Texte intégral
Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
Les pays ont une histoire.
Celle de la France épouse l'idée de la république une et indivisible !
Les pays ont aussi une culture politique.
Celle de la France épouse l'idée de la citoyenneté qui transcende les appartenances
culturelles, sociales et raciales !
Les pays ont enfin une âme politique.
Celle de la France a cela de singulier que la liberté est pour une large part consubstantielle à l'égalité ; cette égalité étant elle même constitutive de l'unité nationale ; cette unité nationale se cristallisant enfin dans le visage de l'Etat. C'est ce
que l'on appelle, pour le meilleur comme pour le moins bon, " le modèle français " !
Ce modèle, certains le jugent dépassé et se plaisent à en stigmatiser les lacunes.
Pour d'autres, dont nous sommes, il conserve sa grandeur car il invite les citoyens à s'inscrire dans une dynamique collective suscitant l'adhésion à travers, non la culture des origines, mais la culture des actes.
Entre ces deux thèses où s'affrontent deux conceptions de la France, le débat est
ouvert et s'aiguise sous la pression des évènements.
Pour la France, le XXIème siècle s'ouvre en effet sur deux grands défis :
- investir la mondialisation sans perdre son âme ;
- et investir l' Union européenne pour s'en approprier la conduite ;
Pour les relever, est-il préférable de renforcer notre unité ou bien est-il préférable d'approfondir nos différences, est-il préférable de poursuivre l'aventure nationale ou est-il préférable d'en sortir au profit d'une autre aventure qui pourrait être fédérale ?
De nos réponses dépendent l'organisation et la logique des pouvoirs que nous voulons. Nous voici donc bien au coeur du débat d'aujourd'hui. La décentralisation n'est plus un problème technique dès lors que nous nous accordons sur la nécessité de l'approfondir. Parce qu' elle est au confluent des pouvoirs, des concepts et des normes qui régissent le modèle français, elle nous renvoie nécessairement vers l'épicentre du pacte républicain.
Oui, la décentralisation est liée à l'idée que l'on se fait de la France, des Français et, à fortiori, des pouvoirs qui orchestrent l'ensemble ! Dans cet esprit, elle doit s'inscrire dans un projet de société destiné à expliquer aux français où ils vont, pourquoi et comment ils y vont !
Monsieur le Premier Ministre, avez-vous un projet de société ? Et plus précisément, la décentralisation participe-t-elle à ce projet ? Nous vous avons entendu et vous ne nous avez pas convaincu. Notre jugement reste à l'heure actuelle empreint de scepticisme.
Car nous jugeons votre politique de décentralisation sur les actes. Et ces actes ne traduisent pas une cohérence et une transparence à toute épreuve. Votre politique oscille en fait entre deux voies : celle du centralisme et celle de la fuite en avant.
Le centralisme est la marque de votre gouvernement. Réforme de la taxe professionnelle, réduction des droits de mutation, suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, suppression de la vignette : en moins de trois ans, la part des recettes fiscales autonomes dans les budgets des collectivités locales est passée de 54% à 44%. Ces mesures s'inscrivent dans un mouvement qui condamne à moyen terme l'autonomie fiscale des collectivités territoriales. Vous auriez pu choisir d'autres prélèvements, vous auriez pu choisir de baisser les dépenses publiques, de réformer l'impôt sur le revenu Non ! Vous avez précisément choisi de piocher dans la fiscalité des collectivités locales. C'est un choix ! C'est le choix du centralisme et du dirigisme qui consiste à penser la société par le seul prisme de l'Etat .
