Texte intégral
Cinq ans pour présenter un texte dont on a fait l'une des priorités de
son mandat, c'est bien long. Surtout quand on compare ces cinq ans aux
quelques jours donnés aux parlementaires pour en discuter.
Le contexte actuel nous paraît particulièrement mal choisi pour
discuter de ce texte.
En effet, nous sommes aujourd'hui à la veille de l'élection
présidentielle, à moins de cent jours exactement, alors que ce projet
de loi a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 3 juillet
2003. Une fois encore dans cette législature, le gouvernement nous
présente un texte important dans la précipitation. On aurait dû en
débattre beaucoup plus tôt et en prenant le temps de la réflexion.
D'autre part, les trois principaux candidats du champ républicain à l'
élection présidentielle ont tous annoncé dans leur programme qu'ils
réviseraient la Constitution. Et le président nouvellement élu, dans
toute démocratie digne de ce nom, aura forcément un avis sur la
question, dans le cadre d'une refonte de la Constitution ou dans l'
établissement d'une nouvelle République.
Au-delà de l'opportunité de débattre d'un tel texte à un tel moment, à
un mois de la fin de la législature, faut-il dans une perspective à
long terme réviser le titre IX de la Constitution ?
Probablement, même si ces article ont été faits pour ne pas être
utilisés. C'est un peu comme l'arme atomique : on met en place des
procédures dont on sait que l'utilisation est improbable.
Les articles 67 et 68 ont assurément besoin d'être modifiés, à la fois
pour sortir des définitions archaïques comme celle de la haute
trahison, mais aussi pour donner un cadre constitutionnel aux
jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation.
En effet, le Conseil constitutionnel a consacré de fait une véritable
immunité pénale pour le Président pour les actes commis dans le cadre
de ses fonctions. Pour les actions commises hors de sa fonction ou
antérieures à sa prise de fonction, a conclu le Conseil, le Président
dispose d'un privilège de juridiction, puisque le Conseil estime que
seule la Haute Cour de Justice est compétente.
La Cour de Cassation, de son côté, le 10 octobre 2001, est allée plus
loin, puisqu'elle a reconnu au Président une véritable immunité
temporaire. Cette immunité lui vaut de ne pouvoir être entendu comme
témoin assisté, ni être mis en examen, ni être cité ou renvoyé pour une
infraction quelconque devant une juridiction pénale. La Cour a motivé
sa décision en évoquant la nature particulière de la fonction de chef
de l'Etat, de son élection directe par le peuple et de son rôle de
garant des institutions. Mais parallèlement elle considère que de ce
fait la prescription est suspendue jusqu'à la fin du mandat
présidentiel.
Selon le nouvel article 68, « Le Président de la République ne peut
être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement
incompatible avec l'exercice de son mandat ». On substitue donc à l'
expression « haute trahison » celle du « manquement à ses devoirs
manifestement incompatibles avec l'exercice de son mandat ». Il n'y a
rien de mieux que de se référer aux manuels de droit constitutionnel,
qui disent que la « haute trahison », en dépit d'une expression
malencontreuse, se présente comme un délit à caractère politique et
donc à contenu variable, en l'absence de référence aux principes
fondamentaux du droit pénal.
La définition de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible
avec l'exercice de son mandat » apparaît encore plus approximative. J'
allais dire que c'est une définition plus moderne de la haute trahison,
mais tout aussi floue.
Analysons de près les contradictions de ce projet de loi. Pour les
actes commis par le président dans l'exercice de ses fonctions, hormis
des cas extrêmes - imaginons qu'il assassine sa femme -, la procédure
ne pourra pas être déclenchée, du fait de l'interdiction de tout acte
d'enquête ou d'instruction.
