Texte intégral
Cher Nicolas,
Mesdames et messieurs,
Lors du dernier colloque de " Debout la République " nous nous étions interrogés sur la mondialisation et je m'étais efforcé de tracer les voies d'une stratégie de projection permettant à notre pays d'affirmer sa place dans le concert international.
Mais pour se déployer à sa juste mesure, cette stratégie de projection doit être servie par une architecture institutionnelle adaptée à ses exigences.
Or, force est de constater que notre pays vit actuellement dans le désordre institutionnel. Un désordre qui handicape son dynamisme, sa créativité et qui n'est pas, en outre, étranger à la crise actuelle du politique et de la citoyenneté. Le diagnostic, vous le connaissez : le pouvoir exécutif est affaibli et divisé par les cohabitations à répétition, le pouvoir législatif est méprisé, l'Etat survit dans la précarité et ses agents sont atteints par un doute quasi existentiel, enfin, le pouvoir local est enchevêtré et illisible. Aucune grande entreprise, si vous m'autorisez un tel parallèle, ne pourrait survivre très longtemps avec un organigramme aussi touffu, coûteux et déresponsabilisant.
Face à cette situation de blocage général, nous sommes nombreux ici à militer en faveur d'une modernisation de la république. Une modernisation que je conçois personnellement bâtie autour de deux piliers :
- celui d'une rénovation du régime permettant, à travers une présidentialisation renforcée, de concentrer les pouvoirs autour du chef de l'Etat et d'élargir les capacités de contrôle du parlement ;
- celui d'une décentralisation approfondie et clarifiée permettant aux citoyens et aux acteurs locaux de prendre leur avenir en mains, et à l'Etat d'affûter, parallèlement, sa légitimité, ses moyens et ses méthodes. La France ne peut nouer un pacte avec la modernité tant que son armature politique et administrative demeure verticalement corsetée au niveau central et horizontalement fragmentée au niveau décentralisé. Cette armature à la fois hiérarchique et éclatée est le résultat d'une longue histoire nationale signée par l'inconstance de notre peuple. Justifiée en son temps, cette organisation est devenue une source d'infirmité politique, d'inintelligibilité démocratique et de gaspillage financier. Il convient donc de remettre les choses à plat.
En provoquant une redistribution des pouvoirs et des pratiques, la décentralisation peut donc être une chance pour la France mais elle peut être aussi, si certaines conditions ne sont pas remplies, une défaite.
Une chance si cela conduit, je l'ai dit, à nous interroger courageusement sur l'organisation et l'efficacité des pouvoirs centraux, déconcentrés et décentralisés. De façon conjointe, l'Etat et les collectivités territoriales sont affectés par une langueur comparable liée au discrédit général qui frappe les pouvoirs publics. C'est de concert qu'ils doivent se réinventer ! Toute nouvelle étape de la décentralisation devrait donc agir comme le levier d'une réévaluation des concepts, des structures et des modalités d'action qui ont présidé, et qui président encore, la république. Il s'agit notamment d'arbitrer puis de trancher en faveur d'un Etat qui doit en certains domaines être acteur et en d'autres régulateur ; un Etat recentré et relayé par des collectivités locales responsabilisées et imaginatives qui doivent être placées en position de partenaires de l'Etat républicain et non de concurrentes. C'est là une révolution conceptuelle qui doit être entreprise à l'image de celle engagée pour certains services publics qui ne dépendent plus organiquement de l'Etat stricto sensu mais qui n'en assurent pas moins une mission d'intérêt général qui leur est fixée par la loi
Une chance aussi si cela nous permet de ressusciter l'espace public en favorisant l'émergence d'une démocratie locale plus participative. Il convient ici d'ouvrir la voie à une décentralisation citoyenne qui doit servir de relais démocratique dans une république ankylosée et face à une Europe qui demeure sourde au principe de la subsidiarité politique.
Mais ce mouvement accentué de décentralisation, peut être aussi, je l'ai dit, une défaite s'il épouse une logique centripète qui, progressivement, déchirerait le pacte national. Entre le principe de " la diversité dans l'unité républicaine " et celui de " la liberté dans l'inégalité républicaine ", la frontière est terriblement étroite. Nous sommes là - et j'en reparlerai - au cur du dossier Corse. Dossier délicat, explosif même, mais dossier exemplaire car plaçant la politique de décentralisation devant ses véritables questions : celle des limites qu'il convient de fixer et celle de la méthode qu'il convient de respecter pour avancer ensemble et en ordre.
Mesdames et messieurs, j'aborde le dossier de la décentralisation avec deux convictions.
Première conviction : je crois que la décentralisation a révélé une nouvelle société française
Grâce à elle, une étonnante vitalité territoriale s'est exprimée, une vitalité qui s'était trop longtemps et exclusivement concentrée autour des enjeux de la capitale. Cette vitalité épouse les attentes d'une société française qui, depuis vingt ans, a changé. Une société créative, en quête de racines, d'identité et de participation locales. Une société, qui, de plus en plus attentive à sa qualité de vie, tourne le dos aux schémas de développement standardisé, centralisateur et uniforme. C'est dans cette perspective qu'il faut analyser le succès de certaines de nos grandes capitales régionales. C'est dans cette même perspective qu'il faut surtout examiner la reconquête de la " France des terroirs " qui retrouve en terme de population les chiffres des années 60. Cet inversement de tendance prolonge l'effort de décentralisation entrepris depuis plusieurs années, mais il doit aussi nous permettre de renouer avec une politique d'aménagement du territoire repensant fondamentalement l'espace français et les relations entre le monde urbain et rural.
En définitive, j'ai le sentiment que nous sommes en présence d'un mouvement de civilisation au sein duquel les critères de la modernité se marient aux exigences de la qualité, de l'authenticité et de la proximité. L'ensemble des pouvoirs doit nécessairement s'adapter à cette nouvelle donne sociologique et culturelle qui conduit les Français à redécouvrir plus charnellement " leurs pays " avec leurs spécificités propres, leurs traditions et leurs histoires. Qu'on me comprenne bien : cela ne signifie nullement qu'il faille, par exemple, s'empresser de signer la charte des langues régionales ( charte à laquelle j'étais personnellement hostile car il me semble que la priorité pour nos enfants n'est pas à la langue corse, basque ou bretonne, mais au français, à l'anglais, à l'allemand, à l'espagnol et même éventuellement au chinois ). Cela signifie cependant que cette quête d'enracinement local doit être prise en compte et respectée.
