Eléments de la déclaration de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de l'aménagement du territoire, sur le bilan et l'évolution de la politique d'aménagement du territoire, les objectifs de développement local et d'adaptation des services publics à l'heure de la décentralisation dans le cadre de l'Europe élargie, Paris le 21 janvier 2003.

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Circonstance : Entretiens internationaux de l'aménagement et du développement des territoires organisés par la DATAR, la Caisse des Dépôts et Consignations et l'OCDE, Cité des Sciences et de l'Industrie le 21 janvier 2003

Texte intégral

C'est avec beaucoup de plaisir et d'intérêt que je vous rejoins en cette fin de matinée pour vous dire tout le prix que nous attachons, spécialement aujourd'hui en France, aux réflexions et aux comparaisons internationales qui seront développées durant cette édition 2003 des "Entretiens internationaux".
Vous le savez, la France est engagée dans le vaste chantier de la décentralisation - Processus dont le Secrétaire général de l'OCDE, Monsieur Donald Johnston, a rappelé qu'il concernait, à des degrés et dans des formes divers, la plupart des pays membres, ou non de l'OCDE.
Cette convergence dans la recherche d'une meilleure efficience de l'action publique résulte de l'analyse que nous pouvons faire :
- d'une part, des impacts des évolutions que nous connaissons aux plans économique, social et technologique sur le rôle de l'Etat et des collectivités locales.
- d'autre part, de la place du citoyen dans nos politiques. Les enquêtes européennes sur les valeurs citoyennes témoignent de la nécessité de mobiliser la société civile sur les projets de territoires, notamment d'aménagement, à défaut de quoi apparaissent des blocages propres à nuire au développement.
I - retour sur image et bilan
En France, au cours de ces 40 dernières années, la politique d'aménagement du territoire a connu plusieurs périodes :
- dans les années 50 et 60, l'exode rural et la concentration de la richesse et de la population en région parisienne façonnaient notre territoire. Aménager le territoire a donc d'abord signifié maîtriser l'équilibre entre Paris et le reste de la France et doter le pays d'infrastructures de communication modernes. Ces années furent aussi celles des grands aménagements structurants : les villes nouvelles, le Réseau Express Régional (RER), la construction de l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle en Ile de France ; les villes nouvelles dans le Rhône Alpes et le Nord Pas de Calais, le Port de Fos à Marseille, l'aménagement du littoral du Languedoc, le canal Rhin-Rhône
- dans les années 70 et 80, les crises de l'industrie lourde et l'émergence d'une sensibilité plus grande au cadre de vie et à l'environnement ont conduit l'Etat et les collectivités territoriales à coopérer - sous une forme contractuelle à partir du début des années 80 - pour " réparer ", là où c'était possible, le territoire national.
Face aux urgences qu'imposaient ces crises, les acteurs locaux ont été amenés à prendre une part importante dans le soutien au développement local. C'est, du reste, ce qui explique le foisonnement des initiatives et des outils dont se sont dotées les collectivités en France.
Cependant, ces initiatives ont été " encadrées " par l'Etat et limitées aux compétences qui leur avaient été transférées.
Aujourd'hui, après une volonté politique de rééquilibrage puis de réparation, nous changeons d'objectif.
Nous passons :
- d'une logique d'aménagement à une logique de développement des territoires,
- et d'une logique de demande à une logique d'offre territoriale dans un monde de concurrence.
1)La mondialisation impose un partage de VA et l'émergence d'espaces économiques (exemple européen) qui confère à la réussite d'un territoire sa fonctionnalité par rapport à une convergence économique (secteurs primaire, secondaire, tertiaire). Ce n'est plus l'histoire ou la géographie, c'est son adéquation.
- politique d'AT :
o favoriser la masse critique = puissance
o émergence des réseaux de métropoles = services et lieux de décision
o ceci crée une fragilisation mais aussi une force. Cela nécessite un accompagnement des dynamiques territoriales mais implique une cohérence européenne
Exemples :
- auto et surcapacité industrielle
- aéro : Airbus et Boeing
2)La répartition des activités entre production, transformation, recherche, distribution, décision, financement, consommation, font que les qualités naturelles des territoires façonnées par l'histoire (géologie) ou la géographie sont remplacées par les qualités d'usages façonnées ou exigées par l'homme.
