Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur les relations entre l'Etat et les collectivités locales en matière de réduction des déficits publics de politique de la ville et d'aménagement du territoire, Paris le 14 novembre 1995.

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Circonstance : Congrès de l'AMF (Association des maires de France) à Paris du 14 au 16 novembre 1995

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Maires de France,
Je suis heureux d'être aujourd'hui parmi vous pour ouvrir le 78ème Congrès national de l'Association des Maires de France.
Je souhaite tout d'abord avoir une amicale pensée pour tous ceux qui participent pour la première fois à ce congrès.
Je souhaite aussi vous remercier tous d'assurer cette charge au service de nos concitoyens. Si un mandat électif est toujours un honneur, la fonction de maire est pour moi la plus noble d'entre toutes.
Le maire, en effet, est en permanence au service de ses concitoyens, eux-mêmes toujours plus exigeants. Il partage avec l'État le redoutable privilège d'être celui vers lequel on se retourne en période de crise.
Car l'État et le maire sont tenus pour responsables de tout. Les ateliers qui vous sont proposés au cours de ce congrès montrent bien l'ampleur des sollicitations dont vous faites l'objet et des préoccupations qui sont les vôtres.
En première ligne dans le combat contre l'exclusion, vous devez également veiller au développement économique et vous êtes très impliqués, à plus d'un titre, dans la politique de l'emploi.
Le combat pour l'emploi, pour la réduction de la fracture sociale qui coïncide souvent avec une fracture territoriale, est la première des priorités que le Président de la République a fixées au gouvernement.
Dans l'accomplissement de cette mission, je sais pouvoir compter sur l'ensemble des maires de France, et, à travers vous, sur les 500.000 élus municipaux et le million de fonctionnaires employés par les communes et les organismes intercommunaux.
Le gouvernement a mis en place dès cet été deux mesures fortes : le Contrat Initiative Emploi dont bénéficient d'ores et déjà 100.000 chômeurs de longue durée, et l'allégement des charges sur les bas salaires. Ces mesures font sentir leurs effets, comme le montre la diminution substantielle enregistrée le mois dernier du chômage de longue durée.
Avec un excédent commercial reccord, notre pays fait la preuve de la compétitivité de notre économie aussi bien dans le domaine agricole que dans l'industrie ou dans les services.
Mais un grave danger nous menace, c'est l'ampleur de nos déficits publics.
J'avais étonné, lors d'une réunion de l'Association des maires des grandes villes, en qualifiant la situation des finances publiques de péril national. Chacun a pu, depuis, prendre la mesure des difficultés qui sont dans ce domaine celles de notre pays. L'endettement considérable de l'État, auquel il convient d'ajouter celui de la Sécurité Sociale et de certaines entreprises publiques, tire vers le haut les taux d'intérêt, freinant l'investissement et la consommation.
C'est pourquoi la lutte pour l'emploi doit aller de pair avec la réduction des déficits publics.
Réduction du déficit de la Sécurité Sociale en premier lieu, car il est indispensable d'assurer sur le long terme l'avenir de notre protection sociale. Le Parlement débat en ce moment de ce sujet essentiel pour la cohésion sociale de notre pays.
Réduction des déficits de l'État en second lieu. Cette réduction passe, après les efforts importants réclamés à tous les contribuables lors du collectif de printemps, par la réduction des dépenses de l'État.
Pour la seule année 1995, j'ai procédé à l'annulation de 40 milliards de francs de crédits car j'étais décidé quoiqu'il arrive à limiter cette année le déficit du budget de l'État à 5 % du PIB. 40 milliards d'annulation de crédits en moins de 6 mois, c'est un effort considérable de la part de l'État et c'est aussi, je crois, une décision sans précédent dans l'histoire de la Ve République. Je sais que nombreux parmi vous ont décidé, après leur élection ou leur réélection, de réaliser aussi d'importantes économies dans leurs budgets communaux quitte à suspendre ou à réviser à la baisse certains projets d'investissement.
L'État pour sa part entend bien donner l'exemple. Son effort de rigueur s'inscrira dans la durée. Réduit à 5 % du PIB dès cette année, le déficit des comptes publics sera ramené à 4 % en 1996 et à 3 % en 1997 et je ferai preuve pour atteindre cet objectif de la même détermination que celle qui m'a été nécessaire pour enrayer cette année l'hémorragie financière dont notre pays était menacé.
La volonté de mon gouvernement de réduire les déficits publics ne s'est pas accompagnée, comme vous auriez pu le redouter au vu d'un passé récent, d'une réduction des concours de l'État aux collectivités locales et singulièrement aux communes. Conformément à l'engagement souscrit par le Président de la République au printemps, mon gouvernement a tenu à introduire le principe de la stabilité au cur des relations financières entre l'État et les collectivités locales. Le projet de loi de finances pour 1996 en est la première traduction, imparfaite sans doute, et qui ne parviendra peut-être pas à satisfaire toutes les catégories de collectivités locales, ni même toutes les communes. Mais pour la première fois, une règle du jeu est établie qui éclaire l'avenir et qui, quoique perfectible, facilitera l'établissement de vos budgets et de vos plans de financement à moyen terme.