Cette nouvelle donne sociologique et culturelle nous conduit nécessairement à penser l'avenir de la décentralisation suivant le principe d'une véritable subsidiarité qui ne doit pas être l'otage d'un affrontement idéologique, à mon sens, dépassé. Entre le jacobinisme étouffant et le girondisme extravagant, il y a désormais une place pour une relation rénovée entre l'unité nationale et l'expression locale. Il existe un espace pour le double sentiment d'appartenance, à la France et à sa région, à l'Etat républicain mais aussi à sa ville, à son " terroir ". Autrefois inconciliable, cette citoyenneté à plusieurs visages peut être vécue de façon sereine et même complémentaire. A cet égard, je serai clair : le pacte républicain n'est pas menacé par les collectivités locales ! Il est surtout ébranlé par l'uniformisation culturelle qui trouve sa source dans les modèles dominants de la société de consommation. Il est aussi ébranlé par la médiocrité du débat politique sur laquelle prospère la pensée unique et la technocratie qu'elle soit nationale ou européenne. Il convient donc d'écarter les faux débats. Si le jacobinisme était autrefois la contrepartie d'un régionalisme archaïque, le séparatisme régionaliste est aujourd'hui le revers d'un jacobinisme devenu étroit et frileux. Un nouvel équilibre doit être trouvé. Et celui-ci devra être fondé sur un climat de confiance entre les différents pouvoirs et sur des règles claires énoncées pour tous.
Ma seconde conviction, c'est que la décentralisation fixée par les lois de 1981 est en panne. Un second souffle doit être donné.
Initié il y a vingt ans, un cycle s'achève et s'épuise désormais dans la confusion, l'irrésolution et la suspicion.
Confusion entre les cinq échelons centraux et décentralisés. Cinq échelons où nul ne sait plus très bien qui fait quoi, qui est le patron. Cinq échelons où se croisent, se neutralisent les financements, les meilleures volontés et les savoir-faire. 37.000 communes, 19.000 établissements publics intercommunaux; 100 départements, 22 régions, 413.000 élus locaux, 1.477.000 fonctionnaires, 100 préfectures, 233 sous-préfectures, 26 recteurs.... C'est dans ce dédale politico-administratif, que le citoyen en quête d'informations, le chef d'entreprise à la recherche de financements, le responsable politique lui même, sont condamnés à tirer laborieusement leur épingle du jeu.
Contradiction disais-je, mais aussi irrésolution dans les relations entretenues entre l'Etat et les collectivités locales. A cet égard, les dernières négociations pour les contrats de plan Etat-Région auront constitué l'expression caricaturale d'une politique à bout de souffle. Négociations sans fin menées par un Etat écartelé entre les demandes contradictoires de ses services déconcentrés et celles de ses administrations centrales, négociations abracadabrantesques menées par un Etat qui joue les maîtres d'uvre avec une capacité réelle d'investissement inférieure au seuil des 50 % normalement fixé par la loi qui régit la procédure contractuelle.
Enfin, j'ai parlé de suspicion. Suspicion au sein d'un Etat qui est ferme là où il devrait être compréhensif et mou là où il devrait être vigilant. Il y a un paradoxe que je dénonce : l'Etat dévolue certaines de ses responsabilités les plus sacrées à l'Europe, aux commissions indépendantes, aux experts appointés, au secteur privé, mais ne semble pas se lasser de suspecter et de cadrer les collectivités territoriales J'aimerais que le gouvernement soit plus sourcilleux dans le contrôle, en réalité inexistant, de la commission de Bruxelles et un peu moins dans celui de la région des Pays de la Loire ! Que les choses soient claires : je ne suis pas un libéral antiétatique en train de dresser le procès de la puissance publique. C'est, bien au contraire, le sens de l'Etat et le souci de l'intérêt général qui me conduisent à mettre les point sur les " i " et à réclamer une modernisation de la sphère publique destinée, à bien des égards, à restaurer l'Etat.
Voilà , mesdames et messieurs, en quelques mots la situation générale, voilà la panne à laquelle l'aimable rapport Mauroy ne répond qu'à la marge.
Disons-le nettement, cette panne est coûteuse pour la France. Mais elle est aussi politiquement dangereuse car elle place le sort de la décentralisation entre deux écueils aussi néfastes l'un que l'autre :
- celui de la recentralisation rampante ( recentralisation notamment fiscale qui est actuellement à l'uvre sous l'impulsion d'un Etat qui, par conservatisme, cherche maladroitement à reprendre la main ) ;
- et celui de la fuite en avant, qui caractérise le cas Corse, mais aussi les scénari en chambre de la DATAR qui sont fondés sur la création de grandes régions françaises aussi ingérables qu'indigestes pour l'unité nationale. La majorité actuelle est, je le crains, atteinte du syndrome du " pont de la rivière kwaï " : en clair, le syndrome du tout ou rien. Parce qu'elle n'est pas animée par une vision cohérente et dynamique de la décentralisation, elle oscille fébrilement entre le tout pour la Corse et le rien pour les autres.
C'est entre la recentralisation et la fuite en avant, entre l'impossible statu quo et l'improbable table rase, qu'il faut imaginer et proposer une voie réformiste originale et équilibrée.
Cette voie, je l'ai dit, devrait mobiliser l'ensemble des pouvoirs. C'est un audit général et courageux de la sphère publique qui doit être initié. Il faut revoir point par point, domaine par domaine, fonction par fonction, les compétences des uns et des autres. Cet exercice devant nous amener à fixer les termes d'un nouveau contrat politique entre l'Etat et les collectivités locales, un contrat fondé sur une subsidiarité claire, obéissant aux principes de l'efficacité et de la responsabilité. Cet exercice - j'insiste sur ce point - devrait associer l'ensemble des collectivités locales et des citoyens. Il pourrait, par exemple, à travers des forums régionaux réunissant des acteurs publics et privés, prendre la forme d'états généraux pour une république moderne, puis être, à terme, couronné par un référendum. Cette méthode globale et participative est capitale. Elle tourne précisément le dos aux pratiques actuellement en vigueur pour la Corse, pratique qui tend dangereusement à singulariser un problème qui doit, au contraire, trouver sa réponse dans une dynamique collective, c'est à dire nationale. Singulariser c'est différencier, différencier c'est isoler, isoler c'est déjà se distancer ! A cet égard, les nationalistes Corses ont remporté leur première victoire qui est celle de la distinction qui légitime la distanciation.
