Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur la complémentarité des différentes professions du droit, l'accès à la profession de notaire et les réformes de la fiscalité du patrimoine, de l'entreprenariat individuel à responsabilité limitée et de la transmission d'entreprise, à Cannes le 6 juin 2011.

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Circonstance : 107ème congrès des notaires de France, à Cannes (Alpes-maritimes)

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
C’est un grand honneur et un grand plaisir pour moi de retrouver les Notaires de France. Il y a beaucoup de raisons qui ont conduit à accepter votre invitation. D‘abord l’actualité de votre profession est porteuse d’interrogation, auxquelles je crois qu’il est important de répondre.
Ensuite, votre rôle au sein de la société française illustre des valeurs de confiance et de stabilité qu’il m’importe de défendre.
Ma conviction est que la belle fonction de notaire est un centre de gravité, un point de rencontre et d’équilibre, à la croisée entre le public et le privé, entre le juridique et le judiciaire, entre la liberté et la contrainte. Le notaire incarne la puissance publique, l’autorité souveraine placée au service des personnes privées. Il éclaire les consentements pour qu’ils soient l’expression d’une liberté consciente et responsable, et leur confère la force exécutoire pour le cas de défaillance de l’une ou l’autre des parties.
Pour tout dire, le notaire réunit en sa fonction : l’état souverain, la libre volonté des citoyens et l’exécution forcée. A la liberté, il offre la sécurité qui lui est indispensable pour porter tous ses fruits, en l’assortissant de la responsabilité qui justifie, en cas de nécessité, la contrainte. Dans ce monde complexe que nous vivons, si vous n’existiez pas, il faudrait vous inventer !
Des liens personnels m’attachent à votre profession et ce n’est pas sans une émotion qu’en m’adressant à vous je ravive les souvenirs que j’ai gardés de l’Etude mon père. Cette passion que vous avez exprimée dans vos différentes interventions je sais qu’elle n’est pas un vain mot.
Ce rôle fondamental du notaire, que vous nous avez rappelé, je l’ai souvent vu à l’œuvre. Cette attention à autrui qui vous anime, je l’ai apprise de mon père. Je n’ai pas oublié les leçons que me donnait l’exemple de son travail ; pas plus que je n’ai oublié la manière dont il évoquait, et dont il évoque encore, les satisfactions et les émotions que lui a procurées cette vocation de témoin, de conseil, auprès d’hommes et de femmes parfois confrontées à des situations difficiles.
Alors vous me direz, si on m’avait tellement vanté les mérites de cette profession, pourquoi ne l’ai-je pas embrassée ? Parce qu’il arrivait aussi à mon père de nous raconter lors des déjeuners familiaux toutes les histoires désagréables qui ponctuent la vie… qui ponctuaient la vie d’un notaire de campagne. Et j’en ai une notamment en mémoire qui m’avait marqué, c’était un paysan qui venait voir mon père alors qu’il venait de s’installer et qu’il n’avait pas de personnel, pour lui demander de vérifier dans ses archives si son voisin avait bien un droit de passage dans son chemin. Mon père passe une journée entière à fouiller dans les archives qui n’étaient sans doute pas d’ailleurs très bien ordonnées et il dit à ce paysan qu’il peut se satisfaire, il n’y a pas de droit de passage. Et le même paysan lui dit : mais jusqu’où vous êtes remonté ? Et mon père lui dit : 20 ans, 30 ans, je ne sais plus. Il lui dit : Vous avez d’autres archives, il faut aller plus loin. Et donc il passe une deuxième journée, cette fois-ci dans le grenier, où il y avait les archives poussiéreuses avec les ficelles qui cassaient lorsqu’on les défaisait. Et après toute une journée de travail il dit à ce paysan que son voisin n’avait pas de droit de passage dans son chemin. Et alors le paysan lui dit : eh bien vous voyez, je suis bien content, ce n’est pas que je veux l’empêcher de passer, mais je veux pouvoir lui dire : si tu passes dans mon chemin c’est parce que je veux bien. Je croyais d’ailleurs en embrassant la fonction politique m’être éloigné de ce type de situation. Je m’aperçois qu’il n’en est rien.
