Extraits d'une interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à France 3 le 24 octobre 1999, sur le prochain cycle de négociations commerciales multilatérales et la réforme des institutions communautaires.

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Média : Emission France Europe Express - France 3 - Télévision

Texte intégral

Q - Monsieur Moscovici, bonsoir. Vous êtes on le sait le ministre délégué aux Affaires européennes. Vous savez que désormais "France Europe Express", notre émission du dimanche soir, se déroule en trois temps. Vous serez donc interpellé en guise de récompense par William Abitbol, député européen, souverainiste comme Astérix, puisqu'on a tous lu dans "Le Journal du Dimanche" aujourd'hui que vous considérez qu'Astérix est souverainiste. Peut-être vous demandera-t-il pourquoi mais en tout cas, je suis sûre qu'il s'en réjouit. Il est, comme vous le savez, très proche de Charles Pasqua et Nicole Fontaine est à Nice en duplex avec nous. Merci Madame la Présidente. Je sais que vous avez bravé les intempéries pour nous rejoindre. Monsieur Moscovici tout de suite votre réaction à l'accueil somptueux réservé par la France au président chinois, Jiang Zemin.
R -La Chine est un très grand pays, c'est une banalité que de le dire. C'est un pays qui joue un rôle de plus en plus important dans les relations internationales et un pays qu'on doit intégrer davantage dans les relations internationales. Je pense, par exemple, à son entrée dans l'Organisation mondiale du Commerce, parce qu'il faut que la Chine s'ouvre, et que la Chine joue tout son rôle. Donc il y a une politique...
Q - Il faut qu'elle s'éveille.
R - Elle est éveillée depuis un certain temps maintenant. Oon disait : "quand la Chine s'éveillera..." La Chine est là, elle compte. Donc il est logique que la France ait une politique d'amitié avec la Chine. Cela ne date pas d'ailleurs d'hier.
Q - D'amitié ou d'effusion.
R - D'amitié. Le président de la République a aussi un tropisme, un goût, une affection particulière par rapport à la Chine et c'est vrai qu'il y a donné une inflexion, disons forte, et qu'il a souhaité que cet accueil soit à la fois fort.
Chacun peut avoir son sentiment par rapport à cela. Ce qui importe c'est qu'on réserve un accueil fort à la Chine, d'une part. Et d'autre part, aussi, qu'on lui dise son fait sur un certain nombre de sujets, comme les Droits de l'Homme, et c'est ce qui m'importe bien plus que tel ou tel cadre de réception qui regarde en l'occurrence le président de la République.
On connaît la position de la France par rapport au Tibet. On sait aussi notre souhait que, dans ce pays, on puisse pratiquer la liberté religieuse. On sait que cette religion aujourd'hui est opprimée, menacée et en même temps, si on devait à chaque fois poser la question tibétaine comme un préalable avec les relations avec la Chine, - cela fait plus de 40 ans que cela dure -, ce serait compliqué. Mais ce qui importe c'est qu'on évoque ces questions, c'est qu'on parle franchement avec les Chinois et c'est ainsi qu'on les fera bouger.
Q - L'ancien préfet de Vichy, Maurice Papon, ne désarme pas, et compte saisir dans les prochaines semaines la cour européenne des droits de l'homme. Papon le sait, l'obligation française de se constituer prisonnier la veille de l'examen d'un pourvoi en cassation est une procédure pénale condamnée par Strasbourg. On ne peut être emprisonner avant d'avoir jugé. La Cour a sanctionné la France sur ce motif par trois fois déjà depuis 93. Pour Strasbourg, notre pays ne donne pas droit à un procès équitable et un accès au tribunal, deux droits garantis par l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme de 1950, mais les juges de Strasbourg ne rejugerons pas l'affaire Papon sur le fond. Ce recours sera même symbolique même si dans 5 ou 6 ans, Papon pourrait peut-être obtenir des dommages et intérêts de l'Etat français.
Je précise tout de suite que la Cour européenne des Droits de l'Homme n'a rien à voir, Monsieur le Ministre, avec l'Union européenne, mais tout à voir avec le Conseil de l'Europe et donc ce n'est pas la juridiction de l'Union européenne qui, elle, s'appelle la Cour de Justice.
