Interview de Mme Rachida Dati, ministre de la justice, à France Info le 27 février 2008, sur les modalités d'application de la loi sur la rétention de sûreté après la censure du Conseil constitutionnel concernant les condamnés jugés avant la promulgation de la loi.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.-  N. Sarkozy s'envole pour le Tchad avec, dans ses bagages, l'espoir  de plusieurs familles, celle des membres de l'Arche de Zoé, qui ont  une demande de grâce transmise très officiellement par l'Elysée. Il  va voir là-bas le président Deby. Peut-on attendre aujourd'hui une  réponse de sa part ? 
 
R.- Tout ce que je peux dire, c'est que c'est une prérogative exclusive et un  pouvoir discrétionnaire du président tchadien. Donc si le président  tchadien décide de cette grâce au moment de cette visite, c'est de sa  seule décision et de son seul pouvoir de décision.
 
Q.- Où en est le dossier aujourd'hui ? 
 
R.- La demande a été transmise... 
 
Q.- C'est entre ses mains ? 
 
R.- Oui, la demande a été transmise, ce que je viens de vous dire, c'est-à-dire  que le président tchadien est le seul à même de pouvoir gracier ou  pas, de prendre cette décision. 
 
Q.- On va parler dans un instant de la rétention de sûreté, mais avant  je voudrais votre réaction à ce qu'on a appris hier soir, c'est l'Ufap  qui a tiré la sonnette d'alarme sur la problème de la surpopulation  carcérale à la maison d'arrêt de Dijon : il y a des cellules prévues  pour deux, neuf mètres carrés ; il y aujourd'hui des gens qui  dorment par terre, ils sont à trois, parfois plus, dans les cellules.  Est-ce normal ? 
 
R.- La surpopulation carcérale, ce n'est pas nouveau. Mais j'ai pris en  compte et je prends en compte ce sujet depuis mon arrivée à la  chancellerie. Pour lutter contre la surpopulation carcérale, il y a deux  moyens : ou on aménage les peines, c'est-à-dire qu'on trouve des  modalités d'exécution des peines, et en particulier des courtes peines,  ou on construit des places de prisons ; j'ai souhaité mener ces deux  politiques. Donc des plans de construction de prisons, encore la  semaine dernière j'ai signé la construction de trois nouveaux centres  pénitentiaires, il y aura la construction de 3.000 places nouvelles en  2008, et à terme, c'est-à-dire en 2012, nous aurons 13.200 place de  prisons de plus. Donc c'est construire des places de prison, mais  également aménager les peines. Depuis le 27 juin dernier, après avoir  pris mes fonctions, j'ai mis en place les conférences régionales  d'aménagement des peines que j'ai instituées par décret. Ces  conférences régionales d'aménagement des peines ont permis de faire  augmenter de manière, vraiment d'un taux sans précédent depuis très  longtemps, c'est-à-dire que nous sommes à un taux d'aménagement des  peines de plus de 40 % aujourd'hui. 
 
Q.- Mais en attendant, les détenus continuent à dormir par terre à la  maison d'arrêt de Dijon ; que peut-on faire ? 
 
R.- Nous prenons en charge, nous essayons de... Vous savez, c'est un sujet  extrêmement grave, et ce n'est pas parce que nous pouvons avoir une  politique pénale extrêmement ferme que nous excluons l'humanité, bien  au contraire. C'est pour cela que j'ai lancé le programme de  constructions de places de prison, mais également une politique  d'aménagement des peines. Et je souhaite, puisque l'occasion m'en est  donnée, rendre hommage à toute l'administration pénitentiaire, parce  qu'ils font un travail difficile dans des conditions très difficiles. Donc,  j'ai pris en charge cette situation, j'en ai connaissance... 
 
Q.- Vous allez regarder le cas particulier de la maison d'arrêt de Dijon  aujourd'hui ? 
 
R.- Je regarde tous les cas, où il y a de la surpopulation carcérale, avec les  deux moyens que je viens de vous indiquer - construction de places de  prisons, ça prend du temps, également aménagement des peines. Et les  magistrats sont fortement engagés dans cet aménagement des peines,  ainsi que les conseillers insertions. 
 