Cette nouvelle règle du jeu - qui méritera dans la durée le nom de pacte de stabilité financière - intègre naturellement la contribution des collectivités locales à l'indispensable effort de maîtrise de la dépense publique auquel notre pays doit désormais s'astreindre. Effort indispensable, car les déficits d'aujourd'hui sont les dettes de demain et les impôts d'après-demain et ceci vaut pour l'État comme pour les communes.
Celles-ci ne doivent plus voir leurs recettes soumises à des décisions aléatoires et arbitraires d'un État lui-même confronté à de graves difficultés budgétaires, mais elles ne sauraient pour autant se dispenser d'un effort de rigueur, alors que l'État réduit ses dépenses.
Encore faut-il que la réduction des dépenses de l'État ne procède pas seulement de mesures d'urgence budgétaire.
Il nous faut avoir le souci de dépenser mieux et de redéployer les moyens de l'État plutôt que de rajouter des dépenses.
La réforme de l'État toujours évoquée et jamais réalisée a commencé. Elle devra permettre la réalisation d'économies structurelles dans le fonctionnement de l'État.
Elle s'articulera pour l'essentiel autour d'une réduction des administrations centrales et donc de leurs effectifs, d'une déconcentration au profit des services extérieurs de l'État eux mêmes réorganisés et d'une simplification des procédures. Un des objectifs majeurs de la réforme de l'État est de rapprocher nos concitoyens des grandes administrations qui sont leurs interlocuteurs quotidiens, mais trop souvent anonymes et lointains. Hommes et femmes de terrain, je sais que vous partagez depuis longtemps cette préoccupation et que vous vous réjouirez que l'État la fasse désormais sienne. Je veux vous dire aussi que la volonté du Président de la République et la mienne de pousser les feux de la déconcentration est une chance pour vous. Trop souvent en effet, au cours des treize dernières années, vous avez pu constater que les effets bénéfiques de la décentralisation, en termes de rapidité et d'efficacité des décisions, étaient partiellement annulés par les insuffisances de la déconcentration qui laissaient les représentants de l'État et notamment les préfets parfois désarmés ou impuissants face à vos demandes.
Dans le gouvernement que j'ai constitué la semaine dernière, un même ministre, Dominique PERBEN, a en charge pour la première fois de manière simultanée la Décentralisation qu'il faut approfondir, la Réforme de l'État qu'il faut mener à bien et la Fonction Publique qu'il faudra à la fois rassurer et mobiliser tant il est vrai que les réformes que je souhaite voir conduire à bien ne se réaliseront pas sans elle, à fortiori contre elle, mais seulement avec elle.
Le troisième chantier prioritaire que j'ai assigné au nouveau gouvernement est celui de la réforme fiscale, une réforme dont l'objet sera de répartir plus équitablement l'effort entre tous les contribuables pour une plus grande justice mais également pour développer l'esprit d'entreprise et l'emploi.
Cette réforme, qui concerne en priorité la fiscalité de l'État, s'étendra à l'issue d'une très large concertation à la fiscalité locale et notamment à la taxe professionnelle.
Le quatrième chantier prioritaire pour le gouvernement, c'est la politique de la ville. Je vous confirme que le Programme National d'Intégration Urbaine comportera deux volets essentiels. Tout d'abord, l'État devra remplir tout son rôle en restaurant sa présence dans les quartiers. Nous nous efforcerons également de réduire le chômage des jeunes de ces quartiers, par un ensemble cohérent de mesures économiques et notamment d'avantages fiscaux.
Notre plan pour les villes sera un plan équilibré qui s'efforcera d'agir sur toutes les composantes du mal des banlieues. S'agissant de la sécurité, j'ai tenu compte, Monsieur le Président, des préoccupations exprimées par la délégation que vous conduisiez et que j'ai reçu à l'Hôtel Matignon le 20 octobre dernier : outre des policiers auxiliaires, j'ai prévu des créations d'emploi de policiers en civil. En outre, des mesures concernant les mineurs délinquants figureront dans ce plan et elles comporteront notamment un renforcement de leur encadrement éducatif. Comme vous, en effet, le gouvernement est persuadé que les difficultés de nos villes ne seront surmontées que si les pouvoirs publics savent faire preuve à la fois de fermeté et de générosité.
Un troisième volet complétera ces actions de l'État, c'est l'implication des maires eux-mêmes pour réduire la fracture sociale. Le choix arrêté par le gouvernement d'indexer pour les trois années à venir, la Dotation Globale de Fonctionnement sur l'indice des prix et la moitié du Produit Intérieur Brut devrait permettre de doubler la Dotation de Solidarité Urbaine pendant cette période. Je compte proposer au Parlement une réforme de cette dotation pour que les communes les plus en difficulté profitent tout spécialement de cette augmentation de la DSU. Car nul mieux qu'un maire ne sait comment utiliser au mieux l'argent public, en particulier pour soutenir les associations qui s'efforcent, dans ces quartiers, de maintenir un lien social.
