Texte intégral
Madame la ministre, garde des Sceaux,
Monsieur le Premier président près la Cour de Cassation,
Monsieur le Procureur général,
Monsieur le Président de la commission des lois du Sénat, Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le président du Conseil économique, social et environnemental,
Mesdames, messieurs les magistrats de l'Ordre judiciaire, magistrats de l'Ordre administratif, fonctionnaires des Greffes et fonctionnaires de justice, professionnels du droit, représentants d'associations partenaires, personnels pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse,
Mesdames et messieurs les hautes personnalités institutionnelles et universitaires,
Mesdames, Messieurs,
D'abord, permettez-moi de vous remercier de votre accueil et vous dire aussi l'importance que j'attache à ma présence pour répondre à l'invitation de madame la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, pour cet événement qui disons-le- est largement inédit. Inédit par son ampleur d'abord puisque vous êtes aujourd'hui plus de 1500 participants dans cette salle et puis dans une autre. Mais inédit aussi par sa méthode puisque c'est la première fois que l'ensemble des juridictions sur tout le territoire sont associées au lancement d'une réforme d'une telle ampleur.
Cette forte mobilisation est à la hauteur de l'enjeu dont chacun ressent aujourd'hui l'importance.
Car la justice affronte des défis redoutables. Comme toute institution publique en temps de mutation profonde de la société et du monde, elle n'échappe pas à la défiance du citoyen. Parce que ses règles et son fonctionnement sont généralement mal connues, elle est encore trop souvent perçue comme lente voire expéditive, onéreuse, complexe. Elle qui doit sans cesse rassurer et apaiser devient parfois une source d'inquiétude et d'aléa.
Je vous le dis comme je le pense, non pas pour en faire le reproche à qui que ce soit, car j'ai le plus grand respect pour l'institution judiciaire. Le Président de la République et le Gouvernement ont voulu rompre avec une période où les décisions de justice étaient publiquement contestées et certains magistrats même directement mis en cause.
La Justice doit être respectée. Elle mérite la confiance des Français. Et le rôle de l'exécutif, dans une démocratie, est d'être en première ligne pour manifester ce respect et cette confiance.
L'enjeu est de taille car jamais la demande de Justice n'a été aussi forte, que ce soit en matière pénale ou civile, et dans tous les domaines : économique, familial, social, environnemental. Et la Justice y fait face au quotidien, jour après jour, et au prix d'un investissement personnel considérable de chacune et chacun d'entre vous. D'ailleurs c'est pour moi l'occasion rendre hommage à votre dévouement, et votre professionnalisme ; j'ai déjà eu l'occasion de le faire, je l'avais fait solennellement à l'Ecole Nationale de la Magistrature, à Bordeaux, en mars dernier mais je le redis encore devant vous ce matin.
Je sais les conditions difficiles dans lesquelles se rend la Justice, à quel point les professionnels déplorent de ne pouvoir répondre, au quotidien, aux besoins des justiciables, de voir toujours augmenter des tâches chronophages qui les éloignent de leur cur de métier.
Or, le cur du métier, au-delà de l'acte de juger, c'est le service des citoyens. C'est cela que le Président de la République a rappelé lors de l'audience solennelle de la cour de cassation le 18 janvier de l'année dernière.
Cela suppose en premier lieu de restaurer la confiance dans la Justice et le respect qui lui est dû. Car c'est la condition de la confiance dans la démocratie et dans la force de notre Etat républicain qui est en cause. La Justice est la gardienne des droits et des libertés. Elle est le défenseur de l'intérêt général et du respect des lois, mais aussi souvent l'ultime recours du plus faible. Chaque fois que la justice s'affaiblit, c'est le pacte républicain lui-même qui est fragilisé.
C'est pourquoi nous n'avons eu de cesse, depuis vingt mois, avec Christiane Taubira, de travailler à construire une Justice dont les citoyens se sentent plus proches, parce que là est sa vraie force et que là aussi naît sa légitimité et le respect de son autorité.
C'est le sens des textes que nous avons fait adopter par le Parlement pour renforcer l'indépendance de la Justice.
La loi du 25 juillet 2013 interdit toute instruction du Garde des sceaux dans des affaires individuelles.
