Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
La loi de sécurité financière que je vous présente aujourd'hui est une réponse, à la fois politique et technique, à la crise de confiance dans les mécanismes du marché, et aux insuffisances de régulation dont le monde économique et financier a pris conscience depuis deux ans. Avant de revenir sur ses principales disposition, je voudrais rappeler le contexte dans lequel ce texte a été préparé, ses objectifs, la méthode qui a présidé à son élaboration, et l'esprit qui l'anime.
I) Le contexte, vous le connaissez, c'est une perte de confiance dans la sincérité des comptes des entreprises, dans les mécanismes de contrôle des comptes, bref une perte de confiance dans le fonctionnement même des marchés.
Le doute s'est installé dans les esprits suite aux graves irrégularités commises par Enron aux Etats-Unis, mises à jour à l'été 2001. D'autres irrégularités ont, sous une forme ou sous une autre, affecté les comptes de grandes entreprises dans le monde.
Depuis, et même si les événements géopolitiques jouent évidemment un rôle majeur, les bourses mondiales ont connu de fortes baisses, avec en France une chute de 34 % en 2002, et de près de 10 % depuis le début de l'année. Cette chute des marchés aura des incidences sur la croissance si elle perdure trop longtemps.
Les entreprises doivent pouvoir trouver sur les marchés les moyens de financer leur croissance, et l'épargne des Français, qui atteint des sommets historiques, doit pouvoir s'investir dans des emplois porteurs d'avenir. Il nous faut donc agir et restaurer la confiance de l'épargnant dans les mécanismes de marché.
Il est impératif de reconstruire le pacte de confiance dans l'économie de marché, qui est, comme Churchill le disait de la démocratie, le plus mauvais des systèmes à l'exception de tous les autres.
Il nous faut faire de cette crise une opportunité pour progresser.
II) La méthode ensuite. Ce projet de loi est le point d'aboutissement d'une réflexion que le Gouvernement a engagée dès son arrivée, en reprenant parfois pour les mener à leur terme des projets qui avaient connu une première conception sous le gouvernement précédent.
Nous avons, avec Dominique Perben, beaucoup consulté depuis l'été dernier. La société civile et les autorités publiques concernées ont été largement associées aux réflexions qu'elles ont enrichies de nombreuses propositions et contributions. Votre Haute Assemblée a également joué un rôle important dans le débat d'idées, par l'intérêt constant qu'elle a manifesté sur ces questions. Après avoir procédé à de très nombreuses auditions, vos rapporteurs ont complété ce processus itératif et ils proposent de clarifier ou d'améliorer le projet du Gouvernement sur des points importants. Je ne doute pas que nos débats permettront d'aboutir à une loi à la mesure des enjeux.
III) Quelques mots enfin sur l'esprit de ce projet de loi. Soyons clairs, quelle que soit son ambition, cette loi ne supprimera pas le risque, et c'est heureux, car le risque est un moteur nécessaire pour le mouvement de nos sociétés. Elle ne supprimera pas davantage la volatilité, qui est consubstantielle aux marchés financiers.
Ne nous racontons pas d'histoire : l'investissement dans des titres de sociétés cotées présentera toujours un aléa, car l'entreprise doit faire des paris sur l'avenir et il y a toujours dans cette aventure des accidents de parcours. Par contre, ce qui n'est pas acceptable, c'est que l'épargnant prenne des risques inconsidérés car fondés sur des informations fausses qui interdisent une appréciation juste des situations. Ce sont ces détournements de la règle du marché que la loi a l'ambition de limiter, autant que possible et autant que nécessaire.
Il est en effet de notre responsabilité de mettre en place les règles qui permettent d'atténuer la violence des chocs, de veiller à ce que les ajustements se produisent de manière plus graduelle grâce à une information financière transparente, fiable et contrôlée.
Le projet que nous vous soumettons propose de mettre en place les instruments permettant de lutter contre des comportements déviants. Mais il ne doit pas être une nouvelle ligne Maginot. La loi ne doit pas édicter des règles pointillistes : ce sont les plus faciles à contourner, nous ne le savons que trop depuis Enron. La loi doit édicter des principes clairs, et créer les conditions pour qu'ils soient respectés. Il faut un code de conduite pour renforcer la transparence et créer les conditions d'une pression du marché en faveur du respect des meilleures pratiques des entreprises, sans pour autant chercher à régenter leur organisation dans les moindres détails. Nous devons apprécier, point par point, ce qu'il est justifié de laisser au marché, ce qui peut être laissé à l'autorégulation des acteurs, mais aussi ce qui doit être régulé par les autorités.
Il faut ensuite renforcer les moyens de contrôler l'application de ces principes, c'est-à-dire disposer de gendarmes visibles et respectés. C'est un équilibre fragile car la soif de règles est d'autant plus grande que les contournements ont été importants, et la tentation de la réglementation tous azimuts reste forte dans notre pays.
IV) Venons-en au texte lui-même. C'est un texte long, 88 articles, cela traduit un retard certain à combler pour faire face dans les meilleures conditions aux défis d'aujourd'hui. Il s'articule autour de trois grandes idées : une surveillance des marchés renforcée, une meilleure protection des consommateurs et une démocratie actionnariale plus forte. Ces trois grands objectifs se déclinent dans les trois parties du projet de loi, qui ont donné lieu à deux rapports dont je veux souligner la très grande qualité : Philippe Marini, pour la Commission des finances, et Jean-Jacques Hyest, pour la Commission des lois, ont remarquablement mis en perspective ce projet de loi volumineux.