Et est-ce que cette disposition n'est pas choquante ?
R - Mme Guigou, le garde des Sceaux, a manifesté son désir de résorber, de réduire les difficultés, qui pouvaient se poser à ce sujet afin de se mettre en conformité avec cette exigence des Droits de l'Homme, afin aussi d'être efficace et d'éviter cette situation absolument absurde...
Q - Cela a été fixé ? Il y a un calendrier pour cela ? Non ?
R - Franchement, cette affaire vient d'arriver, mais elle provoque l'indignation, la réprobation.
Q - Mais quand vous avez appris ce soir-là effectivement la fuite de M. Papon, vous, Pierre Moscovici, qu'est-ce que vous avez pensé à ce moment-là ? Vous avez dit mais au fond d'où vient la responsabilité ? Est-ce que la police qui n'a pas bien fait son travail ? La justice ? Si au fond les renseignements généraux n'avaient pas bien fait ce travail, où en serait-on peut-être ce soir, qu'est-ce que vous pourriez dire ce soir ?
R - Ne disons pas une chose et son contraire : que c'est injuste d'emprisonner alors qu'on ne l'a pas jugé, et en même temps qu'il est scandaleux que quelqu'un soit en fuite alors que justement il a été jugé. J'ai ressenti d'abord de l'indignation, de l'écoeurement par rapport au comportement invraisemblable de Maurice Papon qui méprise le devoir de mémoire, et qui finalement insulte les victimes de la Shoah. C'est d'abord ce que j'ai ressenti. Ensuite comme tous les Français, je me suis interrogé. Mais nous vivons dans un Etat de droit, et dans cet Etat de droit, premièrement la justice est indépendante, et donc le garde des Sceaux ne pouvait rien par rapport à la décision qui avait été prise de le laisser en liberté et puis deuxièmement, nous ne sommes pas dans un Etat policier.
Dans cette affaire-là, je crois que ce qui compte, c'est effectivement de respecter l'Etat de droit et éventuellement d'adapter l'Etat de droit, de le faire au niveau français, de le faire aussi au niveau européen, car si on a pu résoudre le problème aussi vite, c'est d'une part parce qu'effectivement la police a bien fait son travail, les renseignements généraux et d'autre part, parce que nous avions avec la Suisse un accord de réadmission, qui permet de faire réentrer les personnes expulsées.
Q - Le Premier ministre a quand même téléphoné à son homologue suisse.
R - C'était nécessaire. Comment s'en plaindre ?
Q - Ce n'est pas européen cela.
R - Si.
Q - Pas communautaire.
R - Pas communautaire mais c'est européen. Il est très important que nous ayons des accords d'extradition ou de réadmission avec toute une série de pays. C'est parce que nous avons ces accords-là que nous avons pu récupérer, si j'ose dire, M. Papon aussi vite, notamment parce qu'il avait usurpé une autre identité en Suisse.
Mais sur le fond, j'y vois quand même la nécessité d'un progrès de la justice européenne. Vous savez il y a une semaine il y a eu un Conseil européen, un sommet des chefs d'Etat et de gouvernements, consacré justement à ces sujets-là..
Q - Au droit d'asile. L'espace judiciaire.
R - L'espace judiciaire. En la matière, je voudrais souligner deux choses. On pourrait faire en sorte de mieux reconnaître les décisions des juridictions qu'elles soient pénales ou civiles dans d'autres pays. Par exemple, les Anglais ont proposé un jour de supprimer l'extradition entre les pays européens. C'est compliqué, cela prendra du temps, mais pourquoi pas. Là, c'est...
Q - Vous y seriez favorable vous ? On avait cru comprendre que la France n'y était pas favorable...
R - Pas sans réserve, pas tout de suite. Il y a des problèmes d'harmonisation, mais effectivement il s'agit de faire en sorte que le même droit s'applique partout et que notamment les décisions, qu'elles soient importantes ou qu'elles soient plus privées, familiales par exemple comme des problèmes de divorce, avec des gardes d'enfants...
Q - Ce n'est toujours pas résolu, notamment entre la France et l'Allemagne.