Les lois relatives à la transparence de la vie publique ont également marqué une avancée importante. La loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique a ainsi permis de créer un parquet financier, dont l'indépendance est garantie par la loi et qui sera bien mis en uvre au 1er février 2014.
Mais c'est aussi le sens du projet de réforme constitutionnelle, qui s'inscrit dans cette même volonté de réaffirmer l'indépendance de l'institution. Les débats ont été riches sur ce texte. Ils n'ont pas permis de réunir d'emblée la majorité nécessaire, mais le Chef de l'Etat n'a pas renoncé, et lundi dernier, a été particulièrement clair : il a demandé au Gouvernement de poursuivre le travail, pour acter ce qui a fait consensus et trouver la majorité qualifiée qui permettra de faire aboutir la réforme. D'ores-et-déjà, pour la nomination des procureurs, l'avis du CSM est systématiquement suivi.
Ces obligations nouvelles de transparence et d'indépendance sont nécessaires à la confiance des citoyens. Elles constituent, pour eux, des garanties et des droits nouveaux.
Et c'est pour renforcer ces droits, pour conforter nos libertés publiques et faire toujours mieux respecter la loi que nous devons travailler sans relâche.
Le projet de loi qui maintient le principe de la collégialité de l'instruction renforcera les droits des personnes mises en cause mais aussi des victimes. Actuellement devant le Parlement, ce texte sera examiné avant l'été.
Quant à la réforme pénale, elle constituera une autre étape importante. Ce projet de loi qui a été adopté par le Conseil des ministres, répond à une triple exigence : la fermeté, l'efficacité dans la lutte contre la délinquance, et le respect des droits des victimes comme des personnes poursuivies. La peine doit être utile et elle doit avoir du sens. C'est pour cette raison que le projet de loi réaffirme le principe de l'individualisation des peines. Preuve a en effet été faite en France, en Europe et ailleurs qu'une peine individualisée, aussi bien dans son prononcé que dans son exécution, est plus efficace pour lutter contre le risque de récidive.
Les peines planchers seront donc supprimées, tout comme les révocations automatiques de sursis. C'est aussi l'objectif des dispositions visant à mieux encadrer la sortie de prison des délinquants. Je pense à la procédure de libération sous contrainte que nous créerons, pour éviter les sorties sèches, sans aucun suivi, qui favorisent, chacun l'admet maintenant, la récidive.
Actuellement, ces sorties sèches, je tiens ici à le rappeler, représentent près de 80% des sorties de prison, et ces sorties aboutissent à une récidive dans deux cas sur trois. Cette politique est donc inefficace et même dangereuse. Elle n'est donc pas acceptable.
Dans la réforme que nous proposons, aucune peine actuellement existante ne sera supprimée. Nous en ajouterons même une nouvelle : la contrainte pénale, qui permettra au juge de fixer les mesures les plus adaptées et donc les plus efficaces.
Et comme il ne s'agit pas seulement de faire une loi mais de donner à la Justice les moyens de la faire appliquer, j'ai décidé d'augmenter substantiellement les emplois nécessaires pour les services d'insertion et de probation, pour créer d'ici 2016, 1000 postes supplémentaires et donc 400 dès 2014. Leur rôle est en effet essentiel pour la réinsertion des personnes condamnées et l'engagement très concret que j'ai pris est de ramener le nombre de personnes condamnées suivies par chaque agent à un maximum de 40, contre 90 en moyenne, je dis bien en moyenne parce que parfois c'est plus aujourd'hui.
C'est donc un engagement fort, de changement, de nouvelles règles, mais aussi de nouveaux moyens. J'ai évoqué la proximité, et au nom de cette proximité de la justice, et de son efficacité, le Gouvernement a également pris la décision de lui redonner progressivement les moyens dont elle a besoin.
Vous connaissez, les contraintes budgétaires, la nécessité de maitriser nos comptes publics, de réduire notre dette, de retrouver des marges de manuvre, c'est l'intérêt national qui le commande, personne ne nous l'impose, c'est nous qui le décidons pour nous-mêmes. Mais en même temps nous devons faire des choix, et c'est le sens de la politique, et de l'engagement et de la décision politique. C'est pourquoi nous avons pris cette décision, au sens le plus fort du terme politique, des décisions politiques, de donner à la Justice la priorité, comme à la sécurité, comme nous l'avons fait aussi pour l'éducation. C'est donc un choix.