Comme vous le savez, cette hausse de la DGF, la plus forte depuis trois ans, permettra également d'améliorer non seulement le financement de l'intercommunalité mais aussi celui de la Dotation de Solidarité Rurale. Car parallèlement aux fractures sociales qui se concentrent dans les quartiers en difficulté, je n'oublie pas les risques de fracture territoriale. C'est pourquoi j'ai souhaité confier au même ministre l'aménagement du territoire et la politique de la ville, car nous ne pouvons nous permettre d'opposer la ville à la campagne ou Paris à la Province. En regroupant ces deux compétences, J.C. GAUDIN, nouveau ministre de l'Aménagement du Territoire, de la Ville et de l'Intégration, sera à même de valoriser l'immense atout que représentent pour notre pays la diversité et la richesse de notre territoire.
Oui, je le dis avec force, l'aménagement du territoire dont le précédent gouvernement avait proclamé le caractère prioritaire reste plus que jamais à l'ordre du jour. Il procédera désormais d'une vision globale de l'avenir de notre pays, villes et campagnes non pas confondues mais rassemblées dans une même préoccupation : celle de réduire les déséquilibres, de répartir harmonieusement les richesses de notre pays au premier rang desquelles ses hommes et ses femmes, d'améliorer sans cesse la qualité de la vie à Mantes-la-Jolie comme à Mende, à Montfermeil comme à Guéret, dans la banlieue parisienne comme dans les faubourgs de Lille, Lyon ou Marseille, dans les petites villes et dans les bourgs de notre pays comme dans les grandes agglomérations.
C'est un immense chantier et nul ne peut désormais ni mettre en doute la volonté de mon gouvernement de le conduire à bien, ni mettre en cause les structures de décision ou d'action dont l'état dispose en la matière et qui sont désormais regroupées sous l'autorité d'un même ministre.
Réforme sociale, réforme de l'État, réforme fiscale, politique de la ville, vous aurez noté que tous les ministres responsables de ces quatre dossiers prioritaires ont en commun d'être maires.
N'y voyez pas une coïncidence.
Comme je vous l'ai indiqué en introduction, c'est par la fonction de maire que l'on prend le mieux conscience des aspirations de nos concitoyens.
J'ai d'ailleurs été attentif au titre choisi pour votre congrès : "Le Maire entre l'État et le citoyen" qui peut donner l'impression d'un maire écartelé entre les deux. Je sais que cette impression est partagée par beaucoup d'entre vous qui se sentent impuissants face d'une part à des administrés toujours plus exigeants, réclamant plus de services publics et moins d'impôts locaux, et d'autre part, des normes toujours plus complexes et toujours plus coûteuses - en particulier dans le domaine de l'environnement - imposées par l'état ou la Commission Européenne.
Je ne sous-estime pas ces contraintes et j'ai demandé au ministre chargé de la décentralisation de poursuivre les discussions lancées par Claude GOASGUEN, auquel je veux ici rendre hommage, avec les collectivités locales. Il est indispensable que ces dernières soient mieux associées à la préparation de décisions qui ont une incidence financière pour les communes. J'ai demandé à D. PERBEN de reprendre sans délais les discussions avec les associations représentatives des élus locaux pour avancer concrètement sur ce sujet essentiel.
Je ne peux en effet admettre, comme Premier ministre et comme maire de Bordeaux, que les maires puissent se sentir "coincés" entre l'État et les citoyens alors qu'ils sont le lien entre les deux.
Oserais-je rappeler que ce sont les maires qui tiennent à jour l'état civil. Existe-t-il un élément plus fort de la citoyenneté
Faut-il également rappeler que c'est le maire qui est responsable de l'organisation des élections et par là même le premier garant de la démocratie ?
Sans les maires, l'état de droit ne pourrait exister dans notre pays. Sans les maires, l'État serait impuissant ou paralysé.
C'est pourquoi vous le trouverez à vos côtés au service de nos concitoyens.
Les services de l'état sont à votre disposition pour vous assister et vous conseiller. J'entends souvent dire que les réductions d'effectifs dans les préfectures, dans les Directions Départementales de l'équipement portent d'abord sur les agents travaillant pour les collectivités locales. J'entends mettre fin à de telles dérives à l'occasion de la clarification des compétences.
Cette attention doit être toute particulière, en début de mandat, mais doit se prolonger dans les trois ans qui viennent.
Car j'entends qu'un État modeste, conforme au souhait du Président de la République, soit un véritable partenaire des collectivités locales dans le respect de leur autonomie et en se rappelant leur apport essentiel à notre pays, depuis toujours et dans les années à venir.