Q.- L'autre actualité, c'est bien sûr la rétention de sûreté. Votre loi a  été promulguée hier matin au Journal Officiel. N. Morano, elle,  propose carrément depuis hier de réviser la Constitution. Est-ce  fantaisiste, envisageable, "une monstruosité juridique", comme dit  le Parti socialiste ? Qu'en pensez-vous ? 
 
R.- Je ne veux pas rentrer dans les polémiques, et je suis très choquée par la  position du Parti socialiste. Parce que l'objectif de ce texte, c'est quoi  d'autre que de protéger nos concitoyens des criminels les plus  dangereux, qui ont terminé leur peine, qui ont refusé de se soigner, et  dont on connaît la dangerosité à l'issue de leur peine. Voilà l'objectif de  ce texte. Alors, je ne rentre pas dans les polémiques. Ma  responsabilité... 
 
Q.- Mais sur la révision possible de la Constitution ? 
 
R.- Ma responsabilité est de protéger les Français, c'est le rôle de la justice,  elle réprime et elle protège également. Donc ma responsabilité, c'est de  prendre tous les moyens pour lutter efficacement contre la récidive.  Donc, ce texte, le texte initial était quoi ? C'est de dire, on veut protéger  la société des criminels les plus dangereux, tueurs en série, violeurs en  série et pédophiles, voilà l'objectif de ce texte. Donc, nous voulions  avoir le même régime pour ceux qui ont été condamnés avant l'entrée  en vigueur de la loi, et pour ceux qui seront condamnés après l'entrée  en vigueur de la loi. Le Conseil Constitutionnel valide la  constitutionnalité du principe de la rétention de sûreté. Il dit : "ce n'est  pas une peine, c'est une mesure de sûreté". Donc la loi est rétroactive,  elle est d'application immédiate. 
 
Q.- Alors pourquoi aujourd'hui N. Morano propose-t-elle de réviser la  Constitution ? Qu'est-ce que vous, vous en pensez, est-ce  envisageable ? 
 
R.- Vous me posez une question, je vous réponds par rapport aux  dispositions que nous avons prises. Cette loi est donc d'application  immédiate, à ceci près que, le Conseil Constitutionnel a dit que pour  ceux qui ont été condamnés avant la loi, avant l'entrée en vigueur de la  loi, ils n'ont pas été informés de la possibilité de ce placement dans ce  centre de soins fermé. Donc il est important qu'ils soient d'abord placés  en surveillance judiciaire, sous bracelet électronique mobile, sous  surveillance judiciaire 24 heures sur 24, avec des obligations nouvelles  qui sont dans ce texte, qui soient obligation de soins, obligation de  pointer au commissariat ou à la gendarmerie, interdiction de paraître  dans certains endroits. Et donc, s'il y a violation d'une de ces  obligations, alors il y a placement direct dans le centre de rétention de  soins. Nous avons saisi le premier président de la cour de cassation pour  que dans le cadre des propositions sur cet ajustement que le Conseil  constitutionnel a souhaité, c'est-à-dire que, dans le cadre de la  surveillance judiciaire, pour ceux qui ont été condamnés avant l'entrée  en vigueur de la loi, comment cette surveillance judiciaire doit être le  plus efficace possible pour lutter contre la récidive ? 
 
Q.- Mais le Conseil a quand même invalidé une partie du texte. Alors,  on va essayer de simplifier. Les Sages ont considéré... 
 
R.- C'est ce que je viens de vous dire. 
 
Q.-...Qu'une personne condamnée, libérée, ne peut pas être soumise  d'autorité à la rétention de sûreté... 
 
R.- Directement, c'est-à-dire qu'il y aura placement... 
 
Q.-...Car c'est contraire à la Déclaration des droits de l'homme,  principe de liberté... 
 
R.- Non...Ce que le Conseil Constitutionnel dit... 
 
Q.- Est-ce que n'est pas une manière de balayer finalement la  rétroactivité ? 
 
