Texte intégral
Je vais être à la fois prudent et très ambitieux. A l'image d'Olivier Pardo, qui s'est exprimé tout à l'heure, je suis prudent en termes de réforme ; d'abord parce que je ne sais pas bien ce qu'est une réforme et l'usage que le corps politique fait du mot « réforme » depuis vingt ans est accablant ; ensuite parce que ce qui m'intéresse, c'est un progrès, plus que le changement pour le changement.
En tout cas, à mes yeux, il y a un moment où il faut envisager une refondation, lorsqu'une institution est profondément déstabilisée, il est nécessaire de penser sa renaissance, et cela ne peut se faire qu'à partir de principes. Je m'exprimerai donc à partir de l'énoncé de principes.
L'institution est fragilisée et c'est une souffrance pour chacun de ceux qui la vivent. Laurence Vichnievski évoquait tout à l'heure qu'on parlait souvent trop vite du juge d'instruction. Et pourtant, lorsqu'on entend les doutes qui s'expriment entre professionnels du droit, à la tribune dans une réunion comme celle-ci, on mesure la gravité du doute.
Je pense que le doute est profond, l'inquiétude gravissime, et il est bon, si on veut assumer cette refondation, de partir de principes, que je vais évoquer par des questions.
Quelle est la nature institutionnelle de la justice ?
Nous sommes [à l'UDF] les seuls dans le monde politique français à penser que la justice doit être assumée comme un pouvoir, reprenant l'idée démocratique fondamentale de la séparation des pouvoirs - même si je sais que même Montesquieu a pu exprimer un certain nombre de réserves en la matière.
La justice a pour fonction de donner à la société force et lien. Elle est le recours de la société contre les manquements, et contre le tort qui peut être fait aux citoyens.
Elle est un ressort absolument indispensable de la confiance du citoyen dans le corps social, c'est en cela que les penseurs de la démocratie ont évoqué la séparation des pouvoirs. Si cette institution est soumise, notamment au pouvoir exécutif, le doute s'instaure dans le pacte social lui-même.
Je pense indispensable pour la première fois en France d'affirmer que la justice est un pouvoir, et qu'il faut la séparation des pouvoirs.
Je suis heureux d'avoir entendu Pierre Albertini et Hervé Morin le dire ce matin, car ce qui est formidable dans notre famille politique, c'est que nous sommes d'accord sans jamais avoir discuté du sujet !
Il y a un symbole qui mérite d'être défendu : que le responsable du pouvoir judiciaire ne soit pas un membre de l'exécutif, un membre du gouvernement, un membre soumis à la solidarité du gouvernement, à l'autorité de l'exécutif. Je me prononce pour un Garde des Sceaux indépendant. C'était une proposition de Raymond Barre en 1988, non comprise à l'époque. Lorsqu'on évoque un Garde des Sceaux indépendant du gouvernement, la question est celle sa nomination. Je propose qu'elle échappe aux principes partisans. Le Garde des Sceaux devrait être investi sur proposition du Président de la République ; ce devrait d'ailleurs être concomitant avec l'élection de celui-ci, par une majorité qualifiée très ambitieuse, par exemple les trois quarts, des membres du Parlement, de manière qu'il échappe par nature aux préférences partisanes. La question même qui se pose, une fois qu'on investit une personne avec un tel pouvoir, est celle du contre pouvoir. Je propose qu'il puisse être mis en cause dans une procédure de censure, d'empêchement, par un quart du Parlement.
Ce Garde des Sceaux indépendant, chargé d'assumer l'indépendance de la justice face à tous les pouvoirs politiques, devra animer un débat annuel de politique pénale devant le Parlement. Naturellement, l'exécutif pourra lui demander de porter son effort, d'un côté ou de l'autre.
Se posent alors deux questions d'indépendance à l'intérieur du corps judiciaire.
D'abord la gestion des carrières. Dans cette perspective d'indépendance, le Conseil Supérieur de la Magistrature ne doit pas être uniquement corporatiste, cette indépendance impose une composition équilibrée entre magistrats et non-magistrats (je n'en exclus pas les avocats !). Les membres seraient investis à une majorité qualifiée, par le Parlement. On échappe ainsi à la dictature de la majorité sur la minorité.