Mais ce conservatisme centralisateur a généré une étrange contrepartie que je qualifie de fuite en avant. Centralisateur pour l'immense majorité des collectivités territoriales, vous voici brusquement inventif pour la Corse. Ce qui est refusé aux uns est accepté pour quelques autres. Langue corse obligatoire, compétences accrues, pouvoirs d'adaptation législative Mais que diable s'est-il donc passé ? Quelle est l'origine de ce revirement ? Et bien la réponse est dangereusement simple : au delà de la problématique de l'insularité et du développement économique, la vérité est que violence paie ! Vous voici donc en train d'inventer autour de la décision du 28 juillet 1993 du conseil constitutionnel, un statut dérogatoire pour la Corse Il y a dans ce mécano institutionnel quelque chose de piquant car cette décision de juillet 93 ne m'est pas étrangère. Elle sanctionnait, sur saisie des socialistes et des communistes, la modeste proposition de loi sur les expérimentations universitaires que j'avais fais adopter. Ce qui était autrefois inadmissible pour la gauche dans les universités, est aujourd'hui acceptable au centuple pour la Corse ! Ce que vous acceptez pour la Corse, sous quels motifs le refuserez-vous aux bretons et aux alsaciens ? Que direz-vous lorsque les élus viendront vous réclamer ( conformément d'ailleurs à votre programme de 1997 ), la création d'un département basque, demande infiniment moins audacieuse que le statut prévu pour la Corse ?
Votre politique à géométrie variable entraînera, Monsieur le Premier Ministre, la multiplicité des requêtes contradictoires.
Mes chers collègues,
La décentralisation peut être une chance pour la France, mais elle peut être aussi, si certaines conditions méthodologiques et politiques ne sont pas remplies, une défaite pour la République. !
Une défaite si elle épouse une logique centripète qui, progressivement, déchirerait le pacte national. Entre le principe de " la liberté dans l'unité républicaine " et celui de " l'inégalité dans la diversité républicaine ", la frontière est étroite. En définitive, la problématique est la suivante : voulons-nous vivre prioritairement autour de nos articularismes locaux ou voulons-nous vivre ensemble avec, voir malgré, nos particularités ?
En revanche, ce mouvement accentué de décentralisation peut être une chance pour la France s'il conduit à nous interroger courageusement sur l'efficacité des pouvoirs centraux, déconcentrés et décentralisés. Parce que l'Etat et les collectivités territoriales sont affectés par une langueur comparable, c'est de concert qu'ils doivent se réinventer pour poser les bases d'un contrat national rénové.
Ce contrat doit épouser les évolutions de la société française. Celle-ci est en quête de créativité, d'identité et de responsabilité. Elle est attentive à sa qualité de vie et tourne le dos aux schémas de développement standardisé, centralisateur et uniforme. Cette nouvelle France doit s'épanouir dans un cadre institutionnel élargissant les champs de l'innovation, de la confiance et de la participation. Dans cet esprit, l'Etat doit apprendre à écouter, à déléguer certaines de ses compétences.
Il doit s'écarter d'une logique hiérarchique au profit d'une logique relationnelle où l'autorité ne se décrète plus mais se gagne et s'orchestre différemment.
Pour ce faire, il convient d'arbitrer en faveur d'un Etat recentré et relayé par des collectivités locales responsabilisées et placées en position de partenaires de la république et non de concurrentes. Nous devons donc penser l'avenir de notre système politique suivant le principe d'une véritable subsidiarité qui ne doit pas être l'otage d'un affrontement idéologique dépassé. Entre le " jacobinisme étouffant " et le " girondisme extravagant ", entre le tout Etat et l'absence d'Etat, il faut imaginer une relation constructive entre l'unité nationale et l'expression locale.
Oui, la décentralisation peut être, mes chers collègues, une chance ou une défaite. A chacun sa voie, à chacun ses choix !
Pour notre part, nous avons choisi de moderniser le pacte républicain sans le démembrer. Nous abordons le dossier de la décentralisation avec la conviction que le statu quo est impossible. Initié il y a vingt ans, un cycle s'achève et s'épuise désormais dans la confusion, l'irrésolution et la suspicion.
Oui, il y a confusion entre les cinq échelons centraux et décentralisés. Cinq échelons où nul ne sait plus très bien qui fait quoi, qui dirige, où se croisent et se neutralisent les financements et les meilleures volontés. Cinq échelons où s'illustre trop souvent l'esprit de clocher plutôt que l'esprit d'équipe. Une clarification est nécessaire.
