Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur les concours de l'Etat aux collectivités locales et les réformes annoncées dans le Pacte de stabilité financière, Paris le 28 septembre 1995.

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Circonstance : Réception d'Alain Juppé devant l'Association des maires des grandes villes de France (AMGVF), Paris le 28 septembre 1995

Texte intégral

Monsieur le Président, je voudrais vous remercier tout d'abord de vos paroles d'accueil, vous dire que je suis très heureux d'être parmi vous en tant que membre de votre association - encore que le maire de Bordeaux soit représenté ce matin par mon adjoint, Didier Cazabone que je salue ici - et d'y être principalement, puisque c'est à lui que vous vous êtes adressé dans votre propos, en tant que Premier ministre.
Je ne voudrais pas tarder à vous féliciter pour votre élection et pour la constitution de votre nouveau bureau. J'associerai mes hommages à ceux que vous avez rendus à Jean-Marie Rausch.
Je voudrais également féliciter Dominique Baudis qui, en tant que Premier vice-Président va ajouter à ses charges déjà nombreuses une responsabilité importante à vos côtés, ainsi qu'à l'ensemble de vos vice-présidents et des membres du bureau. Je sais dans quel esprit fonctionne l'Association des maires des grandes villes de France. Nous ne partageons pas tous les mêmes opinions politiques. Nous avons des sensibilités différentes, mais nous sommes tous réunis par les mêmes préoccupations, les mêmes enjeux et je suis sûr que sous votre présidence, le climat sinon consensuel, du moins de coopération efficace qui a marqué les travaux de cette association, pourra perdurer.
Comme vous l'avez rappelé tout à l'heure, dès les premières semaines de ma prise de fonction, j'avais reçu les représentants de l'association des maires des grandes villes de France et j'avais manifesté mon souci que votre association devienne un partenaire quasi institutionnel de l'État à l'image des autres grandes associations d'élus. Et je crois que c'est ce qui a été fait dans un certain nombre de discussions qui se sont engagées. Je reviendrai tout à l'heure sur le pacte de stabilité. C'est également dans cet esprit que les ministres compétents, Monsieur Raoult et Madame de Veyrinas sont en train de préparer le programme national d'intégration urbaine qui sera mis au point d'ici la fin de cette année et qui constituera coutil du Gouvernement dans la politique de la ville que nous souhaitons tous.
Je suis en effet désormais bien placé, comme vous, pour savoir que c'est dans la ville, dans les grandes villes en particulier, que se concentrent aujourd'hui tous les problèmes qui menacent parfois la cohésion sociale de notre pays : le phénomène de l'exclusion, souvent le phénomène du chômage même si nous n'en avons pas le monopole, et toutes les questions que vous avez tout à l'heure évoquées.
Sachez donc que cette volonté de dialogue et d'implication de votre association, de notre association, dans la préparation des grandes décisions gouvernementales, continuera à m'animer.
Vous m'avez dit tout à l'heure que plusieurs de nos collègues souhaitaient me poser des questions. Je vais donc être très bref dans mon propos introductif. Je voudrais simplement revenir rapidement sur les aspects financiers des relations entre l'État et nos collectivités.
Dès ma déclaration de politique générale, j'avais indiqué que je souhaitais réfléchir avec les collectivités locales à l'idée d'un pacte de stabilité financière, avec une double préoccupation, et je souhaiterais qu'aucun de ces deux aspects n'ait été laissé de côté.
D'abord la stabilité, bien sûr. Rien n'est pire pour une collectivité territoriale - pour la collectivité nationale aussi d'ailleurs - que l'imprévisibilité ou la modification rapide des règles du jeu qui paralyse ou contrarie toute prévision financière à moyen terme. Il m'avait donc semblé, pour éviter que ne se reproduisent un certain nombre d'événements que nous avions été unanimes à considérer comme fâcheux, qu'on sache sur une période pluriannuelle où l'on va et c'est ce qui animait Monsieur Claude Goasguen, le ministre de la Décentralisation et de la Réforme de l'État qui est à mes côtés ce matin, dans la préparation de ce pacte de stabilité. Se mettre d'accord sur trois ans, et dans le cadre de cet accord, prendre l'engagement de ne pas modifier (quelles que soient les difficultés auxquelles nous nous heurtons), les règles du jeu comme on l'a fait par exemple à la fin de l'année dernière pour la CNRACL C'était ça la première idée, la première Inspiration du pacte de stabilité, et je crois que cette idée a été bien reçue par les collectivités territoriales et que Monsieur Goasguen et Monsieur d'Aubert sont arrivés à ta mettre en oeuvre dans le projet qui a été arrêté, au moins dans la première étape, de ce pacte de stabilité.