Il faut donc placer le processus dans une perspective globale et participative.
Premier point, il faut repenser l'Etat. Repenser sa philosophie d'action ( c'est l'objet de l'audit dont je parlais à l'instant ) et ses pratiques. La puissance publique doit concentrer ses structures et ses moyens sur le terrain. A cet égard, l'usage, au sein de l'administration, des nouvelles technologies de communication, en réseaux fermés ou ouverts, doit servir de levier à une révision profonde des structures et des méthodes pyramidales de travail au profit d'un nouveau management des services, des équipes et des relations avec les usagers. Aujourd'hui, si l'informatisation des administrations est acquise au trois quart, seuls 30 % des missions de l'Etat ont été véritablement repensées en fonction de cet exceptionnel apport technologique et font l'objet d'une mise en ligne au service du public. Oxygéner le système, l'assouplir, le désengorger au sommet, le muscler sur le terrain : c'est la déconcentration des administrations centrales vers les territoires. Cet effort de déconcentration - qui peut être facilité par l'usage des technologies de communication - doit être stimulé par une mobilité professionnelle des agents de l'Etat qui doivent pouvoir aisément passer d'un corps administratif à l'autre en fonction des besoins et par un recrutement local plus étendu. Je milite en outre pour un regroupement opérationnel de l'Etat autour du préfet de région. Les citoyens, comme les élus locaux, souhaitent qu'il y ait un représentant de l'Etat qui soit en mesure d'exercer ses attributions en véritable " patron ", secondé par les préfets et sous-préfets en postes dans la région.
Premier point donc, développer l'Etat stratège, et, parallèlement, clarifier, harmoniser les compétences des collectivités locales en cadrant, en approfondissant, la décentralisation.
La décentralisation, nous l'avons dit, est malade. Elle est à la fois affectée par sa confusion, son atomisation originelle, qui s'est, ici ou là, transmuée en féodalité locale. Entre les communes, les départements et les régions l'esprit d'équipe est parfois moins affirmé que l'esprit de clocher. Elle est aussi viciée par le flou juridique qui entoure le partage des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales, et entre les collectivités territoriales elle mêmes. Politiques éducative, économique, sociale, culturelle, d'aménagement du territoire : chacun joue sa partition sans véritables chefs d'orchestre.
Il convient donc de redéfinir les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales, et entre les collectivités territoriales elles-mêmes, en précisant les blocs de compétences accordés aux uns et aux autres. En ce domaine, le pire c'est le mélange des genres. En la matière, la clarté des responsabilités doit être la règle. Chacun doit précisément savoir ce qu'il lui revient ou non de faire. Ainsi pour chaque compétence, une collectivité locale doit pouvoir tenir le rôle de chef de file, en détenant l'initiative et la conduite des opérations. Trois volets importants, aujourd'hui entre les mains exclusives de l'Etat, doivent pouvoir, me semble-t-il, être, en partie, délégués. Celui de la formation et de l'éducation, où les collectivités locales souhaitent pouvoir davantage s'impliquer. Celui de la sécurité où les maires des grandes villes veulent pouvoir être associés aux efforts entrepris par les forces de police et de gendarmerie, afin de compléter leur politique d'intégration urbaine. Celui de la fiscalité locale où une autonomie plus large doit être accordée aux responsables locaux. Cette question de la fiscalité est cruciale. L'ambiguïté actuelle devient ingérable. Soit - comme je le souhaite - nous choisissons l'autonomie fiscale, avec une spécialisation des prélèvements par collectivités, soit nous procédons, comme en Allemagne, avec un système par de dotation globale qui repose sur un pacte pluriannuel, en partie définie par la constitution. Sur ce sujet, le débat est ouvert, et il faudra trancher !
Ces blocs de compétences une fois définis, enclenchons des mécanismes de coopération, de coagulation, permettant de concentrer les objectifs, les moyens et les structures des collectivités territoriales. Nous devons passer d'une culture du pré carré à une culture de la complémentarité et de l'unité locale. Cette entreprise est ambitieuse et nul doute qu'elle puisse heurter des habitudes et des traditions qui ne sont pas toutes illégitimes. Concernant les communes, les procédures intercommunales commencent à produire leurs effets bénéfiques. Elle doivent pouvoir être accentuées pour couronner, en milieu rural, le regroupement des plus petites municipalités qui sont, nous le savons, en mal de relève politique, puisque près de 40 % des maires n'envisageraient pas de se représenter aux prochaines élections. Cette situation doit nous amener à instaurer un statut de l'élu attractif et protecteur, un statut permettant d'ouvrir la charge d'élu aux citoyens qui n'ont pas tous la chance d'être fonctionnaire.
En réalité, la difficulté se situe davantage dans les relations qui doivent pouvoir être nouées entre les départements et les régions. Le sujet ne m'est pas étranger. La région des Pays de la Loire et les cinq départements qui la composent, ont décidé, ensemble, d'établir un pacte de modération fiscale sur trois ans. Nous avons également choisi de rationaliser certains de nos outils administratifs afin d'éviter les redondances. C'est un premier pas dans la bonne direction, mais qui est encore très modeste. Comment aller plus loin ? Certains se prononcent pour la suppression pure et simple de tous les départements, au profit des seules régions... La formule est trop radicale pour être raisonnablement envisagée. Soyons pragmatiques. En définitive, c'est de la qualité et de la fréquence des relations qui s'établiront entre les conseils généraux et conseils régionaux que se situe la clé de l'harmonisation et de l'efficacité globales. Parce que la Région constitue l'espace stratégique le plus puissant, c'est autour de ce pôle que doit pouvoir, à mon sens, être pensé l'avenir de la décentralisation. La région doit être le ciment des ambitions locales. Pour atteindre cet objectif, une refonte du mode d'élection des conseillers généraux et régionaux doit être, à mon sens, explorée. Il s'agirait d'instaurer le cumul de ces deux fonctions. Membre du conseil général et du conseil régional, l'élu aborderait les dossiers avec un regard unique. L'élection s'exercerait dans le cadre d'un redécoupage des circonscriptions électorales ; circonscriptions qui devraient être plus larges ( ce qui impliquerait une réduction du nombre d'élus ! ) que l'actuel canton administratif. Seule une disposition électorale de cette nature me semble réellement en mesure de provoquer une modification des comportements et des pratiques. En unifiant le personnel politique local, nous conduirons progressivement les structures politiques et administratives à une cohérence qui leur fait aujourd'hui défaut. Dans un second temps, si cela était nécessaire, nous pourrons alors plus aisément accentuer le mouvement de simplification de la carte administrative française en décidant une fusion totale des conseils régionaux et généraux, les départements jouant, dans ce cas de figure, le rôle de collectivités subordonnées aux régions, concentrant essentiellement leur action sur les questions relatives à la solidarité sociale.