1. Renforcer la surveillance des marchés, c'est notre premier objectif. Pour cela, nous modernisons nos autorités de contrôle, qui jouent un rôle essentiel dans des matières très techniques où les enjeux sont considérables et où la réactivité doit être immédiate. Pour dissuader les comportements qui nuisent à l'intégrité des marchés, dans des matières financières où les enjeux sont tels que l'éthique est malheureusement parfois prise en défaut, il faut des autorités fortes. Les autorités de régulation jouent un rôle essentiel : elles permettent un nouveau mode d'exercice de la puissance publique, plus proche du terrain, plus légitime grâce à la présence de professionnels ayant une connaissance concrète des réalités. Grâce à elles, l'Etat peut assurer avec plus d'efficacité ses missions d'intérêt général, sous votre contrôle, et sous celui du juge.
Nous entendons donc donner à ces autorités une place déterminante dans la police des marchés et de ses acteurs.
La création de l'Autorité des marchés financiers, qui résultera de la fusion de trois institutions, la Commission des opérations de bourse, le Conseil des marchés financiers, et le Conseil de discipline de la gestion financière, était attendue depuis longtemps. Cette autorité aura une triple mission : la protection de l'épargne, l'information des investisseurs et le bon fonctionnement des marchés. Autorité publique indépendante, elle rendra notre système plus efficace, grâce à une capacité de contrôle accrue et à un mécanisme de sanctions rapide et sûr. Elle sera dotée de la personnalité morale, afin de pouvoir recruter ses collaborateurs librement, et pour bénéficier directement des ressources prélevées sur les opérateurs qu'elle contrôle. C'est une innovation dans notre paysage institutionnel, et cette première marque bien l'importance de la tâche qui lui est confiée. L'AMF sera la tour de contrôle vigilante de notre marché, et disposera de tous les moyens lui permettant d'agir avec fermeté et rapidité.
Mais, il faut aussi veiller à ce que les acteurs des marchés soient efficacement contrôlés. Dans le secteur de l'assurance, la coexistence de deux commissions de contrôle n'était pas un schéma idéal.
Le Gouvernement a donc souhaité la création d'une autorité de contrôle unique pour les entreprises exerçant un métier d'assureur, qu'elles soient mutuelles, institutions de prévoyance ou sociétés d'assurance, par fusion de la Commission de contrôle des assurances (CCA) et de la Commission des mutuelles et institutions de prévoyance (CCMIP). Ceci permettra de rationaliser nos structures et d'en augmenter l'efficacité, dans un secteur qui joue un rôle majeur dans nos économies. La spécificité du monde mutualiste doit naturellement être prise en compte dans cette nouvelle organisation, le projet du Gouvernement veille donc à l'équilibre et à la juste représentation des différentes sensibilités au sein de la nouvelle commission.
J'ajoute enfin que cette nouvelle autorité coopérera étroitement avec le superviseur du secteur bancaire, la Commission bancaire, car les problématiques communes à la banque et à l'assurance justifient de développer les échanges d'expérience.
Nous aurons donc désormais une autorité unique pour le contrôle des marchés, et deux autorités pour contrôler les acteurs, banques d'un côté, assurances de l'autre. Fallait-il aller plus loin et créer une seule autorité pour faire tout cela ? Je pense qu'il faut être pragmatique.
Les britanniques, suivis par les Allemands, ont fait le choix de l'autorité unique, alors que nous proposons de distinguer les autorités chargées respectivement du pôle marchés et du pôle prudentiel. C'est le choix qui me paraît aujourd'hui le mieux à même de renforcer la sécurité et l'efficacité de notre dispositif. Pour deux raisons principales :
- d'abord, parce que rassembler au sein d'une même entité le contrôle des acteurs et celui des produits présente l'inconvénient de mêler deux logiques de contrôle différentes et deux métiers dont les finalités sont opposées. La surveillance prudentielle vise, à partir d'une information confidentielle, à détecter le plus tôt possible les difficultés avant qu'elles ne soient rendues publiques. Ceci afin d'éviter les contagions de nature systémique et pour préserver, tant qu'elle peut l'être, la confiance des assurés et déposants dans une institution qui traverse des difficultés qui peuvent n'être que passagères. La régulation des marchés vise au contraire à ce que rien qui ne doive être rendu public ne demeure dans l'ombre. Les deux piliers de la régulation doivent s'équilibrer publiquement, voire se confronter. La réunion en une même instance des deux types de contrôle poserait le problème de la gestion interne de l'équilibre entre ces deux catégories de préoccupations ;
- ensuite, l'idée séduisante d'un "guichet unique" pose en pratique des difficultés importantes pour des structures lourdes à gérer, alors que l'objectif de limiter les formalités auxquelles sont tenus les professionnels peut aussi bien passer par une coopération renforcée entre les autorités. Les difficultés rencontrées dans certains pays qui ont fait le choix d'une autorité unique sont une illustration des limites de ce modèle.
Pour ces différentes raisons, le Gouvernement a choisi de regrouper les autorités de supervision des marchés au sein de l'Autorité des marchés financiers, et d'autre part de rationaliser nos structures dans le champ prudentiel, car c'est l'organisation qui correspond aujourd'hui le mieux à notre configuration nationale.
Enfin, les instances consultatives dans le secteur financier seront simplifiées, pour que les consommateurs et les professions financières disposent d'une enceinte de concertation unifiée. Le Comité consultatif du secteur financier procédera de la fusion de trois instances existantes.
En amont, un Conseil consultatif de la législation et de la réglementation financières sera chargé de donner un avis sur l'ensemble des textes relatifs au secteur financier. Il remplacera deux instances existantes.
Au total, nous aurons ainsi supprimé 6 autorités ou instances diverses pour mettre en place un dispositif plus efficace, plus réactif, qui permettra notamment de mieux faire entendre notre voix dans les enceintes internationales.
