéristiques du fonctionnement interne du Parlement. Elle complète une première étude consacrée à ses moyens financiers. Ces deux approches, tantôt financière, tantôt institutionnelle, mettent en lumière les forces et les fragilités de l'exercice d'une démocratie représentative aujourd'hui malmenée dans l'opinion publique.

Une autonomie protégée par la séparation des pouvoirs

Pour comprendre le fonctionnement interne du Parlement, il faut rappeler sa situation particulière au regard des autres pouvoirs publics à l'instar de la Présidence de la République ou du Gouvernement. Afin de garantir l'exercice de la souveraineté nationale par des représentants élus au suffrage universel, le Parlement bénéficie du principe de séparation des pouvoirs. Ce dernier concerne d'abord les parlementaires qui bénéficient d'une protection de leur mandat par le biais d'une immunité pouvant être opposée à l'autorité judiciaire. 

Il concerne ensuite l'institution parlementaire. La démocratie représentative implique en effet un fonctionnement du Parlement fondé essentiellement sur son autonomie : si la Constitution fixe un cadre général au Parlement, les règles de fonctionnement relèvent principalement de la compétence du Parlement lui-même. Ainsi, l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires a valeur législative et peut donc être modifiée par le législateur. Les règlements des assemblées parlementaires, de l'Assemblée nationale (RAN) comme du Sénat (RS), sont élaborés et modifiés par chacune des chambres. Il faut préciser toutefois que la Constitution a prévu pour ces derniers un contrôle obligatoire de constitutionnalité (art. 61) : toute modification doit être soumise au Conseil constitutionnel, qui en vérifie la constitutionnalité avant son entrée en vigueur.

Cette autonomie du Parlement a deux conséquences essentielles : 

  • de nombreuses règles de fonctionnement du Parlement relèvent d'un "ordre intérieur" (Pierre Avril, Droit Parlementaire, LGDJ, 6e édition, 2021, p. 20 ) dont la validité a uniquement un objet interne applicable à toute personne présente dans l'enceinte du Parlement, aux parlementaires bien sûr, à son personnel, et le cas échéant aux membres du Gouvernement ou aux visiteurs ;
  • le respect des règles de fonctionnement du Parlement est essentiellement garanti par les assemblées elles-mêmes. Par exemple, les sanctions disciplinaires des parlementaires sont prononcées par des organes internes du Parlement, et ne peuvent être contestées par ces mêmes parlementaires devant un juge. Autre exemple, l'élection à la présidence de l'Assemblée nationale fait partie des actes de souveraineté nationale échappant à tout contrôle juridictionnel. 

Par conséquent, l'ordre intérieur du Parlement est essentiellement un ordre autonome autorégulé par chaque assemblée sous réserve des règles imposées par la Constitution pour le contrôle desquelles le Conseil constitutionnel est compétent. 

L'élection de la présidente de l'Assemblée nationale le 18 juillet 2024

Dans une Assemblée nationale divisée en trois blocs en raison des résultats des élections législatives de 2024, la réélection de Yaël Braun-Pivet à la présidence de l'Assemblée nationale s'est déroulée dans un contexte tendu. 
Pour remporter cette élection du 18 juillet 2024, Yaël Braun-Pivet a pu compter sur les voix de députés issus de groupes divers, comme ceux de la "Droite Républicaine", mais surtout sur les voix de 17 députés qui étaient en même temps ministres démissionnaires dès lors qu'un nouveau Gouvernement n'avait pas été formé au moment de l'élection pour la présidence de l'Assemblée nationale (la date de nomination du Premier ministre Barnier est le 5 septembre 2024). 
Ces 17 voix se sont avérées être précieuses puisque Yaël Braun-Pivet a été élue avec 13 voix d'avance sur André Chassaigne. 
La participation des ministres démissionnaires a été ouvertement contestée par l'opposition dénonçant une mise en cause de la Constitution dont l'article 23 prévoit que "les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire". 
Pour autant, le Conseil constitutionnel, comme le Conseil d'État, se sont déclarés incompétents pour statuer sur les recours formés contre l'élection. Le Conseil constitutionnel a estimé que la Constitution ne prévoyait pas explicitement sa compétence pour statuer sur ce recours, tandis que le Conseil d'État a jugé qu'il n'était pas compétent pour contrôler un acte relevant de la souveraineté nationale du Parlement. 
En tout état de cause, cette absence de contrôle juridictionnel sur un des actes essentiels du fonctionnement du Parlement (l'élection à la présidence d'une assemblée) est une illustration éclatante de la grande autonomie des assemblées parlementaires. 

