Texte intégral
Messieurs les Présidents,
Mesdames les Sénatrices,
Messieurs les Sénateurs,
C’est pour moi un honneur tout particulier que de présenter pour la première fois les grandes lignes de l’action du ministère de l'Égalité des territoires et du Logement devant la Chambre même des territoires qu’est le Sénat.
Le Sénat, et l’ensemble des élus locaux, ont vu se succéder au cours des dernières années des projets multiples et des visions fort différentes en matière de territoire. Depuis l’ambition planificatrice des années 1960 jusqu’aux politiques de dérégulation, en passant par l’étape significative et historique de la décentralisation.
Au cours des dix dernières années, il semblait s’être installé l’idée que l’aménagement du territoire se trouvait dépourvu d’un objectif clair, voire d’une ambition nationale, laissant coexister et se juxtaposer des politiques territoriales diverses aux ambitions inégales. Sans objectif politique significatif, l’aménagement du territoire a parfois été abandonné au danger du laisser-faire, qui a trop souvent rimé pour certains espaces avec abandon et relégation.
Le mandat que nous a confié le président de la République est clair. Il l’avait d’ores et déjà exprimé lors de sa campagne et la feuille de route s’est trouvée confirmée et précisée par le discours de politique générale du Premier ministre devant vous la semaine dernière.
Notre mission est de placer l’ensemble des politiques du territoire sous le sceau, ambitieux mais nécessaire, de l’égalité. En matière de territoire, l’égalité ne veut jamais dire uniformité ou unicité ; c’est la reconnaissance de la diversité des contextes locaux, en donnant comme seule perspective aux politiques publiques l'ambition de justice sociale et territoriale.
C’est donc une mission nouvelle pour les institutions de la République, comme le fut à une époque, et j’en reste une partisane engagée, le développement durable. C’est une mission nouvelle qui renoue avec cette volonté de mettre les territoires au coeur de la République, comme beaucoup d’entre vous s’y sont attachés au cours des dernières années.
Notre constat est simple.
Aujourd’hui, chaque Français connait sur son territoire une entreprise qui a délocalisé pour réduire ses coûts.
Aujourd’hui, chaque Français voit dans le même temps dans sa commune, dans son département, dans sa région, s’enchainer les fermetures de classes ou du réseau d’aides spécialisés aux élèves en difficulté.
Dans le seul département de la Moselle, ce sont 5 400 postes de militaires, quatre tribunaux d'instance, deux conseils de prud'hommes, 267 postes dans le seul primaire, une prison, une quinzaine de brigades ou pelotons de gendarmerie qui ont été supprimés en quelques années. Cela ne peut pas se faire sans laisser de traces fortes sur le territoire.
À Joigny, dans l’Yonne, en douze ans, la ville a connu la fermeture de la maternité et du service de chirurgie, le départ du 28e régiment de cartographie militaire, la fermeture des tribunaux d'instance et de commerce, il ne reste que 24 agents de Pôle emploi pour 2 829 demandeurs d'emploi.
Dresser devant vous une liste exhaustive serait une tache fastidieuse, mais le constat est partagé sans équivoque.
Les Français nous ont envoyé à ce sujet un message politique sans détour et sans hésitation, lors du premier tour de l’élection présidentielle. L’extrême-droite a remporté des scores sans précédent dans des territoires qui en étaient jusqu’alors préservés.
Dans les campagnes, dans les quartiers, dans les villes petites et moyennes, vient se mêler à la désespérance sociale qui naît de la crise, un sentiment de relégation et d’abandon de la puissance publique. Les Français sont à la fois déstabilisés par les effets incontrôlés et injustes d’une mondialisation sans limite, mais ils sont aussi victimes d’une réforme de l’État menée parfois de manière désorganisée et incontrôlée. Les services publics ne jouent plus leurs rôles. Là où ils devraient être une puissance d’intégration, ils deviennent un facteur d’abandon.
