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Les maires, les métiers et l'emploi : quels enjeux ?

Temps de lecture  13 minutes

Par : Claire Edey Gamassou - professeure en sciences de gestion à l’Université Paris-Est Créteil

Les communes entretiennent un double lien avec l'emploi. En tant qu'employeur, elles gèrent des effectifs dans le cadre de la réalisation des politiques municipales. Les communes ont également un rôle à jouer dans la politique d'emploi locale. Quels sont les enjeux de ce double lien et de quels moyens les communes disposent-elles ?

Le maire comme employeur

En France, les 35 000 maires emploient environ un million de personnes, très majoritairement des fonctionnaires, dont la gestion relève du code général de la fonction publique. Les emplois territoriaux sont définis en fonction de leur filière, catégorie, cadre d'emploi, grade, échelon et indice et la loi Galland du 13 juillet 1987 a fait prévaloir la spécificité du cadre d'emploi et du recrutement sur liste d'aptitude, qui fait de la fonction publique territoriale (FPT) un système qui relève conjointement des systèmes : 

  • de carrière, fondé sur le concours qui donne accès au statut de fonctionnaire ;
  • d'emploi, qui relève d'une logique de recrutement sur un poste situé, plus proche d'une relation contractuelle caractérisée par un rapport interindividuel avec l'employeur et facilitant la mobilité.

C'est dans la FPT que la proportion de contractuels est la plus importante (un quart contre un cinquième dans la fonction publique), ce qui pourrait engendrer la substitution progressive d'une fonction publique d'emploi par une fonction publique de carrière. Or, le travail dans les collectivités locales étant caractérisé par la proximité avec des personnes élues, et par une double hiérarchie administrative et politique, ce glissement pourrait à terme affaiblir l'indépendance de ces agents vis-à-vis des intérêts particuliers. Cette évolution rapprocherait la FPT française de celle de ses homologues voisins, allemands, autrichiens et italiens, où, après un recrutement par contrat de droit commun, ces agents publics connaissent un avancement sur décision de la hiérarchie et pas d'emploi à vie. Elle l'éloignerait de celle de ses homologues belges, espagnols et luxembourgeois, où domine également encore le système de carrière avec avancement à l'ancienneté après recrutement par concours (de Briant, 2017).

La gestion des ressources humaines dans les communes

Les maires exercent leur responsabilité de gestion des personnels communaux de façon extrêmement diverse selon la taille de la collectivité. En effet, près de la moitié des communes comptent moins de 500 habitants, plus de 90% ont moins de 3500 habitants, et la moitié de la population réside dans des communes de moins de 10 000 habitants.

Ainsi, parmi les collectivités locales, les communes concentrent plus de trois-quarts des emplois mais plus de la moitié de ces emplois concernent l'Île-de-France qui compte un grand nombre de communes de plus de 20 000 habitants (Observatoire de l'emploi, des métiers et des compétences de la FPT, 2017, p.33).

Les maires des plus petites communes emploient généralement, tout au plus, deux agents de filières généralistes (un ou une secrétaire de mairie de la filière administrative et un agent communal polyvalent de la filière technique), souvent à temps incomplet ou partiel. Dans l'ensemble de la FPT, le travail à temps partiel, souvent contraint, concerne majoritairement les contractuels : d'après l'enquête Conditions de travail et risques psychosociaux 2016, il s'agit de 56,4% de CDD contre un quart de l'ensemble des agents travaillant dans la FPT (Mias, 2022).

Les 23 000 secrétaires de mairie, qui se trouvent principalement dans les communes de moins de 3 500 habitants (devenus secrétaires généraux de mairie depuis la loi du 30 décembre 2023, SGM) jouent un rôle essentiel dans une part importante du territoire. À à la polyvalence intrinsèque à leur fonction s'ajoute parfois une pluralité de lieux d'exercice, pouvant dépasser les deux communes, éventuellement dans différents départements.