2. Venons-en au deuxième grand objectif du projet de loi : renforcer la protection des consommateurs, qui sont des épargnants et des assurés. Il s'agit de sujets en apparence très techniques, mais qui ont un impact souvent déterminant sur la vie de nos concitoyens. Je me limiterai aux deux principales dispositions de cette partie du projet de loi.
Le renforcement de la sécurité de l'épargnant implique la réforme de la législation sur le démarchage financier, qui date de 1972, et la création du statut des conseillers en investissements financiers. Ceci permettra de mieux contrôler des professions au contact de nos concitoyens dans des rapports de force déséquilibrés. Celui qui, à son domicile, fait l'objet de sollicitations sur des produits financiers plus ou moins sophistiqués, doit en effet bénéficier d'une certaine protection. Pour cela, les démarcheurs devront être enregistrés auprès d'une autorité publique, bénéficier d'une carte inscrite sur un fichier centralisé, accessible en permanence, et ils devront répondre à plusieurs obligations permettant de justifier la confiance des épargnants. Le nouveau dispositif repose sur trois principes simples : la responsabilisation des intervenants ; l'obligation d'une information complète et appropriée de la personne démarchée; la facilité des vérifications et des recours.
De même, les conseillers en investissement financier seront encadrés, mais plus légèrement puisqu'ils ne seront en aucun cas habilités à opérer directement des opérations financières pour le compte de leurs clients.
Deuxième innovation importante, la création d'un fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, pour combler un vide dans nos dispositifs de protection des assurés. Alors qu'il existe des fonds de garantie pour indemniser les clients des banques ou des compagnies d'assurance-vie en cas de faillite de l'une d'entre elles, il n'existe aujourd'hui en France aucun mécanisme analogue pour les entreprises d'assurance dommage. Or, lorsque ces assurances sont obligatoires, il n'est pas normal que le particulier qui a rempli son obligation ne puisse en bénéficier en cas de défaillance de l'assureur. Ceux d'entre vous qui ont reçu des courriers de particuliers ayant payé leur maison sur plans et dont à la fois le constructeur et l'assureur ont fait faillite savent à quel point ces situations peuvent être dramatiques. Il sera mis fin à cette anomalie.
D'autres dispositions vont dans le sens d'une meilleure sécurité tout en modernisant notre cadre juridique, en transposant par exemple des directives communautaires sur les OPCVM et sur l'assurance automobile.
3. Venons-en au troisième objectif, le renforcement de la démocratie actionnariale, ce que l'on appelle souvent le gouvernement d'entreprise. Les 27 articles qui lui sont consacrés, que nous avons préparé avec Dominique Perben, sont sans doute les plus attendus. Le projet du gouvernement a été jugé parfois insuffisamment ambitieux. Certains considèrent notamment qu'il aurait fallu traiter de manière exhaustive tous ceux qui contribuent, d'une manière ou d'une autre, à la production de l'information financière, banques d'affaires, avocats, analystes, agences de notation, etc.
D'autres pensent que nous sommes en retrait par rapport aux initiatives prises dans d'autres pays, notamment aux Etats-Unis avec la loi Sarbanes Oxley.
Laissez-moi d'abord rappeler les dispositions que nous avons prévues.
Le projet de loi procède d'abord au renforcement de la profession comptable. Les commissaires aux comptes sont en première ligne, car ils jouent un rôle déterminant dans la confiance des investisseurs dans la sincérité des comptes des entreprises. Reconnaissons d'emblée que la mise en cause dont cette profession a fait l'objet dans la période récente est injustifiée. Cette profession ne mérite pas l'excès de critiques dont elle a fait l'objet. Notre dispositif présente des sécurités que bien d'autres pays nous envient, et les professionnels français n'ont pas démérité. Mais, il y a, ici comme ailleurs, des marges de progrès importantes et nécessaires. C'est non seulement notre intérêt mais notre devoir. Le Gouvernement propose donc d'agir dans trois directions :
Premier point, l'interdiction, élargie aux réseaux, d'exercer au profit d'un même client des fonctions d'audit et de conseil, à l'exception de ce qui concoure à la mission d'audit. Cette interdiction, qui vise à établir solidement l'indépendance des auditeurs, ne remet pas en cause la pluridisciplinarité des cabinets, gage de compétence et d'efficacité. Certains considèrent que ces dispositions sont trop strictes, d'autres à l'inverse qu'elles le sont insuffisamment, notamment pour les réseaux. J'y vois le signe d'un certain équilibre, nous aurons l'occasion d'en débattre.
Deuxième point, la création d'une autorité de contrôle externe à la profession, garante de l'indépendance et de la discipline des commissaires aux comptes. Parce qu'elle est primordiale pour la stabilité financière, la problématique particulière des entreprises faisant appel public à l'épargne sera pleinement prise en compte, grâce à l'instauration de relations étroites entre le Haut Conseil de commissariat aux comptes et l'AMF, et à l'attribution à l'Autorité de marché de pouvoirs autonomes à l'égard des commissaires aux comptes de ces entreprises, par exemple en matière d'enquêtes.
Troisième point, des dispositions de bon sens en matière de rotation des auditeurs, comme on en trouve désormais aux Etats-Unis, comme le recommande aussi la Commission européenne.
S'agissant de ce que l'on appelle le gouvernement d'entreprise, la loi doit fixer les principes fondamentaux. Un gouvernement d'entreprise fort est en effet l'une des principales réponses à la crise de confiance, mais il ne faut pas croire que tout dans ce domaine relève de la loi.
