Déclaration de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, sur l'entrée des collectivités locales dans la société de l'information, la coopération intercommunale, l'action économique des collectivités locales et la décentralisation, Paris le 23 novembre 1999.

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Circonstance : 82ème Congrès de l'Association des maires de France à Paris du 23 au 25 novembre 1999-discours d'ouverture le 23

Texte intégral

Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le maire de Paris,
Mesdames et Messieurs les maires,
Mesdames et Messieurs,
Votre président, Monsieur Jean-Paul Delevoye, a chargé Monsieur Daniel Hoeffel, ancien ministre, homme connu de tous pour son expérience et sa pondération, d'assurer son intérim à la tête de votre association dans l'esprit pluraliste qui la caractérise. Je tiens à les saluer l'un et l'autre et à les remercier pour leur accueil.
Je salue également les maires des communes du Languedoc-Roussillon et des Antilles qui viennent d'être douloureusement frappées par les intempéries.
Le gouvernement, au-delà d'une assistance immédiate, sera à leurs côtés pour aider les population à surmonter cette difficile épreuve.
Vous m'avez invité à ouvrir votre 82ème congrès. C'est avec plaisir que j'ai répondu à cette invitation.
Cette grande rencontre annuelle est irremplaçable et constitue pour tous les édiles un moment privilégié de contacts.
Pour le gouvernement, ce rassemblement est une occasion particulière d'entendre l'expression des préoccupations des maires et d'exprimer publiquement - le Premier ministre le fera demain en fin d'après-midi - ses orientations sur les sujets qui les concernent.
Vous avez cette année retenu comme thème la réflexion "le maire face à l'innovation": je vois dans ce choix tout d'abord un signe de jeunesse de la part de ces institutions aux racines séculaires que sont les communes.
C'est aussi, alors que le passage à l'an 2000 approche, un signe d'optimisme , de volonté de maîtriser les changements induits, notamment, par les nouvelles technologies et la mondialisation de l'économie, en un mot l'émergence possible d'une société nouvelle, d'une société dite "en réseaux". Déjà les initiatives foisonnent dans les collectivités locales comme dans les administrations de l'Etat.
Pour ce qui le concerne, le gouvernement s'est engagé dans une démarche volontariste avec le lancement, en janvier 1998, d'un "programme d'action gouvernemental" pour préparer l'entrée de la France dans la société de l'information (PAGSI). Mais vivre dans une société d'information exigera de nos concitoyens la définition de nouveaux repères. Les communes auront à cet égard un rôle majeur dans le maintien du lien social, un rôle décisif pour prévenir les discriminations et exclusions du fait des nouvelles technologies en développant les points publics d'accès et le soutien au raccordement des établissements scolaires. La construction de la modernité doit être une action collective et ne laisser personne au bord du chemin.
Actuellement, toutes les administrations ont spontanément tendance à utiliser les nouvelles technologies pour améliorer leur fonctionnement interne.
C'est l'un des axes forts de la réforme de l'Etat et l'on ne peut que se réjouir de la réussite de ce mouvement de modernisation qui place les services publics français en tête du peloton européen, du moins selon une étude néerlandaise.
N'oublions pas cependant que les réformes doivent d'abord être tournées vers les usagers. Tel est l'objet de mon projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, celles de l'Etat comme celles des collectivités locales. Ce texte viendra tout à l'heure en seconde lecture devant l'Assemblée Nationale. Il organise précisément :
- un meilleur accès aux informations et aux règles en vigueur,
- une simplification des procédures pour rendre plus faciles les démarches les plus courantes,
- l'extension du rôle du médiateur,
- la définition d'un cadre juridique pour les maisons de services publics. Ces structures administratives polyvalentes permettront une coopération accrue entre les différents services, une mise en commun de moyens innovante pour améliorer une offre de prestations de proximité.
Dans le même esprit - ce point intéressera tous les élus ruraux - ce texte va préciser les compétences données aux préfets pour intervenir lorsque des risques de restructuration ou de fermeture de plusieurs services publics pèseront simultanément sur une même commune ou une même agglomération.
Ainsi peut se concilier une nécessaire évolution des services publics avec le principe d'égalité d'accès qui reste, en France, l'un des fondements du pacte républicain.
Nos concitoyens ont une image très positive de leurs maires. Un récent sondage vient encore de le confirmer. Pourtant, certains d'entre vous ressentent une réelle inquiétude devant la difficulté de faire face aux responsabilités accrues nées de la décentralisation dans un environnement de plus en plus mouvant sur le plan technique et juridique.
Pour répondre à ces préoccupations, je crois que nous devons orienter nos réflexions dans quatre directions :
- la solidarité territoriale : elle doit se concrétiser par la constitution de pôles de compétence communs à plusieurs collectivités pour traiter des problèmes juridiques, économiques, d'aménagement à la complexité croissante et par le renforcement de la péréquation fiscale ;