Les notaires accompagnent l’existence dans ses moments graves, qu’ils soient heureux ou douloureux. C’est une mission qui s’enracine dans une tradition ancienne et profonde qui établit votre autorité et la confiance que vous inspirez. Les valeurs qui sont votre marque – celles de la probité, de la rigueur, de la confidentialité – vous ont permis de tisser des liens puissants avec nos concitoyens. A travers les minutes notariales qui remontent au passé le plus lointain, vous êtes les garants d’une mémoire collective, d’une mémoire des droits qui défend l’œuvre humaine contre les assauts de l’oubli. La sécurité dont vous entourez les transactions est de longue date une base essentielle pour notre contrat social et notre développement économique.
Alors comment imaginerait-on qu’une profession si attachée aux grandes permanences de la vie sociale, à ses événements et à ses rythmes intemporels, soit bousculée par des mouvements et des sollicitations éphémères ? Mais comment peut-on croire qu’étant si intimement au fait des drames, des passions, des intérêts qui traversent notre société, vous n’en perceviez pas aussi les bouleversements les plus récents avec une acuité singulière ? Le rôle historique des notaires ne contredit pas leur inscription dans la modernité. Il la fonde, il l’enrichit, il l’aiguise.
En 1998, devant votre Congrès, le Président Chirac avait dit que "l’expérience acquise au fil des années fait de vous les dépositaires d’une sagesse". Eh bien cette sagesse est nécessaire à nos concitoyens qui cherchent auprès de vous conseil, éclaircissement, sérénité, devant les ramifications de la loi, la multiplication des sources de droit et des voies de recours, l’inflation préoccupante du contentieux. Cette sagesse est nécessaire à une société qui se modernise et qui voit s’ouvrir devant elle de nouveaux questionnements, de nouvelles attentes, de nouvelles inquiétudes. Vous êtes souvent parmi les premiers à les entendre, à les analyser, et à en faire part aux responsables politiques de notre pays.
Je pense au combat que vous avez mené il y a quelques années pour défendre la vocation successorale du conjoint survivant, trop longtemps négligée par notre droit, au prix de situations de détresse personnelle sur lesquelles vous nous avez alertés. La loi a répondu à votre interpellation et je veux vous dire, sur cet exemple comme sur bien d’autres, que votre contribution au débat public honore votre profession et que nous y sommes particulièrement attentifs.
Cette sagesse, je sais aussi qu’elle vous guide dans la modernisation de votre profession elle-même. La dématérialisation des échanges, la mise en place de l’acte authentique sur support électronique, le développement des bases de données accessibles en ligne, en particulier sur les prix de l’immobilier, la préparation du projet "Notaires de France Horizon 2020" tout cela témoigne de votre réactivité et de votre confrontation aux enjeux actuels.
Les clichés ont la vie dure, mais la réalité des faits est là pour les démentir ! L’image que vous nous donnez n’est pas celle – si elle l’a jamais été – d’un exercice routinier. Elle est celle d’une profession qui se renouvelle dans ses moyens et dans ses réflexions, pour étudier et pour prévoir les évolutions de notre société. Derrière votre travail d’expertise, d’anticipation, de proposition, je vois une ambition pour la France. Dans votre mission de conciliation, de régulation, de sécurisation, je vois un pôle de référence, de solidité, pour une société qui aspire à la confiance face aux bouleversements des temps.
Au cœur de votre activité, au cœur de votre mission de service public, il y a l’acte authentique. C’est une prérogative ancienne et intangible de votre profession, et nos concitoyens ne sont pas prêts à renoncer à la sécurité qu’elle procure, aux engagements les plus décisifs de leur vie. Mais je n’ignore pas les inquiétudes dont plusieurs d’entre vous se sont faits l’écho depuis la création récente de l’acte contresigné par avocat. Ces inquiétudes, je veux les écarter aujourd’hui.
L’acte contresigné par avocat n’a jamais été destiné à se substituer à l’acte authentique et aucune confusion ne saurait s’établir entre les deux. Il est motivé par des enjeux qui lui sont spécifiques et qui définissent en même temps les limites entre lesquelles sa mise en œuvre doit impérativement demeurer bornée. Il répond à une attente ancienne et il introduit une modernisation qui s’imposait.