Le binôme maire-SGM dans les petites communes est difficilement comparable avec celui de maire-direction générale des services (DGS) dans les communes de plus 3500 habitants. Dans les plus grandes communes, les membres de l'exécutif peuvent avoir tendance à considérer que la gestion du personnel communal est une question administrative et à se reposer sur la ou le DGS, tandis que dans les plus petites, ils peuvent se retrouver à suppléer l'absence de personnel ou à travailler au plus près du terrain. Or, quelle que soit la taille des communes, les maires restent responsables des personnels communaux : ils les nomment aux emplois, gèrent la carrière, et peuvent exprimer des sanctions si besoin.

En 2023, les effectifs dans la FPT augmentent d'environ 2% par rapport à 2022, un peu moins dans les communes qui comptent, au 31 décembre 2023, 1 134 400 emplois. Ce sont les organismes intercommunaux qui enregistrent la plus forte croissance avec près de 4% (Godefroy et Touzé, 2025). En revanche, depuis 2011, les évolutions sont significatives : l'ensemble des effectifs de la FPT a augmenté de 9%, le secteur communal même de 10% (à 1 526 200 agents au 31 décembre 2023). Mais à l'intérieur de ce secteur, les différences sont fortes : les communes, quant à elles, ont très légèrement réduit leurs effectifs depuis 2011, ceux des organismes intercommunaux ont cru de 60%.

Les caractéristiques des agents communaux

La FPT est de loin la fonction publique où le taux d'agents de catégorie C est le plus élevé : plus de 70 % (72% en 2023) contre environ entre 20 et 30% pour les autres fonctions publiques. Les filières dites généralistes – administrative et technique – y représentent deux tiers des emplois. En 2019, 58% des fonctionnaires territoriaux travaillaient dans les communes. Dans les communes en 2019, les deux filières regroupent entre 61% et 97% des agents, selon le nombre d'habitants. En 2017, près de de 82% des agents communaux relevaient de la catégorie C (68% pour les organismes intercommunaux, CNFPT, 2021).

Les femmes sont majoritaires dans les trois fonctions publiques, mais c'est dans la FPT que leur répartition est la plus équilibrée : en 2023, l'écart entre la proportion de femmes dans les catégories B (64%) ou C (59%) et A+ (54%) ne dépasse pas 10 points. Il est de 13 points  dans la fonction publique d'État et monte même à plus de 30 dans la fonction publique hospitalière (Godefroy et Touzé, 2025). Les femmes représentent environ 60% des agents communaux. La FPT est aussi un important d'employeur d'apprentis, notamment les communes : six apprentis sur dix relèvent de la FPT, 19 600 en tout, dont la moitié sont dans les communes.

6% des agents territoriaux sont reconnus comme travailleurs handicapés ou perçoivent l'allocation aux adultes handicapés (AAH), ce qui est un peu plus que dans les deux autres versants de la fonction publique et que dans le secteur privé. La moyenne d'âge est en augmentation et elle est plus élevée dans la territoriale (46 ans contre 42 ans dans la FPH, 43 ans dans la FPE et 41 ans dans le privé), ce qui reflète une diminution de recrutement en début de carrière et une augmentation des embauches de profils plus expérimentés (Godefroy et Touzé, 2025), qui peuvent notamment résulter de reconversions par l'intermédiaire de contrats à durée déterminée (Edey Gamassou, Lauferon, Mias, 2025). En 2017, 41% des agents dans les organismes communaux étaient âgés de plus de 50 ans, et 23,5% de plus de 55 ans.