Après une augmentation de 4,2% en 2013, le budget de la Justice progresse encore de 1,7% en 2014. 209 millions d'euros ont été récemment dégelés pour financer le fonctionnement et les frais de justice du ministère, ainsi que 5 millions d'euros en urgence pour les travaux immobiliers les plus urgents des juridictions.
Ces efforts ont permis à la Garde des Sceaux de prendre des mesures en faveur des personnels, et notamment ceux qui ont les plus petits revenus. La prime pour les fonctionnaires de catégorie C s'ajoutera ainsi à la restructuration des grilles négociée pour l'ensemble de la fonction publique. La revalorisation du statut des surveillants, négociée avec le syndicat majoritaire de la pénitentiaire, sera également mise en uvre. Enfin, des moyens nouveaux seront investis pour sécuriser l'action des personnels : 33 millions d'euros au total pour la sécurité dans les prisons.
Cet effort financier a permis de mettre en place un plan sans précédent pour recruter des magistrats et des fonctionnaires. Le rythme de 500 créations d'emplois est donc tenu pour chaque année passée et à venir.
Bien sûr, j'entends les messages qui remontent du terrain, 395 postes de magistrats sont aujourd'hui vacants. Mais là encore nous payons les conséquences de longues années de suppressions de postes. Pendant cinq ans, les recrutements n'ont en effet représenté qu'à peine le tiers des besoins.
Et face à cette situation, notre choix n'a pas été de boucher les trous en urgence, mais de reconstruire une politique cohérente de recrutement.
C'est évidemment long, car il faut 31 mois pour former un magistrat. Et c'est pourquoi la situation ne s'améliorera vraiment qu'à partir de septembre 2014 avec la prise de fonction des auditeurs de justice de la promotion 2012 et celle des lauréats des concours complémentaires 2013 : plus, plus de 250 magistrats en tout. Et, en 2014, pour la première fois depuis longtemps, les arrivées seront plus nombreuses que les départs, et ce sont 384 nouveaux magistrats qui seront recrutés : l'un des meilleurs taux de recrutement depuis 10 ans!
En attendant, et pour soutenir les juridictions où la situation est la plus tendue, ce sont plus de 100 emplois d'assistants de justice supplémentaires qui peuvent être recrutés aujourd'hui.
Cela vaut aussi pour la Protection Judiciaire de la Jeunesse, où nous avons recruté 300 postes sur les 650 supprimés par la précédente majorité. Mais également pour les greffiers, pour lesquels un important effort de recrutement est engagé : 2000 fonctionnaires des greffes partiront en effet à la retraite d'ici trois ans, soit près de 10% du corps. Mais là encore 1100 stagiaires sont actuellement en formation à l'Ecole Nationale des Greffes, qui arriveront en juridiction d'ici la fin de l'année 2014.
Certains pourront penser que ces efforts budgétaires ne sont pas suffisants. Oui, on peut toujours le penser, c'est vrai, je peux le comprendre, mais encore une fois, au regard du contexte budgétaire que vous connaissez, un effort important, et donc engagé, et surtout qui doit être inscrit dans la durée.
L'enjeu, mesdames, messieurs c'est bien de donner au citoyen les moyens de faire respecter ses droits en mettant la justice à sa portée. C'est ce que nous faisons depuis un an et demi, mais c'est surtout maintenant qu'il faut continuer.
L'accès au droit et à la justice est, à cet égard, un enjeu fondamental de réforme. On dit souvent que la France a besoin de réforme, oui, c'est évident, elle doit se moderniser, elle doit s'adapter, sans pour autant perdre les fondamentaux de son modèle social et républicain, mais le besoin de réformes évidemment doit être respecté, et ça vaut aussi pour la justice.
C'est donc au nom de cette exigence que nous allons corriger la réforme de la carte judiciaire dans huit villes ayant perdu leur tribunal de grande instance. Cinq nouvelles maisons de justice et du droit seront également ouvertes en 2014, essentiellement dans les zones de sécurité prioritaires. Enfin, l'aide aux victimes sera développée. Son budget a augmenté de 25% depuis 2012 et le seuil des 140 bureaux d'aide aux victimes vient d'être franchi. Il doit beaucoup à l'effort que nous avons consenti.