Je crois que le Président de la République a eu raison d’en prendre l’initiative au terme des travaux menés par la commission Darrois. Il n’était pas illégitime de vouloir donner une force probante plus grande à certains actes sous seing privé établis en y introduisant la signature d’un avocat. Il n’était pas illégitime de limiter les contestations dont ces actes peuvent faire l’objet, en les entourant lorsque cela est nécessaire, de garanties qui soient à la hauteur des enjeux. Il n’était pas illégitime d’investir les avocats d’une mission de contrôle et d’information des parties signataires. Et je veux rappeler aussi les distinctions établies par la loi entre l’acte contresigné par avocat et l’acte authentique dont sont garants les notaires. L’acte contresigné par avocat est un acte sous seing privé investi d’une sécurité nouvelle mais qui ne se situe pas au même degré que l’authentification. Seule l’authentification fait d’un acte un titre exécutoire qui lui donne la valeur d’un jugement ! Seule l’authentification lui donne une force probante telle qu’il ne peut être contesté que par l’inscription de faux ! Et seule l’authentification peut recevoir le sceau de la République ! C’est pourquoi nous ne saurions encourager les avocats – et je veux le dire en toute franchise et en toute amitié au président Wickers – à entretenir l’idée que l’acte contresigné pourrait tenir lieu d’acte authentique et encore moins à l’entourer par mimétisme de formes qui doivent rester réservées à l’authentification.
Au fond, la différence entre les deux types d’actes atteste d’un côté les nouvelles responsabilités qu’il était juste de reconnaître aux avocats, et de l’autre côté la confiance renouvelée du législateur envers ceux qui sont les dépositaires de l’authentification, et singulièrement les notaires.
La loi de modernisation des professions juridiques réaffirme d’ailleurs cette confiance dans votre profession et dans l’acte authentique qui en est la marque, que ce soit en réservant expressément la publicité foncière à cet acte, ou bien en confiant au notaire l’enregistrement des PACS lorsque les partenaires choisissent de passer une convention par acte authentique.
Cette loi, nous l’avons conçue dans un esprit de complémentarité des différentes professions du droit. Entre les missions des notaires et celles des avocats, c’est une vision d’équilibre qui doit prévaloir. Aucune de vos deux professions ne sortirait gagnante d’une logique de concurrence ou d’affrontement. C’est ma conviction et je suis sûr que vous la partagez.
Un autre sujet d’inquiétude est intervenu récemment. Il y a quelques jours, la Cour de Justice de l’Union européenne rendait un arrêt excluant la condition de nationalité de l’accès à la profession de notaire. Elle a considéré que les activités des notaires ne participent pas directement et spécifiquement à l’exercice de l’autorité publique, au sens du Traité de l’Union.
Cette décision est-elle de nature à remettre en cause le statut et l’organisation de votre profession ? Fait-elle planer une menace sur l’avenir du notariat dans notre pays ? Vous avez eu raison de le dire, Monsieur le Président : il ne faut pas se laisser impressionner par une lecture hasardeuse et prématurée de cet arrêt qui vient tout juste d’être rendu. Je veux dire tout d’abord, que la Cour de Justice de l’Union européenne a de la notion d’autorité publique, une interprétation particulière, restrictive qui ne remet pas en cause le statut d’officiers publics et ministériels qui est le vôtre dans notre droit. Je veux dire ensuite que dans ses termes mêmes, l’arrêt nous donne les moyens de défendre les caractères essentiels du notariat et les structures de son organisation.
La Cour reconnaît en effet la raison impérieuse d’intérêt général qui régit l’exercice de vos missions. Elle reconnaît que la nature de votre action peut autoriser des restrictions éventuelles à la liberté d’établissement des ressortissants de l’Union européenne. Elle reconnaît que les procédures de recrutement des notaires, la limitation de leur nombre, l’encadrement de leur compétence territoriale, leur régime de rémunération, d’indépendance, d’incompatibilités et d’inamovibilité, en un mot tout ce qui fait la spécificité de votre profession, peuvent être justifiés, légitimés par les objectifs d’intérêt général que vous poursuivez. Et je veux vous assurer que nous utiliserons toutes les armes que cet arrêt nous donne pour préserver notre organisation notariale.