Il est fondamental que le marché permette aux actionnaires de sanctionner la mauvaise gestion. Pour cela, ils doivent pouvoir jouer leur rôle. C'est le sens des dispositions du projet de loi qui confirment le caractère de pivot central de l'assemblée générale, lieu fondamental de l'expression du contrôle des décisions du management.
Le Gouvernement propose ainsi que l'organisation des travaux du conseil, du contrôle interne, les délégations de pouvoirs, fassent pour les sociétés cotées l'objet d'une information précise sous le contrôle de l'Autorité des marchés financiers. Pour donner des repères au marché, celle-ci veillera à la qualité de l'information en matière de gouvernement d'entreprise et fera un rapport annuel sur les pratiques dans ce domaine.
Grâce à ces principes forts et à la vigilance active de l'AMF, la transparence sera un puissant levier pour une meilleure gouvernance des entreprises.
Cette réflexion vaut bien sûr aussi pour l'Etat actionnaire. Suite au rapport que j'avais demandé à René BARBIER DE LA SERRE sur l'Etat actionnaire, j'ai décidé la création d'une Agence des participations de l'Etat. J'attends les conclusions de la commission d'enquête de l'Assemblée Nationale sur les entreprises publiques, pour prendre les autres mesures adaptées à la nécessaire amélioration des procédures actuelles.
Mais, je le répète, tout ne peut être prévu par la loi. Au-delà de la détermination des règles essentielles par le législateur, chaque entreprise doit s'engager résolument à mettre en uvre les meilleures pratiques. L'élément clé de la séparation des pouvoirs est l'indépendance, la compétence des hommes et les moyens qui leurs sont alloués. L'indépendance, la compétence et la représentativité du conseil d'administration et des comités du conseil sont les ingrédients essentiels d'une protection contre les excès du capitalisme financier. Les entreprises doivent faire preuve d'audace, et ne pas attendre que la loi impose demain ce qu'elles doivent faire aujourd'hui.
Le Gouvernement a délibérément choisi de laisser aux entreprises la liberté de s'organiser. Il a également choisi de ne pas traiter dans le cadre de la loi certains acteurs, et cette abstention a été parfois regrettée. Je pense notamment aux analystes et aux agences de notation.
Je suis totalement d'accord sur le constat : il s'agit là d'acteurs qui jouent un rôle déterminant pour le bon fonctionnement des marchés. Je suis plus partagé sur les moyens à mettre en uvre.
S'agissant des analystes financiers, des réformes ont déjà été menées en France en 2002, au terme d'une consultation de place, et nous ne partons pas de zéro. Certains proposent de pousser plus avant ces réformes, en donnant à la nouvelle AMF une juridiction sur les analystes. Le gouvernement pourrait accepter une solution pragmatique et efficace, qui tienne compte de la très grande mobilité de ces acteurs.
Je dois dire, mais nous en reparlerons, que je suis beaucoup plus dubitatif s'agissant des agences de notation. J'ai toujours dit que nous ne devions pas nous résigner à une situation où l'autorité boursière américaine, seul régulateur mondial de fait, édicterait des règles s'appliquant au reste du monde. J'ai donc engagé le dialogue au niveau international sur ce sujet, ainsi qu'avec les responsables des agences en question. Réguler en France des acteurs dont les centres de décision sont aux Etats-Unis et qui sont aussi volatils que l'éther me laisse cependant sceptique, et je ne voudrais pas qu'un souhait légitime de meilleur contrôle se traduise par des réglementations inapplicables.
Pour conclure, je soulignerai que toutes ces dispositions constituent un ensemble cohérent pour moderniser notre système juridique et renforcer la protection de l'épargne publique. Avec cette loi, notre pays se dotera d'un ensemble de règles au meilleur niveau des standards internationaux nous permettant de poursuivre le dialogue avec nos partenaires en disposant d'une position forte. Mais il est clair que nos efforts ne se résument pas à ce projet de loi : la régulation ne s'exerce pas en vase clos mais dans un environnement européen de plus en plus intégré. La France poursuit donc ses efforts au niveau communautaire, mais aussi dans le cadre de sa présidence du G7, car certaines questions ne peuvent trouver de réponse que dans un cadre élargi. Il en va ainsi du contrôle des "entités non régulées", comme les hedge funds, des normes comptables, à propos desquelles les travaux se poursuivent activement, ou de la négociation des directives européennes qui encadrent les marchés et leurs acteurs.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous me permettrez pour conclure d'invoquer l'auteur de " L'esprit des lois ", pour qui " il ne faut jamais faire par les lois ce qu'on peut faire par les murs ". Le Gouvernement, par ce projet qu'il vous soumet, souhaite établir des principes clairs et faire en sorte qu'ils soient respectés. Avec mon collègue Dominique Perben, je suis déterminé à agir en ce sens. Car sans confiance des membres d'une société les uns dans les autres et de tous dans leur avenir commun, il n'y a pas d'avenir possible. Pour restaurer la confiance, il nous faut clarifier certaines règles, en édicter d'autres. Il faut aussi, et surtout, que nos comportements soient à la mesure des enjeux de nos économies modernes, car aucune règle ne permettra de pallier une éthique défaillante.
Au début de cette discussion, l'état d'esprit du gouvernement, est clair : il est ouvert à la discussion, et il compte sur le Sénat et sur l'Assemblée Nationale pour améliorer un texte toujours perfectible, à partir du moment où l'esprit n'en serait pas changé. Je suis confiant dans notre capacité collective à relever ce défi, et à faire ensemble de ce texte un élément fondateur du retour de la confiance dans notre économie.
Je passe la parole à mon collègue D. PERBEN.
