Mémorandum français sur la politique commerciale de la CEE, Paris le 24 août 1993.

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Texte intégral

Conformément au traité de Rome, et notamment son article 113, c'est dans le cadre des directives que lui adresse le Conseil que la Commission, en consultation avec le "Comité 113", conduit les négociations commerciales et met en oeuvre la politique commerciale extérieure de la Communauté.
- Aux pouvoirs de négociation de la Commission répond la possibilité pour le Conseil, à l'issue de la négociation, de rejeter le résultat proposé s'il l'estime contraire aux intérêts de la Communauté.
- Cette répartition des rôles suppose la mise en place de règles du jeu claires entre les deux acteurs, et tout particulièrement lorsqu'il s'agit de négociations longues dont les enjeux économiques et politiques sont majeurs pour la Communauté, afin d'éviter que, mis devant une situation de fait accompli, le Conseil n'ait d'autre réponse que le rejet pur et simple.
- Au-delà des directives qu'il donne à la Commission, négociateur communautaire, le Conseil doit être associé aux différentes étapes du processus de négociation. C'est en effet à lui qu'il revient d'assurer la responsabilité d'engagements pris tant au regard de l'opinion publique européenne qu'à celui de ses partenaires commerciaux. Cet objectif suppose qu'il y ait information, transparence et coopération entre la Commission et les Etats membres.
- La politique commerciale de la Communauté, que la Commission est chargée de mettre en oeuvre, suppose l'existence d'instruments de politique commerciale efficaces qui garantissent la crédibilité même de cette politique et permettent de faire face aux pratiques déloyales de certains pays.
- Mais, elle comporte également un volet extérieur qui doit viser au développement des échanges, à la multilatéralisation des modes de règlement des différends ainsi qu'à la création d'une véritable organisation mondiale du commerce que la France considère comme essentielle.
I - Des instruments de politique commerciale efficaces
- Il est aujourd'hui indispensable que la Communauté européenne, dans le cadre des accords internationaux, améliore et renforce le fonctionnement des instruments de politique commerciale afin de mieux s'opposer aux pratiques illicites du commerce mondial et de permettre l'ouverture des marchés tiers encore trop protégés.
- Au-delà de la question des instruments de politique commerciale, il conviendra que la Communauté, le plus rapidement possible, se livre à une réflexion de fond sur les conditions de l'octroi du SPG notamment aux pays nouvellement industrialisés dont le niveau de développement ne correspond plus véritablement à l'esprit initial du schéma préférentiel.
- A - Les instruments de politique commerciale de la Communauté doivent avoir pour objectif d'obtenir l'ouverture des marchés qui font encore l'objet de restrictions et de neutraliser les entraves à la liberté des échanges.
- 1. Le Nouvel Instrument de Politique Commerciale (NIPC), dont la Communauté s'est doté en 1984, pourrait répondre à un certain nombre de préoccupations, mais la complexité de sa mise en oeuvre freine son utilisation. C'est ainsi qu'il n'a été utilisé que deux fois depuis sa création. Il doit évoluer pour jouer un rôle plus offensif et répondre à toutes les pratiques déloyales ou discriminatoires ayant pour effet de restreindre le commerce des pays de la Communauté avec les pays tiers. Le NIPC doit être un moyen de pression efficace, à la disposition de la Communauté, pour négocier avec les pays dont les marchés sont fermés des conditions d'accès effectif pour les entreprises européennes. La Communauté apportera ainsi sa contribution à l'ouverture des marchés qui profitera non seulement aux Etats membres mais aussi à tous les autres pays.
- Il convient donc :
- d'étendre le champ d'action du NIPC,
- d'assouplir les modalités de recours à cette procédure,
- d'élargir la liste des mesures de rétorsion possibles.
- 2. Le NIPC devrait, par ailleurs, permettre à la Communauté de prendre des mesures de contre rétorsions, permettant une réaction rapide, lorsqu'un de ses partenaires commerciaux met en place des sanctions commerciales unilatérales non autorisées par le GATT.
B - Pour lutter contre les pratiques déloyales, la Communauté doit renforcer l'efficacité des procédures anti-dumping et anti-subventions.
- 1. L'allongement considérable de la durée de ces procédures ces dernières années rend indispensable la mise en place rapide de moyens propres à en accélérer le déroulement. Ce phénomène limite en effet l'efficacité même des procédures en dissuadant les entreprises d'y recourir, en encourageant le maintien des pratiques préjudiciables et en laissant mettre en place des mécanismes de contournement par les pays tiers.
- Il convient d'encadrer de façon contraignante les délais de procédure, depuis la remise des dossiers des plaignants jusqu'à l'imposition éventuelle de droits provisoires (et ensuite définitifs) pour obliger les parties, la Commission et les Etats membres à plus de rigueur et de célérité dans la gestion de ces dossiers :
- obligation pour la Commission de statuer sur la recevabilité de la plainte dans les 30 jours de son dépôt qui doit faire l'objet d'une réception formelle et publication au journal officiel des Communautés de l'avis d'ouverture de l'enquête au plus tard 45 jours après le dépôt de la plainte,
- en cas de recevabilité, imposition des mesures provisoires dans les 6 mois suivant l'avis d'ouverture de l'enquête,
- limitation de la durée de l'enquête, au terme de laquelle la Commission doit faire une proposition, à 9 mois.