Cet arrêt nuancé ne doit pas nourrir des craintes excessives. Parce que malgré les interrogations qu’il suscite, il montre que la Cour a compris votre rôle fondamental, qu’elle a compris qui vous êtes, qu’elle a compris que votre organisation mérite une attention particulière. Parce que je veux le rappeler aussi, la France n’est pas isolée dans la défense du notariat.
La majorité des pays membres de l’Union européenne sont à notre côté et notre voix est entendue lorsque nous veillons à préserver votre profession. Il y a quelques années, l’Union européenne a exclu le notariat de la directive services, à notre initiative. Elle lui a donc déjà reconnu une spécificité qui ne doit pas à nouveau être contestée. Et j’ai la conviction qu’il n’en sera rien.
Nous avons été et nous serons à vos côtés pour garantir la pérennité de votre vocation et de votre activité. Les notaires sont en France une Institution ancienne. Ils sont un pilier de la tradition juridique qui est la nôtre, mais qui est aussi celle de nombreuses nations en Europe et partout dans le monde. On sait les divergences historiques et philosophiques qui séparent les pays de common law et ceux où prévaut le droit continental romano-civiliste. Il importe que les deux systèmes se respectent et apprennent l’un de l’autre. Il serait vain de prétendre à je ne sais quelle victoire ou à l’effacement d’une de ces traditions – comme si une nation pouvait subitement renoncer à l’une des marques les plus profondes de son héritage et de son destin.
Le droit continental établit sur des fondements puissants le notariat qui en est une expression achevée. La manière dont cette Institution répond concrètement à des interrogations juridiques et philosophiques lui vaut d’ailleurs d’être considérée avec la plus grande attention par beaucoup d’experts anglo-saxons. Elle lui vaut aussi cette dimension internationale qui va croissant et au sein de laquelle les notaires français sont appelés à jouer un rôle d’exemple et de réflexion. Et j’en veux pour preuve la présence aujourd’hui des représentants des délégations étrangères qui vous font l’honneur de participer à votre congrès et que je suis heureux à mon tour de saluer chaleureusement. Qui pourrait prétendre reprocher aux notaires une attitude de repli obsidional, quand on voit cette logique d’expansion et de dynamisme qui est la réalité et l’actualité de votre profession ? L’avenir vous est ouvert et les enjeux de la modernité ne cessent de requérir votre expertise juridique et votre ancrage profond dans la vie économique et sociale.
Le thème sur lequel vous avez choisi de réfléchir cette année – le financement – en est une illustration particulièrement pertinente. Je veux d’ailleurs rendre hommage au travail de Maître Henri Brugerolle et de ses équipes qui ont préparé de longue date l’événement qui nous réunit aujourd’hui.
Le rôle économique des notaires n’est pas nouveau. Le grand historien des passions françaises, Theodore Zeldin, a écrit qu’autrefois "les notaires avaient une influence déterminante sur le développement économique du pays par le contrôle qu’ils exerçaient sur les placements des particuliers". L’exemple est parlant mais il faut naturellement actualiser cette idée en considérant toute la diversité des secteurs de l’économie moderne où vous êtes appelés à intervenir de nos jours. L’enjeu du financement, c’est la réalisation des projets. C’est en un sens le fondement même de toute activité. Il concerne chacun de nos concitoyens, lorsqu’il veut acquérir un logement ou financer les études de ses enfants. Mais il concerne aussi la dynamique de notre système économique, lorsqu’il s’agit de financer la création ou le développement d’entreprises qui vont amener à la productivité, à la croissance et à l’emploi.
Entre la prudence et l’audace, entre garantie et prise de risques, le financement nécessite des équilibres subtils, raisonnés que les notaires sont particulièrement bien placés pour déterminer. Poser la question du financement, c’est se demander comment libérer les énergies, encourager les initiatives, donner à chacun les moyens d’accomplir ses aspirations, tout en prémunissant ceux qui les portent et ceux qui les soutiennent contre les aléas les plus graves. C’est se demander comment créer du potentiel, construire l’avenir, concrétiser l’espoir, accorder la réalité avec la volonté. C’est là que vos réflexions rencontrent nos ambitions politiques. Il y a l’accession des Français à la propriété, que nous n’avons cessé de favoriser dans un contexte de hausse des prix sur le marché de l’immobilier qui rend trop souvent cette ambition difficile.