Enfin, dernier volet de cette réforme générale, accordons aux collectivités locales le pouvoir d'innover. L'innovation n'est pas nécessairement l'ennemie de l'égalité et de la solidarité nationales. La loi fixe les cadres qui s'imposent à tous. Les politiques locales doivent, c'est naturel, respecter les termes du contrat national défini par le législateur. Cependant, nous devons offrir aux collectivités locales un droit à l'expérimentation. Expérimenter, c'est adapter l'esprit de la loi aux réalités changeantes et variées du terrain, c'est inventer, c'est comparer, c'est améliorer, c'est tester de nouvelles formules qui, ensuite, peuvent être généralisées à l'ensemble du pays. Bref, expérimenter c'est réformer en douceur, de façon ciblée et pragmatique, en décrispant les craintes que font trop souvent naître dans notre pays les projets uniformes, imposés par le haut, et obéissant à des normes plus théoriques que pratiques. C'est dans cet esprit que la régionalisation des transports ferroviaires a été testée avec succès dans sept régions candidates avant d'être généralisée. Pour l'emploi, pour la création d'activités, pour l'éducation, la formation et l'insertion des jeunes, ce droit à l'expérimentation devrait être offert aux régions. Mais ce droit ne doit pas être l'antichambre d'une France à plusieurs vitesses. C'est pourquoi, il doit être, dans ses principes généraux, défini par le législateur. C'est un préalable. Il devrait ensuite obéir à des critères précis, comme celui de l'égalité des citoyens issus de la collectivité locale expérimentatrice. Il devrait être limité dans le temps, soit trois ans. Il serait naturellement contrôlé par les services déconcentrés de l'Etat qui seul serait en mesure, au regard des résultats, de proroger l'expérimentation.
Ce concept de l'expérimentation nous renvoie naturellement au cur du dossier Corse. Où commence, où s'arrête, le droit à l'innovation et à la dérogation ? Je viens de fixer quelques uns des critères autour desquels ce concept pourrait être organisé Dans cette affaire, il faut en réalité distinguer le pouvoir d'adaptation réglementaire qui doit être examiné avec attention et qui est éventuellement acceptable, et le pouvoir d'adaptation législative qui est inacceptable et inenvisageable car il créerait inéluctablement un conflit de légitimité politique entre le parlement national et l'assemblée régionale, qu'elle soit Corse ou Ligérienne.
Dans le processus de Matignon, les choses ne sont nullement claires. Qui décide, qui agrée, qui contrôle ce pouvoir de dérogation ? On évoque ici ou là les tribunaux administratifs. Est-ce à dire que ce serait le juge administratif qui serait habilité à trancher un éventuel conflit de subsidiarité politique ? A mon sens, la République est suffisamment sous l'emprise des juges et de l'administration pour ne pas en rajouter ! On évoque aussi le Premier ministre qui, nous dit-on, serait directement saisi par l'Assemblée de Corse pour toute demande d'adaptation législative et qui serait libre ou non de donner suite à cette demande en saisissant l'Assemblée Nationale. Est-ce à dire que le pouvoir de proposition serait entre les mains de l'Assemblée Corse et le pouvoir de transaction entre les mains de Matignon ? Dans cette optique, il est clair que le Parlement national serait une fois de plus confiné dans le rôle de simple chambre d'enregistrement.
Tout cela à dire vrai n'est pas clair. Tout cela sent le bricolage politique. Je ne parle même pas de l'enseignement obligatoire de la langue corse tant cette disposition est contraire à l'esprit de la république. Tout me laisse penser qu'elle sera d'ailleurs sanctionnée par le conseil constitutionnel.
Lionel Jospin a présenté son affaire comme " un pari ". Ce pari est risqué car la méthode employée n'est pas la bonne. On ne doit pas négocier en catimini sans un mandat clair des citoyens ! On ne doit pas singulariser le cas corse au risque de légitimer la quête des séparatismes régionalistes les plus violents ! On ne peut enfin accorder tant de crédit aux élus indépendantistes ! Le Premier Ministre croit pouvoir embringuer ces élus dans ce qu'il a appelé un " processus " Qu'il ne se leurre pas : si ces élus ont accepté ce processus, c'est précisément parce qu'ils ont le sentiment que ceux qui seront embringués ne sont pas nécessairement ceux que l'on croit !
Mesdames et messieurs,
Parce que la méthode n'est pas la bonne, parce que sa philosophie n'est pas claire, nous dirons " non " aux accords de Matignon !
Mais ce " non " n'est pas un petit " non " de circonstance. Il est fondé sur une passion pour la république une et indivisible. Contrairement à ce que prétend Jean Guy Talamoni, la citoyenneté républicaine n'est par un archaïsme. Dans un monde ouvert, compétitif et parfois même sauvage, j'affirme qu'elle est l'expression la plus généreuse et la plus moderne de l'universalité humaine.
Ce " non " n'est pas de circonstance et il n'est pas non plus défensif. Nous disons oui à la modernisation et à la décentralisation de la république, une république que nous rêvons plus solide, mieux organisée et plus participative.
En somme, nous voulons renouveler le contrat républicain et non le déchirer.