Prenons des exemples concrets : comment engager une procédure au titre
des articles 67 et 68 pour des trafics d'influence ou des prises
illégales d'intérêts effectuées par le président de la République
durant son mandat ? Prenons un autre exemple ancien, qui pour moi
relevait de la Haute Cour : comment peut-on imaginer un seul instant
que la procédure puisse s'engager pour des écoutes téléphoniques
illégales, dès lors qu'aucun moyen d'investigation n'est ouvert ? On
voit bien dès lors que les articles 67 et 68 ne peuvent connaître un
commencement d'exécution qu'à la suite d'un déferlement médiatique
tellement puissant qu'il finisse par emporter la volonté parlementaire.
Je ne suis pas certain que cela contribue à la sérénité d'une
démocratie.
Continuons l'exercice : imaginons que les parlementaires décident de
réunir la Haute Cour, en estimant que les faits soulevés par les media
imposent une réaction du Parlement. Dans ce cas-là, un nouveau problème
se pose : celui de la procédure en deux temps, puisque d'abord les
parlementaires, par leur vote, vont ouvrir la chasse au président, et
c'est seulement ensuite la réunion de la Haute Cour qui emporte
empêchement du président. Cette procédure en deux temps ne condamne-t-
elle pas le président avant même qu'il ne soit jugé ? Même si une
période de deux mois est extrêmement courte pour une enquête, on voit
très bien qu'immanquablement le président de la République sera
profondément déstabilisé.
Pour les actes détachables de la fonction présidentielle, il est
évident que le président n'est pas un justiciable comme les autres et
qu'il faut instituer un certain nombre de garde-fous. Cependant, nous
refusons toute idée d'une immunité totale. D'ailleurs, si l'on regarde
ce que font les autres pays européens (l'Allemagne, l'Autriche, la
Grèce, l'Italie ou le Portugal), on voit que, à la différence des
monarques, les présidents ne jouissent pas d'une immunité absolue, mais
d'un régime dérogatoire au droit commun tant pour les infractions
commises dans l'exercice des fonctions présidentielles que pour les
autres infractions. D'ailleurs, l'immunité temporaire accordée au
président de la République pour les actes détachables de la fonction
présidentielle conduit in fine à ce que le président ne relève presque
que de la Haute Cour. Selon nous, les actes liés à l'accomplissement de
la fonction dépendent de la Haute Cour. Pour les actes détachables de
la fonction, il pourrait en aller autrement.
Enfin, soit les actes commis antérieurement par le président sont
considérés comme si graves qu'ils relèvent de la Haute Cour, et il s'
agit alors d'une décision ayant un sens politique - on pourrait
imaginer qu'un certain nombre de délits pénaux soient considérés, en
France comme dans les autres démocraties modernes, comme absolument
inacceptables de la part de quelqu'un qui doit montrer l'exemple et
être irréprochable -, la procédure de destitution devant alors s'
engager ; soit il s'agit d'actes dont on estime qu'ils ne relèvent pas
du titre IX de la Constitution, et dans cette hypothèse on pourrait
tout à fait considérer que le président est un justiciable comme les
autres, en le soumettant à une procédure judiciaire confiée à des
magistrats extrêmement expérimentés, insoupçonnables et avec différents
garde-fous.
Finalement, la responsabilité pénale du président de la République
devient totalement virtuelle, dès lors que le Parlement prévoit une
majorité des 2/3 ou des 3/5 des membres composant les Assemblées ou la
Haute cour, pas même une majorité des présents. On voit très bien que,
quelle soit la majorité, jamais de tels seuils ne pourront être
atteints. En fait, derrière cette majorité des 2/3 ou des 3/5, se cache
un arrangement politique entre l'UMP et le PS. Compte tenu de la
composition politique du Sénat, il fallait une majorité qualifiée très
élevée, aux 2/3, pour que le PS soit assuré qu'en aucun cas son
président de la République ne puisse être inquiété.
In fine, c'est un texte pour rien, car il arrive trop tard. Et c'est un
texte pour rien, car il continue à faire du président de la République
française une espèce de monarque républicain, irresponsable civilement,
irresponsable pénalement, irresponsable politiquement depuis l'
instauration de la cohabitation.