Au début de l’année, nous avons rénové les dispositifs d’aides pour qu’ils soient plus simples, plus lisibles, accessibles à tous sans distinction. La création du prêt à taux zéro renforcé est une mesure importante qui doit encore monter en puissance, et nous avons besoin pour cela, de votre rôle de conseil et d’information auprès de nos concitoyens. Il y a notre fiscalité du patrimoine que nous sommes en train de rénover en réformant l’Impôt sur la Fortune, avec la volonté de rendre notre pays plus attractif, plus respectueux du travail, plus équitable dans les efforts qui sont demandés à tous. Au fil des ans, 300 000 foyers s’étaient vus assujettis à l’ISF, notamment à cause de la hausse de la valeur de leur logement, et je crois qu’il était juste qu’ils sortent du champ de cet impôt.
Je crois aussi qu’il était juste, comme nous avons décidé de le faire, de financer cette réforme par un relèvement des droits applicables aux donations et successions les plus élevées, sans remettre en cause les avancées de la loi de 2007 qui permettent à ceux qui se sont constitués un patrimoine par leur travail, de le transmettre à leurs enfants. Il y a le défi démographique de la très longue durée de vie et de la perte d’autonomie, qui touche l’ensemble de notre société. Je sais que vous y êtes sensibles, vous que votre travail place au plus près des interrogations des familles, vous dont les conseils sont précieux lorsqu’il s’agit d’organiser au mieux la retraite et la fin de vie.
Nous avons fait le choix de ne pas remettre ce chantier à plus tard. Au terme de la concertation nationale que nous avons engagée, la réforme de la dépendance sera débattue au Parlement à l’automne et nous prendrons alors les décisions nécessaires dans un esprit de responsabilité et de justice. Il y a tous les encouragements que nous avons apportés à l’esprit d’entreprise, trop souvent négligé en France, trop souvent bridé par des complexités et par des craintes. La création du régime de l’auto-entrepreneur a montré que les Français ont en eux cet esprit d’entreprise, pour peu que les démarches soient simplifiées et pour peu que les structures soient allégées.
Cela nous a inspiré pour lever les freins à la création d’entreprises, en particulier la peur de l’échec, la peur de voir saisir ses biens, de se retrouver démuni, de compromettre l’avenir de sa famille en cas de difficultés professionnelles. Je me suis engagé personnellement pour que l’on crée le régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, qui permet de mettre à l’abri ses biens personnels. Il faut bien entendu que les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée puissent accéder aux financements bancaires, sans qu’il leur soit systématiquement demandé de se porter caution sur leurs biens personnels, ce qui irait à l’encontre de la logique même de ce nouveau régime. C’est l’objet de la Charte que le gouvernement a signée la semaine dernière avec la Fédération des Banques Françaises, et qui pose notamment le principe de l’égalité de traitement entre l’EIRL et les autres formes juridiques pour l’accès au crédit. Puisque j’évoque l’accès au crédit, je veux dire un mot du financement des entreprises qui a été un axe central de la politique de mon gouvernement depuis 2007, aussi bien pour redonner du souffle à notre économie que pour faire face à la crise économique mondiale. Avec le plan de sauvetage du secteur bancaire, dont je veux rappeler que c’est la France et la Grande Bretagne qui ont été à l’origine du plan qui a permis d’éviter le phénomène de contagion qui aurait sans doute mis complètement par terre notre système bancaire international. Avec l’action d’OSEO, avec la médiation du crédit, nous avons aidé des milliers d’entreprises à financer leur trésorerie pendant la crise. Le résultat, c’est que les encours de crédits aux PME n’ont jamais régressé dans cette période de tourmente ; et maintenant que la reprise se fait sentir, leur rythme de progression annuelle dépasse 4%. Cela vaut aussi bien pour les crédits bancaires à l’ensemble de notre économie, qui n’ont baissé à aucun moment, alors qu’ils avaient diminué lors de la récession de 1993 dont l’impact sur l’activité avait pourtant été trois fois moindre que la crise que nous venons de connaître. Les entreprises ont besoin de financements bancaires mais elles ont également besoin de fonds propres. Et c’est la raison pour laquelle nous avons mis en place le Fonds stratégique d’investissement. C’est également pour cette raison que nous avons créé en 2007, le dispositif ISF-PME qui oriente l’épargne vers le financement de l’activité économique. Depuis que ce dispositif est en place, il a permis de drainer chaque année un peu plus d’un milliard d’euros vers les fonds propres des PME. Je veux vous dire qu’il sera naturellement maintenu au sein de la réforme de la fiscalité que nous sommes en train de conduire.