Les conditions de travail au Parlement

Le travail au sein du Parlement est tout à fait spécifique au regard d'autres organisations publiques. Le Parlement est une institution dont les conditions de travail sont déterminées par :

  • ses rapports avec le Gouvernement fixés dans la Constitution ;
  • la nécessité de respecter l'importance respective des groupes politiques qui y sont représentés ;
  • une contrainte liée à l'inflation législative

Parlementarisme rationalisé, respect des équilibres politiques et maîtrise du temps sont des éléments dictant les conditions de travail au Parlement.

Tout d'abord, les conditions de travail au Parlement français sont marquées par la mise en place d'un parlementarisme rationalisé par la Constitution de la Ve République. Cette dernière a voulu préserver un pouvoir important au profit du pouvoir exécutif dans l'élaboration de la loi. Cela signifie par exemple que la détermination du calendrier parlementaire, par le biais de sessions extraordinaires ou encore la réalisation de l'ordre du jour, se fait en concertation avec le Gouvernement, et en particulier le ministre chargé des relations avec le Parlement. Naturellement, ces rapports évoluent selon la présence ou non d'une majorité absolue au Parlement.

Ensuite, le fonctionnement du Parlement, en tant qu'institution politique représentative, est percuté par les équilibres politiques présents au sein de l'hémicycle. La composition des organes des assemblées est nécessairement contrainte par la configuration politique des assemblées. Le mode de désignation des membres des organes parlementaires est en principe celui de l'élection, organisée essentiellement au début de chaque session ordinaire pour désigner les vice-présidents, les membres du bureau et de la conférence des présidents tandis que celle du président de l'assemblée est organisée en début de législature sans renouvellement annuel. Le Président est en principe issu du groupe, ou du regroupement, le plus important en fonction des accords stratégiques conclus entre les différents groupes parlementaires. Lors de la dernière élection organisée le 18 juillet 2024, Yaël Braun-Pivet a été réélue présidente de l'Assemblée nationale grâce aux voix du groupe "La Droite Républicaine". Les règlements des assemblées prévoient que les vice-présidents sont désignés en respectant la configuration politique de l'assemblée. 

Ces élections ont un impact important sur la composition de la conférence des présidents et le bureau dès lors que les vice-présidents en sont membres de droit. De la même manière, les groupes politiques disposent, proportionnellement en raison de leur importance, de places réservées pour la composition des commissions permanentes. Les bureaux de ces dernières s'efforcent aussi "de reproduire la configuration politique de l'Assemblée" (art. 39 RAN). Institution représentative, ce fonctionnement démocratique reposant sur le modèle de l'élection a pu rencontrer des difficultés en présence d'une fragmentation de la composition de l'Assemblée nationale et du déploiement de stratégies partisanes. L'absence de membres issus du groupe le plus nombreux (Rassemblement national) dans le bureau de l'Assemblée nationale peut ainsi interroger. La composition du bureau est susceptible d'être modifiée lors du renouvellement du bureau à venir pour la session ordinaire 2025-2026 à venir.