R - Absolument. En principe on va y arriver et notamment on va y arriver d'ici la fin 2000 sous la présidence française. Et puis il y a une deuxième idée à laquelle nous devons réfléchir : c'est l'idée d'un parquet européen qui pourra justement engager des poursuites au niveau européen pour que le droit soit applicable partout et surtout pour éviter que des situations de ce type, choquantes, car c'est quand même cela le plus important, se reproduise. Donc, qu'on puisse combattre cela à la source en quelque sorte. Plus d'Europe en matière de justice, de sécurité, de liberté, et c'est un des apports de ce Conseil européen la semaine dernière.
Q - Oui, mais enfin il n'y a pas de droit d'asile européen ?
R - Nous ne souhaitons pas qu'il y ait un droit d'asile européen, mais nous souhaitons qu'on harmonise les droits d'asile en Europe autour de la convention de Genève parce que nous avons de la chance finalement. Nous avons une des législations les plus progressistes en la matière. Nous ne voulons pas d'une harmonisation par le bas. L'Europe cela ne doit pas être effectivement des abandons de souveraineté qui interdisent qu'on remplisse ses fonctions nationales surtout quand on a une législation plus forte. Cela doit être de l'harmonisation mais par le haut en matière judiciaire, en matière juridique, en matière pénale, en matière d'asile, en matière d'immigration aussi, et c'est un peu ce qui a été l'esprit de...
Q - Mais cela voudrait dire éventuellement que nous qui faisons plutôt exception en Europe, nous devrions abandonner. Cela fait partie du débat sur la réforme de la justice en France, le système du parquet et des procureurs, pour aller vers un système plus conforme à ce qui se passe dans le Nord de l'Europe ?
R - Je soulève une pierre, je soulève un débat. Je dis simplement qu'il me semble que là il y a une logique, une cohérence dans laquelle on va s'engager d'abord par de l'harmonisation, car je suis contre les systèmes uniformisateurs, uniformes au départ, mais petit à petit par une démarche gradualiste. Je crois qu'on va être effectivement à même de créer un espace de liberté, de sécurité, de justice en Europe, et je pense qu'on ne peut pas aujourd'hui traiter ces problèmes au niveau d'un seul pays. On le voit bien : le crime organisé est de plus en plus mondialisé. Le blanchiment de l'argent est un problème au moins européen. Les centres offshore, ceux qui mettent en place des sociétés écran pour recycler l'argent du crime, tout cela c'est au moins européen. On ne peut pas lutter contre cela au niveau d'un pays. Donc, n'édifions pas de ligne Maginot. Tâchons au contraire de bâtir un espace dans lequel on ait les mêmes droits, les mêmes devoirs et des polices, des justices qui travaillent ensemble.
J'ai été parlementaire européen...
Q - Assidu ?
R - Pas assez. J'essaie de me rattraper maintenant, pas comme parlementaire, comme ministre, mais je fais partie de ceux qui pensent que le parlement a un rôle extrêmement important, et sa présidente aussi. Le parlement a vu s'accroître ce rôle considérablement notamment en devenant le co-législateur, par la codécision sur la plupart des textes législatifs, les directives que prennent les ministres et les chefs d'Etat et de gouvernement réunis soit au Conseil, soit au Conseil européen. Et ce rôle est maintenant absolument fondamental. La présidence française de l'Union européenne parce que la France va présider l'Union européenne au second semestre 2000...
Q - Au second semestre de l'année prochaine.
R - ... Est disposée à travailler pleinement avec le Parlement. Le ministre que je suis, je connais déjà mon calendrier, j'irai 32 fois au Parlement européen pendant ces quatre mois, donc nous verrons beaucoup Madame la Présidente.
Mais si la question est d'augmenter encore tout de suite les pouvoirs du Parlement européen, là je m'interroge davantage et je me demande si on ne doit pas passer par une phase, comment dire, un peu de digestion de ce pouvoir considérable, d'autant que c'est vrai aussi, il y a eu beaucoup d'abstentions lors des élections européennes de juin. Sur le deuxième point l'OMC...
Un très bref mot sur l'OMC pour dire qu'il revient au commissaire européen qui d'ailleurs est français Pascal Lamy, qui va négocier à Seattle, à mon sens...