Quant à la transmission des entreprises, c’est un sujet que vous connaissez bien et qui est un enjeu de première importance, dans un contexte démographique qui fait que dans les années à venir des centaines de milliers d’entreprises vont changer de main. Ces entreprises ne doivent pas être déstabilisées, et je pense en particulier aux entreprises patrimoniales, souvent garantes d’un développement raisonné, d’une grande proximité entre dirigeants et salariés, d’un ancrage fort dans la vie de nos territoires. C’est pourquoi dans le cadre de la réforme de la fiscalité du patrimoine, nous allons assouplir les "pactes Dutreil" pour qu’ils répondent encore mieux à leur objectif qui est de favoriser la transmission de ces entreprises patrimoniales.
Toutes ces mesures, auxquelles il faut ajouter ces initiatives fortes du quinquennat qu’ont été la défiscalisation des heures supplémentaires, le triplement du crédit impôt recherche, la suppression de la taxe professionnelle, le lancement du programme d’investissements d’avenir, toutes ces mesures nous les prenons pour consolider la dynamique d’activité et de compétitivité qui est au centre de nos ambitions pour la France.
Ces efforts sont en train de porter leurs fruits. Notre économie est entrée dans un cycle favorable, avec une croissance qui devrait atteindre 2% cette année, avec le retour de la création d’emplois, avec aussi la constance de notre crédibilité budgétaire, encore récemment maintenue au degré le plus élevé par les observateurs. Ce sont les résultats de notre réactivité face à la crise qui se font jour, même si la prudence doit rester de mise. Ce sont aussi les effets des réformes profondes que nous avons engagées et qui se dessinent peu à peu.
Je veux m’arrêter un instant sur cette question. Nous avons tenu la plupart des engagements que nous avions pris. Mais ce sur quoi je veux insister ce sont les réformes de structures. Les réformes difficiles, les réformes qui ont consisté à briser des tabous et dont les résultats ne se feront jour qu’au fil du temps. Je veux prendre quelques exemples. La réforme des universités : tout le monde savait dans notre pays depuis trente ans, que nos universités étaient en déclin.
Et elles étaient en déclin parce qu’elles avaient un statut qui les conduisait à ce déclin : l’uniformité, la bureaucratie, l’absence de compétition et donc l’absence d’un des moteurs essentiels de l’excellence. Mais en raison des conservatismes du milieu, en raison des dangers que plusieurs gouvernements ont eu à affronter lorsqu’ils avaient tenté une réforme de l’université, personne ne bougeait. Or l’université et la recherche en déclin c’est l’avenir d’un pays en déclin. L’université et la recherche c’est 50% de la croissance de demain. C’était donc criminel de laisser notre université sombrer comme nous le faisions depuis si longtemps. Eh bien nous avons affronté le risque d’impopularité, le risque de mouvements sociaux et nous avons donné aux universités françaises l’autonomie. Cela veut dire que désormais les universités françaises peuvent recruter leurs enseignants. Cela veut dire que désormais les universités françaises peuvent adapter leur pédagogie ; choisir leurs spécialités ; gérer elles-mêmes leur patrimoine ; passer tous les accords qu’elles veulent avec d’autres universités en France, dans le monde ; avec des entreprises, avec des laboratoires de rechercher publics et privés. Voilà une réforme qui ne donne pas évidemment de résultats immédiats. Il faut que les universités intègrent ce statut d’autonomie, qu’elles le mettent en place, il faut qu’elles recrutent leurs enseignants. Et puis ensuite il faut qu’une génération d’étudiants passe par ces universités pour que les résultats se fassent sentir.