Enfin, la maîtrise du temps est un enjeu fondamental du fonctionnement du Parlement. Le travail au Parlement est soumis à des contraintes difficilement conciliables entre la nécessité de prévoir un délai suffisant pour examiner les textes en séance publique, préserver du temps pour le travail en commission afin de renforcer l'efficacité du travail législatif, en particulier la clarté et la cohérence des textes, fixer les jours nécessaires pour exercer un contrôle sur le Gouvernement, et enfin ménager du temps pour le travail des parlementaires en circonscription. Entre fonction représentative, travail législatif et contrôle parlementaire, les semaines sont particulièrement chargées au Parlement. 

L'activité en commission étant particulièrement soutenue, l'Assemblée nationale a dû modifier en 2014 son règlement afin de permettre que les commissions siègent en même temps que la séance publique (modification de l'art. 41 RAN). Comme nous le verrons, l'absentéisme des parlementaires peut être contraint par un emploi du temps chargé. 

L'organisation du travail parlementaire

L'organisation du travail parlementaire repose sur des règles imposées par la Constitution, mais également mises en œuvre par les assemblées. Pour savoir comment s'organise le travail parlementaire, il faut répondre à plusieurs questions : quand, qui et comment ?

Quand le Parlement peut-il être en fonction ? 

Le mandat d'un parlementaire est exercé dans le cadre d'une législature qui renvoie à la période s'écoulant entre deux élections législatives (après la dissolution de 2024, il s'agit de la XVIIe législature depuis l'adoption de la Constitution de 1958). Le calendrier parlementaire se décompose en outre en sessions parlementaires. Les sessions sont les périodes durant lesquelles le Parlement peut se réunir pour siéger. Dans le régime de la Ve République, la Constitution encadre strictement la durée des sessions, ce qui permet souvent d'apporter un élément de réponse aux controverses fréquentes sur les "vacances" des parlementaires. 

Les sessions ordinaires sont des sessions de droit (s'imposant à tous les pouvoirs publics) s'étalant du premier jour ouvrable d'octobre au dernier jour ouvrable de juin (art. 28 de la Constitution). Cette session ne doit pas en principe excéder 120 jours de séances. La Constitution (art. 29 de la Constitution) prévoit également la possibilité de sessions extraordinaires à la demande du Premier ministre ou de la majorité des membres composant l'Assemblée nationale. En outre, dans ce cadre, les assemblées elles-mêmes déterminent leur calendrier. Pour chaque session, un calendrier prévisionnel est établi au mois de juillet par la conférence des présidents des deux assemblées. 

Qui peut organiser le travail parlementaire ?

La Constitution fait référence à deux organes qui encadrent le fonctionnement de chaque assemblée (respectivement art. 26 et 39) :

  • en premier lieu, la conférence des présidents dont le rôle est d'organiser le travail de l'Assemblée nationale en séance publique. Outre le calendrier prévisionnel, elle a la charge de l'ordre du jour des séances publiques, de déterminer l'organisation des séances : la répartition du temps de parole pour la discussion générale sur un texte, la détermination d'un temps législatif programmé (durée maximale de l'examen d'un texte) ou encore l'organisation des questions au gouvernement (arts. 47-1 et s. RAN ; arts. 29 et s. RS) ;
  • en second lieu, le bureau de chaque assemblée est la plus haute autorité collégiale qui prend les décisions concernant l'organisation et le fonctionnement général des chambres. Le bureau des assemblées a des compétences particulièrement étendues fixées par les règlements des assemblées (arts. 14, 17 et 18 RAN ; art. 3 RS). Elles portent sur les conditions d'examen de la loi (comme l'appréciation de la recevabilité financière des amendements) et le fonctionnement administratif des assemblées avec l'exercice d'un pouvoir réglementaire permettant de garantir le respect des règlements : les modalités d'interprétation, d'application et d'exécution des dispositions du règlement par les différents services des assemblées sont précisées par des instructions générales du bureau (IGB). Par exemple, on trouve aux articles 25 et 26 de l'IGB du bureau de l'Assemblée nationale des règles relatives à l'accès et la circulation dans les salles et les couloirs du Palais Bourbon. 