- fiscalité, environnement, qualité des services, etc.
3)Les technologies du transport des hommes, marchandises, communication ont imposé la gestion des flux, domicile-travail, etc...
4)La démographie, vieillissement mais aussi les exigences des usagers d'un territoire sont divers.
- le touriste veut un patrimoine naturel sans activités économiques
- l'industrie veut une qualité fonctionnelle et organisationnelle
- le retraité veut une qualité de vie
- Nous devons concilier :
. puissance proximité
. unité diversité
. conflits d'usage territoires
. usages dominants complémentarités
. mutations économiques stabilisation
. développement des potentialités réduction des faiblesses
. mobilité fixation
avec la question centrale de l'articulation Etat - local et de celle public - privé ;
et l'effet levier de l'argent public sur :
ole développement économique pour la création de richesses
ole développement de services pour la redistribution de celles-ci
- décentralisation :
Contrat entre l'Etat et les collectivités locales :
- responsabilité, citoyen, proximité : cf. 1er tour des élections présidentielles
- diminution des coûts, augmentation de l'efficacité du SP
-augmentation de l'attractivité, augmentation de la qualité de l'offre
- amélioration de la solidarité
Etat stratège, partenaire : équité, péréquation et subsidiarité
C'est précisément pour donner plus d'ampleur à cette dernière que nous sommes engagés dans la décentralisation et que nous attendons beaucoup de ce qui va se dire ici.
II - La France à l'heure de la décentralisation
Pour nous, la décentralisation devra conduire à une articulation entre l'Europe, l'Etat et la Région = Contrat
D'abord, l'articulation entre l'Etat et la Région - ce que nous appelons ici le couple " Etat-Région " - permettant d'assurer plusieurs cohérences :
- celle de l'aménagement de l'espace national
- celle des réseaux de transport, de télécommunication, d'énergie etc
- celle encore du développement des ressources humaines
- la cohérence du développement économique en territorialisant les politiques sectorielles
- celle des équipements et des services publics
Ces cohérences ne peuvent être assurées que si sont transférées aux régions des compétences d'autorité organisatrice qui leur permettent de coordonner sur leur espace, compte tenu de leurs spécificités, les décisions relevant de l'aménagement du territoire national et à la définition desquelles elles auront participé.
Ces cohérences ne seront atteintes que si, dans le même temps, nous engageons une réforme de l'Etat qui, non seulement, donne une meilleure lisibilité aux citoyens des responsabilités de chacun, mais surtout permette d'éviter qu'à la fin du processus, le service rendu aux entreprises et aux ménages, soit de moins bonne qualité et coûte plus cher !
Cette question financière est centrale pour nous qui constatons des menaces sur l'attractivité de la France et de ses territoires.
La question de l'attractivité et de la complémentarité a ressurgi avec l'annonce de l'élargissement de l'Union européenne.
Nous devons également, avec les collectivités territoriales, mieux organiser les services publics de proximité qui constituent aussi un élément d'attractivité et, bien entendu, de confort pour nos concitoyens; proximité d'accès au service public et non forcément proximité de traitement, mais rapidité et qualité de ce dernier. De ce point de vue nous avons beaucoup à apprendre de ce qui se passe dans les autres pays et beaucoup à apprendre de l'organisation des services dans le secteur privé.
Délai, sécurité juridique et technique.
III - L'Europe : nouvelle frontière de l'aménagement du territoire
La nature du développement économique contemporain, la place qu'occupent d'ores et déjà dans la vie de notre pays les directives et les règlements européens et le prochain élargissement de l'Union Européenne obligent, bien évidemment, à repousser les frontières de notre réflexion.
La recherche d'une cohérence franco-française n'aurait, en effet, qu'un faible impact sur le développement de la France si, parallèlement, nous ne poursuivions pas cet objectif au plan européen.
Je rappelle, ici, que le territoire de l'Union va s'agrandir en mai 2004 d'environ un tiers, que sa population va augmenter de près de 30 % tandis que son PIB ne s'accroîtra que de 5 %. C'est dire les inégalités de développement régional qui marqueront l'Europe prochainement.