Q - Ca y est tout le monde est d'accord sur le mandat, maintenant, exception culturelle, les droits sociaux....
R - Et je crois que c'est extrêmement bien. Nous allons faire respecter la diversité culturelle, les droits sociaux, les normes environnementales.
Q - Comme vous parlez de cela, j'interviens parce que justement dans le langage diplomatique français il y a eu un changement fondamental. On est passé de l'exception culturelle à la diversité culturelle. Y a-t-il une raison pour laquelle on a changé de mots ?
R - On n'a pas changé de mot au niveau...
Q - Si, vous avez changé de mot. On entend Jacques Chirac, on entend Lionel Jospin, on vous entend parce que vous avez fait une interview dans la presse récemment sur cette question, vous parlez de diversité culturelle. Je suppose que ce n'est pas du tout l'effet du hasard.
R - Si on se place au niveau européen, nous avons toujours parlé de diversité culturelle et dans le langage, de l'Organisation mondiale du commerce, l'exception culturelle, cela n'existe pas. Au niveau politique, je vous parle hier et aujourd'hui de la même chose, c'est-à-dire de l'exception culturelle, c'est-à-dire du fait qu'on ne peut pas considérer que la culture, l'audiovisuel sont des biens et des marchandises comme les autres et qu'elles ne doivent pas faire l'objet d'une libéralisation, qu'on doit pouvoir garder en Europe des politiques de réglementation, de soutien à notre industrie européenne ou à notre industrie nationale. Hier, j'étais aux rencontres cinématographiques de Beaune et j'ai pu voir que les artistes, toute cette profession de réalisateurs par exemple, étaient extrêmement mobilisés là-dessus et l'exception culturelle au sens où on l'entendait hier, sera protégée aujourd'hui...
Q - Oui, mais est-ce que ce n'est pas à la demande de nos partenaires européens que, pour arriver à un mandat commun, on a changé le mot ?
R - Mais soyons quand même aussi logiques. L'Europe est ce qu'elle est. Nous ne sommes pas tout seuls.
Q - C'est du consensus.
R - C'est un compromis. Et la France par rapport à cela a une position plus en pointe aussi parce qu'elle a une tradition
Q - Globalement, quels sont les thèmes qu'on doit exclure pour Seattle justement, vu du gouvernement français.
R - A mon sens, la totalité de ce qui concerne la culture et l'audiovisuel ne peut pas faire partie d'une libéralisation.
Q - Il n'y a pas d'autres secteurs ?
R - On veut aussi progresser parce qu'il y a ce qu'on appelle les intérêts défensifs, protéger notre Politique agricole commune...
Il y a aussi des intérêts offensifs, par exemple faire en sorte qu'il y ait plus de normes sociales, plus de normes environnementales au niveau de l'OMC. Mais je vais répondre à Madame Fontaine, sur la question fondamentale qu'elle a posé de l'équilibre des institutions européennes. Moi contrairement à vous, Madame la Présidente, je ne suis pas favorable à une constitution européenne, je précise pour le moment. J'ai lu cette semaine, le rapport transmis à la Commission, le rapport Dehaene, rapport des sages qui ne m'a pas paru aussi sage peut-être qu'on l'aurait souhaité...
Q - Donc vous êtes d'accord pour faire ces réformes avant l'élargissement.
R - Voilà. C'est là où est la contradiction. Il faut faire les réformes vite. Il faut les faire avant l'élargissement et donc, il faut les faire pendant l'année 2000. Je suis ministre, donc je suis un praticien de la chose, je présiderai avec Hubert Védrine la Conférence intergouvernementale et je vois qu'il y a certains pays, prenons l'Espagne, prenons le Portugal, prenons les pays scandinaves qui trouvent que déjà ce qu'on veut y mettre, c'est trop. Si d'un autre côté la Commission et le Parlement disent "chargeons la barque", alors les choses sont simples, nous n'y arriverons pas en l'an 2000. Les résultats pratiques, ce sera que l'élargissement sera pour beaucoup plus tard. Alors, certains peuvent le souhaiter, ce n'est pas du tout mon cas, et c'est pour cela que je plaide pour des réformes simples, pratiques, efficaces, qui vont permettre à l'Europe de marcher mieux...