Un autre exemple que je voudrais citer, c’est la représentativité syndicale et le dialogue social. Combien de fois n’avez-vous pas entendu critiquer un système de représentativité syndicale qui consistait pour l’essentiel à prendre les syndicats existants au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et à considérer que leur représentativité était établie une fois pour toutes. Personne n’avait le courage d’aller contre cette représentativité qui n’était pas démocratique, qui conduisait d’ailleurs les salariés à se détourner des organisations syndicales et qui minait finalement le dialogue social. Nous avons réformé la représentativité syndicale. Désormais les organisations syndicales seront représentatives en fonction des résultats des élections professionnelles dans les entreprises. Là aussi, il faudra du temps pour que les résultats se manifestent. Et cela veut dire que demain nous allons assister à des regroupements d’organisations syndicales ; nous allons assister au renforcement d’une puissance syndicale réformatrice qui permettra d’aller vers un dialogue social comme on en connait dans la plupart des grands pays industrialisés.
Je veux prendre un dernier exemple. Celui du changement de l’âge de la retraite. C’était un sujet tellement tabou qu’avec le Président de la République lorsque nous avons préparé son programme en 2007, nous n’avions pas osé le mettre. Et puis la force de la crise économique et financière, les difficultés financières de nos régimes de retraite, les mouvements engagés dans tous les autres pays européens nous ont conduits à le faire. Alors qu’il aurait été tellement plus facile d’attendre 2012 pour s’intéresser à cette question car nous savions qu’en revenant sur la retraite à 60 ans, nous allions heurter un sentiment très largement partagé dans notre société. Pourtant nous l’avons fait. Et qui peut dire aujourd’hui qu’il n’était pas normal, qu’il n’était pas naturel, qu’il n’était pas nécessaire de modifier l’âge de départ à la retraite lorsque, dans la quasi-totalité des pays européens on part désormais à la retraite à 65 ans ou à 67 ou à 68 ans.
Voilà ce sont des réformes qui n’ont pas forcément été très populaires ; ce sont des réformes dont on ne voit pas les effets à court terme. Mais ce sont des réformes qui transforment en profondeur la société française.
Nous avons été élus sur un programme de réformes, et malgré les débats, malgré les difficultés, la légitimité du changement s’est imposée dans les faits et dans les esprits. Elle s’est imposée parce qu’elle n’a d’autre but que de nous garantir la maîtrise de notre destin dans un monde dont les équilibres anciens sont bousculés.
La mondialisation des enjeux oblige la France à plus de compétitivité, à plus d’innovation, à plus de solidarit??, à plus de discipline budgétaire, à plus d’influence internationale. Et tout ceci exige du courage, de la cohérence et de la confiance. Confiance entre les citoyens et les pouvoirs. Et cette confiance qui ne se décrète pas, impose un discours de vérité. Confiance aussi entre les Français eux-mêmes. Notre société contemporaine est traversée par des aspirations contradictoires : d’un côté, elle est en quête d’un Etat protecteur et de l’autre elle sacralise l’individu.
Aucune de ces deux aspirations n’est en soi illégitime. Mais entre l’espace public et la sphère intime il y a au centre ce pacte civil, ce pacte civique, familial, intergénérationnel qui vitalise et structure la société française. La force de ce pacte, dont vous êtes les intermédiaires et les médiateurs, dépend de la solidité de nos valeurs communes. Je crois aux valeurs du travail, de la responsabilité, du respect. Je crois aux valeurs de la famille et de la transmission. Je crois à la dignité des héritages qui se bâtissent et se lèguent. Je crois que le rêve de l’accession à la propriété n’est pas le rêve d’une élite conformiste, mais un idéal populaire.
Après trois années de récession, beaucoup de nos concitoyens sortent de l’épreuve affaiblis et angoissés face à l’avenir. Nous devons les écouter, les sécuriser, les entraîner à choisir l’espoir, à choisir le rassemblement, à choisir la responsabilité plutôt que de se laisser aller vers le repli ou des solutions extrémistes. Au milieu du changement, il vous revient à vous, les notaires, d’assurer la préservation des repères et des valeurs qui donnent tout leur sens aux vies de nos concitoyens. D’un côté, vous préservez le fil de la mémoire et de l’autre vous accompagnez les évolutions de notre temps.
Eh bien chacun selon ses responsabilités nous avons, Mesdames et Messieurs, un devoir commun : c’est celui d’éveiller l’esprit de confiance qui est à la source du progrès.
Source http://www.gouvernement.fr, le 7 juin 2011