Texte intégral
Le report du Congrès de Versailles est avant tout l'échec d'une mauvaise réforme de la Justice.
Si la question de la réforme du CSM se pose, c'est parce que, après avoir enlevé au gouvernement la maîtrise des carrières des juges en 1993, il est apparu nécessaire de le faire aussi pour les membres du Parquet. Il est vrai que la pitoyable tentative de récupération par hélicoptère du Procureur de la République d'Evry dans l'Himalaya, ou plus récemment, les changements d'affectation au pôle financier du Parquet de Paris sont venus nourrir cette exigence.
On ne peut qu'applaudir à toute mesure qui vise à empêcher le pouvoir politique d'abuser de sa tutelle pour retarder, détourner, étouffer des affaires sensibles qui le concerne. Et l'opinion, à qui l'on ne présente que cet aspect des choses s'y laisse tromper.
Si le Parquet doit échapper aux manipulations du pouvoir, il ne doit pour autant échapper aux consignes générales ou particulières qui visent à l'application et à l'unification d'une politique pénale ou qui peuvent être nécessaires dans le cours d'affaires ou l'intérêt général peut être en jeu, comme l'a d'ailleurs fait remarquer pertinemment Robert Badinter.
Or le projet du gouvernement renonce à toute instruction écrite de la Chancellerie au Parquet. Ce n'est pas parce que
le lien entre le Parquet et le Pouvoir a été dévoyé qu'il faut considérer les relations du Parquet avec la Chancellerie comme illégitimes en soi. Elles sont considérées comme normales dans toutes les démocraties, où l'on fait une différence entre les juges d'un côté et le Parquet, de l'autre, composé le plus souvent de fonctionnaires à statut particulier (et complété parfois par un procureur spécial indépendant pour les affaires mettant en cause le pouvoir). Les magistrats du Parquet ne sont pas des juges et cette distinction est d'ailleurs un principe posé par la Cour Européenne des Droits de l'Homme.
Poser le problème du Parquet c'est aussi poser, ce que ne fait pas le texte du gouvernement, la question de l'opportunité des poursuites qui conduit trop souvent à des classements sans suite davantages justifiées par une pénurie de moyens que par une bonne administration de la Justice entraînant des inégalités de traitement selon les juridictions. Peut-être pourrait-on passer comme chez nos voisins à un système de légalité des poursuites, tempéré chaque année par une loi définissant les poursuites susceptibles d'être abandonnées.
En revanche, l'élargissement de la composition du CSM aux travers de la désignation de personnalités extérieures à la Magistrature pour éviter toute tentation corporatiste est plutôt bienvenu, sauf qu'on s'interroge toujours sur le rôle purement symbolique qu'y occupe le Président de la République.
Un risque de reprise en main
Derrière la réforme du CSM et des textes qui l'accompagnent, se profilent des dispositions qui font craindre à juste titre aux magistrats que l'on reprenne d'une main ce que l'on semble accorder de l'autre. Il y a quelque hypocrisie à parler d'indépendance des magistrats du Parquet, quand, à la différence de la désignation des magistrats du siège, on limite le choix du CSM à trois noms proposés par la Chancellerie. Hypocrisie aussi à prétendre renoncer à toute immixion du pouvoir dans les affaires politiques quand les textes du gouvernement exigent une communication en temps réel à la Chancellerie de toutes les informations relatives aux affaires réputées sensibles !
De même, s'il est légitime de souhaiter qu'à un renforcement de l'indépendance et du pouvoir des magistrats corresponde un renforcement de leur responsabilité, on ne peut que s'interroger sur les conséquences et les dérives des modalités retenues.
Quant aux mesures de mobilité des chefs de Cour et de juridiction ainsi que des juges spécialisés prévues par le gouvernement, elles constituent assurément une atteinte au principe constitutionnel de l'inamovibilité des juges.
Le grand chantier du nouveau siècle
Il ne servirait à rien de faire de l'acharnement thérapeutique sur une mauvaise réforme. Il faut repartir à zéro. La réforme de la Justice est assurément le grand chantier du nouveau siècle. Elle appelle une réflexion et des mesures d'une toute autre ampleur.