Q - La majorité qualifiée.
R - Qui sont au nombre de trois, que le nombre des commissaires soit fixé...
Q - L'extension.
R - Qu'on étende le champ de la majorité qualifiée et là on va retrouver, Madame, le Parlement européen puisqu'il est absolument logique que dans ces matières-là, on étende la codécision et le Parlement sera de plus en plus puissant en la matière, dans ce rôle de législateur...
Q - Et la pondération des votes.
R - Et qu'on pondère les votes de telle sorte...
Q - Entre les petits et les grands.
R - Il faut peut-être expliquer la pondération des votes. Chaque pays a un certain nombre de voix dans le cadre du Conseil des ministres où l'on vote, et c'est vrai qu'aujourd'hui les grands pays sont proportionnellement moins bien représentés que les petits. Et si on veut que demain l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, l'Italie, l'Espagne soient ensembles encore le coeur de l'Europe, il faut repondérer.
Q - Surtout quand on sera 27 parce que...
R - Surtout lorsqu'on sera 27.
Q - Parce qu'il y a toutes sortes de petits pays
R - Absolument. Je suis favorable à l'élargissement.
Q - Une question également sur ce calendrier de l'élargissement, est-ce qu'on peut aujourd'hui le fixer, est-ce qu'on doit le faire, et en tous cas est-ce qu'on doit attendre cette fameuse réforme des institutions dont vous parliez tout à l'heure ?
R - Mais ce que je voulais dire tout à l'heure, c'est qu'il y aurait quelques contradictions, c'est pour cela que je n'ai pas apprécié autant que j'aurais aimé le rapport des sages, il y aurait quelques contradictions à vouloir dire "faisons toute de suite une Constitution européenne et en même temps faisons l'élargissement vite" car on sait très bien d'une part, que nos partenaires n'y sont pas prêts et d'autre part, que nos opinions n'y sont pas prêtes. Si on parle de Constitution européenne, c'est-à-dire si on dit il y a des textes qui existent, il y a un équilibre des pouvoirs, on va ajouter une Charte des droits fondamentaux, et je suis très favorable à cette charte, je suis à ce que le Parlement y travaille. Là, on bâtit quelque chose qui ressemble à un bloc de constitutionnalité comme on dit dans le droit interne français mais une Constitution européenne sortie un peu comme cela de la cuisse de Jupiter...
Mais c'est de cela dont parle la Commission. La Constitution européenne pour ceux qui sont ultra-fédéralistes, c'est l'idée d'un grand texte qui prenne en compte l'ensemble des institutions, qui les refondent, qui soit extraordinairement ambitieux, mais qui en même temps irait trop vite. Je maintiens qu'en l'an 2000, ce que nous pouvons faire, ce sont des réformes simples, pratiques. Essayons d'aller le plus loin possible, mais soyons d'abord réalistes, préparons l'Union européenne à s'élargir, mais en même temps faisons en sorte qu'elle continue à respecter les nations et c'est un peu l'esprit qui nous animera dans la Conférence inter-gouvernementale. Je suis sûr que là dessus on trouvera un accord avec le Parlement européen qui saura être le porteur de la raison à la fois du coeur européen, mais aussi de la raison.
Questions de M. William Abitbol, député européen
Good evening Monsieur Moscovici.
R - Bonsoir Monsieur Abitbol.
Q - You are the french minister of european affairs, aren't you ?
R - Je suis le ministre français des Affaires européennes, mais je crois que vous parlez bien français.