Dès lors, c’est un sentiment de méfiance et d’inquiétude qui vient à naître. C’est alors l’individualisme qui prospère, l’égoïsme des âges qui progresse et le lien social qui se délite. L’État doit retrouver pleinement son rôle. Non pas celui d’un État planificateur qui décide de tout, mais ne parvient plus à rien. Mais celui d’un État stratège, d’un État qui accompagne les citoyens, comme les collectivités locales et leurs élus dans les objectifs de réalisation qui sont les leurs.
L’égalité des territoires, ce nouveau chemin de l’action de l’État, ce n’est pas seulement assurer plus ou mieux pour quelques uns. Ce n’est pas fonder uniquement des politiques pour des quartiers réservés ou des territoires protégés, c’est essayer d’avoir une politique qui donne à tous les habitants les mêmes possibilités pour choisir leur vie.
Si nous voulons assurer au plus grand nombre un sort meilleur, un accès au logement, aux services publics, aux biens publics, l’eau, l’air, un environnement sain, nous devons faire progresser l’accès au droit et envisager les problèmes territoire par territoire.
Nous devons faire en sorte que les 85 % de la population qui vivent à la ville, y vivent bien, dans tous les quartiers. Mais nous devons aussi permettre que toutes celles et ceux qui ont fait le choix de vivre loin des villes, ou dans de petites villes, ne soient pas privés de l’accès aux services prévus pour tous.
Nous devons reposer la question des relations entre les centres villes, les banlieues et les territoires ruraux. Nous devons repenser les relations entre les grandes aires métropolitaines, dont la région capitale, et le reste des territoires. En somme, il s’agit de repenser la solidarité, de repenser toute la solidarité, à l’échelle nationale, comme à l’échelle régionale et locale.
Les problèmes sociaux sont en effet aujourd’hui multiples et diffus.
Des quartiers dégradés, parfois en situation de grande souffrance sociale, se trouvent loin de la région capitale, par exemple, à Limoges, à Grande-Synthe.
La question sociale ne se limite pas aux quartiers populaires. Le statut d’ouvrier concerne plus de 60 % des hommes ruraux actifs (contre 44 % des citadins) et 18 % des femmes rurales actives (contre 9 % des urbaines).
La politique de la ville doit elle aussi être repensée, et mon collègue François Lamy y attache une importance toute particulière. La question des quartiers sensibles n’est jamais pensée comme elle se doit : si se concentrent dans les quartiers des difficultés sociales et de violence, ce sont les inégalités au sein d’une même agglomération qui sont les plus frappantes.
Dans une même ville, on trouve dans des quartiers séparés, toutes les situations sociales et l’éventail de tous les territoires. Chacun chez soi, à la fois tout près, mais très loin. Ainsi dans un même centre urbain, on voit cohabiter la grande bourgeoisie, avec des cadres et des professions intellectuelles, et des catégories populaires souvent immigrées. Les fossés se creusent, les inégalités progressent.
Ainsi chaque année, l’observatoire des ZUS nous montre que les quartiers sensibles voient leurs conditions de vie se dégrader, et l'inégalité avec les centres aisés progresser. Quand les métropoles s’embourgeoisent de plus en plus, le renforcement des inégalités est presque mécanique.
Mais, si la carte des territoires prioritaires s’appuyait sur des données exclusivement sociales, elle ne ressemblerait absolument pas à celle actuelle des quartiers sensibles. La montée du RSA dans les territoires ruraux en témoigne.
Un Français sur deux n’habite pas dans un grand centre urbain. Près des deux tiers des communes de plus de 50 000 habitants ont perdu des habitants entre 1975 et 1990 au profit de la périphérie. Depuis 1975, ce sont les communes rurales périurbaines, celles qui sont dans la mouvance de grandes agglomérations, qui se développent le plus vite. Cette périurbanisation, qui avait commencé à s’essouffler, reprend depuis dix ans.