On en vient, dans ces carrières, à la question de l'indépendance du parquet, vu sous l'angle des nominations. L'indépendance ne se divise pas. Il faut que nous assumions les principes de l'indépendance du parquet. Ça ne veut pas dire fantaisie des procureurs ou substituts ! Il y a une politique pénale, celle du Garde des Sceaux indépendant. Mais il me semble anachronique que les procureurs généraux puissent être nommés en Conseil des Ministres. Il serait cohérent qu'ils soient nommés par le Garde des Sceaux indépendant, après avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature « nouvelle formule ».
La question si sensible du juge d'instruction.
J'ai tout à fait entendu, Mademoiselle [juge d'instruction intervenue dans les débats], votre défense du juge d'instruction, ainsi que celle formulée par Madame Viechnievski, souple mais habile, souple puisqu'elle n'est pas en désaccord avec l'exploration d'une autre piste.
Je pense qu'au point de doute où nous sommes arrivés - il y a un peu plus que peu d'affaires d'Outreau - je peux citer plusieurs affaires qui ont très mal fini et dont je connaissais personnellement les protagonistes, magistrats, victimes, affaires dans lesquelles des mécanismes semblables ont joué un rôle - à ce point d'interrogation, il vaut la peine, même s'il n'y a pas de système parfait, de défendre un autre équilibre. En partant de l'idée, défendue à cette tribune, selon laquelle il est difficile d'être juge et partie.
Je me range volontiers à l'idée d'un juge de l'instruction, qui soit rétabli - c'est une garantie pour le citoyen - dans un rôle d'arbitre, c'est-à-dire de tiers.
Pour éviter une justice de classe, ce qu'on reproche au système anglo-saxon - lorsque vous payez les meilleurs cabinets d'avocats enquêteurs, vous avez plus de chances de vous en sortir - je défendrais l'idée que ce juge, l'accusation ou la défense le sollicitent, et qu'il ordonne les actes de procédure qui feront avancer la cause que l'une ou l'autre partie défend.
Dans cet esprit, il retrouve les prérogatives du juge enquêteur lorsque l'affaire se bloque par manque d'action, quand personne ne fait rien. Dans ce cas, il est fondé à retrouver une autonomie d'action, à ordonner par lui-même des actions.
Cela pose évidemment la question du rapport entre les officiers de Police Judiciaire et du parquet ; elle a été beaucoup posée ce matin. Nous consulterons les acteurs à ce sujet,
avant de prendre position !
Peut-on assurer des garanties pour l'enquête qui soient en même temps des garanties pour le citoyen ?
Il y en a deux principales : la transparence - des audiences publiques à intervalles réguliers - dans l'affaire de la Vologne, ce genre de créneaux de confrontation publique a manqué - et la recherche de la collégialité avec la création de pôles d'instruction ; naturellement c'est une question de moyens.
La question du parquet et de son indépendance.
Elle mérite d'être mûrie ! Je voudrais défendre une idée, peut-être à contre courant : que les représentants du parquet demeurent des magistrats. Ce n'est pas tout à fait, dans mon esprit, la même chose, le procureur et la police. Le magistrat est porteur de garanties, a prononcé des serments ... le procureur n'a pas seulement un rôle d'accusation, il est lui aussi chargé de l'équité de la justice. Tout naturellement, il faut qu'il soit aussi un professionnel de la poursuite - ce n'est pas un abus de pouvoir de la justice, que de poursuivre ! cet impératif de répression doit lui aussi être défendu !
Faut-il séparer définitivement fonctions de juge et de procureur ? Je pense, sans exprimer là une option définitive, qu'on s'enrichit des aller-retours. La vraie formation, c'est l'expérience qui se construit. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'il faut absolument une formation commune [aux juges, procureurs et avocats]. Je ne crois pas que la formation initiale livre un acteur qui serait marqué à vie par le partage de cette formation avec les futurs avocats ou magistrats ... L'expérience de vie est la vraie formation continue des uns et des autres.
Il faut défendre [avec plusieurs des orateurs] l'idée d'un internat des avocats, comme moyen d'une égalité des chances en matière judiciaire, pour ceux qui relèvent de l'aide juridictionnelle. C'est très bien, très formateur, et très généreux.
Je trouve excellent le principe de séparation des grades et de l'emploi. Il permet à des magistrats de pouvoir aspirer à une carrière exceptionnelle, même dans des fonctions moins « galonnées » que d'autres.
Il y a une vague d'inquiétude parmi les avocats sur les moyens matériels d'exercer leur mission. Un système d'assurance généralisé, peut-être avec des systèmes de bonus-malus pour éviter les plaideurs obsessionnels, permettrait de prendre en charge, de manière partielle et utile, une mission absolument nécessaire dans une société comme la nôtre.