- 2. Pour atteindre ces objectifs, la Commission doit renforcer les moyens humains affectés à ces fonctions. A l'instar de la procédure américaine, il est souhaitable que la marge de dumping et l'éxistence du préjudice soient étudiées simultanément.
- 3. La procédure anti-subventions est trop faiblement utilisée par la Communauté européenne et trop souvent les entreprises sont dissuadées d'y avoir recours. C'est au contraire un instrument qui doit pouvoir être utilisé normalement par les entreprises et les groupements professionnels.
4. La pratique européenne des procédures anti-dumping et anti-subventions ne doit exclure aucune des possibilités données par les engagements internationaux :
- le niveau des droits doit être fixé à un niveau égal à la marge de dumping ou de subvention,
- la notion de menace de préjudice doit être utilisée systématiquement,
- la procédure doit être simplifiée et adaptée lorsque cela est possible pour certains types d'industries comme celles de main d'oeuvre : recours à la méthode de l'échantillonnage par exemple.
- 5. L'interprétation de la notion d'intérêt de la Communauté ne doit pas conduire à vider de son sens des procédures dont le but est de réparer le préjudice subi par les producteurs européens.
- 6. Le suivi des décisions, notamment de la perception des droits, doit être amélioré et les engagements de prix utilisés seulement à titre exceptionnel.
- 7. Le processus de décision doit résulter d'une approche strictement objective. Sa rationalisation passe par une automaticité accrue et une autonomie plus grande pour la Commission. Cette dernière doit pouvoir prendre des décisions immédiatement exécutoires sous le contrôle du Conseil qui pourra toujours, par une décision à la majorité qualifiée, l'infirmer.
- 8. Enfin, le recours à la clause de sauvegarde, instrument normal de toute politique commerciale extérieure, doit être facilité. Comme pour les procédures anti-dumping et anti-subventions, la recevabilité des plaintes et l'enquête de la Commission doivent être soumises à des délais stricts, s'agissant le plus souvent d'une procédure d'urgence. En tout état de cause, le problème de la clause de sauvegarde devra être réexaminé dans le cadre de la mise en place des résultats du cycle d'Uruguay (question du recours connexe à l'article 115 du Traité de Rome notamment).
II. L'institutionnalisation des relations commerciales internationales dans une véritable organisation mondiale du commerce (OMC)
- L'existence d'une Organisation mondiale du commerce est essentielle pour le bon fonctionnement du système commercial multilatéral. Le fonctionnement actuel du GATT reposant toujours sur une structure provisoire n'est plus adapté aux objectifs ambitieux que se sont fixés les parties contractantes à Punta del Este aux termes desquels la quasi-totalité des échanges internationaux (biens, services, produits agricoles) seront couverts par l'accord.
- La création de l'OMC doit donc être un des résultats des négociations du cycle d'Uruguay. L'OMC devra ensuite faire l'objet d'une véritable institutionnalisation, à côté des autres organisations du système des Nations unies.
- L'OMC sera le cadre institutionnel commun pour la conduite des négociations commerciales entre ses membres. Elle permettra la multilatéralisation réelle des modes de règlements des différends.
- La rédaction actuelle du projet d'accord final sur l'OMC n'est pas suffisamment ambitieuse et doit donc être renforcée :
- la mise en conformité des législations nationales doit être obligatoire,
- l'adhésion des pays signataires doit être globale à l'ensemble des accords et instruments du GATT par opposition à l'acceptation partielle de tel ou tel accord, au gré des intérêts de chacun.
- C'est dans le cadre de l'OMC, et en liaison avec les organisations internationales compétentes, que devront être prises en compte les incidences sur les échanges internationaux d'autres politiques, dans les domaines social, monétaire ou de l'environnement.
- Le perfectionnement de la politique commerciale communautaire est une nécessité car elle seule permet d'assurer l'identité européenne des trois composantes :
- reconnaissance des politiques communes au niveau international,
- gestion efficace des frontières externes de la Communauté,
- possibilité de recourir à des instruments de politique commerciale dans les mêmes conditions que ses partenaires.
- En même temps qu'elle participe à l'expansion du libre échange, la Communauté doit pouvoir progresser dans la réalisation de son marché intérieur. L'identité européenne est l'élément moteur de la stabilité du pôle commercial ouest-européen qui est le plus ouvert au monde. Son affaiblissement aurait des conséquences dommageables pour l'ensemble du système multilatéral.
- La France souhaite que sur l'ensemble des thèmes, la Commission lui fasse des propositions précises. La politique commerciale de la Communauté est un tout. La qualité des instruments de politique commerciale de la Communauté sera un critère d'appréciation important lors de l'examen global, en vue de leur approbation, des résultats du cycle d'Uruguay.