- la sécurisation juridique : on ne peut exiger d'un maire qu'il devienne "le gestionnaire de l'impossible" comme le disent certains d'entre vous. Pour traiter ce difficile sujet, ma collègue Elisabeth Guigou, a constitué un groupe de travail comprenant des élus, dont votre président, qui remettra prochainement ses conclusions. Mais la sécurisation juridique passe aussi par la mise à jour et la clarification des textes. C'est dans cet esprit que j'ai préparé un projet de loi réformant l'action économique des collectivités locales. Dans un contexte où les deux tiers des crédits consacrés à ce type d'intervention proviennent des communes et des conseils généraux, la réglementation en vigueur ne correspond plus à la réalité. Ce projet de loi vise à offrir à tous les élus un cadre juridique simple et clair pour faciliter leurs initiatives ;
- le renforcement du personnel d'encadrement des collectivités : la question se pose surtout pour les petites communes. L'abaissement de plusieurs seuils (3500 pour les secrétaires généraux, 10.000 pour les secrétaires généraux adjoints), l'assouplissement des seuils pour l'avancement de grade des attachés et attachés principaux occupant un emploi fonctionnel de secrétaire général, doivent faciliter, entre autres mesures, le recrutement de cadres par les petites communes et leurs groupements ;
- la préparation d'une nouvelle étape de la décentralisation : toutes les sensibilités politiques se sont aujourd'hui ralliées au grand mouvement lancé par Pierre Mauroy et Gaston Defferre. Pour franchir de nouvelles étapes, il nous faut tout d'abord écarter les oppositions factices entre Etat et collectivités territoriales, Paris et province, régions et départements, rural et urbain, pour aller à l'essentiel : définir une nouvelle organisation territoriale apte à garantir la cohésion sociale. Convient-il de transférer de nouvelles compétences de l'Etat vers les collectivités locales et lesquelles ? Doit-on procéder à des redistributions de compétences entre collectivités ? Doit-on revoir les mécanismes d'attribution des ressources financières ? etc... Vous conviendrez qu'il n'existe aujourd'hui aucun consensus quant aux réponses.
Pour toutes ces raisons, le Premier ministre a demandé à Monsieur Pierre Mauroy de présider une commission pluraliste, représentative de toutes les catégories d'élus, qui dressera le bilan de la décentralisation et remettra des propositions au gouvernement dans le courant de l'année prochaine. S'agissant de l'exercice d'un mandat d'élu, notamment de maire, je suis très sensible aux préoccupations exprimées par la plupart d'entre vous.
Toutes les catégories sociales doivent pouvoir exercer des mandats locaux. Mais la solution n'est pas à rechercher dans un nivellement par le bas, en pointant du doigt les fonctionnaires engagés dans la vie publique. C'est au contraire en offrant à tous, en particulier aux élus issus du secteur privé, les moyens d'exercer leur mandat dans des conditions adaptées à notre temps, que nous y parviendrons : il en va de l'avenir de la démocratie locale.
Bien évidemment, décentralisation et déconcentration constituent les deux faces d'une même démarche de réforme de l'Etat. Je ne partage pas l'idée, défendue par certains, selon laquelle il n'y aurait bientôt plus que l'Europe et les régions. C'est une vision politique irréaliste et dangereuse.
Mais il faut en contrepartie que l'action de nos états évolue et s'adapte aux mutations économiques et démographiques. En somme, nous ne recherchons pas un Etat plus modeste, mais un Etat plus moderne.
Ce mouvement doit se poursuive et le gouvernement, marquant ainsi une étape importante de la réforme de l'Etat dont je suis chargé, vient ainsi de donner aux préfets les moyens de mieux faire vivre l'Etat déconcentré, de mieux harmoniser l'action de ses services pour faciliter le dialogue avec les maires et, plus généralement, d'être un interlocuteur plus efficace pour la décentralisation.
Enfin, je voudrais dire quelques mots sur un tout autre sujet, qui vous concernera tous et sur lequel beaucoup d'entre vous s'interrogent : l'aménagement du temps de travail. Je viens de procéder à une intense concertation avec les organisations syndicales et les associations d'élus, dont la votre. Les orientations qui seront retenues au niveau national (définition de la durée effective du temps de travail, comptabilisation annuelle, notion d'astreinte...) auront vocation à être déclinées dans chaque fonction publique, en prévoyant des marges d'adaptation et bien sûr, en préservant le principe de libre administration des collectivités locales.
Le protocole d'accord national, inter fonctions publiques, que nous recherchons, sera suivi, s'il est conclu, d'une phase de négociations délocalisées ou déconcentrées où les exécutifs locaux retrouveront la plénitude de leurs compétences, notamment en terme de calendrier. On ne peut, en effet, méconnaître les initiatives déjà lancées, et parfois abouties, d'un certain nombre de collectivités.
Au terme de cette allocution, je voudrais rappeler que la décentralisation avait pour objet de vivifier la démocratie de proximité. Elle est largement parvenue à cet objectif.
Dix huit ans après, il est légitime de s'interroger sur les adaptations à apporter à un dispositif cohérent mais dont certains principes, au contact de la réalité, ont révélé des faiblesses. La décentralisation ne doit pas conduire à une France fragmentée et inégalitaire : elle doit constituer une chance offerte à toutes les collectivités, à toutes les communes d'exprimer le meilleur d'elles-mêmes tout en assurant l'égalité des chances.
Je vous remercie pour votre attention et vous souhaite de fructueux travaux.
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 29 novembre 1999)