Je vous remercie.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 19 mars 2003)
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
La loi de sécurité financière que je vous présente aujourd'hui est une réponse, à la fois politique et technique, à la crise de confiance dans les mécanismes du marché, et aux insuffisances de régulation dont le monde économique et financier a pris conscience depuis deux ans. Avant de revenir sur ses principales disposition, je voudrais rappeler le contexte dans lequel ce texte a été préparé, ses objectifs, la méthode qui a présidé à son élaboration, et l'esprit qui l'anime.
I) Le contexte, vous le connaissez, c'est une perte de confiance dans la sincérité des comptes des entreprises, dans les mécanismes de contrôle des comptes, bref une perte de confiance dans le fonctionnement même des marchés.
Le doute s'est installé dans les esprits suite aux graves irrégularités commises par Enron aux Etats-Unis, mises à jour à l'été 2001. D'autres irrégularités ont, sous une forme ou sous une autre, affecté les comptes de grandes entreprises dans le monde.
Depuis, et même si les événements géopolitiques jouent évidemment un rôle majeur, les bourses mondiales ont connu de fortes baisses, avec en France une chute de 34 % en 2002, et de près de 10 % depuis le début de l'année. Cette chute des marchés aura des incidences sur la croissance si elle perdure trop longtemps.
Les entreprises doivent pouvoir trouver sur les marchés les moyens de financer leur croissance, et l'épargne des Français, qui atteint des sommets historiques, doit pouvoir s'investir dans des emplois porteurs d'avenir. Il nous faut donc agir et restaurer la confiance de l'épargnant dans les mécanismes de marché.
Il est impératif de reconstruire le pacte de confiance dans l'économie de marché, qui est, comme Churchill le disait de la démocratie, le plus mauvais des systèmes à l'exception de tous les autres.
Il nous faut faire de cette crise une opportunité pour progresser.
II) La méthode ensuite. Ce projet de loi est le point d'aboutissement d'une réflexion que le Gouvernement a engagée dès son arrivée, en reprenant parfois pour les mener à leur terme des projets qui avaient connu une première conception sous le gouvernement précédent.
Nous avons, avec Dominique Perben, beaucoup consulté depuis l'été dernier. La société civile et les autorités publiques concernées ont été largement associées aux réflexions qu'elles ont enrichies de nombreuses propositions et contributions. Votre Haute Assemblée a également joué un rôle important dans le débat d'idées, par l'intérêt constant qu'elle a manifesté sur ces questions. Après avoir procédé à de très nombreuses auditions, vos rapporteurs ont complété ce processus itératif et ils proposent de clarifier ou d'améliorer le projet du Gouvernement sur des points importants. Je ne doute pas que nos débats permettront d'aboutir à une loi à la mesure des enjeux.
III) Quelques mots enfin sur l'esprit de ce projet de loi. Soyons clairs, quelle que soit son ambition, cette loi ne supprimera pas le risque, et c'est heureux, car le risque est un moteur nécessaire pour le mouvement de nos sociétés. Elle ne supprimera pas davantage la volatilité, qui est consubstantielle aux marchés financiers.
Ne nous racontons pas d'histoire : l'investissement dans des titres de sociétés cotées présentera toujours un aléa, car l'entreprise doit faire des paris sur l'avenir et il y a toujours dans cette aventure des accidents de parcours. Par contre, ce qui n'est pas acceptable, c'est que l'épargnant prenne des risques inconsidérés car fondés sur des informations fausses qui interdisent une appréciation juste des situations. Ce sont ces détournements de la règle du marché que la loi a l'ambition de limiter, autant que possible et autant que nécessaire.
Il est en effet de notre responsabilité de mettre en place les règles qui permettent d'atténuer la violence des chocs, de veiller à ce que les ajustements se produisent de manière plus graduelle grâce à une information financière transparente, fiable et contrôlée.
Le projet que nous vous soumettons propose de mettre en place les instruments permettant de lutter contre des comportements déviants. Mais il ne doit pas être une nouvelle ligne Maginot. La loi ne doit pas édicter des règles pointillistes : ce sont les plus faciles à contourner, nous ne le savons que trop depuis Enron. La loi doit édicter des principes clairs, et créer les conditions pour qu'ils soient respectés. Il faut un code de conduite pour renforcer la transparence et créer les conditions d'une pression du marché en faveur du respect des meilleures pratiques des entreprises, sans pour autant chercher à régenter leur organisation dans les moindres détails. Nous devons apprécier, point par point, ce qu'il est justifié de laisser au marché, ce qui peut être laissé à l'autorégulation des acteurs, mais aussi ce qui doit être régulé par les autorités.
Il faut ensuite renforcer les moyens de contrôler l'application de ces principes, c'est-à-dire disposer de gendarmes visibles et respectés. C'est un équilibre fragile car la soif de règles est d'autant plus grande que les contournements ont été importants, et la tentation de la réglementation tous azimuts reste forte dans notre pays.
IV) Venons-en au texte lui-même. C'est un texte long, 88 articles, cela traduit un retard certain à combler pour faire face dans les meilleures conditions aux défis d'aujourd'hui. Il s'articule autour de trois grandes idées : une surveillance des marchés renforcée, une meilleure protection des consommateurs et une démocratie actionnariale plus forte. Ces trois grands objectifs se déclinent dans les trois parties du projet de loi, qui ont donné lieu à deux rapports dont je veux souligner la très grande qualité : Philippe Marini, pour la Commission des finances, et Jean-Jacques Hyest, pour la Commission des lois, ont remarquablement mis en perspective ce projet de loi volumineux.