(source http://www.rpr.org, le 23 novembre 2000)
Mesdames et messieurs,
Lors du dernier colloque de " Debout la République " nous nous étions interrogés sur la mondialisation et je m'étais efforcé de tracer les voies d'une stratégie de projection permettant à notre pays d'affirmer sa place dans le concert international.
Mais pour se déployer à sa juste mesure, cette stratégie de projection doit être servie par une architecture institutionnelle adaptée à ses exigences.
Or, force est de constater que notre pays vit actuellement dans le désordre institutionnel. Un désordre qui handicape son dynamisme, sa créativité et qui n'est pas, en outre, étranger à la crise actuelle du politique et de la citoyenneté. Le diagnostic, vous le connaissez : le pouvoir exécutif est affaibli et divisé par les cohabitations à répétition, le pouvoir législatif est méprisé, l'Etat survit dans la précarité et ses agents sont atteints par un doute quasi existentiel, enfin, le pouvoir local est enchevêtré et illisible. Aucune grande entreprise, si vous m'autorisez un tel parallèle, ne pourrait survivre très longtemps avec un organigramme aussi touffu, coûteux et déresponsabilisant.
Face à cette situation de blocage général, nous sommes nombreux ici à militer en faveur d'une modernisation de la république. Une modernisation que je conçois personnellement bâtie autour de deux piliers :
- celui d'une rénovation du régime permettant, à travers une présidentialisation renforcée, de concentrer les pouvoirs autour du chef de l'Etat et d'élargir les capacités de contrôle du parlement ;
- celui d'une décentralisation approfondie et clarifiée permettant aux citoyens et aux acteurs locaux de prendre leur avenir en mains, et à l'Etat d'affûter, parallèlement, sa légitimité, ses moyens et ses méthodes. La France ne peut nouer un pacte avec la modernité tant que son armature politique et administrative demeure verticalement corsetée au niveau central et horizontalement fragmentée au niveau décentralisé. Cette armature à la fois hiérarchique et éclatée est le résultat d'une longue histoire nationale signée par l'inconstance de notre peuple. Justifiée en son temps, cette organisation est devenue une source d'infirmité politique, d'inintelligibilité démocratique et de gaspillage financier. Il convient donc de remettre les choses à plat.
En provoquant une redistribution des pouvoirs et des pratiques, la décentralisation peut donc être une chance pour la France mais elle peut être aussi, si certaines conditions ne sont pas remplies, une défaite.
Une chance si cela conduit, je l'ai dit, à nous interroger courageusement sur l'organisation et l'efficacité des pouvoirs centraux, déconcentrés et décentralisés. De façon conjointe, l'Etat et les collectivités territoriales sont affectés par une langueur comparable liée au discrédit général qui frappe les pouvoirs publics. C'est de concert qu'ils doivent se réinventer ! Toute nouvelle étape de la décentralisation devrait donc agir comme le levier d'une réévaluation des concepts, des structures et des modalités d'action qui ont présidé, et qui président encore, la république. Il s'agit notamment d'arbitrer puis de trancher en faveur d'un Etat qui doit en certains domaines être acteur et en d'autres régulateur ; un Etat recentré et relayé par des collectivités locales responsabilisées et imaginatives qui doivent être placées en position de partenaires de l'Etat républicain et non de concurrentes. C'est là une révolution conceptuelle qui doit être entreprise à l'image de celle engagée pour certains services publics qui ne dépendent plus organiquement de l'Etat stricto sensu mais qui n'en assurent pas moins une mission d'intérêt général qui leur est fixée par la loi
Une chance aussi si cela nous permet de ressusciter l'espace public en favorisant l'émergence d'une démocratie locale plus participative. Il convient ici d'ouvrir la voie à une décentralisation citoyenne qui doit servir de relais démocratique dans une république ankylosée et face à une Europe qui demeure sourde au principe de la subsidiarité politique.
Mais ce mouvement accentué de décentralisation, peut être aussi, je l'ai dit, une défaite s'il épouse une logique centripète qui, progressivement, déchirerait le pacte national. Entre le principe de " la diversité dans l'unité républicaine " et celui de " la liberté dans l'inégalité républicaine ", la frontière est terriblement étroite. Nous sommes là - et j'en reparlerai - au cur du dossier Corse. Dossier délicat, explosif même, mais dossier exemplaire car plaçant la politique de décentralisation devant ses véritables questions : celle des limites qu'il convient de fixer et celle de la méthode qu'il convient de respecter pour avancer ensemble et en ordre.
Mesdames et messieurs, j'aborde le dossier de la décentralisation avec deux convictions.
Première conviction : je crois que la décentralisation a révélé une nouvelle société française
Grâce à elle, une étonnante vitalité territoriale s'est exprimée, une vitalité qui s'était trop longtemps et exclusivement concentrée autour des enjeux de la capitale. Cette vitalité épouse les attentes d'une société française qui, depuis vingt ans, a changé. Une société créative, en quête de racines, d'identité et de participation locales. Une société, qui, de plus en plus attentive à sa qualité de vie, tourne le dos aux schémas de développement standardisé, centralisateur et uniforme. C'est dans cette perspective qu'il faut analyser le succès de certaines de nos grandes capitales régionales. C'est dans cette même perspective qu'il faut surtout examiner la reconquête de la " France des terroirs " qui retrouve en terme de population les chiffres des années 60. Cet inversement de tendance prolonge l'effort de décentralisation entrepris depuis plusieurs années, mais il doit aussi nous permettre de renouer avec une politique d'aménagement du territoire repensant fondamentalement l'espace français et les relations entre le monde urbain et rural.
En définitive, j'ai le sentiment que nous sommes en présence d'un mouvement de civilisation au sein duquel les critères de la modernité se marient aux exigences de la qualité, de l'authenticité et de la proximité. L'ensemble des pouvoirs doit nécessairement s'adapter à cette nouvelle donne sociologique et culturelle qui conduit les Français à redécouvrir plus charnellement " leurs pays " avec leurs spécificités propres, leurs traditions et leurs histoires. Qu'on me comprenne bien : cela ne signifie nullement qu'il faille, par exemple, s'empresser de signer la charte des langues régionales ( charte à laquelle j'étais personnellement hostile car il me semble que la priorité pour nos enfants n'est pas à la langue corse, basque ou bretonne, mais au français, à l'anglais, à l'allemand, à l'espagnol et même éventuellement au chinois ). Cela signifie cependant que cette quête d'enracinement local doit être prise en compte et respectée.