En outre, le Parlement comprend des groupes politiques qui ont un impact sur le fonctionnement du Parlement. Ce sont des regroupements d'élus par affinités politiques, des prolongements des partis politiques dans les assemblées. À l'Assemblée nationale, il faut au moins 15 députés pour constituer un groupe contre 10 au Sénat (art. 19 RAN ; art. 5 RS). Au sein de chaque assemblée il y a des parlementaires qui ne sont pas rattachés aux groupes politiques (les non-inscrits). La constitution d'un groupe est importante puisque leurs membres bénéficient de droits supplémentaires, notamment pour exercer des fonctions dans les organes parlementaires ou encore disposer d'un temps de parole réservé.

Comment s'organise le travail parlementaire ? 

L'organisation du travail parlementaire doit composer avec les contraintes propres à un mandat parlementaire. Les parlementaires sont des représentants de la Nation, mais aussi des élus de circonscriptions. Le Parlement ménage donc du temps afin que les parlementaires gèrent leur permanence en circonscriptions et honorent leurs rendez-vous avec les acteurs publics locaux (maires, préfet, etc.). S'agissant des autres fonctions parlementaires, législatives et de contrôle du gouvernement, le travail se distingue entre l'examen en séance publique (en hémicycle) et le travail en commission. 

Concernant les séances publiques, le calendrier est lui aussi soumis à une contrainte constitutionnelle. L'article 48 de la Constitution procède à une répartition mensuelle entre Gouvernement et Parlement : deux semaines de séances sur quatre sont réservées par priorité au Gouvernement tandis qu'une semaine de séance sur quatre est réservée par priorité au contrôle du Gouvernement et à l'évaluation des politiques publiques dans un ordre fixé par chaque assemblée. Un jour de séance par mois est réservé à l'initiative des groupes d'opposition de chaque assemblée ("les niches parlementaires"), et une séance par semaine est réservée aux questions au Gouvernement. Lors de la session 2024-2025, les jours consacrés aux questions au Gouvernement étaient le mardi après-midi ou/et le mercredi à l'Assemblée nationale tandis que le Sénat les organisait le mercredi. 

Concernant le travail en commission, la Constitution prévoit depuis 2009 que le nombre maximal de commissions permanentes est de huit (art. 43 de la Constitution).

Actuellement, l'Assemblée nationale en compte huit tandis que le Sénat sept. Chaque parlementaire, à l'exception des Présidents d'assemblée, siège dans une commission permanente. À côté des commissions permanentes, il existe des commissions spéciales créées à l'initiative du Gouvernement ou d'une chambre à l'instar de la commission spéciale des affaires européennes du Sénat. En outre, le travail en commission peut prendre la forme d'une commission d'enquête qui est créée pour recueillir des éléments d'information sur des faits déterminés à l'instar de la commission d'enquête "Benalla". Ce travail en commission constitue une part importante de l'activité du parlementaire, en particulier depuis le renforcement de leur rôle par une révision constitutionnelle de 2008

Les pistes d'amélioration : absentéisme, tenue des débats...

Il résulte de ces éléments que le fonctionnement du Parlement est particulier et peut susciter des difficultés importantes d'organisation. Deux exemples peuvent être mentionnés relatifs à l'absentéisme des parlementaires et à la capacité du Parlement à maintenir une bonne tenue des débats. 

En premier lieu, l'une des critiques les plus fréquentes porte sur l'absentéisme des parlementaires. Il s'agit d'une question lancinante, renforcée depuis la retransmission des débats, qui avait été un des éléments de justification de la limitation du cumul du mandat parlementaire avec le mandat local. Pourtant, l'image d'un hémicycle clairsemé ne signifie pas nécessairement que le parlementaire ne travaille pas. Il peut siéger dans une commission qui se tient en même temps, ou encore travailler dans sa circonscription. Toutefois, il a pu ponctuellement être constaté un absentéisme des parlementaires qui ne pouvait s'expliquer par ces contraintes ; phénomène qui concerne tous les groupes parlementaires, ceux solidaires du gouvernement comme ceux de l'opposition. 