La fracture territoriale n’est pas toujours une fracture sociale. Elle est marquée par l’éloignement de services publics essentiels : l’école, la santé, la sécurité, les transports, obligeant des populations entières à rester dépendantes de leur automobile.
Il n’est pas de situation univoque, il n’est pas de solution unique. C’est le coeur de l’état d’esprit du ministère de l’Égalité des territoires et du Logement. Nous devons trouver une réponse pour chaque territoire. Pour les quartiers sensibles. Pour les villes petites et moyennes. Pour les territoires ruraux à faible densité.
Cela appelle aussi des solutions adaptées aux territoires. L’époque où l’aménagement se dessinait sur des plans et des schémas, loin des élus, des territoires et de leurs habitants est révolue. Je souhaite associer pleinement les habitants, mais d’abord leurs élus, à la construction de ces politiques. L’égalité des territoires se doit d’accompagner l’acte III de la décentralisation que nous engagerons, en s’appuyant sur des relations nouvelles entre l’État et les collectivités. Il s’agit de mettre en oeuvre une contractualisation nouvelle, partagée et équitable.
Nous devons aussi de répondre aux nouvelles questions qui s’ouvrent à nous. Nous devons mieux prendre en compte le fait métropolitain et son évolution, repenser les relations entre les régions. Ne plus considérer que les relations entre les territoires doivent être fondées sur la compétition, mais valoriser, soutenir, une pleine coopération entre les territoires.
L’égalité des territoires, c’est aussi et avant tout une politique qui se trouve au coeur de la transition écologique. C’est au plus près des territoires que nous pourrons enraciner un modèle de développement soutenable, économe de la ressource, soucieux des habitants, comme de l’environnement.
Dans les zones périurbaines, nous devrons entendre les attentes des habitants pour une meilleure desserte et une plus grande écoute, tout en luttant vigoureusement contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols.
Dans les zones rurales qui produisent : notre rôle sera d’y maintenir et de renforcer une activité de proximité, tout en donnant un nouveau souffle aux villes et aux bourgs.
Dans les campagnes abandonnées aujourd’hui, nous devrons être vigilants à ce que la présence du service public soit maintenue, mais aussi à ce qu’elles deviennent des espaces pour tous, des espaces d’innovation et de création, elles en ont les ressources.
Concernant les quartiers urbains sensibles, il nous faudra mettre un terme à des situations insupportables pour la République, sur des territoires où se cumulent toutes les inégalités, où les questions de chômage, de sécurité, d’accès aux services, notamment publics, d’enclavement se posent de façon choquante. À ce jour, à Clichy-Montfermeil, il n’y a pas d’agence Pôle Emploi, pas de transport urbain.
À Clichy comme ailleurs, la question n’est pas locale et ne relève pas de la seule responsabilité des élus. C’est un enjeu national auquel l’État et le gouvernement doit apporter des réponses. Cela n’empêche pas les collectivités de s’approprier les sujets et d’ajouter à la responsabilité de l’État leur connaissance du terrain. Mais en matière d'égalité, c'est la République qui est responsable et l'État qui doit en être le garant.
Je veux donc poser la question de l’égalité des territoires de trois façons :
- comme politique de réparation vers les territoires meurtris ;
- comme politique de solidarité et de cohésion entre territoires ;
- comme politique d’accès aux services publics pour toutes et tous.
Le premier défi sera de réparer les territoires meurtris. Je veux revoir la géographie prioritaire. Il y a aujourd'hui 13 zonages différents. La nouveauté de l'intitulé de notre ministère ne doit plus nous amener à traiter les thématiques de manière éparse et désordonnée. C'est une approche globale de chaque territoire qui peut nous permettre d'apporter une réponse à toutes les difficultés qui le traversent. La prise de conscience a eu lieu et la nécessité d’une action conjointe et coordonnée sur tous les territoires meurtris est évidente. Il ne s'agit plus d'opposer le rural à l'urbain, ni de laisser les uns ou les autres sur le bord des chemins de la République.
