Texte intégral
Monsieur le Président de l'Assemblée Nationale,
Monsieur le Député-Maire,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Le thème de ces rencontres Parlementaires, qui nous invitent à avoir une vision globale en matière de politique énergétique, vient à point nommé.
Comme l'a dit Michel DESTOT, le contexte actuel est marqué par les engagements de Kyoto, et par le programme d'action que la France prépare à l'horizon de 2010. Il l'est plus généralement par la nécessité de promouvoir un autre type de développement, susceptible de s'inscrire dans la durée et respectueux des équilibres écologiques, tout particulièrement lorsque sont en jeu, comme c'est le cas pour l'effet de serre, des risques de changements climatiques à l'échelle de la planète.
La notion de "développement durable", si elle fait aujourd'hui l'objet d'un large consensus, mérite qu'on s'y arrête un instant. Dans cette notion, il y a bien deux termes qui se définissent et se complètent mutuellement.
Le développement sans respect de l'environnement, on le sait, cela ne marche pas. Un tel développement génère en effet des déséquilibres, des dysfonctionnements, des blocages qui, tôt ou tard, remettent en cause le développement lui-même.
Mais se préoccuper de l'environnement en oubliant le développement, cela ne marche pas non plus. On voit bien d'ailleurs les difficultés qu'ont les pays en développement pour dégager les marges nécessaires au traitement des questions d'environnement. De fait, l'expérience nous l'enseigne, quand il n'y a pas de développement, s'aggravent les inégalités tant sociales que territoriales, d'où là aussi des déséquilibres et des blocages.
C'est bien pourquoi la voie choisie par le Gouvernement est de rechercher entre ces deux notions de développement et de durabilité des points d'équilibre nouveaux, équilibre qui a mon sens ne se conçoit que de manière dynamique, non pas en regardant vers le passé mais en se tournant résolument vers l'avenir.
Et équilibre qui, comme le souligne opportunément la Charte de Rio, implique une troisième notion, qui est celle de la justice et de l'équité sociale.
Quels sont, si je puis dire, les "moyens" dont nous disposons pour mettre en oeuvre cette démarche?
Naturellement, je traiterai ici essentiellement des secteurs relevant de ma compétence, et plus particulièrement celui des transports. Il représente au plan national environ le quart des consommations d'énergie et, sans mesures correctives, serait responsable à l'horizon de 2010, du tiers des émissions de CO2., le mode routier y contribuant à lui seul pour plus de 90 %.
Le premier outil à notre disposition est celui de la fiscalité écologique : taxer davantage l'énergie et alléger les charges qui pèsent sur l'emploi, c'est une piste intéressante pour augmenter le prix du transport, souvent maintenu artificiellement bas, et pour renforcer, notamment dans les produits manufacturés, la compétitivité des productions locales.
Vous savez que cette piste fait partie de celles qui sont aujourd'hui ouvertes par le Gouvernement. Mais il faut en même temps avoir présent à l'esprit pour le secteur des transports deux difficultés.
La première, c'est que le marché des transports est aujourd'hui un marché largement ouvert à la concurrence intra-européenne, et plus généralement internationale. La France ne peut donc avancer sur cette voie qu'à pas modérés, sauf à faire le choix de pénaliser abusivement les entreprises françaises. Par contre, il convient d'agir énergiquement -et c'est ce que fait le gouvernement-, pour qu'à l'échelle communautaire soient prises les décisions d'harmonisation fiscales appropriées. Je pense en particulier à la nécessaire adoption de la directive sur la taxation des produits énergétiques, impliquant des taux minimum d'accises pour les carburants.
La deuxième difficulté réside dans le fait que la taxation des produits énergétiques ne peut, en matière de transport, permettre une internalisation de l'ensemble des coûts. Les coûts sociaux, ceux de la sécurité, notamment dans le secteur du transport routier, doivent être pris en compte, et nécessitent aussi une harmonisation européenne, dont on voit bien qu'elle demandera du temps.
C'est bien pourquoi d'autres leviers doivent être actionnés si l'on veut préserver la compétitivité de nos entreprises tout en avançant sur la voie du développement durable. Un de ces leviers réside naturellement dans le progrès scientifique et technique.