Q - Si j'ai choisi de commencer le débat comme ça, c'est que nous sommes très inquiets, Charles Pasqua au premier chef, mais tous les députés européens. Nous nous sommes d'ailleurs ouverts avec une certaine franchise, quoiqu'en puisse dire Madame Fontaine de l'abandon progressif et maintenant accéléré du français et des différentes langues, au profit de l'anglais dans les institutions européennes au point qu'au train où vont les choses il va bientôt falloir introduire dans le code électoral, la nécessité de connaître l'anglais pour être candidat au moins au Parlement européen, les institutions nationales c'est peut-être encore un peu tôt. Alors moi ce que je voudrais savoir, pour commencer, c'est, vous parlez de réforme des institutions on en parlera tout à l'heure, on reviendra sur l'OMC, mais le premier point, qu'est-ce que cette Europe qui devient ce pudding, la preuve du pudding disent les Anglais, c'est qu'on le mange, ce pudding un peu indigeste dans lequel la diversité, pour ne pas parler de l'exception des différents pays européens est aujourd'hui totalement uniformisée au profit d'une seule langue ? Alors avez-vous l'intention dans les prochains sommets de mettre ce sujet sur le tapis, car ça va à une vitesse que vous n'imaginez même pas ? D'ailleurs pardonnez-moi mais je m'aperçois que vous même utilisez l'anglais de façon maintenant presque je ne dis pas courante mais en tous cas assez fréquente dans vos expressions.
R - Je pense que nous sommes dans une société comme on dit et une économie mondialisée, où il est vrai qu'il y a une langue véhiculaire, on peut le regretter qui est l'anglais. Claude Allègre...
Q Vous auriez dû faire "trader" pas ministre.
R - Je n'ai jamais voulu faire "trader" parce que j'ai toujours cru à la fois au service public, au service de mon pays, et puis aussi à la cause politique, je crois que c'est quelque chose que nous partageons. Cela ne m'a jamais intéressé et donc c'est hors de propos. Mais ce que je voulais dire... Claude Allègre avait déclaré une fois, ça avait choqué, que l'anglais n'était pas une langue étrangère. La formule était osée, mais il y avait derrière cela quelque chose de vrai. Mais pour le reste, pour ce qui concerne l'Europe, là je vous rejoins complètement. Depuis le début, il y a une langue de travail dans l'Europe qui est le français et depuis que les Britanniques nous ont rejoint il y en a deux, c'est-à-dire le français et l'anglais.
Q - Exactement oui.
R - Et croyez que nous refusons complètement en tant que gouvernement qu'on remette en cause le plurilinguisme, c'est-à-dire la capacité pour chacun de pratiquer et d'utiliser sa langue dans l'Union européenne et deuxièmement qu'on touche au français. Nous avons un débat avec nos amis allemands. Nos amis allemands aimeraient bien faire en sorte que l'allemand devienne une troisième langue. Ils disent que si vous ne faites pas ça, à ce moment ce sera l'anglais. Nous sommes en désaccord avec eux. Nous nous battrons pour...
Q - Tous les journalistes qui travaillent à Bruxelles le savent, et je suis assidu, donc je sais ce qui s'y passe, disent que les déclarations de M. Prodi à la presse sont en italien et en anglais.
R - Demain il y a une réunion des ministres des sports, réunion informelle, donc qui se déroule en Finlande. On nous a dit là-bas que la langue parlée serait l'anglais. A ma connaissance Mme Buffet a décidé de ne pas y aller...
Q - Elle a bien fait.
R - Parce qu'on ne peut pas accepter effectivement on nous impose l'anglais. Et soyez sûr que le gouvernement français sera extrêmement ferme là-dessus.
Q - D'autant plus que le français est la langue du mouvement olympique, je vous le rappelle.
R - Absolument. Je pourrais vous rejoindre. Je dirais qu'il peut y avoir deux langues dans l'Union européenne, le français et l'anglais mais s'il ne devait y en avoir qu'une, ce serait le français. J'espère que vous êtes d'accord avec moi là-dessus.
Q - Non je suis moins souverainiste que vous là-dessus d'ailleurs. Je pense que tous les pays européens...
R - Je prends cela comme un compliment.
Q - Tous les pays européens ont leur propre culture, leur propre nature. Le français a effectivement quelque chose de plus. Ce n'est pas la langue des Français, le français, ce n'est même pas la langue des francophones. Le français, c'est la langue des Droits de l'Homme, c'est la langue qui véhicule une vision du monde différente de la vision anglo-saxonne. C'est visible dans le domaine économique où l'intérêt très important de se battre sur le français dans les matières économiques. C'est là où il faut se battre justement, c'est parce qu'il est abandonné. A l'AFP on le sait très bien. Aujourd'hui la Banque centrale, j'ai vu M. Noyer un jour qui est venu s'exprimer devant le Parlement européen en anglais.