R.- Non, nous acceptons la décision du Conseil constitutionnel, qui dit que  cette loi est rétroactive, puisque ce n'est pas une peine, il dit "cette loi  est rétroactive", c'est une mesure de sûreté pour protéger les Français.  Alors, là où le Conseil constitutionnel dit : pour ceux qui ont été  condamnés avant l'entrée en vigueur de la loi, ils n'ont pas été informés  de cette possibilité d'être placés dans un centre de rétention de sûreté.  Donc, pour ceux-là, on les place d'abord en surveillance judiciaire, 24  heures sur 24, et s'ils violent une obligation, ils seront placés dans ce  centre de soins. Pour nous, c'est de demander au premier président  Lamanda de nous faire des propositions, pour voir, pour connaître, pour  pouvoir appliquer cette surveillance judiciaire avec des modalités très  claires pour éviter la récidive. 
 
Q.- Il y a quand même un détail de taille dans ce que dit le Conseil  constitutionnel : dans le cas où la rétention de sûreté peut  s'appliquer, les Sages ont dit autre chose qui va peut-être poser  problème, et qui est peut-être, on va le voir avec vous, une manière  de raboter votre texte, c'est que les détenus doivent avant avoir  bénéficié pendant leur période de prison, leur période  d'incarcération, de soins adaptés à leur trouble. Ça, ça va poser  problème ? 
 
R.- Ça ne pose pas de problème, mais il faut savoir, et je le rappelle, parce  que... 
 
Q.- Aujourd'hui, ce n'est pas forcément le cas ? 
 
R.-... Aujourd'hui, la polémique à gauche, est de dire : nous, on souhaite  remettre en liberté les délinquants les plus dangereux, pas de rétention  de sûreté puisqu'ils considèrent scandaleux qu'on puisse obliger  quelqu'un à se soigner. Dans notre droit, nous ne pouvons pas  contraindre quelqu'un à se soigner. Donc si la personne, le détenu,  refuse de se soigner en détention, parce que c'est souvent le cas... Je  reprends le cas de F. Evrard : pendant sa détention, il a fait dix-neuf ans  de prison, à la fin, il ne voulait pas se soigner, parce qu'il savait qu'il  allait sortir, et il voulait garder cette potentialité sexuelle. Donc pour ces  détenus et les plus dangereux, le cas de F. Evrard, trois experts  considèrent qu'avant la fin de sa peine qu'il est dangereux et qu'il va  récidiver. Et donc, pour ces détenus qui refusent de se soigner, les  dispositions seront applicables et d'application immédiates. 
 
Q.- Je reviens à ma question de départ : si au bout du compte, après les  propositions faites par le président de la cour de cassation vous  n'avez pas obtenu ce que vous souhaitiez, envisagerez-vous une  révision de la Constitution ? Oui ou non ? 
 
R.- Je ne fais pas de la fiction. J'ai un principe... 
 
Q.- N. Morano en fait en tout cas... Ça va être proposé au Parlement... 
 
R.- En tant que garde des Sceaux, j'ai une double responsabilité : protéger  les Français, principe de réalité, mais également d'être aux côtés des  magistrats pour qu'ils aient les meilleurs outils juridiques pour prendre  ces décisions, des décisions extrêmement graves, s'agissant de la remise  en liberté ou de la prise en charge dans le cadre d'un centre de soins  fermé des criminels les plus dangereux, voilà. 
 
Q.- Dernière question, on parle beaucoup du "casse-toi pauvre con !",  de l'épisode du Salon de l'agriculture avec N. Sarkozy. Qu'en  pensez-vous, vous, qui, aujourd'hui êtes en campagne ? Si cela vous  arrivait, vous réagiriez comment ? 
 
R.- Quel décalage après ce sujet grave de passer à ce type de sujet !  J'estime que chacun d'entre nous... 
 
Q.- C'est aussi l'actualité... 
 
R.- Chacun d'entre nous doit respecter, et l'institution et le chef de l'Etat.  Voilà, je n'ai pas d'autre commentaire à faire, que cette personne  n'aurait pas dû se comporter comme cela vis-à-vis du chef de l'Etat. 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 février 2008