L'autre préoccupation dans le pacte de stabilité - c'est ici évidemment le Premier ministre qui s'exprime - il faut que je le dise sans aucune ambiguïté, c'était le souci pour la collectivité nationale de mettre un peu d'ordre dans l'évolution de ses concours aux collectivités locales. Je ne vais pas botter en touche en évoquant ici les contraintes financières qui sont les nôtres. Quand on a 4000 milliards de dettes et qu'on s'endette au rythme de 400 milliards de plus chaque année, on est en situation de péril, de péril national, et ceci implique donc des mesures de redressement rudes, d'autant que nous nous sommes fixés un objectif que nous ne partageons peut-être pas tous ici, mais enfin quand je dis " nous " c'est le Gouvernement, qui est - pour des raisons non seulement économiques et monétaires mais je dirais principalement politiques - de ramener les déficits publics à 4 % du produit intérieur brut l'an prochain et à 3 % en 1997.
C'est un choix majeur. C'est un choix qui conditionne, de mon point de vue, non seulement la place de la France en Europe mais l'existence môme de l'Union Européenne en tant qu'espace de solidarité. Si nous n'avançons pas dans les prochaines années dans cette direction, nous ne resterons pas sur place. Nous reculerons.
Je m'arrête sur ce sujet qui dépasse le cadre de cette assemblée, mais je voulais quand même donner ce coup de projecteur pour expliquer pourquoi la réduction des déficits publics est aujourd'hui une exigence nationale sur laquelle le Gouvernement tiendra bon.
Alors, il faut faire des économies partout. On me dit : il faut réduire le déficit sans augmenter les prélèvements obligatoires. C'est l'objectif à moyen terme. C'est évident. A court terme, dans la situation où nous sommes, on ne peut pas ne pas, à la fois, développer un certain nombre de mesures dans ce sens et en même temps rechercher des économies.
Or, sans vous abreuver de chiffres, je ne les réciterai pas, vous les connaissez, je sais qu'ils donneront lieu évidemment à contestation et à discussion - quand je regarde les courbes, elles sont très parlantes : je vois que l'ensemble des concours de l'état aux collectivités territoriales a augmenté depuis plusieurs années plus rapidement, sensiblement plus vite, que les autres dépenses de l'État et que les recettes de l'État qui sont en situation de véritable sinistre au cours de l'année 1995 puisque, par rapport aux prévisions de la loi de Finances initiale, c'est plus de 30 à 40 milliards de recettes qui n'entrent pas dans les caisses.
J'avais déjà fait une première marche, si je puis dire, dans le réajustement des prévisions de recettes dans la loi de Finances rectificative 1995 en faisant moins 10. Et je constate que dans le deuxième semestre, c'est moins 20 qui entre dans les caisses. Ce qui me donne à penser, d'ailleurs, que le taux de prélèvement obligatoire en 1995, a posteriori, lorsqu'on l'aura calculé ne sera pas en croissance puisque les recettes ne rentrent pas ; ni les recettes de TVA - on m'explique que c'est parce que la croissance est tirée par l'exportation et l'investissement - ni les recettes d'impôts sur les sociétés - on me dit que les entreprises gagnent de l'argent mais qu'elles provisionnent de manière très ambitieuse et que donc, elles ne déclarent pas de bénéfices ; c'était peut-être aussi parce que les prévisions de recettes avaient été un peu largement calculées - bref, la situation est là. Et donc je suis, face à cette situation de péril national, obligé de faire des économies, et donc le pacte de stabilité a eu aussi pour objectif de poser en principe que les contributions de l'État, les concours actifs de l'État aux collectivités territoriales n'augmenteraient pas plus que la hausse des prix.
Vous savez les choix qui ont été faits dans le cadre de cette concertation : hausse des prix pour l'ensemble des concours actifs. Pour la DGF, hausse des prix plus 50 % de la hausse du produit intérieur brut. Il fallait donc trouver, pour rentrer dans l'enveloppe globale que nous nous étions fixée, un certain nombre de compensations, et c'est pourquoi j'ai accepté la proposition qui m'était faite par le groupe de travail sur le pacte de stabilité, à savoir la suppression de la DGE première part des communes de plus de 10 000 habitants dont le taux de concours d'ailleurs - c'était un sujet récurrent - n'était pas véritablement incitatif.