Oui, il y a irrésolution dans les relations entretenues entre l'Etat et les collectivités locales. A cet égard, les dernières négociations pour les contrats de plan Etat Régions auront constitué l'expression d'une politique à bout de souffle. Cette irrésolution est révélatrice du doute quasi existentiel qui affecte la puissance publique et ses agents dont le rôle, les missions et le statut n'ont pas été repensés dans le cadre du nouvel environnement économique et social.
Ce constat nous conduit à réclamer une réforme courageuse et continue de l'Etat destinée non pas à le destituer mais bien au contraire à le restaurer. A bien des égards, nous estimons que la décentralisation peut sauver l'Etat !
Oui, il y a suspicion au sein d'un Etat qui est ferme là où il devrait être compréhensif et laxiste là ou il devrait être vigilant. Il y a un paradoxe que nous dénonçons : l'Etat dévolue certaines de ses responsabilités les plus sacrées à l'Europe, aux commissions indépendantes, aux experts, mais ne semble pas se lasser de suspecter, de cadrer, voir d'exploiter sans contrepartie et sans dialogue les collectivités territoriales. La recentralisation fiscale, l'augmentation des contraintes et des contrôles tatillons qui pèsent sur les collectivités, symbolisent la suspicion qui caractérise les relations entre les pouvoirs centraux et décentralisés.
La réforme que nous proposons repose sur les principes d'une décentralisation clarifiée, approfondie et démocratisée.
Nous voulons une décentralisation pour tous. L'avenir de la décentralisation n'est pas du seul ressort du gouvernement ou même des élus. Il doit s'inscrire dans un mouvement global, transparent et participatif. Acteurs publics, privés, citoyens, doivent être associés à l'élaboration de ce nouveau contrat politique qui devrait être discuté à travers l'organisation de forums régionaux, puis formalisé à l'occasion d'états généraux pour une république moderne. Ce contrat mériterait d'être couronné par un référendum.
Nous voulons une décentralisation régulée. Nous souhaitons que l'Etat soit modernisé et recentré dans ses missions régulatrices qui doivent s'exercer dans le cadre d'une république unitaire. Pour ce faire, la décentralisation doit aller de pair avec une déconcentration renforcée. Nous préconisons un regroupement des moyens d'action autour du préfet de région qui doit pouvoir tenir le rôle de patron de l'Etat sur le terrain.
Nous voulons une décentralisation clarifiée. Nous croyons que l'avenir de la décentralisation repose sur les principes de la complémentarité politique. Il faut mettre un terme à la confusion et à la multiplicité des pouvoirs. Dans cet esprit, nous entendons promouvoir une articulation institutionnalisée des deux couples communes/intercommunalités - régions/départements. Parce que la région doit constituer le vecteur principal des grandes ambitions locales, nous préconisons le mariage des régions et des départements au moyen de deux outils d'intégration : le mode d'élection et l'assiette de leur fiscalité. Nous souhaitons que les conseillers régionaux et généraux soient les mêmes et qu'ils soient élus au scrutin uninominal dans le cadre de circonscriptions redessinées et élargies. En réunifiant ces deux mandats, nous conduirons ces deux collectivités à coordonner leurs stratégies et leurs politiques.
L'organisation que nous préconisons permet de maintenir un maillage serré du territoire tout en assurant la cohérence des politiques.
Dans cet esprit de cohérence, la modernisation de la fiscalité locale est nécessaire.
Cette modernisation doit être fondée sur deux principes :
- l'autonomie fiscale des collectivités ;
- et la spécialisation fiscale qui va de pair avec la responsabilité démocratique.
Nous proposons d'affecter la taxe foncière et la taxe d'habitation rénovée à la commune, la taxe professionnelle à l'intercommunalité, et une part additionnelle d'impôts d'Etat modernes comme la TIPP, l'impôt sur les société ou la TVA, sous réserve d'aménagement de la réglementation européenne, au couple région / départements.
Mêmes élus, même ressource fiscale prélevée sur une base régionale : voilà les ressorts du couple solidaire et cohérent que nous ambitionnons.