1. Renforcer la surveillance des marchés, c'est notre premier objectif. Pour cela, nous modernisons nos autorités de contrôle, qui jouent un rôle essentiel dans des matières très techniques où les enjeux sont considérables et où la réactivité doit être immédiate. Pour dissuader les comportements qui nuisent à l'intégrité des marchés, dans des matières financières où les enjeux sont tels que l'éthique est malheureusement parfois prise en défaut, il faut des autorités fortes. Les autorités de régulation jouent un rôle essentiel : elles permettent un nouveau mode d'exercice de la puissance publique, plus proche du terrain, plus légitime grâce à la présence de professionnels ayant une connaissance concrète des réalités. Grâce à elles, l'Etat peut assurer avec plus d'efficacité ses missions d'intérêt général, sous votre contrôle, et sous celui du juge.
Nous entendons donc donner à ces autorités une place déterminante dans la police des marchés et de ses acteurs.
La création de l'Autorité des marchés financiers, qui résultera de la fusion de trois institutions, la Commission des opérations de bourse, le Conseil des marchés financiers, et le Conseil de discipline de la gestion financière, était attendue depuis longtemps. Cette autorité aura une triple mission : la protection de l'épargne, l'information des investisseurs et le bon fonctionnement des marchés. Autorité publique indépendante, elle rendra notre système plus efficace, grâce à une capacité de contrôle accrue et à un mécanisme de sanctions rapide et sûr. Elle sera dotée de la personnalité morale, afin de pouvoir recruter ses collaborateurs librement, et pour bénéficier directement des ressources prélevées sur les opérateurs qu'elle contrôle. C'est une innovation dans notre paysage institutionnel, et cette première marque bien l'importance de la tâche qui lui est confiée. L'AMF sera la tour de contrôle vigilante de notre marché, et disposera de tous les moyens lui permettant d'agir avec fermeté et rapidité.
Mais, il faut aussi veiller à ce que les acteurs des marchés soient efficacement contrôlés. Dans le secteur de l'assurance, la coexistence de deux commissions de contrôle n'était pas un schéma idéal.
Le Gouvernement a donc souhaité la création d'une autorité de contrôle unique pour les entreprises exerçant un métier d'assureur, qu'elles soient mutuelles, institutions de prévoyance ou sociétés d'assurance, par fusion de la Commission de contrôle des assurances (CCA) et de la Commission des mutuelles et institutions de prévoyance (CCMIP). Ceci permettra de rationaliser nos structures et d'en augmenter l'efficacité, dans un secteur qui joue un rôle majeur dans nos économies. La spécificité du monde mutualiste doit naturellement être prise en compte dans cette nouvelle organisation, le projet du Gouvernement veille donc à l'équilibre et à la juste représentation des différentes sensibilités au sein de la nouvelle commission.
J'ajoute enfin que cette nouvelle autorité coopérera étroitement avec le superviseur du secteur bancaire, la Commission bancaire, car les problématiques communes à la banque et à l'assurance justifient de développer les échanges d'expérience.
Nous aurons donc désormais une autorité unique pour le contrôle des marchés, et deux autorités pour contrôler les acteurs, banques d'un côté, assurances de l'autre. Fallait-il aller plus loin et créer une seule autorité pour faire tout cela ? Je pense qu'il faut être pragmatique.
Les britanniques, suivis par les Allemands, ont fait le choix de l'autorité unique, alors que nous proposons de distinguer les autorités chargées respectivement du pôle marchés et du pôle prudentiel. C'est le choix qui me paraît aujourd'hui le mieux à même de renforcer la sécurité et l'efficacité de notre dispositif. Pour deux raisons principales :
- d'abord, parce que rassembler au sein d'une même entité le contrôle des acteurs et celui des produits présente l'inconvénient de mêler deux logiques de contrôle différentes et deux métiers dont les finalités sont opposées. La surveillance prudentielle vise, à partir d'une information confidentielle, à détecter le plus tôt possible les difficultés avant qu'elles ne soient rendues publiques. Ceci afin d'éviter les contagions de nature systémique et pour préserver, tant qu'elle peut l'être, la confiance des assurés et déposants dans une institution qui traverse des difficultés qui peuvent n'être que passagères. La régulation des marchés vise au contraire à ce que rien qui ne doive être rendu public ne demeure dans l'ombre. Les deux piliers de la régulation doivent s'équilibrer publiquement, voire se confronter. La réunion en une même instance des deux types de contrôle poserait le problème de la gestion interne de l'équilibre entre ces deux catégories de préoccupations ;
- ensuite, l'idée séduisante d'un "guichet unique" pose en pratique des difficultés importantes pour des structures lourdes à gérer, alors que l'objectif de limiter les formalités auxquelles sont tenus les professionnels peut aussi bien passer par une coopération renforcée entre les autorités. Les difficultés rencontrées dans certains pays qui ont fait le choix d'une autorité unique sont une illustration des limites de ce modèle.
Pour ces différentes raisons, le Gouvernement a choisi de regrouper les autorités de supervision des marchés au sein de l'Autorité des marchés financiers, et d'autre part de rationaliser nos structures dans le champ prudentiel, car c'est l'organisation qui correspond aujourd'hui le mieux à notre configuration nationale.
Enfin, les instances consultatives dans le secteur financier seront simplifiées, pour que les consommateurs et les professions financières disposent d'une enceinte de concertation unifiée. Le Comité consultatif du secteur financier procédera de la fusion de trois instances existantes.
En amont, un Conseil consultatif de la législation et de la réglementation financières sera chargé de donner un avis sur l'ensemble des textes relatifs au secteur financier. Il remplacera deux instances existantes.
Au total, nous aurons ainsi supprimé 6 autorités ou instances diverses pour mettre en place un dispositif plus efficace, plus réactif, qui permettra notamment de mieux faire entendre notre voix dans les enceintes internationales.
