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© Telmo Pinto / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Le parlementarisme français en miroir des autres démocraties

Temps de lecture  19 minutes

Par : Gilles Toulemonde - Maître de conférences en droit public à l'université de Lille

Bien que classée dans la catégorie des régimes parlementaires, la Ve République se distingue des autres démocraties par une prééminence du président de la République. Si les multiples révisions de la Constitution de la Ve République ont accru les pouvoirs du Parlement, le parlementarisme des autres démocraties s'est, quant à lui, rationalisé.

Un régime parlementaire singulier ?

Le régime parlementaire est le résultat d'une évolution historique d'abord du régime politique britannique puis de la quasi-totalité des États membres de l'Union européenne (UE). À ce jour, seul l'exemple chypriote échappe à la classification de régime parlementaire au sein de l'UE. La France de la Ve République est donc bien un régime parlementaire comme les autres États européens même si elle semble fonctionner de manière singulière. Ses ressorts se distinguent des modalités de fonctionnement des régimes allemand, belge, espagnol, etc., lesquels comportent aussi des différences notables les uns par rapport aux autres. Comment expliquer ce phénomène ?

Cela tient d'abord à ce que, fruit d'une évolution pratique et non résultat d'une construction théorique, le régime parlementaire laisse place à une grande variété de ses éléments constitutifs. Roger Bonnard ("De l'homogénéité et de la solidarité ministérielle à propos du ministère Barthou", Revue du droit public, 1913, p. 556) considérait ainsi qu'"il est difficile de dire ce qui doit toujours se retrouver identique pour qu'on puisse dire qu'il y a régime parlementaire". À tout le moins la doctrine s'accorde-t-elle pour considérer qu'il s'agit d'un régime de séparation et de collaboration des pouvoirs dans lequel le gouvernement est responsable politiquement devant le Parlement tandis que le chef de l'État est, lui, irresponsable. À partir de cette base, les régimes peuvent broder leurs différences : existence ou non d'un droit de dissolution du Parlement dont l'exercice est libre ou conditionné ; reconnaissance ou non au Gouvernement de pouvoirs relatifs à l'organisation et au fonctionnement du Parlement ; encadrement ou non du pouvoir du Parlement de censurer le Gouvernement…

Cela tient en outre à l'environnement politique dans lequel évolue le régime. Le "système politique", c'est-à-dire "le produit de l'interaction entre les règles constitutionnelles (juridiques et politiques, écrites ou non) et les comportements des acteurs (gouvernants, électeurs) " (Michel de Villiers et Armel Le Divellec, Dictionnaire du droit constitutionnel, Lefebvre Dalloz, 14e éd., 2024, p. 374), explique aussi pour une bonne part les différences de fonctionnement des multiples systèmes de gouvernement européens.

La Ve République contient indiscutablement les éléments permettant de composer un régime parlementaire : elle est bien un régime de séparation et de collaboration des pouvoirs et le Gouvernement y est bien responsable politiquement devant le Parlement. Plus précisément, on peut même la décliner en un régime parlementaire rationalisé, c'est-à-dire "dont les principaux mécanismes de fonctionnement font l'objet d'une réglementation par le droit écrit" (Michel de Villiers et Armel Le Divellec, op. cit., p. 277). Il s'agit aussi d'un régime qui a pu prendre une orientation dualiste en période de concordance des majorités parlementaire et présidentielle, le Gouvernement apparaissant alors responsable non seulement devant le Parlement mais aussi devant le président de la République, mais qui en est revenu à une lecture moniste, prévue par le texte constitutionnel, lors des périodes de cohabitation. 

Il s'est enfin longtemps agi d'un parlementarisme majoritaire, entre 1962 et 2022, c'est-à-dire reposant sur l'existence d'une solide majorité parlementaire, résultat ou non d'une coalition, au soutien du gouvernement. Les élections législatives de 1988 font exception en ayant donné comme résultat une majorité relative pour le parti présidentiel mais avec seulement 12 sièges manquant (277 sur 577) pour atteindre la majorité absolue (289). Toutefois, cette dernière caractéristique a disparu depuis les élections législatives de 2022 et plus encore de 2024.