Nous voulons une décentralisation approfondie. Nous jugeons nécessaire d'élargir les compétences des collectivités territoriales. L'Etat doit, selon les cas, transférer de nouvelles attributions ou déléguer certaines de ses charges liées au service public dont il ne peut demeurer l'unique interprète.
Cet objectif de dévolution suppose : un audit général des missions et des méthodes de l'Etat conduisant à une redéfinition des blocs de compétences. Il suppose des critères clairs de répartition des compétences entre les collectivités locales selon le principe suivant : la proximité au couple communes / intercommunalités, la solidarité à l'échelon départemental et les politiques structurelles à la région. Il suppose enfin que soit formalisé le principe d'une collectivité " chef de file " sur chaque grand dossier dont le rôle serait défini par la loi.
Dans cinq domaines principaux les collectivités locales sont, selon nous, mieux à même que l'Etat de faire vivre le principe d'égalité des chances :
- L'aménagement du territoire : les transports ferroviaires hors grandes lignes, les équipements portuaires et aéroportuaires, le réseau routier national, la politique de logement, la gestion des fonds structurels européens doivent être confiés au couple région/département ;
- Le développement économique : l'Etat doit transférer intégralement la compétence développement économique aux collectivités locales et principalement aux régions qui doivent exercer dans ce domaine le rôle de chef de file ;
- L'Education et la formation : l'intégralité de la compétence en matière de formation professionnelle, la responsabilité des moyens de l'éducation du primaire à l'enseignement supérieur, doivent être transférées aux collectivités locales. Des établissements publics devraient assurer dans chaque région l'association des échelons locaux à la définition et à la gestion de la politique d'éducation.
- Sur la sécurité elle même, vous ne pouvez plus, Monsieur le Premier Ministre, continuer d'ignorer les craintes et les attentes des maires des villes moyennes et grandes. Les Contrat Locaux de Sécurité ne sont pas une panacée. Tout en affirmant l'essence régalienne de la politique de sécurité, les maires doivent, pouvoir être associés à la direction et à la gestion d'une partie des forces de police et de gendarmerie affectées à la prévention et la petite délinquance.
- Enfin l'action sociale gagnerait à une clarification des responsabilités en particulier s'agissant du volet insertion du RMI.
Cette liste n'est pas exhaustive. L'entreprise de redéfinition des périmètres de l'Etat ne doit pas être précipitée. Elle ne doit pas obéir à des présupposés idéologiques mais être menée avec pragmatisme et courage politique.
Une décentralisation approfondie, c'est aussi et enfin offrir aux régions le pouvoir d'innover. Expérimenter, c'est inventer, c'est tester de nouvelles formules qui, ensuite, peuvent être généralisées à l'ensemble du pays. Mais ce droit ne doit pas être l'antichambre d'une France à plusieurs vitesses. C'est pourquoi, il doit être sérieusement encadré par le législateur, suivi par les services déconcentrés de l'Etat
et d'une durée limitée. Sur ce sujet, nous serons vigilants et exigeants !
Enfin, nous voulons une décentralisation démocratisée. Nous proposons, je l'ai indiqué, une réforme des modalités électorales pour les conseillers régionaux et généraux, instaurant le scrutin uninominal qui nous paraît répondre à la demande de proximité démocratique ; l'élection au suffrage universel dans le cadre communal des membres des structures intercommunales, mais aussi l'élargissement du référendum local qui permet d'ouvrir le débat à l'ensemble de la société civile qui est avide de participation et en qui il faut avoir confiance.
Voilà les axes du contrat national rénové que nous voulons proposer aux Français !
Mes chers collègues, à cause de la crise, la société française s'est crispée et s'est réfugiée dans une culture politique au sein de laquelle le choix du statu quo et des acquis à conserver l'a emporté sur le choix des acquis à rénover et à conquérir. Avec le retour de la croissance, le passage d'une société crispée vers une société libérée et en mouvement doit être entrepris. La décentralisation devra être mise au service de ce projet politique.
(Source http://www.rpr.fr, le 14 mars 2001).
Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
Les pays ont une histoire.
Celle de la France épouse l'idée de la république une et indivisible !
Les pays ont aussi une culture politique.
Celle de la France épouse l'idée de la citoyenneté qui transcende les appartenances
culturelles, sociales et raciales !
Les pays ont enfin une âme politique.
Celle de la France a cela de singulier que la liberté est pour une large part consubstantielle à l'égalité ; cette égalité étant elle même constitutive de l'unité nationale ; cette unité nationale se cristallisant enfin dans le visage de l'Etat. C'est ce
que l'on appelle, pour le meilleur comme pour le moins bon, " le modèle français " !
Ce modèle, certains le jugent dépassé et se plaisent à en stigmatiser les lacunes.
Pour d'autres, dont nous sommes, il conserve sa grandeur car il invite les citoyens à s'inscrire dans une dynamique collective suscitant l'adhésion à travers, non la culture des origines, mais la culture des actes.
Entre ces deux thèses où s'affrontent deux conceptions de la France, le débat est
ouvert et s'aiguise sous la pression des évènements.
Pour la France, le XXIème siècle s'ouvre en effet sur deux grands défis :
- investir la mondialisation sans perdre son âme ;
- et investir l' Union européenne pour s'en approprier la conduite ;
Pour les relever, est-il préférable de renforcer notre unité ou bien est-il préférable d'approfondir nos différences, est-il préférable de poursuivre l'aventure nationale ou est-il préférable d'en sortir au profit d'une autre aventure qui pourrait être fédérale ?
De nos réponses dépendent l'organisation et la logique des pouvoirs que nous voulons. Nous voici donc bien au coeur du débat d'aujourd'hui. La décentralisation n'est plus un problème technique dès lors que nous nous accordons sur la nécessité de l'approfondir. Parce qu' elle est au confluent des pouvoirs, des concepts et des normes qui régissent le modèle français, elle nous renvoie nécessairement vers l'épicentre du pacte républicain.
Oui, la décentralisation est liée à l'idée que l'on se fait de la France, des Français et, à fortiori, des pouvoirs qui orchestrent l'ensemble ! Dans cet esprit, elle doit s'inscrire dans un projet de société destiné à expliquer aux français où ils vont, pourquoi et comment ils y vont !
Monsieur le Premier Ministre, avez-vous un projet de société ? Et plus précisément, la décentralisation participe-t-elle à ce projet ? Nous vous avons entendu et vous ne nous avez pas convaincu. Notre jugement reste à l'heure actuelle empreint de scepticisme.
Car nous jugeons votre politique de décentralisation sur les actes. Et ces actes ne traduisent pas une cohérence et une transparence à toute épreuve. Votre politique oscille en fait entre deux voies : celle du centralisme et celle de la fuite en avant.
Le centralisme est la marque de votre gouvernement. Réforme de la taxe professionnelle, réduction des droits de mutation, suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, suppression de la vignette : en moins de trois ans, la part des recettes fiscales autonomes dans les budgets des collectivités locales est passée de 54% à 44%. Ces mesures s'inscrivent dans un mouvement qui condamne à moyen terme l'autonomie fiscale des collectivités territoriales. Vous auriez pu choisir d'autres prélèvements, vous auriez pu choisir de baisser les dépenses publiques, de réformer l'impôt sur le revenu Non ! Vous avez précisément choisi de piocher dans la fiscalité des collectivités locales. C'est un choix ! C'est le choix du centralisme et du dirigisme qui consiste à penser la société par le seul prisme de l'Etat .