2. Venons-en au deuxième grand objectif du projet de loi : renforcer la protection des consommateurs, qui sont des épargnants et des assurés. Il s'agit de sujets en apparence très techniques, mais qui ont un impact souvent déterminant sur la vie de nos concitoyens. Je me limiterai aux deux principales dispositions de cette partie du projet de loi.
Le renforcement de la sécurité de l'épargnant implique la réforme de la législation sur le démarchage financier, qui date de 1972, et la création du statut des conseillers en investissements financiers. Ceci permettra de mieux contrôler des professions au contact de nos concitoyens dans des rapports de force déséquilibrés. Celui qui, à son domicile, fait l'objet de sollicitations sur des produits financiers plus ou moins sophistiqués, doit en effet bénéficier d'une certaine protection. Pour cela, les démarcheurs devront être enregistrés auprès d'une autorité publique, bénéficier d'une carte inscrite sur un fichier centralisé, accessible en permanence, et ils devront répondre à plusieurs obligations permettant de justifier la confiance des épargnants. Le nouveau dispositif repose sur trois principes simples : la responsabilisation des intervenants ; l'obligation d'une information complète et appropriée de la personne démarchée; la facilité des vérifications et des recours.
De même, les conseillers en investissement financier seront encadrés, mais plus légèrement puisqu'ils ne seront en aucun cas habilités à opérer directement des opérations financières pour le compte de leurs clients.
Deuxième innovation importante, la création d'un fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, pour combler un vide dans nos dispositifs de protection des assurés. Alors qu'il existe des fonds de garantie pour indemniser les clients des banques ou des compagnies d'assurance-vie en cas de faillite de l'une d'entre elles, il n'existe aujourd'hui en France aucun mécanisme analogue pour les entreprises d'assurance dommage. Or, lorsque ces assurances sont obligatoires, il n'est pas normal que le particulier qui a rempli son obligation ne puisse en bénéficier en cas de défaillance de l'assureur. Ceux d'entre vous qui ont reçu des courriers de particuliers ayant payé leur maison sur plans et dont à la fois le constructeur et l'assureur ont fait faillite savent à quel point ces situations peuvent être dramatiques. Il sera mis fin à cette anomalie.
D'autres dispositions vont dans le sens d'une meilleure sécurité tout en modernisant notre cadre juridique, en transposant par exemple des directives communautaires sur les OPCVM et sur l'assurance automobile.
3. Venons-en au troisième objectif, le renforcement de la démocratie actionnariale, ce que l'on appelle souvent le gouvernement d'entreprise. Les 27 articles qui lui sont consacrés, que nous avons préparé avec Dominique Perben, sont sans doute les plus attendus. Le projet du gouvernement a été jugé parfois insuffisamment ambitieux. Certains considèrent notamment qu'il aurait fallu traiter de manière exhaustive tous ceux qui contribuent, d'une manière ou d'une autre, à la production de l'information financière, banques d'affaires, avocats, analystes, agences de notation, etc.
D'autres pensent que nous sommes en retrait par rapport aux initiatives prises dans d'autres pays, notamment aux Etats-Unis avec la loi Sarbanes Oxley.
Laissez-moi d'abord rappeler les dispositions que nous avons prévues.
Le projet de loi procède d'abord au renforcement de la profession comptable. Les commissaires aux comptes sont en première ligne, car ils jouent un rôle déterminant dans la confiance des investisseurs dans la sincérité des comptes des entreprises. Reconnaissons d'emblée que la mise en cause dont cette profession a fait l'objet dans la période récente est injustifiée. Cette profession ne mérite pas l'excès de critiques dont elle a fait l'objet. Notre dispositif présente des sécurités que bien d'autres pays nous envient, et les professionnels français n'ont pas démérité. Mais, il y a, ici comme ailleurs, des marges de progrès importantes et nécessaires. C'est non seulement notre intérêt mais notre devoir. Le Gouvernement propose donc d'agir dans trois directions :
Premier point, l'interdiction, élargie aux réseaux, d'exercer au profit d'un même client des fonctions d'audit et de conseil, à l'exception de ce qui concoure à la mission d'audit. Cette interdiction, qui vise à établir solidement l'indépendance des auditeurs, ne remet pas en cause la pluridisciplinarité des cabinets, gage de compétence et d'efficacité. Certains considèrent que ces dispositions sont trop strictes, d'autres à l'inverse qu'elles le sont insuffisamment, notamment pour les réseaux. J'y vois le signe d'un certain équilibre, nous aurons l'occasion d'en débattre.
Deuxième point, la création d'une autorité de contrôle externe à la profession, garante de l'indépendance et de la discipline des commissaires aux comptes. Parce qu'elle est primordiale pour la stabilité financière, la problématique particulière des entreprises faisant appel public à l'épargne sera pleinement prise en compte, grâce à l'instauration de relations étroites entre le Haut Conseil de commissariat aux comptes et l'AMF, et à l'attribution à l'Autorité de marché de pouvoirs autonomes à l'égard des commissaires aux comptes de ces entreprises, par exemple en matière d'enquêtes.
Troisième point, des dispositions de bon sens en matière de rotation des auditeurs, comme on en trouve désormais aux Etats-Unis, comme le recommande aussi la Commission européenne.
S'agissant de ce que l'on appelle le gouvernement d'entreprise, la loi doit fixer les principes fondamentaux. Un gouvernement d'entreprise fort est en effet l'une des principales réponses à la crise de confiance, mais il ne faut pas croire que tout dans ce domaine relève de la loi.