C'est pourquoi le groupe UDF a décidé de voter contre ce projet de loi.Source http://www.udf.org, le 17 janvier 2007
son mandat, c'est bien long. Surtout quand on compare ces cinq ans aux
quelques jours donnés aux parlementaires pour en discuter.
Le contexte actuel nous paraît particulièrement mal choisi pour
discuter de ce texte.
En effet, nous sommes aujourd'hui à la veille de l'élection
présidentielle, à moins de cent jours exactement, alors que ce projet
de loi a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 3 juillet
2003. Une fois encore dans cette législature, le gouvernement nous
présente un texte important dans la précipitation. On aurait dû en
débattre beaucoup plus tôt et en prenant le temps de la réflexion.
D'autre part, les trois principaux candidats du champ républicain à l'
élection présidentielle ont tous annoncé dans leur programme qu'ils
réviseraient la Constitution. Et le président nouvellement élu, dans
toute démocratie digne de ce nom, aura forcément un avis sur la
question, dans le cadre d'une refonte de la Constitution ou dans l'
établissement d'une nouvelle République.
Au-delà de l'opportunité de débattre d'un tel texte à un tel moment, à
un mois de la fin de la législature, faut-il dans une perspective à
long terme réviser le titre IX de la Constitution ?
Probablement, même si ces article ont été faits pour ne pas être
utilisés. C'est un peu comme l'arme atomique : on met en place des
procédures dont on sait que l'utilisation est improbable.
Les articles 67 et 68 ont assurément besoin d'être modifiés, à la fois
pour sortir des définitions archaïques comme celle de la haute
trahison, mais aussi pour donner un cadre constitutionnel aux
jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation.
En effet, le Conseil constitutionnel a consacré de fait une véritable
immunité pénale pour le Président pour les actes commis dans le cadre
de ses fonctions. Pour les actions commises hors de sa fonction ou
antérieures à sa prise de fonction, a conclu le Conseil, le Président
dispose d'un privilège de juridiction, puisque le Conseil estime que
seule la Haute Cour de Justice est compétente.
La Cour de Cassation, de son côté, le 10 octobre 2001, est allée plus
loin, puisqu'elle a reconnu au Président une véritable immunité
temporaire. Cette immunité lui vaut de ne pouvoir être entendu comme
témoin assisté, ni être mis en examen, ni être cité ou renvoyé pour une
infraction quelconque devant une juridiction pénale. La Cour a motivé
sa décision en évoquant la nature particulière de la fonction de chef
de l'Etat, de son élection directe par le peuple et de son rôle de
garant des institutions. Mais parallèlement elle considère que de ce
fait la prescription est suspendue jusqu'à la fin du mandat
présidentiel.
Selon le nouvel article 68, « Le Président de la République ne peut
être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement
incompatible avec l'exercice de son mandat ». On substitue donc à l'
expression « haute trahison » celle du « manquement à ses devoirs
manifestement incompatibles avec l'exercice de son mandat ». Il n'y a
rien de mieux que de se référer aux manuels de droit constitutionnel,
qui disent que la « haute trahison », en dépit d'une expression
malencontreuse, se présente comme un délit à caractère politique et
donc à contenu variable, en l'absence de référence aux principes
fondamentaux du droit pénal.
La définition de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible
avec l'exercice de son mandat » apparaît encore plus approximative. J'
allais dire que c'est une définition plus moderne de la haute trahison,
mais tout aussi floue.
Analysons de près les contradictions de ce projet de loi. Pour les
actes commis par le président dans l'exercice de ses fonctions, hormis
des cas extrêmes - imaginons qu'il assassine sa femme -, la procédure
ne pourra pas être déclenchée, du fait de l'interdiction de tout acte
d'enquête ou d'instruction.
