Interview de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, dans "France-Antilles" du 15 janvier 2003, sur la différence entre la franchise fiscale, relevant de la compétence législative nationale et la franchise douanière, de celle de la Communauté européenne et sur l'évolution du statut des collectivités d'outre-mer.

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Circonstance : Assises des libertés locales du 16 et 17 janvier 2003 en Martinique, les 18 et 19 en Guadeloupe, les 20 et 21 en Guyane

Média : France Antilles

Texte intégral

France Antilles : Pensez-vous que la mise en place de zones franches d'activités, réclamée par certains responsables économiques, est essentielle au développement des DOM ?
Brigitte GIRARDIN : La mise en place de zones franches me paraît une solution tout à fait intéressante pour le développement de l'activité économique et en cela je puis dire que " je suis sur la même longueur d'onde que les acteurs économiques ". J'en veux pour preuve qu'actuellement, mes services, en liaison avec ceux de mon collègue du budget, examinent le dossier de la Guyane qui devrait déboucher sur un texte réglementaire de création de zone.
Cela dit, il me semble utile d'aller un peu plus loin et de préciser cette notion de zone franche en ayant bien présent à l'esprit les deux types de " franchises " envisageables, à savoir les franchises fiscales ou les franchises douanières.
Les franchises fiscales, c'est-à-dire celles consistant en des exonérations totales ou partielles d'impôts, sont de la compétence législative nationale même si, bien sûr, dès lors qu'elles pourraient porter atteinte à la libre concurrence, elles font l'objet d'un examen par la Commission européenne.
Les franchises douanières relèvent quant à elles de la pleine compétence communautaire.
Au plan fiscal, les entreprises des DOM disposent déjà d'un large éventail d'avantages, soit à titre général, soit issu de la loi de 1986 pour ce qui est des zones franches. Sans les citer tous, je rappelle par exemple les possibilités d'exonération pour 10 ans d'impôt sur les sociétés pour les sociétés en extension ou qui se créent, l'abattement d'un tiers sur les résultats, le mécanisme spécifique de récupération de TVA, les exonérations de taxe professionnelle propres aux zones franches ainsi bien sûr que les aides fiscales à l'investissement que la loi de programme va d'ailleurs renforcer.
C'est pourquoi il me paraîtrait utile que les acteurs économiques explorent davantage la piste des franchises douanières comme l'ont fait les Portugais pour Madère et les Açores et les Espagnols pour les Canaries. En effet, la réglementation communautaire permet également dans les DOM la non application des conditions économiques normalement exigées.
Ainsi en va-t-il par exemple de la possibilité offerte aux DOM d'incorporer dans un processus industriel des produits en provenance de pays tiers exonérés de droits de douanes, puis de commercialiser sur le marché communautaire le produit fini réalisé, sans avoir à prouver que cette pratique ne lèse aucune entreprise au sein de la communauté. Un dispositif semblable existe au profit de Madère et des Açores.
Il peut y avoir là, me semble-t-il, des créneaux intéressants pour nos DOM. Je serais pour ma part tout à fait prête à étudier, en liaison avec mon collègue ministre du budget, les projets qui pourraient être présentés, et ce en liaison avec les autorités communautaires.
France Antilles : La revendication d'une assemblée unique est forte. La nouvelle Constitution en reconnaît l'éventualité. Est-ce qu'une loi organique suffira à agencer sa mise en place et ses moyens de fonctionnement ?
Brigitte GIRARDIN : La première condition posée par la Constitution révisée pour la mise en place de " l'assemblée unique ", c'est l'assentiment préalable des électeurs. C'est là l'application d'un principe démocratique simple. Il est important, et c'est un problème de respect à l'égard de nos concitoyens d'Outre-mer, qu'ils puissent se prononcer sur les évolutions institutionnelles qui les concernent directement.
Le législateur ne pourra plus changer le statut d'une collectivité d'Outre-mer sans recueillir l'accord préalable des citoyens directement intéressés.
Les conditions et modalités de fonctionnement de la nouvelle collectivité ne sont bien entendu pas dissociables du processus global d'évolution institutionnelle qui suppose l'intervention finale du législateur.
France Antilles : Dans l'éventualité d'un changement institutionnel dans les DFA, ne serez-vous pas dans l'obligation de renégocier avec Bruxelles leur statut européen, d'autant qu'un nouveau traité définira l'Europe de demain ?
Brigitte GIRARDIN : Contrairement à une idée hélas trop répandue, l'évolution institutionnelle d'une collectivité territoriale n'a pas d'incidences sur son statut européen : ce qui importe, pour Bruxelles, c'est l'application du droit communautaire par la France, sans considération pour le niveau auquel sont prises les décisions qui concourent à cette application. Madère, les Acores et les Canaries, qui ont un régime d'autonomie encore plus large sur certains points que nos territoires d'Outre-mer, sont bien des régions ultrapériphériques comme nos quatre départements d'Outre-mer et relèvent bien de l'article 299-2 du Traité d'Amsterdam.
Aussi, un changement institutionnel dans les D.F.A. n'aurait aucune conséquence sur leur statut de région ultrapériphérique.
France Antilles : De même pour la loi programme. Comment justifier auprès de la commission européenne une nouvelle défiscalisation ?
Brigitte GIRARDIN : Le volet fiscal de la loi de programme pour l'outre-mer, au même titre que tout régime d'aide aux entreprises, doit faire l'objet avant sa mise en uvre dans les départements d'outre-mer d'une décision d'approbation de la Commission européenne dans le cadre de la procédure dite de notification.
Dans cette perspective, un premier échange d'informations a eu lieu dès le stade de l'élaboration de la loi avec les services de la direction générale de la concurrence de la Commission afin de leur présenter les principaux changements apportés au dispositif actuel en vue d'assurer la relance du dispositif de défiscalisation souhaitée par le Président de la République pour mieux répondre aux besoins d'investissements et de développement des économies et favoriser la croissance des emplois productifs outre-mer.
Les justifications apportées à la Commission portent principalement sur trois aspects :
- le niveau des handicaps structurels permanents de ces régions ultrapériphériques qui exige un effort tout particulier des pouvoirs publics pour compenser les surcoûts qui pèsent sur la rentabilité et freinent la diversification des activités productives locales ;
- la démonstration que le dispositif précédent n'a pas eu tous les effets escomptés dans le contexte de la détérioration de la conjoncture économique globale. En particulier, la crise du tourisme aux Antilles et son impact justifient l'effort particulier consenti dans le projet de loi pour les activités de rénovation et de réhabilitation hôtelières ;
- l'inscription des nouvelles dispositions d'aides spécifiques pour les secteurs sensibles dans le respect des taux plafonds d'aide autorisés par l'Union européenne et plus généralement dans le cadre des règles relatives aux aides d'Etat. Les investissements dans les quelques secteurs concernés seront soumis à agrément au premier euro pour permettre à l'Etat d'exercer un contrôle effectif du respect de ces règles.
J'ai donc bon espoir de voir aboutir favorablement les discussions engagées avec la Commission européenne.
Propos recueillis par Gabriel GALLION

(source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 17 janvier 2003)