On sait qu'il permet, y compris du fait des évolutions en cours sur les véhicules utilisant des motorisations conventionnelles, d'obtenir des résultats notables en matière de pollution, au point que différentes études convergentes prévoient, en dépit d'une croissance des trafics qui reste soutenue, un recul de la pollution due au transport à l'horizon 2005-2010. Cela ne veut évidemment pas dire qu'il faille s'en contenter !
Dans le domaine de la consommation énergétique, si après une amélioration très sensible, les évolutions ont marqué un pallier, on peut penser qu'elles vont reprendre une courbe de décroissance plus sensible, du fait notamment de l'accord intervenu avec les constructeurs automobiles européens.
Ces évolutions ne devraient toutefois pas permettre de compenser à elles seules, sur le chapitre de la consommation et donc aussi vraisemblablement des émissions de gaz à effet de serre, l'augmentation des trafics.
Cela étant, la contribution des progrès technologiques pourrait sans doute être améliorée. Constatons en effet qu'il faut de 10 à 11 ans pour que la moitié des véhicules légers d'une même année soit éliminée du parc automobile. Il n'est pas interdit de penser que cette inertie devrait pouvoir être réduite, et la réduire dans une période de progrès technologique rapide contribuerait à des gains sensibles sur les performances d'ensemble du parc.
Cette remarque vaut d'ailleurs pour l'ensemble des matériels de transport. Bref, nous devons rechercher à mieux créer une dynamique positive de l'innovation et du renouvellement des matériels. Ce sera bon pour l'emploi, pour le développement et pour l'environnement.
Je note d'ailleurs que, dans un domaine comme celui de l'aviation civile, certains projets comme celui du gros porteur A3XX par exemple ne s'appuient pas seulement sur des technologies nouvelles, mais sur de nouveaux concepts de transport, plus soucieux d'intégrer, au niveau même de la demande, le traitement des problèmes d'environnement.
Le progrès technologique constitue donc un élément de réponse essentiel, et il doit continuer à faire l'objet d'une action soutenue et attentive. Vous savez que c'est notamment l'objet du programme PREDIT, qui coordonne les efforts de quatre ministère : celui de l'Équipement, de l'Industrie, de l'Environnement et de la Recherche.
Mais il doit pour être pleinement efficace s'accompagner d'une réflexion sur les comportements, ainsi que sur les modes de produire et de consommer. Je pense ici au volet réglementaire de l'action publique, et par exemple à ce que nous avons entrepris pour lutter contre la vitesse excessive sur les routes: l'enjeu est d'abord de sécurité et de respect des autres, mais aussi d'économie et de respect de l'environnement, tout cela va de pair.
Je pense plus généralement aux actions qu'il faut conduire en matière des régulation des trafics. Régulation de la demande, mais en étant conscient des inégalités sociales existantes et de la nécessité de les corriger. Régulation de l'offre, en s'attachant à réorienter chaque fois que c'est possible cette offre, et donc aussi à faire évoluer la demande, vers les modes les plus économes et les moins nuisants.
Les chantiers engagés sont ici nombreux et importants. C'est celui d'une nouvelle génération de Plans de Déplacement Urbains (les PDU), dont les autorités organisatrices achèvent la mise en place, et qui doivent coordonner renforcement de l'offre en transport urbains et partage de la voirie plus favorable à ce mode de transport, en même temps qu'ils vont enclencher toute une série de réflexions et d'actions nouvelles, telles par exemple celles concernant la livraison des marchandises en ville.
C'est aussi celui, dont nous aurons à reparler très prochainement, du projet de loi que nous préparons avec Louis Besson sur "l'urbanisme, l'habitat et les déplacements".
Ce projet de loi vise à créer de nouveaux outils de planification urbaine, pour une maîtrise plus globale par les collectivités territoriales des problèmes d'urbanisme et de déplacements. Il s'agit à la fois de faciliter les opération de régénérescence, de "reconstruction de la ville sur la ville", de requalifier en profondeur certains quartiers pour en faire des parties intégrantes de la ville, de franchir aussi une nouvelle étape dans le développement et le financement des transports collectifs, appelés à devenir, beaucoup plus qu'ils ne le sont aujourd'hui, des vecteurs essentiels de cette reconquête ou conquête d'urbanité.
A ces chantiers réglementaires ou législatifs s'ajoutent les orientations qui ont été données pour la préparation des schémas de services, et dans un premier temps, pour celle des contrats de Plan.