Je ne résume pas les problèmes de la justice à une question de moyens, mais on ne peut traiter les problèmes de la justice sans aborder la question des moyens. La France se situe, en matière de dépenses de justice, au 23ème rang de l'Union européenne, juste derrière la Lituanie. Ce n'est pas un rang honorable - non pour une question de prestige international, déjà suffisamment endommagé par [les condamnations de] la Cour Européenne des Droits de l'homme, mais parce que c'est un besoin de la société française, auquel on n'échappera pas.
Je serais heureux qu'on ait une rencontre, avant les mois de rush, sur la détention provisoire, la prévention et la répression ... Les mots du commissaire européen [Gil-Robles] sont ceux de toute personne qui connaît la réalité de la situation dans les prisons françaises.
Deux axes : la ré-humanisation des lieux d'emprisonnement, et la recherche de toutes les alternatives à la détention et à l'emprisonnement, notamment pour les jeunes.
Pendant la campagne de 2002, chaque candidat annonçait des internats pour les jeunes délinquants, des maisons pour les primo-délinquants, j'ai entendu cinquante discours sur le sujet ... combien en a-t-on fait ? moins qu'il n'y a de doigts dans la main, et cela représente moins de cent places sur le territoire national, c'est un drame français.
Qu'on soit incapable de mettre en place des Travaux d'Intérêt Général effectivement contrôlés, c'est à pleurer.
Ces alternatives à l'emprisonnement, c'est une question de volonté et une question de moyens. On devrait se fixer comme horizon le doublement du budget de la Justice en 10 ans. Cela demande des lois de programmation que je voudrais multi-partisanes, sur la Justice comme sur la Recherche. On devrait pouvoir signer des engagements sur cela, communs aux différents candidats, avant les élections plutôt qu'avant, quelque chose me dit que la perméabilité à ces idées est plus grande avant qu'après.
Encore en matière de moyens, il y a la question du traitement du stock des affaires. Olivier Pardo a défendu l'idée de chambres d'appui pour écluser ce stock.
Toujours en matière de moyens, on a évoqué ce matin l'idée d'assesseurs non professionnels : dirigés par un juge, ils apporteront quelque chose d'utile au débat, ils apporteront des idées à la justice avec des investissements limités.
J'ai aimé qu'on défende [ce matin] l'idée de [tentative de] conciliation obligatoire avant tout contentieux, ainsi que celle de système vidéo, soit dans les cabinets des juges, soit [pendant la garde à vue].
Je n'ai eu, par chance, qu'une seule occasion de répondre aux questions d'un juge d'instruction. Venu du bout du monde, il voulait me mettre en cause dans une sombre affaire de faux et usage de faux, alors que deux candidats à une élection se disputaient l'investiture de l'UDF ... Je venais d'entrer au gouvernement, et ignorais qu'un juge d'instruction n'avait pas le droit d'interroger comme ça un Ministre ... Donc je l'ai reçu, et j'ai découvert que, dictant à la greffière, la reformulation qu'il faisait de mes réponses était absolument destinée à engager ma responsabilité, alors qu'il me semblait avoir clairement parlé en sens inverse. J'ai découvert ce jour-là que si vous n'avez pas la maîtrise de la langue, et que vous faites confiance à l'homme de l'art, ce sont ensuite ses mots à lui qu'on vous oppose ! Depuis ce jour-là, je soutiens les systèmes audio ou vidéo. Que l'on puisse opposer la vérité et l'ingénuité du moment au texte écrit, paraphé et signé.
Dernière idée, encore un principe : ma conviction, celle que nous avons exprimée ce matin, c'est qu'il nous faut sortir de l'ancien Régime jacobin. On ne peut pas considérer que la justice soit à la disposition de ceux qui ont, provisoirement, la maîtrise de l'État. Ça ne peut pas durer. La confusion entre Etat, justice, gouvernement, majorité ... ne présente pas les principes d'organisation dont les sociétés du XXIème siècle ont besoin.
Il faut que l'État trouve sa justice, lui aussi. J'ai beaucoup de respect pour le Conseil d'État, mais le Conseil d'État, qui n'est pas composé de magistrats, ne saurait être juge et partie, associer les fonctions de juge et de conseil du gouvernement. C'est un grand sujet pour le sommet de l'État en France - cela va de pair avec la volonté d'indépendance de la société française.