Mais ce conservatisme centralisateur a généré une étrange contrepartie que je qualifie de fuite en avant. Centralisateur pour l'immense majorité des collectivités territoriales, vous voici brusquement inventif pour la Corse. Ce qui est refusé aux uns est accepté pour quelques autres. Langue corse obligatoire, compétences accrues, pouvoirs d'adaptation législative Mais que diable s'est-il donc passé ? Quelle est l'origine de ce revirement ? Et bien la réponse est dangereusement simple : au delà de la problématique de l'insularité et du développement économique, la vérité est que violence paie ! Vous voici donc en train d'inventer autour de la décision du 28 juillet 1993 du conseil constitutionnel, un statut dérogatoire pour la Corse Il y a dans ce mécano institutionnel quelque chose de piquant car cette décision de juillet 93 ne m'est pas étrangère. Elle sanctionnait, sur saisie des socialistes et des communistes, la modeste proposition de loi sur les expérimentations universitaires que j'avais fais adopter. Ce qui était autrefois inadmissible pour la gauche dans les universités, est aujourd'hui acceptable au centuple pour la Corse ! Ce que vous acceptez pour la Corse, sous quels motifs le refuserez-vous aux bretons et aux alsaciens ? Que direz-vous lorsque les élus viendront vous réclamer ( conformément d'ailleurs à votre programme de 1997 ), la création d'un département basque, demande infiniment moins audacieuse que le statut prévu pour la Corse ?
Votre politique à géométrie variable entraînera, Monsieur le Premier Ministre, la multiplicité des requêtes contradictoires.
Mes chers collègues,
La décentralisation peut être une chance pour la France, mais elle peut être aussi, si certaines conditions méthodologiques et politiques ne sont pas remplies, une défaite pour la République. !
Une défaite si elle épouse une logique centripète qui, progressivement, déchirerait le pacte national. Entre le principe de " la liberté dans l'unité républicaine " et celui de " l'inégalité dans la diversité républicaine ", la frontière est étroite. En définitive, la problématique est la suivante : voulons-nous vivre prioritairement autour de nos articularismes locaux ou voulons-nous vivre ensemble avec, voir malgré, nos particularités ?
En revanche, ce mouvement accentué de décentralisation peut être une chance pour la France s'il conduit à nous interroger courageusement sur l'efficacité des pouvoirs centraux, déconcentrés et décentralisés. Parce que l'Etat et les collectivités territoriales sont affectés par une langueur comparable, c'est de concert qu'ils doivent se réinventer pour poser les bases d'un contrat national rénové.
Ce contrat doit épouser les évolutions de la société française. Celle-ci est en quête de créativité, d'identité et de responsabilité. Elle est attentive à sa qualité de vie et tourne le dos aux schémas de développement standardisé, centralisateur et uniforme. Cette nouvelle France doit s'épanouir dans un cadre institutionnel élargissant les champs de l'innovation, de la confiance et de la participation. Dans cet esprit, l'Etat doit apprendre à écouter, à déléguer certaines de ses compétences.
Il doit s'écarter d'une logique hiérarchique au profit d'une logique relationnelle où l'autorité ne se décrète plus mais se gagne et s'orchestre différemment.
Pour ce faire, il convient d'arbitrer en faveur d'un Etat recentré et relayé par des collectivités locales responsabilisées et placées en position de partenaires de la république et non de concurrentes. Nous devons donc penser l'avenir de notre système politique suivant le principe d'une véritable subsidiarité qui ne doit pas être l'otage d'un affrontement idéologique dépassé. Entre le " jacobinisme étouffant " et le " girondisme extravagant ", entre le tout Etat et l'absence d'Etat, il faut imaginer une relation constructive entre l'unité nationale et l'expression locale.
Oui, la décentralisation peut être, mes chers collègues, une chance ou une défaite. A chacun sa voie, à chacun ses choix !
Pour notre part, nous avons choisi de moderniser le pacte républicain sans le démembrer. Nous abordons le dossier de la décentralisation avec la conviction que le statu quo est impossible. Initié il y a vingt ans, un cycle s'achève et s'épuise désormais dans la confusion, l'irrésolution et la suspicion.
Oui, il y a confusion entre les cinq échelons centraux et décentralisés. Cinq échelons où nul ne sait plus très bien qui fait quoi, qui dirige, où se croisent et se neutralisent les financements et les meilleures volontés. Cinq échelons où s'illustre trop souvent l'esprit de clocher plutôt que l'esprit d'équipe. Une clarification est nécessaire.