Les choix faits en matière d'infrastructures de transport devront désormais s'appuyer, non seulement sur des critères d'environnement, mais sur une vision prospective des trafics générés, et au-delà, sur des évaluations permettant de juger des résultats des politiques engagées. L'objectif est là aussi de favoriser le développement des modes de transport les plus respectueux de l'environnement, et pour mieux y parvenir, de favoriser l'organisation de chaînes de transport, permettant de mieux utiliser la complémentarité des différents modes.
Je précise à ce propos que la régulation des trafics par la pénurie des infrastructures ne fait pas pour moi partie de cette vision d'avenir. Lorsqu'il y a engorgement, il y a aussi surconsommation d'énergie et atteinte grave à l'environnement. Nous avons donc besoin d'infrastructures modernes et performantes, et il faut y consacrer les investissements nécessaires.
Il faut par exemple faire des efforts importants pour mieux adapter les infrastructures ferroviaires au transport de marchandises (contournements d'agglomérations, aménagements de noeuds, mise au gabarit de tunnels, construction de chantiers rail-route, etc..), et vous savez que le gouvernement a fixé pour objectif le doublement du trafic ferroviaire de marchandise à l'horizon 2010. Dès lors qu'on parle de chaîne logistique, il faut aussi continuer à moderniser le maillon routier.
Mais faire des choix, cela veut dire aussi chaque fois que c'est possible, utiliser les infrastructures existantes, par exemple pour développer le transport ferroviaire régional, ou encore le tram-train qui évite les ruptures de charge dans les zones péri-urbaines.
C'est mieux exploiter ces infrastructures, en faisant davantage appel aux nouvelles technologies d'information et en développant de manière appropriée leur niveau d'équipement. C'est être attentifs à réaliser les "maillons manquants", comme nous le faisons avec le viaduc de Millau.
C'est également combiner choix d'infrastructures et régulation dans la recherche de solutions adaptées au problème du transit dans les zones sensibles.
Vous avez noté à ce propos les progrès réalisés, lors du récent sommet franco-italien, en vue du lancement du projet de tunnel ferroviaire sur la ligne Lyon-Turin. S'y ajoute l'étape importante qui vient d'être franchie lors du tout récent Conseil des ministres des Transports à Luxembourg, vers l'adoption d'un schéma ferroviaire européen pour le fret. Ce sont là des avancées significatives, dans la mise en oeuvre de ce que j'appellerai la conception française du développement durable.
Cette conception s'appuie donc tout à la fois sur une évolution progressive de la fiscalité, sur une dynamique de l'innovation, sur des actions de régulation et sur une politique structurelle, à la fois réaliste et ambitieuse, en matière d'infrastructures de transport.
Une telle démarche, qui doit être suffisamment volontaire tout en restant pragmatique, ne peut pas se décréter "d'en haut". Elle ne se conçoit pas sans une concertation attentive, sans une véritable démocratisation et une transparence des choix. Non seulement les élus, mais l'ensemble des acteurs économiques, les usagers-citoyens, en sont des acteurs essentiels.
Ce que j'ai dit pour le transport pourrait se transposer aussi dans le domaine du logement. Avec le fait que, dans ce secteur, les propositions formulées par le gouvernement pour la diminution sensible du taux de T.V.A. sur les travaux va constituer un coup de fouet sérieux à la fois pour l'innovation, pour l'amélioration des éléments de confort et pour les économies d'énergie.
Certes, en matière d'économie d'énergie et d'émission de gaz à effet de serre, la France fait plutôt figure de bon élève. Cela ne doit pas, au contraire, nous amener à relâcher notre effort. Je considère qu'en persévérant sur cette voie, en explorant plus tôt que d'autres les chemins pas forcément facile du développement durable, en nous inspirant des expériences positives qui existent ailleurs, nous préparons en toute hypothèse l'avenir.
Une démarche équilibrée, telle que j'ai souhaité l'exposer ici, doit nous permettre de mieux concilier efficacité économique et qualité de la vie. Et de rassembler, j'en suis convaincu, au-delà des clivages politiques traditionnels, une majorité de Françaises et de Français autour d'un véritable projet de civilisation pour le 21ème siècle.
Merci en tout cas d'avoir permis que cette réflexion soit menée dans cette enceinte, et plein succès à vos travaux !
(Source http://www.equipement.gouv.fr, le 28 octobre 1999)