Derrière les conflits apparent du politique et du juge, la France vit une vraie révolution, la révolution du Droit.
Car il existe, hélas, au moins depuis la Révolution, une tradition de subordination de la magistrature au gouvernement. Et le 20ème siècle a été, sans qu'il soit besoin de rappeler la triste situation de la Justice française sous Vichy ou les débuts d'une 5ème République marqués par le mépris du droit et les tribunaux d'exception, le siècle de la confusion de droit, de la loi et du pouvoir politique.
Dire qu'il a fallu attendre 1974, avec Valery Giscard d'Estaing, pour ouvrir les possibilités de recours devant le Conseil Constitutionnel, et 1981 avec François Mitterrand pour permettre le recours individuel devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme, et marquer ainsi la supériorité du Droit sur le pouvoir politique. Il ne suffit donc pas qu'une loi soit votée par une majorité, il faut aussi qu'elle soit juste. A côté du pouvoir politique, il existe, non pas un gouvernement des juges -car ils ne gouvernent en rien- mais un pouvoir judiciaire.
La société du 20ème siècle marquée excessivement par le rôle de l'Etat et du politique cède la place à une société davantage marquée par le Droit et le juge.
Voilà pourquoi, si l'on parle de réformer la Justice, il faut une toute autre ambition.
Il est nécessaire de revaloriser la fonction de juge. En posant le problème de leur satut social, de leur rémunération, de leurs moyens matériels, et de leur rang protocolaire. En posant aussi le problème de leur formation et de leur recrutement qui devrait s'ouvrir davantage, à tous les niveaux, vers des personnalités extérieures ayant une expérience de la vie et du droit.
Il faut renforcer considérablement les moyens de la Justice. J'ai récemment proposé des mesures (voir le Figaro du 8 décembre 1999) pour faire face au grand embouteillage de la Justice française. Faute de moyens trop de plaintes sont classées sans suite. Trop de sanctions ne sont pas prononcées. Trop de peines ne sont pas exécutées. Nous n'avons pas d'établissement adaptés en nombre suffisants pour faire face à la délinquance des mineurs. Et nos prisons sont dans une situation inhumaine et dégradante. Résultat : le risque d'être condamné, d'exécuter une peine à la mesure des faits reprochés diminue, ce qui nourrit un peu plus l'augmentation de la délinquance. Désembouteiller la Justice, la rendre plus rapide et plus efficace c'est à la fois engager un effort financier important, modifier les procédures et réduire le recours aux sanctions pénales.
Il faut revoir profondément nos procédures pénales. Les quelques aménagements prévus par le gouvernement, comme la présence d'un avocat dès le début de la garde à vue, ne sont pas à la mesure de la réforme nécessaire et attendue de notre procédure pénale. La modernisation des
procédures inspirées par les grandes ordonnances de 1670, elles même héritières de l'inquisition s'impose. Et il nous faudra tôt ou tard repenser notre procédure pénale sur la base des principes européens à valeur constitutionnelle pour mieux séparer l'autorité en charge de l'action publique et l'autorité de jugement, affirmer la garantie judiciaire sur les actes d'instruction et revoir la tutelle de la police judiciaire.
Il faut mettre fin à cette exception française qui place l'Etat au dessus des lois. En matière de responsabilité, l'Etat s'est donné un droit d'exception, un droit administratif, avec sa juridiction est ses juges. Juges dont personne ne s'interroge d'ailleurs sur les garanties d'indépendance. L'unification de la juridiction administrative à l'ordre judiciaire est nécess aire. Elle ne peut, bien évidemment, être que progressive, en unifiant les méthodes de travail et les modalités de procédures, en homogénéisant les recrutements, et en créant une structure de réflexion commune entre la Cour de Cassation, le Conseil Constitutionnel et le Conseil d'Etat.
Voilà quelques ambitions pour une vraie réforme. Une réforme qui, n'en doutons pas, sera au coeur des débats de 2002.
