Interview de Mme Rachida Dati, ministre de la justice, à RTL le 25 février 2008, sur les modalités d'application de la loi relative à la rétention de sûreté après la censure du Conseil constitutionnel sur l'application de ces mesures aux personnes condamnées avant la promulgation de la loi.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

T. Legrand.- Bonjour, R. Dati. La raison de votre venue, ce matin, est un peu complexe. Il va falloir être didactique. Le Conseil constitutionnel a validé votre loi sur la rétention de sûreté. On rappelle que la rétention de sûreté, c'est la possibilité de maintenir en détention, en rétention après que la peine a été faite, un criminel dangereux. Simplement, le Conseil constitutionnel a dit que pour les criminels qui ont déjà été condamnés, qui sont encore en prison, qui vont sortir bientôt, cette rétention doit être encadrée et ne peut pas s'appliquer comme ça. Et pourtant le Président de la République voudrait que ça se fasse. La question est limpide et simple, madame Dati : Est-ce que vous voulez que la rétention de sûreté s'applique dès maintenant, malgré la décision du Conseil constitutionnel ?
 
R.- Tout d'abord, quel est l'objectif de ce texte ? L'objectif de ce texte, c'est de pouvoir retenir, ne pas laisser en liberté des criminels reconnus comme dangereux, des psychopathes tels que violeurs en série, tueurs en série et pédophiles. Voilà, le champ de ce texte et l'objet de ce texte. C'est que ces personnes-là quand elles terminent leur peine, si elles sont reconnues comme dangereuses par des psychiatres, ne puissent pas être remises en liberté, sans aucune surveillance...
 
Q.- Elles sont internées un an, et c'est renouvelable indéfiniment.
 
R.- Alors, la décision du Conseil constitutionnel est une véritable avancée parce que d'abord, elle valide la création de la rétention de sûreté puisqu'elle dit...
 
Q.- Elle dit que ce n'est pas une peine.
 
R.- Le Conseil constitutionnel dit : "c'est constitutionnel. Ce n'est pas une peine et c'est d'application immédiate". Donc ça, c'est la décision du Conseil constitutionnel.
 
Q.- C'est l'application immédiate avec de grosses réserves quand même !
 
R.- C'est pour ça que j'y viens. Le Conseil constitutionnel reconnaît l'application immédiate de ce texte. Alors, dans le texte initial, qu'est-ce que nous avions souhaité ? Que ce texte soit applicable de manière identique à ceux qui ont été condamnés avant l'entrée en vigueur de la loi et à ceux condamnés après l'entrée en vigueur de la loi. Alors, le Conseil constitutionnel dit : "Ce n'est pas une peine, donc c'est rétroactif. Pas de problème sur la rétroactivité". La deuxième chose, elle dit : "C'est d'application donc immédiate". Elle encadre quoi ? Elle encadre uniquement pour les personnes condamnées avant la loi où elle dit : comme ils n'ont pas été informés au moment de leur condamnation qu'ils risquaient d'aller en rétention de sûreté, donc pour ces personnes-là, nous disons quoi ? Nous disons : vous allez être sous surveillance judiciaire avec un bracelet électronique mobile, 24 heures sur 24 avec des obligations nouvelles extrêmement strictes et encadrées qui sont dans la loi.
 
Q.- Où est le problème, alors ? Si vous êtes satisfaite, où est le problème ?
 
R.-... Avec des obligations strictes. Mais s'il y a violation d'une de ces obligations, par exemple, si la personne ne se soigne pas, si elle ne se rend pas au commissariat de police, si elle va dans un endroit qui lui est interdit, alors la personne ira directement en rétention de sûreté. Donc, nous, ce que nous souhaitons, ce n'est pas une remise en cause de la décision du Conseil constitutionnel, nous respectons les institutions. Il s'agit de demander au plus haut magistrat de France, parce qu'il est important, nous faisons confiance à la Magistrature, et nous avons souhaité donner une mission au plus haut d'entre eux pour qu'ils puissent trouver dans le cadre de cette disposition qui est encadrée, de dire : là, pour les personnes condamnées avant la loi, il faut trouver les mesures pour les empêcher de récidiver. C'est-à-dire que même s'ils sont sous surveillance judiciaire 24 heures sur 24, quelles sont les modalités ou les moyens de les empêcher réellement de récidiver ?
 
Q.- Mais vous comprenez bien qu'il y a une ambiguïté puisque vous avez dit vous-même que le Conseil constitutionnel avait accepté l'idée que la rétention de sûreté n'était pas une peine. Donc, ce n'est pas judiciaire. Et vous vous adressez à la Cour de cassation. Pourquoi ne vous adressez-vous pas au législateur pour préciser votre loi ? Et c'est en ça qu'on a l'impression, en vous adressant à la Cour de cassation, que le Président fait une sorte de recours après la décision du Conseil constitutionnel et donc, que vous essayez de contourner ? Au pire, il y a une faute politique ?
 
R.- Alors, je voudrai justement corriger : nous ne nous adressons pas à la Cour de cassation.
 
Q.-... Au premier président de la Cour de cassation.
 
R.-... Nous nous adressons au plus haut magistrat de France.
 
Q.- Pour ce qui n'est pas une peine ? Ce qui n'est pas judiciaire ?
 
R.- C'est une mesure de sûreté. Si, parce que la mesure de rétention de sûreté sera prononcée par trois magistrats. Donc il s'agit bien d'une mesure judiciaire. Et c'est une mesure de sûreté...
 
Q.- Ce n'est pas une peine...
 
R.-... prononcée par trois magistrats. Ca n'est pas une peine. Donc, je reprends les termes de la décision du Conseil constitutionnel.
 