C'est consciente de cette situation que la France a choisi de faire entendre sa voix en transmettant à Bruxelles un mémorandum par lequel, dans un esprit de solidarité, elle donne la priorité aux pays et aux régions les plus en retard de développement et qui sont appelés à recevoir la majeure partie des fonds structurels.
La France souhaite que le taux d'éligibilité régional reste fixé à 75 % du PIB, sans préjudice des dispositions concernant les régions ultrapériphériques.
Mais, parallèlement, elle plaide pour le renouvellement de la politique communautaire pour les autres régions. Cette politique contribuera à une plus grande cohésion de l'Union et à une plus forte lisibilité au quotidien de l'Europe dans nos territoires.
Bien que l'aménagement du territoire ne soit pas une compétence de l'Union Européenne, il convient que l'Europe prenne plus largement en compte l'impact spatial de ses politiques sectorielles.
Le schéma de développement de l'espace communautaire - SDEC - établi en 1999 puis le deuxième rapport sur la cohésion de janvier 2001 ont abordé la question de la cohésion territoriale à laquelle la France attache beaucoup d'importance.
Nous sommes, notamment, sensibles au déplacement du centre de gravité de l'Union élargie vers l'Europe médiane et soucieux d'en rééquilibrer l'influence vers la Méditerranée.
Nous prendrons part aux efforts de l'Union, en particulier, en encourageant la coopération des régions qui à l'ouest, sur la façade atlantique, au sud, sur le pourtour méditerranéen, et au centre, autour du massif alpin, ont des intérêts et des ambitions communs.
La récente catastrophe du Prestige, au large des côtes portugaises et espagnoles, montre à quel point une coopération apparaît nécessaire entre les régions concernées par la protection du littoral. Mais ces coopérations ne doivent sans doute pas être que défensives. Les domaines des infrastructures, des équipements, de la formation, de la recherche ou encore du développement économique constituent un champ de coopération très vaste de nature à contribuer à la cohésion du territoire européen.
IV - Conclusion
Beaucoup d'autres thèmes sont inscrits au menu de cette deuxième édition des " Entretiens internationaux " : le rôle des régions dans le développement économique, la place de la société civile dans les débats qui nous occupent.
Je me félicite que sur tous ces sujets nous puissions débattre de nos expériences, de nos doutes et de nos succès.
Je voudrais pour terminer cet exposé faire quelques mise en garde qui s'adressent prioritairement à nous, Français.
La recherche de la cohérence, et le rôle éminent qui revient à l'Etat pour garantir la cohésion de notre pays ne doivent pas déboucher sur plus d'Etat, plus de règlements et, finalement moins de décentralisation.
Je suis sûr que mes compatriotes qui sont dans cette salle apprécieront ce que je veux dire !
Mais ce qui est vrai pour l'Etat peut l'être pour les collectivités demain titulaires de nouvelles compétences.
Libérer les initiatives dans un cadre de cohérence n'est pas un exercice facile. Il appelle une grande vigilance et une grande sagesse.
Il appelle un recentrage de l'Etat sur quelques préoccupations qu'il pourrait partager avec d'autres pays européens. Le développement durable, la société de l'information, le développement du fret ferroviaire participent sans doute de ce nombre limité de thèmes communs.
Il appelle une méthode de travail rigoureuse que je résumerai ainsi : la pédagogie des enjeux et celle du débat tant il est vrai qu'il n'est pas de politique ambitieuse sans l'adhésion de citoyens éclairés à ses finalités et à ses moyens. Aussi importante soient-elles, ces phases doivent néanmoins systématiquement être orientées vers la prise de décision et la mise en uvre opérationnelle - l'action.
L'année dernière, à cette même tribune, en qualité de Président de l'Association des Maires de France, j'évoquais ainsi quelques principes de l'action publique : pédagogie, débat, décision, mise en action du programme en associant les citoyens.
Je n'étais alors pas encore Ministre et le débat portait sur l'environnement.
Plus que jamais à l'heure de la nouvelle étape de la décentralisation, à l'aube d'une nouvelle ouverture de l'Europe, ces mots doivent être pour nous tous ceux d'une démarche de projet conduite avec détermination.
Volonté politique :
- régulation, droit et sécurité des investissements
- régulation territoriale
Je vous remercie.
* Seul le discours prononcé fait foi.
(source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 23 janvier 2003)