Cet effort ne pourra pas être décrété depuis Paris.
L’égalité des territoires implique en effet la délibération collective de toutes les parties prenantes. Elle appelle une connaissance fine des territoires, une mise en cohérence des efforts de chacun :
- des régions dont le rôle en matière de développement économique ou de formation professionnelle est indispensable pour agir pour le développement des territoires meurtris ;
- des départements dont la mission d’insertion sociale doit être articulée avec celles des autres acteurs ;
- des groupements de communes et de leurs adhérents dont le rôle de proximité est chaque jour essentiel.
L’égalité des territoires commande surtout une participation de tous les habitants : que les premiers juges de l’efficacité des mesures décidées soient les citoyens ! Il faut faire confiance à l’intelligence des territoires et leur redonner les moyens de reprendre en main la maîtrise de leur avenir.
En matière de politique de la ville, le Gouvernement prendra rapidement des mesures d’urgence dans trois domaines : il rétablira l’égalité sociale en créant 150 000 emplois d’avenir dans les communes qui connaissent à la fois un taux de chômage élevé et une pénurie de service public, il rétablira l’égalité devant la loi en déployant des effectifs de police supplémentaires, il luttera pour l’égalité des chances en affectant prioritairement des emplois créés dans l’Éducation nationale aux écoles situées dans les quartiers populaires et en créant un droit à un capital formation pour tout jeune qui décroche.
Je souhaite engager la suppression des zonages au profit d’un périmètre unique resituant les quartiers défavorisés dans les dynamiques d’agglomération, au service d’un projet global de territoire. Il distinguera la situation des villes qui ont des quartiers défavorisés des villes entièrement défavorisées, il ciblera les territoires qui ont structurellement peu de ressources et beaucoup de charges socio-urbaines. Il proposera un contrat unique déterminé en cohérence avec le périmètre prioritaire, transversal aux différents champs d’intervention, intégrant dans un même mouvement les projets de développement social (CUCS) et de rénovation urbaine (PRU). On ne peut pas dissocier « l’humain » de « l’urbain ». Le programme national de rénovation urbaine sera mené à son terme et une nouvelle étape s’engagera avant la fin de la mandature.
Le deuxième défi consistera à restaurer la solidarité entre les territoires et la cohésion nationale. Le relever passe par une politique de péréquation rénovée entre collectivités riches et collectivités pauvres, entre territoires aisés et territoires fragiles.
Répondre à ce défi passe aussi par une politique raisonnée d’aménagement du territoire qui assure la mixité sociale, la conciliation des espaces naturels, agricoles et urbanisés et développe la capacité de chaque territoire à trouver des relais de croissance, le sentier de son développement. Je souhaite contribuer à la diversification des modèles de développement par le tourisme, par l’économie rurale, par l’économie sociale et solidaire, par la politique territoriale de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, autant de leviers pour réarticuler au niveau régional les liens villes-campagnes autour de circuits courts, de solidarités nouvelles, de filières régionales créatrices de valeur autour d’un tissu de PME qui doivent être mieux accompagnées.
Mon troisième défi sera de s’assurer de la permanence d’un service rendu au public, en fonction des besoins propres de chacun des territoires, en y affectant les moyens de droit commun, territoire par territoire, à raison de ses spécificités.
Il faudra rétablir l’égalité, non seulement devant les charges publiques mais également dans l’accès au service au public. Je veux que les effectifs ainsi que toutes les dépenses d’intervention de droit commun de l’État qui ne sont pas destinées aux ménages soient affectés sur la base d’un diagnostic territorial, d’un dialogue puis d’un contrat passé entre l’État et les collectivités pour que chacun s’engage sur les moyens attribués à chacun des territoires.
La crédibilité du Gouvernement passera par sa capacité à rétablir l’égalité et la justice dans la répartition des moyens de droit commun, à affecter les effectifs et à flécher les dépenses d’intervention vers les collectivités les plus démunies, à partir d’un diagnostic partagé.