Prenons des exemples concrets : comment engager une procédure au titre
des articles 67 et 68 pour des trafics d'influence ou des prises
illégales d'intérêts effectuées par le président de la République
durant son mandat ? Prenons un autre exemple ancien, qui pour moi
relevait de la Haute Cour : comment peut-on imaginer un seul instant
que la procédure puisse s'engager pour des écoutes téléphoniques
illégales, dès lors qu'aucun moyen d'investigation n'est ouvert ? On
voit bien dès lors que les articles 67 et 68 ne peuvent connaître un
commencement d'exécution qu'à la suite d'un déferlement médiatique
tellement puissant qu'il finisse par emporter la volonté parlementaire.
Je ne suis pas certain que cela contribue à la sérénité d'une
démocratie.
Continuons l'exercice : imaginons que les parlementaires décident de
réunir la Haute Cour, en estimant que les faits soulevés par les media
imposent une réaction du Parlement. Dans ce cas-là, un nouveau problème
se pose : celui de la procédure en deux temps, puisque d'abord les
parlementaires, par leur vote, vont ouvrir la chasse au président, et
c'est seulement ensuite la réunion de la Haute Cour qui emporte
empêchement du président. Cette procédure en deux temps ne condamne-t-
elle pas le président avant même qu'il ne soit jugé ? Même si une
période de deux mois est extrêmement courte pour une enquête, on voit
très bien qu'immanquablement le président de la République sera
profondément déstabilisé.
Pour les actes détachables de la fonction présidentielle, il est
évident que le président n'est pas un justiciable comme les autres et
qu'il faut instituer un certain nombre de garde-fous. Cependant, nous
refusons toute idée d'une immunité totale. D'ailleurs, si l'on regarde
ce que font les autres pays européens (l'Allemagne, l'Autriche, la
Grèce, l'Italie ou le Portugal), on voit que, à la différence des
monarques, les présidents ne jouissent pas d'une immunité absolue, mais
d'un régime dérogatoire au droit commun tant pour les infractions
commises dans l'exercice des fonctions présidentielles que pour les
autres infractions. D'ailleurs, l'immunité temporaire accordée au
président de la République pour les actes détachables de la fonction
présidentielle conduit in fine à ce que le président ne relève presque
que de la Haute Cour. Selon nous, les actes liés à l'accomplissement de
la fonction dépendent de la Haute Cour. Pour les actes détachables de
la fonction, il pourrait en aller autrement.
Enfin, soit les actes commis antérieurement par le président sont
considérés comme si graves qu'ils relèvent de la Haute Cour, et il s'
agit alors d'une décision ayant un sens politique - on pourrait
imaginer qu'un certain nombre de délits pénaux soient considérés, en
France comme dans les autres démocraties modernes, comme absolument
inacceptables de la part de quelqu'un qui doit montrer l'exemple et
être irréprochable -, la procédure de destitution devant alors s'
engager ; soit il s'agit d'actes dont on estime qu'ils ne relèvent pas
du titre IX de la Constitution, et dans cette hypothèse on pourrait
tout à fait considérer que le président est un justiciable comme les
autres, en le soumettant à une procédure judiciaire confiée à des
magistrats extrêmement expérimentés, insoupçonnables et avec différents
garde-fous.
Finalement, la responsabilité pénale du président de la République
devient totalement virtuelle, dès lors que le Parlement prévoit une
majorité des 2/3 ou des 3/5 des membres composant les Assemblées ou la
Haute cour, pas même une majorité des présents. On voit très bien que,
quelle soit la majorité, jamais de tels seuils ne pourront être
atteints. En fait, derrière cette majorité des 2/3 ou des 3/5, se cache
un arrangement politique entre l'UMP et le PS. Compte tenu de la
composition politique du Sénat, il fallait une majorité qualifiée très
élevée, aux 2/3, pour que le PS soit assuré qu'en aucun cas son
président de la République ne puisse être inquiété.
In fine, c'est un texte pour rien, car il arrive trop tard. Et c'est un
texte pour rien, car il continue à faire du président de la République
française une espèce de monarque républicain, irresponsable civilement,
irresponsable pénalement, irresponsable politiquement depuis l'
instauration de la cohabitation.
C'est pourquoi le groupe UDF a décidé de voter contre ce projet de loi.Source http://www.udf.org, le 17 janvier 2007