Les attentes des agents territoriaux sont pour partie comparables à celles qui constituent le contrat psychologique étudié auprès de salariés du secteur privé (Rogard, V., Perez Becerra, L., "Élaboration d'un instrument de mesure du contrat psychologique des agents de la fonction publique", Psychologie du Travail et des Organisations, 2015, Volume 21, Issue 4, p. 336 à 356) : 

  • aspiration à de bonnes relations interpersonnelles, en particulier une bonne ambiance de travail, au respect de la part des autres membres de la structure et au soutien de la part de leur supérieur ;
  • des possibilités d'évolution professionnelle, c'est-à-dire de construction d'un projet professionnel et d'avancement dans la carrière mais aussi de recevoir un retour objectif sur leur travail ;
  • des opportunités de formation et un accès équitable à celles-ci. 

Principaux enjeux pour la gestion des ressources humaines dans les collectivités locales

L'Observatoire de l'emploi, des métiers et des compétences de la FPT a identifié en 2021 quatre enjeux principaux pour la GRH des collectivités : 

  • la pénurie et l'attractivité des métiers territoriaux ;
  • l'impact des transformations du numérique ;
  • la pénibilité ;
  • la formation.

Les collectivités rencontrent des difficultés de recrutement et d'importants roulements du personnel pour certains métiers considérés en tension, particulièrement dans les collectivités de moins de 100 000 habitants. 64% des collectivités auprès desquels le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) a enquêté en 2023 ont indiqué au moins un champ professionnel en tension (CNFPT, 2023, p.11). Les métiers du groupe "relation aux usagers" sont les plus cités, il s'agit principalement de postes issus de deux filières généralistes mais aussi de métiers dans l'animation, la culture, le médico-social, la sécurité (police municipale, sapeurs-pompiers), les espaces verts ou le sport.

À l'automne 2025, un peu moins de 30 000 offres d'emploi sont recensées sur le site Emploi-territorial.fr (elles représentent environ 1,5% des effectifs de la FPT de près de 2 millions d'agents). Les grandes collectivités concernées par ces carences cherchent à développer leur marque employeur, mais les tensions sur le parc locatif peuvent peser sur l'attractivité des postes, en particulier de catégorie C (Laurent, 2025). En outre, ce sont les métiers de gestion qui sont les plus susceptibles de connaître des changements rapides liés à la transition numérique. Les 20 principaux métiers concernés par la pénibilité représentent 42% des agents de la FPT.

La formation concerne principalement les métiers issus des filières généralistes mais elle concerne aussi les élus. La gestion et le management nécessitent en effet des compétences, aussi bien techniques aux plans juridiques et financiers qu'en matière d'encadrement d'équipes et d'accompagnement des personnels (recrutement, prévention des risques, communication…), que l'employeur territorial doit acquérir afin d'accompagner aux mieux le personnel. Les centres de gestion peuvent les aider dans ces missions, et le CNFPT est en charge de la formation des fonctionnaires territoriaux.

En 2012, la Cour des Comptes définissait la gestion prévisionnelle des ressources humaines (GPRH) comme un outil d'anticipation de l'évolution des besoins en personnel d'une collectivité recouvrant la gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC) portant notamment sur la formation, l'évaluation et les rémunérations.

La mise en œuvre d'une GPRH et d'une GPEEC intercommunales est rendue à la fois nécessaire et complexe en raison de plusieurs facteurs internes et externes (CNFPT 2022, p. 21) :

  • en interne, le phénomène de variation de la masse salariale suivant les évolutions de l'ancienneté et de l'expérience des personnels à effectifs constants, dit glissement vieillesse-technicité (GVT), accroît les contraintes financières et contraint à organiser des mobilités en raison des atteintes à la santé des agents de certains métiers ;
  • en externe, le contexte de transitions multiples (numérique, climatique, sociale et démocratique) fait évoluer les besoins en compétences et professionnalisation, alors que le déploiement des pratiques de mutualisation, consécutif aux recompositions territoriales, n'est pas stabilisé. 

La Cour des comptes a formulé dix recommandations visant à intégrer les ressources humaines et leur gestion prévisionnelle dans la stratégie globale des collectivités et à adopter une approche fondée sur les métiers et les compétences. 

Quelles marges de manœuvre dans la politique locale d'emploi ?