Oui, il y a irrésolution dans les relations entretenues entre l'Etat et les collectivités locales. A cet égard, les dernières négociations pour les contrats de plan Etat Régions auront constitué l'expression d'une politique à bout de souffle. Cette irrésolution est révélatrice du doute quasi existentiel qui affecte la puissance publique et ses agents dont le rôle, les missions et le statut n'ont pas été repensés dans le cadre du nouvel environnement économique et social.
Ce constat nous conduit à réclamer une réforme courageuse et continue de l'Etat destinée non pas à le destituer mais bien au contraire à le restaurer. A bien des égards, nous estimons que la décentralisation peut sauver l'Etat !
Oui, il y a suspicion au sein d'un Etat qui est ferme là où il devrait être compréhensif et laxiste là ou il devrait être vigilant. Il y a un paradoxe que nous dénonçons : l'Etat dévolue certaines de ses responsabilités les plus sacrées à l'Europe, aux commissions indépendantes, aux experts, mais ne semble pas se lasser de suspecter, de cadrer, voir d'exploiter sans contrepartie et sans dialogue les collectivités territoriales. La recentralisation fiscale, l'augmentation des contraintes et des contrôles tatillons qui pèsent sur les collectivités, symbolisent la suspicion qui caractérise les relations entre les pouvoirs centraux et décentralisés.
La réforme que nous proposons repose sur les principes d'une décentralisation clarifiée, approfondie et démocratisée.
Nous voulons une décentralisation pour tous. L'avenir de la décentralisation n'est pas du seul ressort du gouvernement ou même des élus. Il doit s'inscrire dans un mouvement global, transparent et participatif. Acteurs publics, privés, citoyens, doivent être associés à l'élaboration de ce nouveau contrat politique qui devrait être discuté à travers l'organisation de forums régionaux, puis formalisé à l'occasion d'états généraux pour une république moderne. Ce contrat mériterait d'être couronné par un référendum.
Nous voulons une décentralisation régulée. Nous souhaitons que l'Etat soit modernisé et recentré dans ses missions régulatrices qui doivent s'exercer dans le cadre d'une république unitaire. Pour ce faire, la décentralisation doit aller de pair avec une déconcentration renforcée. Nous préconisons un regroupement des moyens d'action autour du préfet de région qui doit pouvoir tenir le rôle de patron de l'Etat sur le terrain.
Nous voulons une décentralisation clarifiée. Nous croyons que l'avenir de la décentralisation repose sur les principes de la complémentarité politique. Il faut mettre un terme à la confusion et à la multiplicité des pouvoirs. Dans cet esprit, nous entendons promouvoir une articulation institutionnalisée des deux couples communes/intercommunalités - régions/départements. Parce que la région doit constituer le vecteur principal des grandes ambitions locales, nous préconisons le mariage des régions et des départements au moyen de deux outils d'intégration : le mode d'élection et l'assiette de leur fiscalité. Nous souhaitons que les conseillers régionaux et généraux soient les mêmes et qu'ils soient élus au scrutin uninominal dans le cadre de circonscriptions redessinées et élargies. En réunifiant ces deux mandats, nous conduirons ces deux collectivités à coordonner leurs stratégies et leurs politiques.
L'organisation que nous préconisons permet de maintenir un maillage serré du territoire tout en assurant la cohérence des politiques.
Dans cet esprit de cohérence, la modernisation de la fiscalité locale est nécessaire.
Cette modernisation doit être fondée sur deux principes :
- l'autonomie fiscale des collectivités ;
- et la spécialisation fiscale qui va de pair avec la responsabilité démocratique.
Nous proposons d'affecter la taxe foncière et la taxe d'habitation rénovée à la commune, la taxe professionnelle à l'intercommunalité, et une part additionnelle d'impôts d'Etat modernes comme la TIPP, l'impôt sur les société ou la TVA, sous réserve d'aménagement de la réglementation européenne, au couple région / départements.
Mêmes élus, même ressource fiscale prélevée sur une base régionale : voilà les ressorts du couple solidaire et cohérent que nous ambitionnons.