Un bouquet de services adapté au territoire doit être offert à l’ensemble des Français et garantir que le temps d’accès au service public de la santé ou de l’éducation demeure raisonnable pour tous. L’heure est venue de conjuguer présence physique de proximité et télé-services, de désenclaver les territoires par une politique adéquate de transport et de développement de la couverture numérique.
Je ne pourrai pas relever seule ces défis. La plupart des questions concrètement posées sont par nature interministérielles. Elles appellent une vigilance de tous et notamment de la représentation nationale. Je veux en lister quelques unes sur lesquelles je veux travailler avec vous et sur lesquels je veux pouvoir compter sur vous :
Tenir l’engagement présidentiel d’une couverture haut débit puis très haut débit pour tous. C’est une nécessité :
- en tant que politique d’investissement public dans les réseaux, elle favorise le développement sans renforcer forcément les zones métropolitaines ;
- en tant que politique d’aménagement équilibré du territoire, elle facilite la diffusion des services et remédie aux inégalités, à la fracture numérique ;
- elle pourrait constituer un levier de développement de nouveaux services, notamment par le secteur privé, selon un modèle à inventer, mais qui pourrait être celui de la transformation d’une partie de l’administration en plateforme, grâce à l’open data, sur laquelle se grefferaient opérateurs proposant des services élaborés à partir des données de l’administration ;
- ceci ne veut pas dire que cette couverture nécessaire sera le prétexte pour diminuer la présence des services publics. Au contraire. Rien ne remplace la rencontre physique. Je ne souhaite pas la déshumanisation du service au public. Je crois au contraire que le numérique est l’occasion de réarticuler les fonctions d’accueil, d’orientation, de conseil et d’appui, qui supposent la rencontre physique et l’écoute et la fonction d’administration de procédures qui ne la nécessite pas partout avec la même intensité ;
Assurer l’accès en un temps raisonnable, il ne s’agit pas de mesurer en distance mais de pouvoir s’adapter à la spécificité des territoires, en particulier des territoires de montagne ou des territoires plus enclavés, aux services essentiels pour tous : l’école et la petite enfance, la santé, les loisirs. Je sais que la présence médicale sur tous les territoires est un sujet que vous avez pris à bras le corps, dans vos territoires bien sûr, et ici au Sénat. Je suivrai avec attention les conclusions du groupe de travail présidé par JL Fichet ;
Réussir le renouvellement des voies de chemin de fer et relancer une ambition nationale de désenclavement, en déclinant, dans des schémas régionaux, des objectifs d’amélioration de l’accessibilité et de la desserte des territoires, un réel désenclavement supposant l’accès à un centre urbain ou économique en un délai raisonnable ;
Pour donner un nouvel élan à une politique territorialisée de soutien à l’innovation et à la transition écologique et aux outils d’anticipation et d’accompagnement des mutations économiques, il faut structurer les métiers de l’aménagement du territoire et développer une ingénierie publique innovante, décentralisée et écologique ;
Renforcer la mixité sociale dans les grands centres urbains :
- le renforcement des obligations de la loi SRU est posé dans le programme présidentiel, mais les sanctions prévues sont rarement effectives. Je les renforcerai. Je les appliquerai ;
- je souhaite que nous réfléchissions également au levier que constituent les documents d’urbanisme pour favoriser la planification de la mixité sociale à l’échelle pertinente et éviter la ségrégation urbaine ;
- mais nous devons voir plus loin. Nous devons refaire la ville. Prévoir une place pour ses habitants. Pour le geste architectural. Pour la conception de quartiers qui prennent en charge dès leur conception, la logistique et les services, les relations avec le reste des espaces, urbains comme ruraux en privilégiant les circuits courts, qui s’appuient sur des réseaux de chaleur intelligents, sur le transport durable. Je veux éviter le risque d'un urbanisme générique, d'une ville sans qualité et sans identité, d’une ville qui se plie aux seuls impératifs financiers et sécuritaires.