S'il est un sujet clé pour le contrat de confiance entre citoyens et société, c'est la justice, et je suis heureux que nous en ayons débattu toute cette journée. Je vous remercie.
Source http://www.udf.org, le 30 mars 2006
En tout cas, à mes yeux, il y a un moment où il faut envisager une refondation, lorsqu'une institution est profondément déstabilisée, il est nécessaire de penser sa renaissance, et cela ne peut se faire qu'à partir de principes. Je m'exprimerai donc à partir de l'énoncé de principes.
L'institution est fragilisée et c'est une souffrance pour chacun de ceux qui la vivent. Laurence Vichnievski évoquait tout à l'heure qu'on parlait souvent trop vite du juge d'instruction. Et pourtant, lorsqu'on entend les doutes qui s'expriment entre professionnels du droit, à la tribune dans une réunion comme celle-ci, on mesure la gravité du doute.
Je pense que le doute est profond, l'inquiétude gravissime, et il est bon, si on veut assumer cette refondation, de partir de principes, que je vais évoquer par des questions.
Quelle est la nature institutionnelle de la justice ?
Nous sommes [à l'UDF] les seuls dans le monde politique français à penser que la justice doit être assumée comme un pouvoir, reprenant l'idée démocratique fondamentale de la séparation des pouvoirs - même si je sais que même Montesquieu a pu exprimer un certain nombre de réserves en la matière.
La justice a pour fonction de donner à la société force et lien. Elle est le recours de la société contre les manquements, et contre le tort qui peut être fait aux citoyens.
Elle est un ressort absolument indispensable de la confiance du citoyen dans le corps social, c'est en cela que les penseurs de la démocratie ont évoqué la séparation des pouvoirs. Si cette institution est soumise, notamment au pouvoir exécutif, le doute s'instaure dans le pacte social lui-même.
Je pense indispensable pour la première fois en France d'affirmer que la justice est un pouvoir, et qu'il faut la séparation des pouvoirs.
Je suis heureux d'avoir entendu Pierre Albertini et Hervé Morin le dire ce matin, car ce qui est formidable dans notre famille politique, c'est que nous sommes d'accord sans jamais avoir discuté du sujet !
Il y a un symbole qui mérite d'être défendu : que le responsable du pouvoir judiciaire ne soit pas un membre de l'exécutif, un membre du gouvernement, un membre soumis à la solidarité du gouvernement, à l'autorité de l'exécutif. Je me prononce pour un Garde des Sceaux indépendant. C'était une proposition de Raymond Barre en 1988, non comprise à l'époque. Lorsqu'on évoque un Garde des Sceaux indépendant du gouvernement, la question est celle sa nomination. Je propose qu'elle échappe aux principes partisans. Le Garde des Sceaux devrait être investi sur proposition du Président de la République ; ce devrait d'ailleurs être concomitant avec l'élection de celui-ci, par une majorité qualifiée très ambitieuse, par exemple les trois quarts, des membres du Parlement, de manière qu'il échappe par nature aux préférences partisanes. La question même qui se pose, une fois qu'on investit une personne avec un tel pouvoir, est celle du contre pouvoir. Je propose qu'il puisse être mis en cause dans une procédure de censure, d'empêchement, par un quart du Parlement.
Ce Garde des Sceaux indépendant, chargé d'assumer l'indépendance de la justice face à tous les pouvoirs politiques, devra animer un débat annuel de politique pénale devant le Parlement. Naturellement, l'exécutif pourra lui demander de porter son effort, d'un côté ou de l'autre.
Se posent alors deux questions d'indépendance à l'intérieur du corps judiciaire.
D'abord la gestion des carrières. Dans cette perspective d'indépendance, le Conseil Supérieur de la Magistrature ne doit pas être uniquement corporatiste, cette indépendance impose une composition équilibrée entre magistrats et non-magistrats (je n'en exclus pas les avocats !). Les membres seraient investis à une majorité qualifiée, par le Parlement. On échappe ainsi à la dictature de la majorité sur la minorité.
On en vient, dans ces carrières, à la question de l'indépendance du parquet, vu sous l'angle des nominations. L'indépendance ne se divise pas. Il faut que nous assumions les principes de l'indépendance du parquet. Ça ne veut pas dire fantaisie des procureurs ou substituts ! Il y a une politique pénale, celle du Garde des Sceaux indépendant. Mais il me semble anachronique que les procureurs généraux puissent être nommés en Conseil des Ministres. Il serait cohérent qu'ils soient nommés par le Garde des Sceaux indépendant, après avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature « nouvelle formule ».