Alain MADELIN
Président de Démocratie Libérale
(source http://www.demlib.com, le 26 janvier 2000)
Si la question de la réforme du CSM se pose, c'est parce que, après avoir enlevé au gouvernement la maîtrise des carrières des juges en 1993, il est apparu nécessaire de le faire aussi pour les membres du Parquet. Il est vrai que la pitoyable tentative de récupération par hélicoptère du Procureur de la République d'Evry dans l'Himalaya, ou plus récemment, les changements d'affectation au pôle financier du Parquet de Paris sont venus nourrir cette exigence.
On ne peut qu'applaudir à toute mesure qui vise à empêcher le pouvoir politique d'abuser de sa tutelle pour retarder, détourner, étouffer des affaires sensibles qui le concerne. Et l'opinion, à qui l'on ne présente que cet aspect des choses s'y laisse tromper.
Si le Parquet doit échapper aux manipulations du pouvoir, il ne doit pour autant échapper aux consignes générales ou particulières qui visent à l'application et à l'unification d'une politique pénale ou qui peuvent être nécessaires dans le cours d'affaires ou l'intérêt général peut être en jeu, comme l'a d'ailleurs fait remarquer pertinemment Robert Badinter.
Or le projet du gouvernement renonce à toute instruction écrite de la Chancellerie au Parquet. Ce n'est pas parce que
le lien entre le Parquet et le Pouvoir a été dévoyé qu'il faut considérer les relations du Parquet avec la Chancellerie comme illégitimes en soi. Elles sont considérées comme normales dans toutes les démocraties, où l'on fait une différence entre les juges d'un côté et le Parquet, de l'autre, composé le plus souvent de fonctionnaires à statut particulier (et complété parfois par un procureur spécial indépendant pour les affaires mettant en cause le pouvoir). Les magistrats du Parquet ne sont pas des juges et cette distinction est d'ailleurs un principe posé par la Cour Européenne des Droits de l'Homme.
Poser le problème du Parquet c'est aussi poser, ce que ne fait pas le texte du gouvernement, la question de l'opportunité des poursuites qui conduit trop souvent à des classements sans suite davantages justifiées par une pénurie de moyens que par une bonne administration de la Justice entraînant des inégalités de traitement selon les juridictions. Peut-être pourrait-on passer comme chez nos voisins à un système de légalité des poursuites, tempéré chaque année par une loi définissant les poursuites susceptibles d'être abandonnées.
En revanche, l'élargissement de la composition du CSM aux travers de la désignation de personnalités extérieures à la Magistrature pour éviter toute tentation corporatiste est plutôt bienvenu, sauf qu'on s'interroge toujours sur le rôle purement symbolique qu'y occupe le Président de la République.
Un risque de reprise en main
Derrière la réforme du CSM et des textes qui l'accompagnent, se profilent des dispositions qui font craindre à juste titre aux magistrats que l'on reprenne d'une main ce que l'on semble accorder de l'autre. Il y a quelque hypocrisie à parler d'indépendance des magistrats du Parquet, quand, à la différence de la désignation des magistrats du siège, on limite le choix du CSM à trois noms proposés par la Chancellerie. Hypocrisie aussi à prétendre renoncer à toute immixion du pouvoir dans les affaires politiques quand les textes du gouvernement exigent une communication en temps réel à la Chancellerie de toutes les informations relatives aux affaires réputées sensibles !
De même, s'il est légitime de souhaiter qu'à un renforcement de l'indépendance et du pouvoir des magistrats corresponde un renforcement de leur responsabilité, on ne peut que s'interroger sur les conséquences et les dérives des modalités retenues.
Quant aux mesures de mobilité des chefs de Cour et de juridiction ainsi que des juges spécialisés prévues par le gouvernement, elles constituent assurément une atteinte au principe constitutionnel de l'inamovibilité des juges.
Le grand chantier du nouveau siècle
Il ne servirait à rien de faire de l'acharnement thérapeutique sur une mauvaise réforme. Il faut repartir à zéro. La réforme de la Justice est assurément le grand chantier du nouveau siècle. Elle appelle une réflexion et des mesures d'une toute autre ampleur.