Le rapport de France Stratégie (2024) sur l'attractivité de la fonction publique met en évidence dans sa seconde partie les sources de la perte d'attractivité des métiers publics (image dévalorisée, évolution des rémunérations moins favorable que dans le secteur privé, etc.) et les leviers pour y remédier. Néanmoins, la fonction publique conserve des atouts à faire valoir au regard du sens des missions et de l'utilité sociale mais aussi de l'égal accès aux opportunités de carrière ou de la conciliation des temps de vie.

C'est en rendant visibles et en confortant ces atouts, tout en agissant sur l'ensemble des leviers identifiés, que les employeurs publics parviendront à donner envie à des publics jeunes de candidater et de s'impliquer durablement dans leurs structures. La majorité des communes n'a pas la taille critique pour envisager d'élaborer leur marque employeur. En revanche, les politiques menées à l'échelon communal peuvent être des facteurs d'attractivité. Le dynamisme d'une équipe municipale qui inscrit son action dans des partenariats locaux contribuant au développement du territoire peut être de nature à susciter des candidatures, de même que des pratiques de promotion de la santé des agents.

Que ce soit par la création de sociétés publiques locales ou le soutien à des pôles de compétitivité, des pôles territoriaux de coopération économique ou des sociétés coopératives d'intérêt collectif, la posture entrepreneuriale du maire, si elle rencontre les aspirations des candidats potentiels en termes de sens, d'utilité voire de responsabilité environnementale, peut être à la fois un facteur de développement économique local et d'attraction de talents.

Cette dynamique s'exprime plus naturellement au sein des intercommunalités, mais l'intérêt territorial peut justifier l'usage par les communes de la clause générale de compétence, en lien avec le préfet, chargé de faciliter les initiatives et projets locaux et d'accompagner les différentes organisations publiques et privées. L'article 2121-29 du code général des collectivités territoriales implique que, en l'absence d'une compétence exclusive de l'État ou d'une autre collectivité, une commune "règle par ses délibérations les affaires de la commune" et "émet des vœux sur tous les objets d'intérêt local". Ainsi, des maires mènent de véritables politiques d'emploi en portant par exemple des plans locaux pluriannuels pour l'insertion et l'emploi, rassemblés dans le réseau associatif Alliance Villes Emploi ou avec des dispositifs ciblant certaines catégories d'actifs, comme les missions locales en direction des jeunes ou le dispositif Territoires zéro chômeurs de longue durée.

Une diversité d'initiatives locales existe, allant de subventions à des entreprises ou associations à des mesures d'accompagnement ou d'insertion (vis-à-vis des publics ciblés comme les jeunes ou les personnes en situation d'un handicap), en passant par des politiques portant sur les infrastructures visant à rendre un territoire plus attractif pour les entreprises (haut débit, transports, stationnements, immobilier…).

Travailler pour une commune, c'est mettre ses compétences au service de ses concitoyens au plus près de leur cadre de vie. Afin que les exécutifs municipaux et leurs équipes administratives, SGM ou DGS en tête, construisent et développent des pratiques en adéquation avec les attentes des agents, les maires peuvent s'appuyer sur le désir d'être utile, en concevant les tâches de telle sorte que les agents voient davantage le résultat de leur travail.

Le soutien des supérieurs et une communication de qualité avec les élus sont également des facteurs déterminants (Edey Gamassou, C., "L'impact des TNIC sur le travail des agents territoriaux", N°7 des cahiers de l'Observatoire Social Territorial de la Mutuelle Nationale Territoriale, 2013). L'élaboration participative de pratiques visant à améliorer la qualité de vie et des conditions de travail, en intégrant le 10e principe de prévention d'écoute des travailleurs et travailleuses, serait une démarche innovante, et surtout cohérente dans les communes ayant adopté des dispositifs de démocratie participative. L'une des clés de ces recommandations semble être la formation des élus à leur rôle d'employeur et de manager d'équipes.