La question si sensible du juge d'instruction.
J'ai tout à fait entendu, Mademoiselle [juge d'instruction intervenue dans les débats], votre défense du juge d'instruction, ainsi que celle formulée par Madame Viechnievski, souple mais habile, souple puisqu'elle n'est pas en désaccord avec l'exploration d'une autre piste.
Je pense qu'au point de doute où nous sommes arrivés - il y a un peu plus que peu d'affaires d'Outreau - je peux citer plusieurs affaires qui ont très mal fini et dont je connaissais personnellement les protagonistes, magistrats, victimes, affaires dans lesquelles des mécanismes semblables ont joué un rôle - à ce point d'interrogation, il vaut la peine, même s'il n'y a pas de système parfait, de défendre un autre équilibre. En partant de l'idée, défendue à cette tribune, selon laquelle il est difficile d'être juge et partie.
Je me range volontiers à l'idée d'un juge de l'instruction, qui soit rétabli - c'est une garantie pour le citoyen - dans un rôle d'arbitre, c'est-à-dire de tiers.
Pour éviter une justice de classe, ce qu'on reproche au système anglo-saxon - lorsque vous payez les meilleurs cabinets d'avocats enquêteurs, vous avez plus de chances de vous en sortir - je défendrais l'idée que ce juge, l'accusation ou la défense le sollicitent, et qu'il ordonne les actes de procédure qui feront avancer la cause que l'une ou l'autre partie défend.
Dans cet esprit, il retrouve les prérogatives du juge enquêteur lorsque l'affaire se bloque par manque d'action, quand personne ne fait rien. Dans ce cas, il est fondé à retrouver une autonomie d'action, à ordonner par lui-même des actions.
Cela pose évidemment la question du rapport entre les officiers de Police Judiciaire et du parquet ; elle a été beaucoup posée ce matin. Nous consulterons les acteurs à ce sujet,
avant de prendre position !
Peut-on assurer des garanties pour l'enquête qui soient en même temps des garanties pour le citoyen ?
Il y en a deux principales : la transparence - des audiences publiques à intervalles réguliers - dans l'affaire de la Vologne, ce genre de créneaux de confrontation publique a manqué - et la recherche de la collégialité avec la création de pôles d'instruction ; naturellement c'est une question de moyens.
La question du parquet et de son indépendance.
Elle mérite d'être mûrie ! Je voudrais défendre une idée, peut-être à contre courant : que les représentants du parquet demeurent des magistrats. Ce n'est pas tout à fait, dans mon esprit, la même chose, le procureur et la police. Le magistrat est porteur de garanties, a prononcé des serments ... le procureur n'a pas seulement un rôle d'accusation, il est lui aussi chargé de l'équité de la justice. Tout naturellement, il faut qu'il soit aussi un professionnel de la poursuite - ce n'est pas un abus de pouvoir de la justice, que de poursuivre ! cet impératif de répression doit lui aussi être défendu !
Faut-il séparer définitivement fonctions de juge et de procureur ? Je pense, sans exprimer là une option définitive, qu'on s'enrichit des aller-retours. La vraie formation, c'est l'expérience qui se construit. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'il faut absolument une formation commune [aux juges, procureurs et avocats]. Je ne crois pas que la formation initiale livre un acteur qui serait marqué à vie par le partage de cette formation avec les futurs avocats ou magistrats ... L'expérience de vie est la vraie formation continue des uns et des autres.
Il faut défendre [avec plusieurs des orateurs] l'idée d'un internat des avocats, comme moyen d'une égalité des chances en matière judiciaire, pour ceux qui relèvent de l'aide juridictionnelle. C'est très bien, très formateur, et très généreux.
Je trouve excellent le principe de séparation des grades et de l'emploi. Il permet à des magistrats de pouvoir aspirer à une carrière exceptionnelle, même dans des fonctions moins « galonnées » que d'autres.
Il y a une vague d'inquiétude parmi les avocats sur les moyens matériels d'exercer leur mission. Un système d'assurance généralisé, peut-être avec des systèmes de bonus-malus pour éviter les plaideurs obsessionnels, permettrait de prendre en charge, de manière partielle et utile, une mission absolument nécessaire dans une société comme la nôtre.