Nous voulons une décentralisation approfondie. Nous jugeons nécessaire d'élargir les compétences des collectivités territoriales. L'Etat doit, selon les cas, transférer de nouvelles attributions ou déléguer certaines de ses charges liées au service public dont il ne peut demeurer l'unique interprète.
Cet objectif de dévolution suppose : un audit général des missions et des méthodes de l'Etat conduisant à une redéfinition des blocs de compétences. Il suppose des critères clairs de répartition des compétences entre les collectivités locales selon le principe suivant : la proximité au couple communes / intercommunalités, la solidarité à l'échelon départemental et les politiques structurelles à la région. Il suppose enfin que soit formalisé le principe d'une collectivité " chef de file " sur chaque grand dossier dont le rôle serait défini par la loi.
Dans cinq domaines principaux les collectivités locales sont, selon nous, mieux à même que l'Etat de faire vivre le principe d'égalité des chances :
- L'aménagement du territoire : les transports ferroviaires hors grandes lignes, les équipements portuaires et aéroportuaires, le réseau routier national, la politique de logement, la gestion des fonds structurels européens doivent être confiés au couple région/département ;
- Le développement économique : l'Etat doit transférer intégralement la compétence développement économique aux collectivités locales et principalement aux régions qui doivent exercer dans ce domaine le rôle de chef de file ;
- L'Education et la formation : l'intégralité de la compétence en matière de formation professionnelle, la responsabilité des moyens de l'éducation du primaire à l'enseignement supérieur, doivent être transférées aux collectivités locales. Des établissements publics devraient assurer dans chaque région l'association des échelons locaux à la définition et à la gestion de la politique d'éducation.
- Sur la sécurité elle même, vous ne pouvez plus, Monsieur le Premier Ministre, continuer d'ignorer les craintes et les attentes des maires des villes moyennes et grandes. Les Contrat Locaux de Sécurité ne sont pas une panacée. Tout en affirmant l'essence régalienne de la politique de sécurité, les maires doivent, pouvoir être associés à la direction et à la gestion d'une partie des forces de police et de gendarmerie affectées à la prévention et la petite délinquance.
- Enfin l'action sociale gagnerait à une clarification des responsabilités en particulier s'agissant du volet insertion du RMI.
Cette liste n'est pas exhaustive. L'entreprise de redéfinition des périmètres de l'Etat ne doit pas être précipitée. Elle ne doit pas obéir à des présupposés idéologiques mais être menée avec pragmatisme et courage politique.
Une décentralisation approfondie, c'est aussi et enfin offrir aux régions le pouvoir d'innover. Expérimenter, c'est inventer, c'est tester de nouvelles formules qui, ensuite, peuvent être généralisées à l'ensemble du pays. Mais ce droit ne doit pas être l'antichambre d'une France à plusieurs vitesses. C'est pourquoi, il doit être sérieusement encadré par le législateur, suivi par les services déconcentrés de l'Etat
et d'une durée limitée. Sur ce sujet, nous serons vigilants et exigeants !
Enfin, nous voulons une décentralisation démocratisée. Nous proposons, je l'ai indiqué, une réforme des modalités électorales pour les conseillers régionaux et généraux, instaurant le scrutin uninominal qui nous paraît répondre à la demande de proximité démocratique ; l'élection au suffrage universel dans le cadre communal des membres des structures intercommunales, mais aussi l'élargissement du référendum local qui permet d'ouvrir le débat à l'ensemble de la société civile qui est avide de participation et en qui il faut avoir confiance.
Voilà les axes du contrat national rénové que nous voulons proposer aux Français !
Mes chers collègues, à cause de la crise, la société française s'est crispée et s'est réfugiée dans une culture politique au sein de laquelle le choix du statu quo et des acquis à conserver l'a emporté sur le choix des acquis à rénover et à conquérir. Avec le retour de la croissance, le passage d'une société crispée vers une société libérée et en mouvement doit être entrepris. La décentralisation devra être mise au service de ce projet politique.
(Source http://www.rpr.fr, le 14 mars 2001).