Cette nouvelle donne sociologique et culturelle nous conduit nécessairement à penser l'avenir de la décentralisation suivant le principe d'une véritable subsidiarité qui ne doit pas être l'otage d'un affrontement idéologique, à mon sens, dépassé. Entre le jacobinisme étouffant et le girondisme extravagant, il y a désormais une place pour une relation rénovée entre l'unité nationale et l'expression locale. Il existe un espace pour le double sentiment d'appartenance, à la France et à sa région, à l'Etat républicain mais aussi à sa ville, à son " terroir ". Autrefois inconciliable, cette citoyenneté à plusieurs visages peut être vécue de façon sereine et même complémentaire. A cet égard, je serai clair : le pacte républicain n'est pas menacé par les collectivités locales ! Il est surtout ébranlé par l'uniformisation culturelle qui trouve sa source dans les modèles dominants de la société de consommation. Il est aussi ébranlé par la médiocrité du débat politique sur laquelle prospère la pensée unique et la technocratie qu'elle soit nationale ou européenne. Il convient donc d'écarter les faux débats. Si le jacobinisme était autrefois la contrepartie d'un régionalisme archaïque, le séparatisme régionaliste est aujourd'hui le revers d'un jacobinisme devenu étroit et frileux. Un nouvel équilibre doit être trouvé. Et celui-ci devra être fondé sur un climat de confiance entre les différents pouvoirs et sur des règles claires énoncées pour tous.
Ma seconde conviction, c'est que la décentralisation fixée par les lois de 1981 est en panne. Un second souffle doit être donné.
Initié il y a vingt ans, un cycle s'achève et s'épuise désormais dans la confusion, l'irrésolution et la suspicion.
Confusion entre les cinq échelons centraux et décentralisés. Cinq échelons où nul ne sait plus très bien qui fait quoi, qui est le patron. Cinq échelons où se croisent, se neutralisent les financements, les meilleures volontés et les savoir-faire. 37.000 communes, 19.000 établissements publics intercommunaux; 100 départements, 22 régions, 413.000 élus locaux, 1.477.000 fonctionnaires, 100 préfectures, 233 sous-préfectures, 26 recteurs.... C'est dans ce dédale politico-administratif, que le citoyen en quête d'informations, le chef d'entreprise à la recherche de financements, le responsable politique lui même, sont condamnés à tirer laborieusement leur épingle du jeu.
Contradiction disais-je, mais aussi irrésolution dans les relations entretenues entre l'Etat et les collectivités locales. A cet égard, les dernières négociations pour les contrats de plan Etat-Région auront constitué l'expression caricaturale d'une politique à bout de souffle. Négociations sans fin menées par un Etat écartelé entre les demandes contradictoires de ses services déconcentrés et celles de ses administrations centrales, négociations abracadabrantesques menées par un Etat qui joue les maîtres d'uvre avec une capacité réelle d'investissement inférieure au seuil des 50 % normalement fixé par la loi qui régit la procédure contractuelle.
Enfin, j'ai parlé de suspicion. Suspicion au sein d'un Etat qui est ferme là où il devrait être compréhensif et mou là où il devrait être vigilant. Il y a un paradoxe que je dénonce : l'Etat dévolue certaines de ses responsabilités les plus sacrées à l'Europe, aux commissions indépendantes, aux experts appointés, au secteur privé, mais ne semble pas se lasser de suspecter et de cadrer les collectivités territoriales J'aimerais que le gouvernement soit plus sourcilleux dans le contrôle, en réalité inexistant, de la commission de Bruxelles et un peu moins dans celui de la région des Pays de la Loire ! Que les choses soient claires : je ne suis pas un libéral antiétatique en train de dresser le procès de la puissance publique. C'est, bien au contraire, le sens de l'Etat et le souci de l'intérêt général qui me conduisent à mettre les point sur les " i " et à réclamer une modernisation de la sphère publique destinée, à bien des égards, à restaurer l'Etat.
Voilà , mesdames et messieurs, en quelques mots la situation générale, voilà la panne à laquelle l'aimable rapport Mauroy ne répond qu'à la marge.
Disons-le nettement, cette panne est coûteuse pour la France. Mais elle est aussi politiquement dangereuse car elle place le sort de la décentralisation entre deux écueils aussi néfastes l'un que l'autre :
- celui de la recentralisation rampante ( recentralisation notamment fiscale qui est actuellement à l'uvre sous l'impulsion d'un Etat qui, par conservatisme, cherche maladroitement à reprendre la main ) ;
- et celui de la fuite en avant, qui caractérise le cas Corse, mais aussi les scénari en chambre de la DATAR qui sont fondés sur la création de grandes régions françaises aussi ingérables qu'indigestes pour l'unité nationale. La majorité actuelle est, je le crains, atteinte du syndrome du " pont de la rivière kwaï " : en clair, le syndrome du tout ou rien. Parce qu'elle n'est pas animée par une vision cohérente et dynamique de la décentralisation, elle oscille fébrilement entre le tout pour la Corse et le rien pour les autres.
C'est entre la recentralisation et la fuite en avant, entre l'impossible statu quo et l'improbable table rase, qu'il faut imaginer et proposer une voie réformiste originale et équilibrée.
Cette voie, je l'ai dit, devrait mobiliser l'ensemble des pouvoirs. C'est un audit général et courageux de la sphère publique qui doit être initié. Il faut revoir point par point, domaine par domaine, fonction par fonction, les compétences des uns et des autres. Cet exercice devant nous amener à fixer les termes d'un nouveau contrat politique entre l'Etat et les collectivités locales, un contrat fondé sur une subsidiarité claire, obéissant aux principes de l'efficacité et de la responsabilité. Cet exercice - j'insiste sur ce point - devrait associer l'ensemble des collectivités locales et des citoyens. Il pourrait, par exemple, à travers des forums régionaux réunissant des acteurs publics et privés, prendre la forme d'états généraux pour une république moderne, puis être, à terme, couronné par un référendum. Cette méthode globale et participative est capitale. Elle tourne précisément le dos aux pratiques actuellement en vigueur pour la Corse, pratique qui tend dangereusement à singulariser un problème qui doit, au contraire, trouver sa réponse dans une dynamique collective, c'est à dire nationale. Singulariser c'est différencier, différencier c'est isoler, isoler c'est déjà se distancer ! A cet égard, les nationalistes Corses ont remporté leur première victoire qui est celle de la distinction qui légitime la distanciation.