Je ne résume pas les problèmes de la justice à une question de moyens, mais on ne peut traiter les problèmes de la justice sans aborder la question des moyens. La France se situe, en matière de dépenses de justice, au 23ème rang de l'Union européenne, juste derrière la Lituanie. Ce n'est pas un rang honorable - non pour une question de prestige international, déjà suffisamment endommagé par [les condamnations de] la Cour Européenne des Droits de l'homme, mais parce que c'est un besoin de la société française, auquel on n'échappera pas.
Je serais heureux qu'on ait une rencontre, avant les mois de rush, sur la détention provisoire, la prévention et la répression ... Les mots du commissaire européen [Gil-Robles] sont ceux de toute personne qui connaît la réalité de la situation dans les prisons françaises.
Deux axes : la ré-humanisation des lieux d'emprisonnement, et la recherche de toutes les alternatives à la détention et à l'emprisonnement, notamment pour les jeunes.
Pendant la campagne de 2002, chaque candidat annonçait des internats pour les jeunes délinquants, des maisons pour les primo-délinquants, j'ai entendu cinquante discours sur le sujet ... combien en a-t-on fait ? moins qu'il n'y a de doigts dans la main, et cela représente moins de cent places sur le territoire national, c'est un drame français.
Qu'on soit incapable de mettre en place des Travaux d'Intérêt Général effectivement contrôlés, c'est à pleurer.
Ces alternatives à l'emprisonnement, c'est une question de volonté et une question de moyens. On devrait se fixer comme horizon le doublement du budget de la Justice en 10 ans. Cela demande des lois de programmation que je voudrais multi-partisanes, sur la Justice comme sur la Recherche. On devrait pouvoir signer des engagements sur cela, communs aux différents candidats, avant les élections plutôt qu'avant, quelque chose me dit que la perméabilité à ces idées est plus grande avant qu'après.
Encore en matière de moyens, il y a la question du traitement du stock des affaires. Olivier Pardo a défendu l'idée de chambres d'appui pour écluser ce stock.
Toujours en matière de moyens, on a évoqué ce matin l'idée d'assesseurs non professionnels : dirigés par un juge, ils apporteront quelque chose d'utile au débat, ils apporteront des idées à la justice avec des investissements limités.
J'ai aimé qu'on défende [ce matin] l'idée de [tentative de] conciliation obligatoire avant tout contentieux, ainsi que celle de système vidéo, soit dans les cabinets des juges, soit [pendant la garde à vue].
Je n'ai eu, par chance, qu'une seule occasion de répondre aux questions d'un juge d'instruction. Venu du bout du monde, il voulait me mettre en cause dans une sombre affaire de faux et usage de faux, alors que deux candidats à une élection se disputaient l'investiture de l'UDF ... Je venais d'entrer au gouvernement, et ignorais qu'un juge d'instruction n'avait pas le droit d'interroger comme ça un Ministre ... Donc je l'ai reçu, et j'ai découvert que, dictant à la greffière, la reformulation qu'il faisait de mes réponses était absolument destinée à engager ma responsabilité, alors qu'il me semblait avoir clairement parlé en sens inverse. J'ai découvert ce jour-là que si vous n'avez pas la maîtrise de la langue, et que vous faites confiance à l'homme de l'art, ce sont ensuite ses mots à lui qu'on vous oppose ! Depuis ce jour-là, je soutiens les systèmes audio ou vidéo. Que l'on puisse opposer la vérité et l'ingénuité du moment au texte écrit, paraphé et signé.
Dernière idée, encore un principe : ma conviction, celle que nous avons exprimée ce matin, c'est qu'il nous faut sortir de l'ancien Régime jacobin. On ne peut pas considérer que la justice soit à la disposition de ceux qui ont, provisoirement, la maîtrise de l'État. Ça ne peut pas durer. La confusion entre Etat, justice, gouvernement, majorité ... ne présente pas les principes d'organisation dont les sociétés du XXIème siècle ont besoin.
Il faut que l'État trouve sa justice, lui aussi. J'ai beaucoup de respect pour le Conseil d'État, mais le Conseil d'État, qui n'est pas composé de magistrats, ne saurait être juge et partie, associer les fonctions de juge et de conseil du gouvernement. C'est un grand sujet pour le sommet de l'État en France - cela va de pair avec la volonté d'indépendance de la société française.
S'il est un sujet clé pour le contrat de confiance entre citoyens et société, c'est la justice, et je suis heureux que nous en ayons débattu toute cette journée. Je vous remercie.
Source http://www.udf.org, le 30 mars 2006