Résoudre les crises du logement
Cela m'amène maintenant au deuxième volet de ce grand ministère qu'est la politique du logement. Le logement est un sujet politique mieux connu et mieux appréhendé du débat politique traditionnel. Mais la politique du logement n'est pas un complément à la politique d'égalité des territoires, elle est son moyen pour remplir nos objectifs.
Car tous les Français et tous les territoires sont concernés par la question du logement.
Dans les zones tendues, c'est le problème du coût de l’accès au logement qui est posé et des conséquences qui en découlent : sur-occupation, reste à vivre réduit au minimum, listes d’attente interminables pour accéder au parc social, et en parallèle exploitation de la situation par les marchands de sommeil qui profitent de la captivité des ménages dans le parc privé, saturation des capacités d’hébergement
Dans les zones plus détendues, les problèmes sont d'une autre nature, mais on les connaît aussi : dégradation du parc faute d’investissement, précarité énergétique, problématique de l’adaptation des logements au vieillissement de la population
Ces crises sont le produit d'un monde qui a changé : les inégalités, la pauvreté, la précarité au travail ont explosé, les compositions familiales ont évolué, le vieillissement de la population s’accentue. Le modèle français du logement, repensé à la fin des années 70, ne correspond plus à cette réalité. Il faut désormais l’adapter en profondeur tout en répondant à l'urgence d'améliorer les conditions de vie des Français.
Pour y parvenir, trois défis majeurs doivent, là aussi, être relevés :
Le premier, le plus important, sans lequel aucune amélioration durable ne sera possible, est le défi de l’offre.
Nous devons créer les conditions d’un développement massif de la construction de logements abordables là où sont les besoins.
Pour y parvenir, nous mobiliserons toutes les énergies et nous réunirons tous les ingrédients nécessaires :
- En premier lieu, il faudra mobiliser des terrains. Pour cela, un programme de mobilisation du foncier sans précédent sera lancé par le Gouvernement dès les mois qui viennent.
- Ensuite, il faudra des élus volontaires et pour cela nous devons faire mentir l’adage « maires bâtisseurs, maires battus ». A court terme, nous étudions la mise en place de moyens incitatifs forts, pour accompagner les élus qui construisent.
- Enfin, il faudra des investisseurs intéressés par la pierre, soucieux d'investir leur argent dans une cause utile, celle de fournir un toit à un ménage, plutôt que la placer sur les marchés.
Le deuxième défi que je souhaite relever est celui de l’habitat écologique.
Vous le savez, le bâtiment constitue l’un des premiers secteurs de consommation d’énergie en France. Des gisements d’économie gigantesques existent, ainsi que d’emplois durables et non délocalisables, mais c’est maintenant que nous devons agir, que nous devons inventer les savoir-faire artisanaux, industriels, capables de relever ce défi de la rénovation thermique. L’objectif annoncé par le président de la République est de doter d’une performance thermique de qualité un million de logements par an. C'est un chantier aussi pharaonique qu’indispensable. Il nécessite que nous passions à la vitesse supérieure. Un plan national de performance thermique sera conçu en ce sens en collaboration avec Delphine Batho.
Je souhaite également qu’un chantier de grande ampleur soit ouvert sur la question des matériaux. Les hydrocarbures ne sont pas les seules ressources rares. Une réflexion approfondie doit être menée pour mieux recycler, mieux réutiliser les matériaux de construction. Les filières d’éco-matériaux, notamment la filière bois, doivent être structurées et mises en places, en lien étroit avec les collectivités territoriales. On ne construit pas dans le Languedoc-Roussillon comme on construit en Franche-Comté et les solutions pertinentes varieront d’une région à l’autre. Cela sera ma méthode dans tous les chantiers que je mènerai : des politiques d'enjeux nationaux, mais des modalités de mise en oeuvre locales, adaptées aux contextes locaux.
Le troisième défi que nous relèverons, celui qui s'impose à nous de la façon la plus urgente, est celui de l’accès au logement.
