Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF, sur le projet de loi relatif aux droits d'auteur dans la société de l'information et la position de l'UDF, favorable au développement de l'offre légale, au logiciel libre et à la garantie des droits moraux des créateurs, en débat à l'Assemblée nationale le 7 mars 2006.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Sur ce texte, l'un des plus difficiles que notre assemblée ait eu à examiner, le Gouvernement a déclaré l'urgence . C'était déjà cocasse à l'automne, puisque ce texte traîne depuis des années : son rapporteur a été désigné il y a deux ans ! Il a été « casé » juste avant les vacances de Noël, sans doute dans l'espoir que le débat passerait inaperçu. Nous avons alors découvert la partie substantielle du texte, sous la forme d'un amendement du Gouvernement, qui n'avait donc été examiné ni par le Conseil d'État, ni par la commission compétente. Amendement surprise plus urgence : le Gouvernement imaginait que le Parlement lui ferait aveuglément confiance et qu'il pourrait éviter le débat dans le pays. Cette approche est stupide : il faut au contraire que les deux assemblées prennent le temps de l'échange pour que le pays tout entier s'investisse dans la réflexion. Pire, maintenir l'urgence aujourd'hui est une vraie dérision : le débat a été interrompu pendant deux mois et demi, et on nous refait le coup de l'amendement surprise déposé dans la nuit !
Où sont les droits du Parlement ? Où sont ses devoirs ? C'est en effet un devoir du Parlement que de faire la loi et de représenter le pays. Je demande donc au Gouvernement, solennellement, de lever l'urgence et de laisser la navette suivre son cours.
Ce texte entend à bon droit consacrer le droit moral et les droits plus matériels des auteurs, des interprètes, des producteurs et des éditeurs sur les oeuvres audio-visuelles. C'est d'ailleurs un débat aussi vieux que le siècle : les photocopies, enregistrements sur cassettes, puis magnétoscopes et supports numériques ont fait l'objet des mêmes débats. Le cheminement est d'ailleurs le même : indifférence d'abord, volonté de restriction, voire d'interdiction ensuite, et finalement, devant l'impossibilité d'empêcher, recherche d'un compromis, y compris de dédommagement. Nous sommes d'accord pour que soient réaffirmés les droits d'auteur et les droits voisins, mais nous n'acceptons pas les conséquences collatérales qui porteraient atteinte à des droits tout aussi essentiels.
Le premier de ces enjeux essentiels, c'est le logiciel libre . L'imposition de mesures techniques de protection, de DRM, exclusivement compatibles avec tel logiciel ou tel matériel constituerait une prise de contrôle subreptice de la chaîne informatique.
Nous en connaissons mille exemples. Ajoutons-en un : beaucoup des ordinateurs portables qui ont fait l'objet du programme « ordinateur à 1 ? par jour » sont sous Linux. Si ces ordinateurs ne peuvent plus lire les programmes audiovisuels protégés, c'est un manquement au contrat moral passé avec ces jeunes.
Il s'agit d'un enjeu industriel, de recherche et de société. Les logiciels libres constituent un mode de développement coopératif, innovant et ouvert, dans un monde - par ailleurs légitime - de monopoles tournés vers le profit immédiat. Ils constituent de plus un facteur essentiel d'indépendance et d'équilibre industriel et politique pour l'humanité. Autrement, pourquoi les gouvernements successifs auraient-ils choisi de faire passer des pans entiers de notre défense nationale sous logiciels libres ?
L'égalité des logiciels libres et des logiciels propriétaires devant d'éventuelles mesures de protection est une donnée cruciale de leur développement et de la recherche appliquée à ces logiciels. C'est pourquoi nous soutiendrons des amendements explicites en ce sens, à la fois dans le domaine de la communication des données et de la facturation - qui doit être légère et raisonnable - de cette communication.