Qu'est ce qui donc fait la singularité du système français si l'on peut le classer parmi les sous-catégories existantes du parlementarisme ? Un grand nombre d'explications qui peinent à convaincre ont pu être avancées tandis qu'un phénomène semble effectivement propre à la France, bien que lui-même puisse parfois être mis en sommeil, rendant la spécificité française à éclipses.

Des totems à abattre

Deux explications de la singularité française sont souvent avancées et brandies tels des totems : la rationalisation jugée extrême du régime parlementaire de la Ve République, symbolisée par l'article 49 alinéa 3 de la Constitution et l'élection du président de la République au suffrage universel direct. Il suffirait alors de les supprimer pour retrouver un fonctionnement plus traditionnel et conforme à ce que l'on observe dans les autres régimes parlementaires européens. Mais, en réalité, ce sont des idées reçues.

La forte rationalisation du parlementarisme

L'échec de la rationalisation du parlementarisme de la IVe République en avait poussé les élus à imaginer de nouvelles solutions, plus contraignantes pour le Parlement au sein notamment du "projet Gaillard", qui ont influencé les constituants de 1958. Figurent ainsi parmi celles-ci le futur article 49 alinéa 3 de la Constitution de 1958, véritable "acmé du parlementarisme rationalisé" (Jean Gicquel, "Sauvegarder l'article 49, alinéa 3 !", Petites Affiches, no 254, 19 décembre 2008, p. 90) ou, encore, l'article 40, qui limite de manière drastique l'initiative financière des parlementaires.

C'est ainsi un véritable "corset orthopédique" selon l'expression de l'homme politique et constitutionnaliste Marcel Prélot qui a enveloppé le Parlement de la Ve République dans des "bandelettes qui l'enserrent et le momifient" (André Chandernagor, Un Parlement pour quoi faire ? Gallimard, coll. Idées, 1967, p. 90). Institution d'un mécanisme de contrôle de constitutionnalité des lois et des règlements des assemblées ; encadrement procédural de la motion de censure ; limitation du droit d'amendement des parlementaires ; maîtrise de l'ordre du jour des assemblées par le gouvernement ; restauration du droit de dissolution de l'Assemblée nationale ; limitation du domaine de la loi ; restriction du pouvoir et du nombre des commissions parlementaires… rien ne semble avoir échappé au constituant afin de rationaliser en profondeur le parlementarisme ! Si bien que très vite s'est imposée l'idée que le Parlement était presque privé de pouvoirs et connaissait un déclin profond par rapport aux Républiques précédentes mais aussi au regard des institutions parlementaires des autres États européens.

En réalité, d'une part, la Constitution a fait l'objet de 25 révisions depuis son adoption, qui ont contribué à desserrer le carcan du parlementarisme rationalisé (montée en puissance du pouvoir des commissions ; meilleur partage de l'ordre du jour des assemblées…). Ce mouvement a aussi été accompagné par la jurisprudence constitutionnelle (interprétation moins rigoureuse de la recevabilité financière des amendements et du domaine de la loi par exemple) et par des réformes législatives (loi organique relative aux lois de finances par exemple). Si bien que l'environnement constitutionnel et juridique de la Ve République en 2025 ne correspond plus à celui de ses débuts.

D'autre part, les contraintes du parlementarisme rationalisé pèsent très largement aussi sur les autres Parlements européens. Ainsi, est-il bien plus difficile aux assemblées allemande, espagnole ou belge d'adopter une motion de censure qu'à l'Assemblée nationale française dans la mesure où il ne suffit pas de recueillir une majorité absolue de députés défavorables au Gouvernement pour le renverser, il faut aussi que ceux-ci se mettent d'accord sur l'identité du futur chef du gouvernement. Quant au fameux article 49 alinéa 3, Céline Vintzel (Les Armes du gouvernement dans la procédure législative, Dalloz, coll. Bibliothèque parlementaire et constitutionnelle, 2011, p. 677-687) a montré à quel point des dispositifs similaires pouvaient être mis en œuvre dans les systèmes allemand, britannique et italien afin de forcer la main des députés.

Ainsi la forte rationalisation du parlementarisme ne singularise-t-elle pas à elle seule la Ve République ? Une seconde explication, souvent invoquée, n'apparaît pas davantage pertinente.