Q.- Pourquoi ne pas en appeler au Parlement ? A celui qui fabrique les lois ?
 
R.- Parce que les modalités, peut-être, on devra les encadrer, les ajuster, les modifier ou par une voie d'une circulaire, d'un décret ou peut-être par la loi. Dans ce cas-là, ce seront des propositions faites par le plus haut magistrat. Vous savez, moi j'ai une double responsabilité : d'abord, de protéger les Français des criminels les plus dangereux et ne plus avoir à déplorer avec des familles des crimes les plus odieux et les plus barbares ; et l'autre responsabilité, c'est que je sois au côté des magistrats, pour lesquels c'est une lourde responsabilité, notamment pour des juges d'application des peines quand ils prennent des décisions de libérer quelqu'un qui est reconnu comme dangereux mais pour lequel nous n'avons pas la structure pour pouvoir les prendre en charge, parce que je le rappelle. J'entends les polémiques et la polémique pour moi, n'est pas fondamentale. Ce qui est fondamentale, c'est de pouvoir protéger les Français des criminels les plus dangereux. Vous savez que dans notre Droit, nous ne pouvons pas obliger quelqu'un à se soigner parce qu'on me dit : il faudra les moyens en prison, et puis dans ce cas-là, ils n'ont qu'à se soigner en prison. Nous ne pouvons pas contraindre une personne à se soigner, notamment les plus pervers d'entre eux tels que ces délinquants dangereux, souvent. Et je reprends le cas, par exemple, de F. Evrard, qui a été l'affaire qui a vraiment ému toute la France par le viol de ce petit Enis : F. Evrard, il y avait trois expertises qui disaient : "Cette personne est dangereuse avec un risque fort et il y a une probabilité forte de récidive". Cette personne, c'est dans les informations et dans l'expertise, ne voulait pas se soigner parce qu'il voulait garder sa potentialité sexuelle. Est-ce qu'il n'est pas de notre responsabilité que cette personne ne récidive pas, et en particulier sur des mineurs.
 
Q.- Cela concerne combien de personnes ? Combien de personnes sont actuellement condamnées et susceptibles de sortir à la fin de leur peine ?
 
R.- Alors, par exemple, pour 2008, nous avons à peu près une centaine de délinquants, personnes condamnées actuellement, incarcérées qui vont sortir, qui sont reconnues comme dangereuses mais pour ceux qui sont concernés par la rétention de sûreté c'est à peine une vingtaine.
 
Q.- Donc, justement, est-ce qu'il n'y a pas les moyens, est-ce que vous n'avez pas les moyens de les suivre ? On parle du bracelet de sécurité pour les suivre ? Ou un suivi obligatoire régulier ? Une obligation de se soigner après la détention puisqu'on n'a pas le droit de les obliger pendant la détention ? Est-ce que ça, ça ne suffit pas ?
 
R.- Pour certains, la surveillance judiciaire même 24 heures sur 24, une obligation de soins même en liberté, toutes ces obligations ne sont pas suffisantes au regard de leur dangerosité ; et nous prenons nos responsabilités. Il est important, c'est ce que nous avons demandé à V. Lamanda de nous faire des propositions pour que ces délinquants les plus dangereux soient réellement pris en charge à l'issue de leur peine.
 
Q.- Un autre sujet, madame Dati. Est-ce que vous avez regardé la petite vidéo que 700.000 Internautes ont regardée, évidemment la scène au Salon de l'Agriculture entre N.Sarkozy et un agriculteur qui ne veut pas lui serrer la main, N.Sarkozy lui répond : "Cassetoi ! Sale con !"
 
R.- Qu'est-ce que retiennent les Français ? Justement que l'objectif de N. Sarkozy c'est de les protéger, par exemple comme le sujet que nous venons d'évoquer, des délinquants dangereux. Et c'est vrai qu'Internet a changé la donne aussi des rapports du politique...
 
Q.- Internet montre. Mais l'attitude du Président ?
 
R.-... des personnes publiques vis-à-vis de l'opinion.
 
Q.- F.-O. Giesbert disait que le style du Président cloche. Il y a quelque chose qui cloche. On a l'impression que pendant une seconde, il pète un peu les plombs ?
 
R.- Vous ne vous posez pas la question aussi que peut-être, ce qui peut clocher c'est qu'une personne puisse avoir des propos un peu désagréables à l'égard du chef de l'Etat et Président de la République. Donc, voilà ce qui est choquant. Mais les Français sont plutôt attentifs à ce que fait Nicolas Sarkozy. Et si je vous reprenais l'éditorial de F.-O.- Olivier Giesbert, il a démontré par les faits et de manière objective, la réalité des réformes, la création des emplois salariés : 300.000 en 2007.
 
Q.- Je ne sais pas s'il sera content de ce satisfecit ministériel ! Mais...
 
R.- Les réformes notamment en termes de Justice, ne serait-ce que la loi de lutte contre la récidive...
 
Q.- Rien ne cloche dans le style présidentiel ?
 
R.- Les Français attendent qu'il continue à réformer la France. Voilà.
 
Q.- Et vous, vous ne trouvez pas qu'il y a quelque chose qui cloche ? Il vient de perdre neuf points en quinze jours.
 
R.- C'est la première fois que nous sommes dans un vrai quinquennat. C'est la première fois. Le quinquennat a changé le rythme de la politique, a changé également le rythme de la mise en oeuvre des réformes. Donc, qu'est-ce que les Français attendent ? C'est que la France change, que les réformes soient mises en oeuvre. Souvenez-vous, sur la dernière élection présidentielle : 85% des Français se sont mobilisés pour cette élection. Donc, ils sont vraiment en attente que la France change.
 
Q.- Merci. R. Dati.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 25 février 2008