R - Je trouve choquant qu'un haut fonctionnaire français, fut-il dans une instance européenne, s'exprime au Parlement européen dans une langue qui n'est pas la sienne. Je crois que là-dessus, nous pouvons être d'accord.
Q - Vous, vous êtes ministre, pas moi, donc il faudrait un peu bouger quand même.
R - Monsieur Abitbol, je voulais vous assurer que le gouvernement français bougeait et voulait faire respecter, fait respecter de façon extrêmement ferme, la place du français dans les institutions européennes.
Je pense pour ma part qu'il faut faire une Europe qui marche, qu'il faut faire une Europe qui soit élargie, qu'il faut faire une Europe citoyenne, une Europe démocratique et une Europe qui soit économiquement efficace tout en étant socialement juste. Et c'est vrai que nous avons fait une campagne non pas eurosceptique, mais euroréaliste. Nous avons dit que nous voulons faire l'euro et nous l'avons fait, mais à certaines conditions, par exemple que cet euro ne soit pas surévalué, il ne l'est pas ; par exemple que cet euro soit large et que l'Italie soit là, elle l'est et on s'en réjouit. Que nous ajoutions à cela un pacte pour l'emploi, nous sommes en train de le faire...
Q - Monsieur Moscovici, on n'a pas fait l'euro à une condition. Il se trouve que l'euro n'est pas surévalué à l'heure actuelle parce que le dollar a monté. Vous ne l'avez fait à aucune condition puisque vous ne connaissiez pas plus que personne l'évolution de l'euro depuis le premier janvier.
R - Vous savez très bien...
Q - Depuis l'euro a baissé, ce qui a donné de l'oxygène aux économies et vous en bénéficiez. Je m'en félicite non pas que vous en bénéficiez mais que les économies en bénéficient.
R - Monsieur Abitbol, si nous avions fait un petit euro, c'est-à-dire une monnaie autour de ce qu'on appelait le noyau dur, quatre ou cinq pays ayant des monnaies fortes, alors l'euro serait beaucoup plus évalué. C'est parce que justement nous avons fait un euro pluraliste, un euro large, que nous avons inclus dedans...
Q - Vous trouvez l'euro pluraliste vous ? Vous n'êtes pas exigeant sur le pluralisme.
R - C'est parce que nous avons inclus dedans des monnaies qui sont moins fortes traditionnellement comme l'Italie par exemple ou l'Espagne, que l'euro a une base qui est plus équilibré et donc il n'est pas surévalué, c'est logique.
Q - Moi je m'en félicite qu'on ne soit pas surévalué. Mais je suis au Parlement et il se trouve que par une espèce, comment dire, de loterie locale je me suis retrouvé vice-président d'une commission économique et monétaire...
R - Dont j'étais membre oui.
Q - Donc j'entends beaucoup parlé de l'euro, du pacte de stabilité, une espèce de table de la loi intangible, irréversible, m'a-t-on dit...
R - Mais qui en ce moment n'est pas appliqué parce que justement la plupart des pays estiment que mener une bonne gestion est compatible avec la politique européenne.
Q - On verra, l'euro a six mois là, il est encore un peu jeune. Neuf mois disons. C'est encore un peu jeune pour qu'on puisse préjuger de la façon dont il sera gérer par la banque centrale.
R - Ne soyez pas pessimiste. La Banque centrale européenne à l'heure actuelle gère mieux l'euro que la Bundesbank hier.
Q - Un pessimiste est un optimiste bien informé.
R - On peut dire cela. Un optimiste est un pessimiste qui se soigne.
Q - Oui, alors, je ne me soigne pas encore assez. Alors parlons de l'avenir. Vous parliez de la CIG, tout à l'heure. La CIG, c'est-à-dire la conférence qui va décider l'an prochain, vous dites l'an prochain, donc sous présidence française, j'imagine qu'il va y avoir un peu d'émulation dans la cohabitation sur le sujet, va donc décider d'élargir le vote à la majorité qualifiée, c'est-à-dire au fond d'abandonner ce qu'on appelait le compromis de Luxembourg, c'est-à-dire le droit de veto des Etats.