L'élection du président de la République au suffrage universel direct

En 1958, la Constitution prévoyait l'élection du président de la République par un collège électoral élargi (environ 80 000 élus locaux et nationaux) par rapport à celui des IIIe et IVe Républiques. Mais l'article 6 de la Constitution a été révisé à l'automne 1962 pour prévoir une élection au suffrage universel direct. Cette nouvelle modalité d'élection du chef de l'État aurait profondément transformé nos institutions en conférant une légitimité et une place incommensurable au président de la République dans le système politique français. Maurice Duverger en déduit que le régime de la Ve République se serait alors transformé en un régime "semi-présidentiel"

Toutefois, ce juriste hésite quant aux critères qui permettent d'identifier un tel régime. Dans un premier temps, il l'analyse comme un système où sont présents trois éléments : la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, l'élection du chef de l'État au suffrage universel direct et des prérogatives importantes pour ce dernier (Maurice Duverger, Institutions politiques et droit constitutionnel, PUF, 11e éd. 1970, p. 277 et suivantes). Dans un second temps en revanche, il retranche le troisième critère pour ne retenir que les deux premiers (Maurice Duverger, Les Régimes semi-présidentiels, PUF, 1986).

L'hésitation sur les éléments à prendre en compte pour identifier un tel régime aboutit à une indétermination des États relevant de cette catégorie ; ainsi si l'Irlande et l'Autriche font assurément partie de ces régimes semi-présidentiels au regard de la deuxième définition, ce n'est pas le cas au regard de la première !

L'élection du président de la République au suffrage universel direct n'a donc pas nécessairement pour effet d'entraîner la toute-puissance du chef de l'État, acteur devenu dominant de la vie publique. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer que treize des États membres de l'Union européenne élisent leur dirigeant au suffrage universel direct : Autriche, Bulgarie, Chypre, Croatie, Finlande, France, Irlande, Lituanie, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie et Slovénie. Or, l'autorité et les pouvoirs de ces chefs d'État sont extrêmement variables et quoi qu'il en soit leur place dans les institutions n'est pas similaire à celle occupée par le président français.

Indiscutablement, la singularité de notre système politique tient à cette place d'un président irresponsable mais situé au cœur du pouvoir de décision et doté d'importantes prérogatives dispensées du contreseing ministériel. La Ve République est un "régime parlementaire à captation présidentielle" selon l'expression d'Armel Le Divellec ("La chauve-souris. Quelques aspects du parlementarisme sous la Ve République", Mélanges Pierre Avril, Montchrestien, 2001, p. 349-362), dont il faut chercher les explications ailleurs.

Une figure présidentielle omniprésente

Différentes raisons concourent à ce que le président occupe une place si importante dans le système politique et constitutionnel français. Elles sont plus profondes qu'il n'y paraît car elles ne relèvent pas que du droit mais aussi de la psychologie collective. Il s'agit de l'interprétation des présidents successifs de leurs propres pouvoirs et de celle de leur rôle par les parlementaires et le Gouvernement.

L'interprétation extensive des pouvoirs présidentiels

Les compétences du président sous la Ve République sont certes nombreuses : nomination du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement sur proposition de ce dernier ; promulgation des lois ; soumission d'un projet de loi au référendum ; dissolution de l'Assemblée nationale ; nomination de hauts fonctionnaires ; chef des armées ; pouvoirs exceptionnels en cas de crise… Toutefois, ces pouvoirs relèvent pour une large part d'une fonction arbitrale mentionnée dans l'article 5 de la Constitution.  Ils ne donnent au président de la République ni la capacité de mettre en route une loi ou de participer à sa discussion, ni même un large pouvoir réglementaire, celui attribué au président de la République n'étant que résiduel et limité aux seuls décrets délibérés en conseil des ministres, soit à peine 5 % du total des décrets.

Seulement, l'interprétation de cette fonction arbitrale par les différents présidents, à commencer par le premier d'entre eux, Charles de Gaulle, a vite révélé une dynamique très favorable au chef de l'État, laquelle s'est imposée grâce à la soumission des autres acteurs du système.