Le deuxième de ces enjeux, c'est la copie privée , essentielle à nos yeux. La copie privée, pour un usage personnel, familial ou amical, est un droit pour le consommateur et pour le citoyen cultivé. En matière numérique, ce droit se traduit d'abord par l'interopérabilité, soit la possibilité de faire passer l'oeuvre que l'on a reçue à bon droit d'un support à un autre et le droit de la faire partager dans ce cercle privé. À nos yeux, ce droit doit être garanti par la loi. Et c'est à la loi seule de le faire. Cette protection ne doit pas être déléguée à un cercle d'experts - ou réputés tels -, de « médiateurs » professionnels qui seraient investis du pouvoir de déterminer le droit de tout un chacun, et même de refuser ce droit. Car tel est bien ce qu'a indiqué implicitement le rapporteur en déclarant qu'il serait loisible aux médiateurs de décréter que dans l'exercice de ce droit à la copie, le droit pouvait être défini à zéro. C'est ouvrir la porte à tous les abus. Pour nous, il n'est nul besoin de médiateur pour garantir le plein exercice du droit des citoyens !
Nous nous sommes battus pendant les premières séances contre l'instauration de ce que nous avions appelé une « police privée sur Internet ». Le Gouvernement semble avoir entendu cet avertissement et c'est tant mieux. Nous pensons cependant que le répressif, même exercé par l'État, ne suffit pas : il faut de l'éducatif. Il ne faut pas transformer a priori des millions de personnes en délinquants. Aussi, l'idée d'avertissements, délivrés par une autorité administrative, obéissant aux règles légales, nous paraît mieux adaptée que la contravention automatique, et sans doute plus dissuasive....
M. le Ministre de la Culture et de la Communication, Renaud Donnedieu de Vabres - Nous le proposions dès le mois de décembre !
M. François Bayrou - J'ai bien dit que ces avertissements devaient être donnés par l'État, et non par l'organisme privé que vous aviez initialement investi de cette responsabilité. Et nous déposerons des amendements à ce sujet.
Il reste à parler du modèle économique auquel obéira la diffusion culturelle sur internet. Nous croyons à l'offre légale : elle va se développer, son prix va baisser, et même son prix doit baisser...
Il est vital que ce soit le cas car il y a là, dans cette baisse des prix, dans cette accessibilité et dans la convivialité des sites, un gisement de ressources pour le monde de la création et de l'édition. Nous sommes très favorables au développement de l'offre légale et nous nous réjouissons, par exemple, du succès de l'offre de Freeen matière de cinéma.
Dès l'instant où la facilité et le prix sont au rendez-vous, le succès est assuré ! Toutefois - et j'exprime là une opinion personnelle qui n'est pas encore celle de tout mon groupe - j'estime que cette copie privée, dont le droit doit être reconnu, mérite une compensation équitable. Je considère par conséquent qu'une indemnisation modérée de la copie privée constituerait une voie intéressante et juste, à condition que ne change pas la définition de la copie privée - usage personnel, cercle de proximité. Au reste, les voies de cette indemnisation ont été trouvées pour tous les autres modes de reproduction et il serait anormal qu'on les néglige dans le domaine du numérique, ne serait-ce qu'au regard de l'impératif de dégager des ressources au profit des créateurs.
Il faut d'ailleurs que l'Assemblée - et c'est une raison de plus de demander au Gouvernement de lever l'urgence - mesure le risque encouru par les acteurs de la création audiovisuelle, dans le cas où le droit à la copie privée serait par trop restreint. Sur les supports vierges, on applique actuellement une taxe de compensation de la copie, laquelle constitue une source de financement considérable pour les auteurs, les interprètes, les maisons d'édition et de production, ainsi que pour le spectacle vivant. Si le droit à la copie n'est plus assuré, qu'est-ce qui justifiera le prélèvement de cette taxe ? Ce serait une menace immédiate !
Au cours de ces derniers mois, le Gouvernement a pu mesurer l'extrême sensibilité du dossier. Il faut qu'il en tienne compte, notamment en levant l'urgence. Le groupe UDF fera en sorte que la transparence soit établie, que le logiciel libre soit défendu et garanti, que le droit à la copie privée soit consacré, que le financement de la culture soit assuré et les droits moraux des créateurs confortés. Cela doit se faire en comprenant qu'il y a dans Internet non pas seulement un marché, non pas seulement un média, non pas seulement un moyen de transmission - et donc de soutien à la création culturelle - mais un modèle de société et de développement humain. C'est ce qui justifie sans doute la passion qu'a fait naître ce projet.


Source http://www.udf.org, le 10 mars 2006