Et nous avons été amenés également à prendre un certain nombre de mesures sur les dégrèvements dont le coût a explosé au cours des dernières années et supporté bien entendu par le budget de l'État. C'est la raison pour laquelle j'ai pris quelques décisions qui permettent de boucler le pacte de stabilité mais qui ont des conséquences dont l'impopularité retombe intégralement, je voudrais le signaler, sur le Gouvernement. Il suffit de voir la réaction des entreprises lorsqu'on leur parle de cotisation de taxe professionnelle minimum, souhaitée depuis longtemps par beaucoup d'associations d'élus et que j'ai acceptée, ou de non prise en compte dans les calculs de compensation de l'augmentation des taux des impôts. C'est un transfert de charge qui a été interprété, comme un transfert de charge au détriment des entreprises, décidé par le Gouvernement. Je n'ai pas rappelé et je ne rappellerai pas que ceci a été décidé dans le cadre de la concertation avec les collectivités territoriales dans le cadre du pacte de stabilité. Je ne veux pas me défausser de mes responsabilités.
Voilà ce que nous avons fait. Je comprends parfaitement vos réactions. Je prépare mon budget 1996 avec Monsieur Cazabone, je parle cette fois-ci du budget de Bordeaux, mais j'ai essayé de vous dire ici quelles étaient par ailleurs mes contraintes.
Ce pacte de stabilité n'est pas bouclé, bien entendu, et je vais demander à Claude Goasguen de poursuivre les discussions dans plusieurs directions.
Une première direction concerne l'évolution des charges des collectivités locales. 
L'État doit s'efforcer de ne modifier ces charges qu'après concertation avec les élus locaux et en anticipant suffisamment à l'avance les décisions à prendre. Nous avons un problème qui reste pendant, nous en sommes bien conscients, qui est celui de la CNRACL. On y reviendra sans doute tout à l'heure, donc je m'arrêterai là: il n'y aura pas de hausse de la cotisation employeur en 1996 mais il nous faut redéfinir - et j'ai demandé à Monsieur d'Aubert de s'y employer - les conditions d'équilibre de cette caisse dans le futur et dans le moyen terme, comme nous allons être conduits à le faire d'ailleurs pour l'ensemble de notre système de protection sociale.
Nous devons également améliorer - et c'est une deuxième direction de recherche confiée à Monsieur Goasguen - la fiscalité locale et, en particulier, la taxe professionnelle. Là aussi j'ai demandé au ministère de l'Économie et des Finances de pousser les feux sur la réforme de cette taxe dont tout le monde parle mais dont très peu de spécialistes nous disent la tournure qu'elle pourrait prendre, sauf à la baisser, naturellement.
Il y a deux idées claires en matière de taxe professionnelle. La première, c'est de la supprimer. Je pense que plus personne n'a cela en tête aujourd'hui, en 1995. La deuxième, c'est de la baisser significativement pour pouvoir la réformer. Nous n'en n'avons pas les moyens. La troisième ce sera donc de la réformer à produit constant. Alors qu'est-ce qu'on peut faire ? On peut aborder deux grands sujets. D'abord la définition de l'assiette : à quelle assiette passer, étant bien entendu que l'assiette actuelle nous paraît à tous mauvaise. L'imagination a des limites. Tout le monde parle beaucoup de la valeur ajoutée. C'est sans doute une direction intéressante. Ce n'est pas fondamentalement différent d'ailleurs de l'assiette actuelle. C'est toujours de la masse salariale et des amortissements - plus, c'est vrai, des résultats - mais cela entraîne des transferts de charge qu'il faut bien mesurer et, par ailleurs, cela pose le problème de la localisation de la valeur ajoutée.
Et puis deuxième direction de recherche, celui de la disparité des taux. Faut-il aller vers des taux uniques dans certaines agglomérations ? Le problème de la communauté urbaine de Bordeaux me préoccupe beaucoup de ce point de vue-là. Vers des taux départementaux ? Faut-il faire plus ? Voilà aussi des directions de recherche sur lesquelles nous travaillons.
Voilà, Monsieur le président ce que je voulais vous dire. Pour l'immédiat et pour le futur relativement proche avec les réformes ou les réflexions qui restent en chantier, je suis prêt maintenant à écouter les questions et à essayer d'y répondre, et je me bornerai simplement à conclure, comme vous avez fait vous-même, à savoir sur la volonté du Gouvernement de poursuivre dans la difficulté, j'en suis sûr, mais de poursuivre la coopération et la discussion avec notre association.