Trois exemples de cette interprétation extensive peuvent illustrer ce phénomène de captation présidentielle. Alors que l'article 8 de la Constitution ne donne pas compétence au président de la République pour révoquer le Premier ministre, ce dernier ayant à remettre la démission du Gouvernement au président, s'est imposée à partir d'avril 1962 la pratique de la démission-révocation, après que de Gaulle a réclamé et obtenu la démission de Michel Debré. Depuis lors, quantité de Premiers ministres ont ainsi présenté la démission de leur gouvernement au président à sa demande, la dernière en date étant Élisabeth Borne. En outre, si le chef de l'État préside traditionnellement le conseil des ministres, ceux des Républiques précédentes en assuraient une présidence notariale, enregistrant les volontés gouvernementales. Au contraire, le président de la Ve République profite de ce moment pour imposer ses choix politiques au Gouvernement au moins en période de concordance des majorités. Enfin, l'usage inconditionné du pouvoir de dissolution de l'Assemblée dont dispose le président (article 12 de la Constitution) distingue fortement la Ve République des autres régimes parlementaires européens.

La pratique de la démission-révocation du Premier ministre transforme notre régime en régime parlementaire dualiste alors que cette caractéristique a quasiment disparu en Europe au cours du XIXe siècle et dans le courant du XXe siècle. Seule ou presque la Constitution portugaise prévoit que le président peut démettre le gouvernement si cela "s'avère nécessaire pour garantir le fonctionnement régulier des institutions démocratiques" (art. 195). Mais elle ne prévoit pas en revanche que le chef de l'État dirige de manière habituelle le conseil des ministres, c'est le Premier ministre qui assure cette fonction. Cette règle éloigne ainsi le président portugais des choix politiques tandis qu'en France c'est le président qui les exerce en période de concordance des majorités tant les autres organes n'apparaissent que comme des instruments à sa disposition.

L'interprétation minimaliste du rôle des parlementaires et du gouvernement

C'est bien ici que la Ve République se distingue des autres régimes parlementaires, avec un président qui semble décider de tout et qui est pourtant irresponsable.

La "divine surprise" selon le mot de Michel Debré fut l'apparition du fait majoritaire après les élections de novembre 1962. Alors que la Ve République a été bâtie pour faire face à l'absence d'une majorité solide au Parlement pour soutenir le Gouvernement, qui dès lors peut s'appuyer sur les ressources du parlementarisme rationalisé pour à la fois mener sa politique et trouver une certaine stabilité, l'apparition du fait majoritaire rend presque inutiles ces armes du parlementarisme rationalisé, la majorité parlementaire se mettant au service du gouvernement qui met en œuvre ses idées.

On retrouve d'ailleurs une telle analogie au Royaume-Uni ou en Allemagne par exemple. Mais à la différence de ces deux États, les députés et les ministres français se considèrent souvent comme les obligés du président. En concordance des majorités, ils ont souvent été élus grâce à lui et les ministres ont été nommés par lui. C'est ainsi qu'est apparu le concept de majorité présidentielle, qu'on ne retrouve nulle part en Europe. Dès lors le programme présidentiel devient la "charte de l'action gouvernementale" (François Mitterrand), le président le véritable initiateur mais aussi le seul pilote de la politique menée.

La centralité de l'élection présidentielle et l'attirance des médias pour elle, le fait que les législatives aient été positionnées après la présidentielle et sur le même rythme quinquennal à partir de 2002 jusqu'à la dissolution de 2024, au point de n'apparaître que comme des élections de confirmation de la présidentielle, aboutissent à ce que le président de la République "ne marginalise plus seulement la représentation nationale, il devient aussi l'interlocuteur quasi exclusif de la société" (Pierre Avril, "Une heureuse anomalie : le Sénat", Un haut fonctionnaire au service du Parlement : mélanges en l'honneur de Jean-Louis Hérin, Mare et Martin, 2020, p. 30).