Il faut donc placer le processus dans une perspective globale et participative.
Premier point, il faut repenser l'Etat. Repenser sa philosophie d'action ( c'est l'objet de l'audit dont je parlais à l'instant ) et ses pratiques. La puissance publique doit concentrer ses structures et ses moyens sur le terrain. A cet égard, l'usage, au sein de l'administration, des nouvelles technologies de communication, en réseaux fermés ou ouverts, doit servir de levier à une révision profonde des structures et des méthodes pyramidales de travail au profit d'un nouveau management des services, des équipes et des relations avec les usagers. Aujourd'hui, si l'informatisation des administrations est acquise au trois quart, seuls 30 % des missions de l'Etat ont été véritablement repensées en fonction de cet exceptionnel apport technologique et font l'objet d'une mise en ligne au service du public. Oxygéner le système, l'assouplir, le désengorger au sommet, le muscler sur le terrain : c'est la déconcentration des administrations centrales vers les territoires. Cet effort de déconcentration - qui peut être facilité par l'usage des technologies de communication - doit être stimulé par une mobilité professionnelle des agents de l'Etat qui doivent pouvoir aisément passer d'un corps administratif à l'autre en fonction des besoins et par un recrutement local plus étendu. Je milite en outre pour un regroupement opérationnel de l'Etat autour du préfet de région. Les citoyens, comme les élus locaux, souhaitent qu'il y ait un représentant de l'Etat qui soit en mesure d'exercer ses attributions en véritable " patron ", secondé par les préfets et sous-préfets en postes dans la région.
Premier point donc, développer l'Etat stratège, et, parallèlement, clarifier, harmoniser les compétences des collectivités locales en cadrant, en approfondissant, la décentralisation.
La décentralisation, nous l'avons dit, est malade. Elle est à la fois affectée par sa confusion, son atomisation originelle, qui s'est, ici ou là, transmuée en féodalité locale. Entre les communes, les départements et les régions l'esprit d'équipe est parfois moins affirmé que l'esprit de clocher. Elle est aussi viciée par le flou juridique qui entoure le partage des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales, et entre les collectivités territoriales elle mêmes. Politiques éducative, économique, sociale, culturelle, d'aménagement du territoire : chacun joue sa partition sans véritables chefs d'orchestre.
Il convient donc de redéfinir les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales, et entre les collectivités territoriales elles-mêmes, en précisant les blocs de compétences accordés aux uns et aux autres. En ce domaine, le pire c'est le mélange des genres. En la matière, la clarté des responsabilités doit être la règle. Chacun doit précisément savoir ce qu'il lui revient ou non de faire. Ainsi pour chaque compétence, une collectivité locale doit pouvoir tenir le rôle de chef de file, en détenant l'initiative et la conduite des opérations. Trois volets importants, aujourd'hui entre les mains exclusives de l'Etat, doivent pouvoir, me semble-t-il, être, en partie, délégués. Celui de la formation et de l'éducation, où les collectivités locales souhaitent pouvoir davantage s'impliquer. Celui de la sécurité où les maires des grandes villes veulent pouvoir être associés aux efforts entrepris par les forces de police et de gendarmerie, afin de compléter leur politique d'intégration urbaine. Celui de la fiscalité locale où une autonomie plus large doit être accordée aux responsables locaux. Cette question de la fiscalité est cruciale. L'ambiguïté actuelle devient ingérable. Soit - comme je le souhaite - nous choisissons l'autonomie fiscale, avec une spécialisation des prélèvements par collectivités, soit nous procédons, comme en Allemagne, avec un système par de dotation globale qui repose sur un pacte pluriannuel, en partie définie par la constitution. Sur ce sujet, le débat est ouvert, et il faudra trancher !
Ces blocs de compétences une fois définis, enclenchons des mécanismes de coopération, de coagulation, permettant de concentrer les objectifs, les moyens et les structures des collectivités territoriales. Nous devons passer d'une culture du pré carré à une culture de la complémentarité et de l'unité locale. Cette entreprise est ambitieuse et nul doute qu'elle puisse heurter des habitudes et des traditions qui ne sont pas toutes illégitimes. Concernant les communes, les procédures intercommunales commencent à produire leurs effets bénéfiques. Elle doivent pouvoir être accentuées pour couronner, en milieu rural, le regroupement des plus petites municipalités qui sont, nous le savons, en mal de relève politique, puisque près de 40 % des maires n'envisageraient pas de se représenter aux prochaines élections. Cette situation doit nous amener à instaurer un statut de l'élu attractif et protecteur, un statut permettant d'ouvrir la charge d'élu aux citoyens qui n'ont pas tous la chance d'être fonctionnaire.
En réalité, la difficulté se situe davantage dans les relations qui doivent pouvoir être nouées entre les départements et les régions. Le sujet ne m'est pas étranger. La région des Pays de la Loire et les cinq départements qui la composent, ont décidé, ensemble, d'établir un pacte de modération fiscale sur trois ans. Nous avons également choisi de rationaliser certains de nos outils administratifs afin d'éviter les redondances. C'est un premier pas dans la bonne direction, mais qui est encore très modeste. Comment aller plus loin ? Certains se prononcent pour la suppression pure et simple de tous les départements, au profit des seules régions... La formule est trop radicale pour être raisonnablement envisagée. Soyons pragmatiques. En définitive, c'est de la qualité et de la fréquence des relations qui s'établiront entre les conseils généraux et conseils régionaux que se situe la clé de l'harmonisation et de l'efficacité globales. Parce que la Région constitue l'espace stratégique le plus puissant, c'est autour de ce pôle que doit pouvoir, à mon sens, être pensé l'avenir de la décentralisation. La région doit être le ciment des ambitions locales. Pour atteindre cet objectif, une refonte du mode d'élection des conseillers généraux et régionaux doit être, à mon sens, explorée. Il s'agirait d'instaurer le cumul de ces deux fonctions. Membre du conseil général et du conseil régional, l'élu aborderait les dossiers avec un regard unique. L'élection s'exercerait dans le cadre d'un redécoupage des circonscriptions électorales ; circonscriptions qui devraient être plus larges ( ce qui impliquerait une réduction du nombre d'élus ! ) que l'actuel canton administratif. Seule une disposition électorale de cette nature me semble réellement en mesure de provoquer une modification des comportements et des pratiques. En unifiant le personnel politique local, nous conduirons progressivement les structures politiques et administratives à une cohérence qui leur fait aujourd'hui défaut. Dans un second temps, si cela était nécessaire, nous pourrons alors plus aisément accentuer le mouvement de simplification de la carte administrative française en décidant une fusion totale des conseils régionaux et généraux, les départements jouant, dans ce cas de figure, le rôle de collectivités subordonnées aux régions, concentrant essentiellement leur action sur les questions relatives à la solidarité sociale.