Construire 500 000 logements par an est une absolue nécessité, mais encore faut-il que les Français aient les moyens d’accéder à ces nouveaux logements !
Lorsque le marché perd ses repères, lorsque les loyers atteignent des niveaux qui étranglent le pouvoir d’achat des Français, il est de notre devoir de les encadrer. Nous sommes en train de le faire. Dans un premier temps, nous irons au bout de ce que nous permet la loi de 1989 sur les rapports locatifs. Un décret d’urgence a été déposé au Conseil d'État et permettra de contenir la flambée des prix, il sera effectif à compter du 1er août. Dans un deuxième temps, nous irons au bout de ce que nous permet notre Constitution et nous vous proposerons que la loi elle-même soit revue en profondeur. Les rapports entre locataires et propriétaires seront repensés. Les loyers pourront notamment être contrôlés par comparaison à des données fiables, éventuellement à la baisse. Pour rendre cette disposition effective, nous lancerons prochainement, en lien avec les collectivités, la mise en place d'un réseau d'observatoires des loyers des principales agglomérations.
L’accès au logement, c’est aussi la constitution d’un véritable service public du logement. Il est inacceptable aujourd’hui qu’un demandeur de logement social ait à suivre un véritable parcours du combattant administratif pour obtenir un logement. Comme s’y est engagé le président de la République, je souhaite une réforme en profondeur des procédures d’attribution des logements sociaux. Le dispositif refondu devra être plus simple, plus lisible et plus juste, au service des usagers.
Cette politique du logement doit se faire pour tous, mais aussi au service des plus exclus et des plus fragiles.
Alors que la crise économique continue de s’aggraver, il y a chaque jour de nouvelles personnes à la rue et en situation d’exclusion.
Pour les plus fragiles, ceux qui sont mal logés ou vivent dans la rue, il faut que les dispositifs de veille sociale, de mise à l’abri et d’hébergement, soient rénovés de manière à accompagner ces personnes dans la continuité. La volonté du Gouvernement est claire : l’État doit se donner les moyens d’appliquer le principe d’accueil inconditionnel. La politique d’accueil et d’hébergement doit être orientée « vers le logement », dans l’esprit de la conférence de consensus tenue au niveau européen en 2010.
Il est nécessaire aussi d’agir en prévention : je souhaite mener un travail approfondi avec les bailleurs sociaux : ils doivent agir dès le premier impayé auprès de leurs locataires. Cette question doit être mieux intégrée dans leurs missions.
Notre objectif ne pourrait être de résoudre l'ensemble des difficultés en quelques mois. Moins de mises à la rue, un meilleur accès au logement, un dispositif d’hébergement efficace qui protège les personnes et renforce l’accès au logement doit être au service d'une politique du logement ambitieuse et juste.
L’accès au logement c’est enfin rendre effectif le droit au logement opposable. C'est-à-dire faire en sorte que chacun et chacune dispose d’un vrai lieu de vie et habite dans un logement de qualité, adapté à ses besoins et à ses aspirations. Ce n’est pas une utopie mais une condition nécessaire pour pouvoir se construire sur tous les autres plans, économiques, sociaux, familiaux.
Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, vous l'aurez entendu, la feuille de route est vaste et ambitieuse. Le projet n'est pas moindre que de donner à la République l'occasion de permettre à chacun de retrouver sa place, son territoire ou son espace dans notre pays. Il donne un sens nouveau et nécessaire à la promesse d'égalité qui fonde notre projet.
Nous aurons à coeur ni de fermer les yeux sur toutes les réalités qui constituent notre pays, ni de renoncer ou de reculer au nom du réalisme. Certes la tache est ardue, mais j'ai la conviction que c'est là que se joue une part de notre avenir démocratique à toutes et tous et la préservation d'un avenir durable pour nos territoires.
Je vous remercie.
Source http://territoires.gouv.fr, le 12 juillet 2012