Toutefois, cette singularité française ne reposant pas sur le texte de la Constitution mais sur des interprétations et des attitudes peut tout aussi bien disparaître. Les périodes de cohabitation (1986-1988, 1993-1995, 1997-2002) ont ainsi permis à la France de connaître un fonctionnement de son système politique plus similaire à celui mis en œuvre en Europe. De même la disparition du fait majoritaire depuis 2022, sans occulter totalement la figure présidentielle, minimise largement l'influence du chef de l'État sur le système et fait assurément disparaître la toute-puissance présidentielle. Si cette situation devait durer, il reste aux partis à apprendre à négocier entre eux pour former des coalitions et mettre fin à l'exceptionnalité du régime parlementaire français.

Le système parlementaire danois

Mis en lumière pour le grand public par la série Borgen, une femme au pouvoir diffusée sur Arte, le système politique danois fait figure de réussite pour un pays qui, pourtant, ne connaît que très rarement le fait majoritaire. Classé au sixième rang des régimes les plus démocratiques au monde par The Economist, le Danemark dispose d'un système politique qui inspire une grande confiance de sa population, qui participe activement aux élections du Parlement.
Ce parlement monocaméral, le Folketing, est composé de 179 députés élus pour un mandat de quatre ans. Les élections se déroulent selon un mécanisme complexe, à la représentation proportionnelle avec un seuil bas : 2 % des suffrages suffisent à un parti pour prétendre disposer d'élus. Dans ce contexte, il est fréquent que les gouvernements mis en place soient minoritaires ou de coalition.
La formation d'un gouvernement minoritaire est rendue possible par l'inexistence d'une procédure d'investiture du gouvernement par le Parlement. Par conséquent un gouvernement peut se maintenir tant qu'une motion de censure n'a pas été votée contre lui. Sorti vainqueur des élections de 2019, le parti social-démocrate a ainsi dirigé seul jusqu'en 2022 grâce au soutien sans participation au gouvernement de plusieurs autres partis. En 2022, la menace de l'une de ces formations, le parti social-libéral, de voter une motion de censure en cas d'absence d'élections anticipées a poussé la Première ministre, Mette Frederiksen, à réclamer à la reine la dissolution du Folketing. La crainte était sérieuse car la procédure de la motion de censure n'est que très peu rationalisée au Danemark : il suffit qu'une majorité de parlementaires ait participé à son vote et d'une majorité des suffrages en sa faveur pour qu'elle soit adoptée. Les élections ont renforcé le parti de la Première ministre et après de longues semaines de négociation, celle-ci est parvenue à former un gouvernement de coalition, composé des sociaux-démocrates, des libéraux et des modérés, soutenu par une courte majorité absolue de députés.
Si les gouvernements minoritaires ne sont pas rares au Danemark, cela tient à la fois aux dispositions constitutionnelles qui permettent l'existence de ce que l'on appelle parfois un "parlementarisme négatif", c'est-à-dire un parlementarisme qui repose sur la présomption de confiance envers le gouvernement, mais aussi aux qualités de dialogue et de compromis qu'ont su développer les partis politiques danois. Ainsi, d'une part, l'adoption d'une motion de censure est rarissime, d'autre part, il est fréquent que les partis d'opposition votent les projets de loi du gouvernement qui ne portent pas sur leurs thèmes de prédilection, les thèmes qui font leur identité de parti ; ils préfèrent peser sur l'écriture de la loi en contribuant à rapprocher le texte gouvernemental de leurs propres positions plutôt que de s'y opposer frontalement. Cela permet donc à un gouvernement minoritaire de ne pas sombrer dans l'immobilisme législatif.
Les débats parlementaires, en commission comme en séance, sont de ce fait déterminants pour la politique mise en œuvre dans le pays. Et le monarque (désormais le roi Frederik X) n'ayant qu'un rôle représentatif et protocolaire, c'est bien en réalité le chef du gouvernement qui dispose du pouvoir exécutif et qui propose les lois. Qu'il soit à la tête d'une coalition majoritaire ou d'un gouvernement minoritaire, le Premier ministre se doit d'être avant tout un bon coordinateur et fin négociateur pour parvenir à ce que les discussions partisanes débouchent sur une action politique. Si nécessaire, il dispose de moyens constitutionnels (dissolution du Folketing, révocation des ministres) en cas de conflits insolubles, car, parfois, comme l'écrivait Machiavel, "il est plus sûr d'être craint que d'être aimé" (citation évoquée au début du deuxième épisode de la première saison de la série Borgen).

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