Il est fondamental que le marché permette aux actionnaires de sanctionner la mauvaise gestion. Pour cela, ils doivent pouvoir jouer leur rôle. C'est le sens des dispositions du projet de loi qui confirment le caractère de pivot central de l'assemblée générale, lieu fondamental de l'expression du contrôle des décisions du management.
Le Gouvernement propose ainsi que l'organisation des travaux du conseil, du contrôle interne, les délégations de pouvoirs, fassent pour les sociétés cotées l'objet d'une information précise sous le contrôle de l'Autorité des marchés financiers. Pour donner des repères au marché, celle-ci veillera à la qualité de l'information en matière de gouvernement d'entreprise et fera un rapport annuel sur les pratiques dans ce domaine.
Grâce à ces principes forts et à la vigilance active de l'AMF, la transparence sera un puissant levier pour une meilleure gouvernance des entreprises.
Cette réflexion vaut bien sûr aussi pour l'Etat actionnaire. Suite au rapport que j'avais demandé à René BARBIER DE LA SERRE sur l'Etat actionnaire, j'ai décidé la création d'une Agence des participations de l'Etat. J'attends les conclusions de la commission d'enquête de l'Assemblée Nationale sur les entreprises publiques, pour prendre les autres mesures adaptées à la nécessaire amélioration des procédures actuelles.
Mais, je le répète, tout ne peut être prévu par la loi. Au-delà de la détermination des règles essentielles par le législateur, chaque entreprise doit s'engager résolument à mettre en uvre les meilleures pratiques. L'élément clé de la séparation des pouvoirs est l'indépendance, la compétence des hommes et les moyens qui leurs sont alloués. L'indépendance, la compétence et la représentativité du conseil d'administration et des comités du conseil sont les ingrédients essentiels d'une protection contre les excès du capitalisme financier. Les entreprises doivent faire preuve d'audace, et ne pas attendre que la loi impose demain ce qu'elles doivent faire aujourd'hui.
Le Gouvernement a délibérément choisi de laisser aux entreprises la liberté de s'organiser. Il a également choisi de ne pas traiter dans le cadre de la loi certains acteurs, et cette abstention a été parfois regrettée. Je pense notamment aux analystes et aux agences de notation.
Je suis totalement d'accord sur le constat : il s'agit là d'acteurs qui jouent un rôle déterminant pour le bon fonctionnement des marchés. Je suis plus partagé sur les moyens à mettre en uvre.
S'agissant des analystes financiers, des réformes ont déjà été menées en France en 2002, au terme d'une consultation de place, et nous ne partons pas de zéro. Certains proposent de pousser plus avant ces réformes, en donnant à la nouvelle AMF une juridiction sur les analystes. Le gouvernement pourrait accepter une solution pragmatique et efficace, qui tienne compte de la très grande mobilité de ces acteurs.
Je dois dire, mais nous en reparlerons, que je suis beaucoup plus dubitatif s'agissant des agences de notation. J'ai toujours dit que nous ne devions pas nous résigner à une situation où l'autorité boursière américaine, seul régulateur mondial de fait, édicterait des règles s'appliquant au reste du monde. J'ai donc engagé le dialogue au niveau international sur ce sujet, ainsi qu'avec les responsables des agences en question. Réguler en France des acteurs dont les centres de décision sont aux Etats-Unis et qui sont aussi volatils que l'éther me laisse cependant sceptique, et je ne voudrais pas qu'un souhait légitime de meilleur contrôle se traduise par des réglementations inapplicables.
Pour conclure, je soulignerai que toutes ces dispositions constituent un ensemble cohérent pour moderniser notre système juridique et renforcer la protection de l'épargne publique. Avec cette loi, notre pays se dotera d'un ensemble de règles au meilleur niveau des standards internationaux nous permettant de poursuivre le dialogue avec nos partenaires en disposant d'une position forte. Mais il est clair que nos efforts ne se résument pas à ce projet de loi : la régulation ne s'exerce pas en vase clos mais dans un environnement européen de plus en plus intégré. La France poursuit donc ses efforts au niveau communautaire, mais aussi dans le cadre de sa présidence du G7, car certaines questions ne peuvent trouver de réponse que dans un cadre élargi. Il en va ainsi du contrôle des "entités non régulées", comme les hedge funds, des normes comptables, à propos desquelles les travaux se poursuivent activement, ou de la négociation des directives européennes qui encadrent les marchés et leurs acteurs.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous me permettrez pour conclure d'invoquer l'auteur de " L'esprit des lois ", pour qui " il ne faut jamais faire par les lois ce qu'on peut faire par les murs ". Le Gouvernement, par ce projet qu'il vous soumet, souhaite établir des principes clairs et faire en sorte qu'ils soient respectés. Avec mon collègue Dominique Perben, je suis déterminé à agir en ce sens. Car sans confiance des membres d'une société les uns dans les autres et de tous dans leur avenir commun, il n'y a pas d'avenir possible. Pour restaurer la confiance, il nous faut clarifier certaines règles, en édicter d'autres. Il faut aussi, et surtout, que nos comportements soient à la mesure des enjeux de nos économies modernes, car aucune règle ne permettra de pallier une éthique défaillante.
Au début de cette discussion, l'état d'esprit du gouvernement, est clair : il est ouvert à la discussion, et il compte sur le Sénat et sur l'Assemblée Nationale pour améliorer un texte toujours perfectible, à partir du moment où l'esprit n'en serait pas changé. Je suis confiant dans notre capacité collective à relever ce défi, et à faire ensemble de ce texte un élément fondateur du retour de la confiance dans notre économie.
Je passe la parole à mon collègue D. PERBEN.
Je vous remercie.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 19 mars 2003)