R - Pas du tout.
Q - Non, on gardera le droit de veto.
R - Absolument.
Q - Vous vous y engagez ?
R - Nous pensons que dans toute une série de domaines si on veut avancer. Par exemple, la fiscalité...
Q - L'Etat est juge de son intérêt propre. Il n'y a pas de domaine...
R - Permettez, je vous ai laissé terminer, laissez-moi terminer aussi. La fiscalité, si on veut être capable justement d'éliminer...
Q - Vous ne prenez pas de risque là-dessus...
R - Si on veut être capable d'éliminer les paradis fiscaux, alors il faudra voter à la majorité qualifiée en matière fiscale. Mais le compromis de Luxembourg ce n'est pas ça. Vous savez très bien que le compromis de Luxembourg, on ne s'en sert pratiquement jamais..
Q - Hélas !
R - Qu'on ne s'en ait pas servi depuis 1992...
Q - Hélas !
R - Justement à propos des accords commerciaux à l'époque dits "Blair House", ou un petit peu avant, et donc le compromis de Luxembourg, signifie que quand un pays estime que ses intérêts vitaux sont en cause alors il bloque. Cela restera toujours un accord non écrit comme vous le savez. C'est une sorte d'accord sur le désaccord.
Q - Mais qui est juge des intérêts vitaux d'un pays ? Le pays lui-même.
R - Lui-même...
Q - Bon, donc il y a le droit de veto.
R - C'est donc le président de la République, le gouvernement qu'il représente, absolument.
Ce qui compte c'est que la majorité qualifiée soit étendue pour pouvoir décider mieux parce que par contre droit de veto quand c'est très important, c'est bien, mais si on bloque tout le temps, si on essaye d'être seul, là pour le coup on est dans le village gaulois et c'est pour ça que je disais qu'Astérix était un peu souverainiste.
Q - Astérix oui, sans doute était-il souverainiste, de Gaulle l'était. Jeanne d'Arc... C'est drôle cette année il va y avoir Astérix, de Gaulle, Jeanne d'Arc, le film de Besson.
R - Oui.
Q - C'est quand même intéressant en cette fin de millénaire que la France se souvienne...
R - On peut avoir d'autres références.
Q - Oui, mais enfin celles-là sont pas mal.
R - Elles ne sont pas mal, mais ce n'est quand même pas mon tiercé.
Q - Parlons de l'OMC.
R - Il faut une organisation commerciale du monde parce que c'est paradoxal de combattre le libéralisme et de ne pas souhaiter qu'on organise le monde. Donc moi je suis d'accord avec le cadre de l'OMC, je souhaite qu'on avance dans ces négociations mais je souhaite qu'elles ne...
Q - Et cette Europe qui veut être la fille aînée de la mondialisation, cela vous convient ?
R - Qu'elle ne bride pas notre liberté et qu'elle ne fasse pas non plus obstacle à notre Politique agricole commune...
Q - C'est la France qui a tout à perdre. L'agriculture, les services, c'est la France qui a tout à perdre.
R - Nous allons les défendre.
Q - Nous ne devons pas négocier à Seattle. C'est une erreur absolue. D'ailleurs c'est Clinton qui a décidé Seattle. L'OMC c'est à Genève à ma connaissance. On va à Seattle, pourquoi, on se demande. Clinton en a fixé le tempo, trois ans...
R - J'ai utilisé hier une formule Monsieur Abitbol, j'espère que vous serez d'accord avec elle...
Q - J'espère.
R - A propos de la diversité culturelle, j'ai dit soyons intransigeants, mais soyons-le intelligemment, c'est-à-dire en négociant...
Q - Le mandat donné à la Commission je viens de le lire dit la Commission veillera à garantir la diversité culturelle...
R - Non pas la Commission.
Q - C'est déjà perdu Monsieur Moscovici quand on parle comme cela. C'est déjà perdu.
R - L'Organisation mondiale du commerce. Nous n'accepterons pas.
Q - L'Organisation commerciale du monde.
R - Ecoutez ces négociations commencent et nous n'accepterons pas qu'on revienne sur l'exception culturelle. Je vous en donne en donne l'assurance la plus formelle.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 octobre 1999)