Enfin, dernier volet de cette réforme générale, accordons aux collectivités locales le pouvoir d'innover. L'innovation n'est pas nécessairement l'ennemie de l'égalité et de la solidarité nationales. La loi fixe les cadres qui s'imposent à tous. Les politiques locales doivent, c'est naturel, respecter les termes du contrat national défini par le législateur. Cependant, nous devons offrir aux collectivités locales un droit à l'expérimentation. Expérimenter, c'est adapter l'esprit de la loi aux réalités changeantes et variées du terrain, c'est inventer, c'est comparer, c'est améliorer, c'est tester de nouvelles formules qui, ensuite, peuvent être généralisées à l'ensemble du pays. Bref, expérimenter c'est réformer en douceur, de façon ciblée et pragmatique, en décrispant les craintes que font trop souvent naître dans notre pays les projets uniformes, imposés par le haut, et obéissant à des normes plus théoriques que pratiques. C'est dans cet esprit que la régionalisation des transports ferroviaires a été testée avec succès dans sept régions candidates avant d'être généralisée. Pour l'emploi, pour la création d'activités, pour l'éducation, la formation et l'insertion des jeunes, ce droit à l'expérimentation devrait être offert aux régions. Mais ce droit ne doit pas être l'antichambre d'une France à plusieurs vitesses. C'est pourquoi, il doit être, dans ses principes généraux, défini par le législateur. C'est un préalable. Il devrait ensuite obéir à des critères précis, comme celui de l'égalité des citoyens issus de la collectivité locale expérimentatrice. Il devrait être limité dans le temps, soit trois ans. Il serait naturellement contrôlé par les services déconcentrés de l'Etat qui seul serait en mesure, au regard des résultats, de proroger l'expérimentation.
Ce concept de l'expérimentation nous renvoie naturellement au cur du dossier Corse. Où commence, où s'arrête, le droit à l'innovation et à la dérogation ? Je viens de fixer quelques uns des critères autour desquels ce concept pourrait être organisé Dans cette affaire, il faut en réalité distinguer le pouvoir d'adaptation réglementaire qui doit être examiné avec attention et qui est éventuellement acceptable, et le pouvoir d'adaptation législative qui est inacceptable et inenvisageable car il créerait inéluctablement un conflit de légitimité politique entre le parlement national et l'assemblée régionale, qu'elle soit Corse ou Ligérienne.
Dans le processus de Matignon, les choses ne sont nullement claires. Qui décide, qui agrée, qui contrôle ce pouvoir de dérogation ? On évoque ici ou là les tribunaux administratifs. Est-ce à dire que ce serait le juge administratif qui serait habilité à trancher un éventuel conflit de subsidiarité politique ? A mon sens, la République est suffisamment sous l'emprise des juges et de l'administration pour ne pas en rajouter ! On évoque aussi le Premier ministre qui, nous dit-on, serait directement saisi par l'Assemblée de Corse pour toute demande d'adaptation législative et qui serait libre ou non de donner suite à cette demande en saisissant l'Assemblée Nationale. Est-ce à dire que le pouvoir de proposition serait entre les mains de l'Assemblée Corse et le pouvoir de transaction entre les mains de Matignon ? Dans cette optique, il est clair que le Parlement national serait une fois de plus confiné dans le rôle de simple chambre d'enregistrement.
Tout cela à dire vrai n'est pas clair. Tout cela sent le bricolage politique. Je ne parle même pas de l'enseignement obligatoire de la langue corse tant cette disposition est contraire à l'esprit de la république. Tout me laisse penser qu'elle sera d'ailleurs sanctionnée par le conseil constitutionnel.
Lionel Jospin a présenté son affaire comme " un pari ". Ce pari est risqué car la méthode employée n'est pas la bonne. On ne doit pas négocier en catimini sans un mandat clair des citoyens ! On ne doit pas singulariser le cas corse au risque de légitimer la quête des séparatismes régionalistes les plus violents ! On ne peut enfin accorder tant de crédit aux élus indépendantistes ! Le Premier Ministre croit pouvoir embringuer ces élus dans ce qu'il a appelé un " processus " Qu'il ne se leurre pas : si ces élus ont accepté ce processus, c'est précisément parce qu'ils ont le sentiment que ceux qui seront embringués ne sont pas nécessairement ceux que l'on croit !
Mesdames et messieurs,
Parce que la méthode n'est pas la bonne, parce que sa philosophie n'est pas claire, nous dirons " non " aux accords de Matignon !
Mais ce " non " n'est pas un petit " non " de circonstance. Il est fondé sur une passion pour la république une et indivisible. Contrairement à ce que prétend Jean Guy Talamoni, la citoyenneté républicaine n'est par un archaïsme. Dans un monde ouvert, compétitif et parfois même sauvage, j'affirme qu'elle est l'expression la plus généreuse et la plus moderne de l'universalité humaine.
Ce " non " n'est pas de circonstance et il n'est pas non plus défensif. Nous disons oui à la modernisation et à la décentralisation de la république, une république que nous rêvons plus solide, mieux organisée et plus participative.
En somme, nous voulons renouveler le contrat républicain et non le déchirer.
(source http://www.rpr.org, le 23 novembre 2000)