Derrière les conflits apparent du politique et du juge, la France vit une vraie révolution, la révolution du Droit.
Car il existe, hélas, au moins depuis la Révolution, une tradition de subordination de la magistrature au gouvernement. Et le 20ème siècle a été, sans qu'il soit besoin de rappeler la triste situation de la Justice française sous Vichy ou les débuts d'une 5ème République marqués par le mépris du droit et les tribunaux d'exception, le siècle de la confusion de droit, de la loi et du pouvoir politique.
Dire qu'il a fallu attendre 1974, avec Valery Giscard d'Estaing, pour ouvrir les possibilités de recours devant le Conseil Constitutionnel, et 1981 avec François Mitterrand pour permettre le recours individuel devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme, et marquer ainsi la supériorité du Droit sur le pouvoir politique. Il ne suffit donc pas qu'une loi soit votée par une majorité, il faut aussi qu'elle soit juste. A côté du pouvoir politique, il existe, non pas un gouvernement des juges -car ils ne gouvernent en rien- mais un pouvoir judiciaire.
La société du 20ème siècle marquée excessivement par le rôle de l'Etat et du politique cède la place à une société davantage marquée par le Droit et le juge.
Voilà pourquoi, si l'on parle de réformer la Justice, il faut une toute autre ambition.
Il est nécessaire de revaloriser la fonction de juge. En posant le problème de leur satut social, de leur rémunération, de leurs moyens matériels, et de leur rang protocolaire. En posant aussi le problème de leur formation et de leur recrutement qui devrait s'ouvrir davantage, à tous les niveaux, vers des personnalités extérieures ayant une expérience de la vie et du droit.
Il faut renforcer considérablement les moyens de la Justice. J'ai récemment proposé des mesures (voir le Figaro du 8 décembre 1999) pour faire face au grand embouteillage de la Justice française. Faute de moyens trop de plaintes sont classées sans suite. Trop de sanctions ne sont pas prononcées. Trop de peines ne sont pas exécutées. Nous n'avons pas d'établissement adaptés en nombre suffisants pour faire face à la délinquance des mineurs. Et nos prisons sont dans une situation inhumaine et dégradante. Résultat : le risque d'être condamné, d'exécuter une peine à la mesure des faits reprochés diminue, ce qui nourrit un peu plus l'augmentation de la délinquance. Désembouteiller la Justice, la rendre plus rapide et plus efficace c'est à la fois engager un effort financier important, modifier les procédures et réduire le recours aux sanctions pénales.
Il faut revoir profondément nos procédures pénales. Les quelques aménagements prévus par le gouvernement, comme la présence d'un avocat dès le début de la garde à vue, ne sont pas à la mesure de la réforme nécessaire et attendue de notre procédure pénale. La modernisation des
procédures inspirées par les grandes ordonnances de 1670, elles même héritières de l'inquisition s'impose. Et il nous faudra tôt ou tard repenser notre procédure pénale sur la base des principes européens à valeur constitutionnelle pour mieux séparer l'autorité en charge de l'action publique et l'autorité de jugement, affirmer la garantie judiciaire sur les actes d'instruction et revoir la tutelle de la police judiciaire.
Il faut mettre fin à cette exception française qui place l'Etat au dessus des lois. En matière de responsabilité, l'Etat s'est donné un droit d'exception, un droit administratif, avec sa juridiction est ses juges. Juges dont personne ne s'interroge d'ailleurs sur les garanties d'indépendance. L'unification de la juridiction administrative à l'ordre judiciaire est nécess aire. Elle ne peut, bien évidemment, être que progressive, en unifiant les méthodes de travail et les modalités de procédures, en homogénéisant les recrutements, et en créant une structure de réflexion commune entre la Cour de Cassation, le Conseil Constitutionnel et le Conseil d'Etat.
Voilà quelques ambitions pour une vraie réforme. Une réforme qui, n'en doutons pas, sera au coeur des débats de 2002.
Alain MADELIN
Président de Démocratie Libérale
(source http://www.demlib.com, le 26 janvier 2000)