C'est la raison pour laquelle les règlements des assemblées ont prévu un système de retenue sur le traitement des parlementaires en cas d'absence en commission et/ou en séance publique. Si les modalités de ces retenues varient entre l'Assemblée nationale et le Sénat (art. 42 RAN  et art. 159 RAN ; art. 23 Bis RS), elles peuvent aboutir par exemple à priver l'intégralité du traitement trimestriel d'un sénateur. Bien qu'il convienne de garder à l'esprit les contraintes pesant sur la vie parlementaire, il semble possible de sanctionner davantage les hypothèses dans lesquelles l'absentéisme résulte d'un manque d'investissement des parlementaires. Concrètement en effet, la sanction pour absentéisme est rarement appliquée dès lors qu'il suffit, comme dans l'Assemblée nationale, d'être inscrit sur un registre pour être considéré comme présent lors d'une réunion en commission, sans nécessairement devoir y participer effectivement (art. 42 du RAN). 

En second lieu, la configuration politique actuelle de l'Assemblée nationale, fragmentée entre trois blocs, montre que les conditions ne sont pas toujours réunies pour préserver la bonne tenue des débats. En témoigne, le recours exponentiel au droit d'amendement. Sans même parler de la technique de l'obstruction parlementaire, fréquemment utilisée lors des "niches parlementaires", le droit d'amendement soulève une difficulté pour examiner des textes soumis au Parlement dans des délais raisonnables. Il en va ainsi pour les débats en commission des finances dans le cadre des discussions parlementaires sur le projet de loi de finances dont les délais sont strictement limités par la l'article 47 de la Constitution.  

Au-delà du droit d'amendement, l'exemple de la loi "Duplomb" montre que d'autres procédures parlementaires peuvent être détournées à l'instar de la motion de rejet préalable déposée à l'initiative du socle gouvernemental pour contourner l'examen sur le fond du texte à l'Assemblée nationale. La polarisation des débats a conduit à une augmentation considérable (avec un record de 99 députés sanctionnés en 2023) du nombre de sanctions disciplinaires prononcées en hémicycle (J. Martinez, "Retour sur une année disciplinaire à l'Assemblée nationale : les députés ont-ils perdu la raison ?", theconvertsation.com, 24 septembre 2023), conduisant là aussi à une dégradation de l'image du Parlement et de son fonctionnement. Les difficultés rencontrées par l'Assemblée nationale pour maintenir une bonne tenue des débats soulèvent des questions : faut-il interdire l'obstruction parlementaire ? Empêcher formellement le détournement de procédures parlementaires à l'instar de la motion de rejet préalable ? Renforcer les sanctions disciplinaires ? 

Ces questions renvoient à des enjeux délicats : les parlementaires disposent d'un mandat de représentant de la nation qui doit garantir leur totale liberté d'expression en hémicycle. Le renforcement des sanctions disciplinaires n'emporte-t-il pas le risque de porter atteinte à la libre expression politique des parlementaires ?  L'adoption d'une instruction du bureau à l'Assemblée nationale en 2018 imposant une neutralité vestimentaire aux parlementaires aboutit au paradoxe d'imposer une stricte neutralité à des parlementaires élus pour exprimer des convictions. 

À travers les difficultés rencontrées par l'Assemblée nationale pour maintenir un débat parlementaire de qualité, il semble possible de voir la particularité de l'institution parlementaire, institution politique qui doit préserver une liberté d'expression politique absolue pour ses membres. En présence d'une polarisation des débats, le Parlement est ainsi parfois le lieu d'un débat politique particulièrement tendu, qui n'est au fond que le réceptacle des divisions qui parcourent la société française. Si le fonctionnement au Parlement ne se place pas parfois au service de la démocratie, il est le catalyseur des limites d'une démocratie que l'on retrouve en dehors des enceintes du Parlement.