Au nom de l'accès au droit, nous avons aussi supprimé le droit de timbre instauré par l'ancien Gouvernement et ce tout en augmentant le budget de l'aide juridictionnelle de 28 millions d'euros. L'aide juridictionnelle qui est une politique publique essentielle de solidarité, nous avons donc le devoir de la réformer pour la préserver et c'est ce travail que nous avons engagé sur la base des travaux d'évaluation lancés par l'Inspection générale des services judiciaires.
Simplifier est toujours un moyen de remettre le citoyen au cur du système. Et cette année encore, le Gouvernement va poursuivre le grand chantier ouvert par le Président de la République. Dans les domaines qui vous concernent directement, un projet de loi a été présenté, visant à légiférer par ordonnances. Plusieurs mesures visant à simplifier la procédure civile et à alléger dans toute la mesure du possible la charge de travail des magistrats et des fonctionnaires des services judiciaires au bénéfice des justiciables. Voilà le sens de cette ordonnance.
Toutes ces réformes ont été menées de front depuis un an et demi à un rythme soutenu. Mais nous arrivons aujourd'hui au point où une nouvelle étape doit être franchie, celle de la réforme de l'organisation judiciaire.
Il n'y a pas de modernisation sans réforme de structures, sans une vision globale et cohérente de ce que doit être l'avenir. Et cela vaut aussi pour la Justice, comme cela vaut pour tous les domaines de la vie de la Nation.
Le moment est donc venu de bâtir une Justice plus simple, plus proche, plus efficace, et de le faire ensemble. Car on ne réformera pas la Justice sans ses agents, et encore moins contre eux, comme on a parfois tenté de le faire dans un passé récent. C'est la conviction qui anime la garde des Sceaux depuis le premier jour de sa prise de fonction. Une telle réflexion d'ensemble n'a pas eu lieu depuis 1958, c'est dire le défi. Et la Justice n'a connu depuis cette date que des réformes partielles quant à son organisation, qui ont, le plus souvent, ajouté des complexités supplémentaires dans l'organisation de nos juridictions.
Cette organisation doit donc d'abord être simplifiée pour le citoyen. Or le paradoxe veut que ce soit au niveau des tribunaux de première instance, là où le justiciable s'adresse en premier lieu à la justice, que cette dernière est la plus complexe.
Entre le tribunal d'instance, de grande instance, le juge de proximité, le tribunal des affaires sociales ou encore le conseil des prud'hommes, rares sont les citoyens qui spontanément savent s'adresser à la bonne juridiction. C'est donc un problème.
A la dispersion des compétences répond d'ailleurs la multiplication des procédures spécifiques pour chaque nature d'affaire : avec ou sans avocat obligatoire, devant un juge unique ou en formation collégiale, avec des juges professionnels, ou non, ou les deux.
Ces complexités peuvent être sources de délais, parfois d'erreurs, que ce soit pour ceux qui saisissent la Justice ou ceux qui la rendent. Cette organisation doit donc être simplifiée et ses procédures adaptées, pour mieux répondre à leur objet et aux publics qui y ont recours.
A cet égard, toutes les réflexions qui se sont développées autour du tribunal de première instance tel que le Président de la République a pu le dessiner l'année dernière vont dans le bon sens.
Mais repenser l'organisation judiciaire à travers l'architecture de ses juridictions et leur fonctionnement ne peut suffire. Encore faut-il en tirer toutes les conséquences nécessaires quant aux missions, aux métiers, bref à ce que l'on désigne par "l'office du juge".
Cela fait bien longtemps que la Justice ne se contente plus de dire le droit. Elle répare, elle protège, elle restaure, elle évalue, elle administre et a vu les contentieux qu'elle traite se diversifier en même temps qu'ils se massifiaient.
Et ce déploiement de la Justice au-delà de son offre traditionnelle a paradoxalement contribué à créer une distance supplémentaire entre la justice et le justiciable : l'autorité du juge a eu tendance à se diluer à mesure de l'extension de son office.
Les travaux menés sur ce sujet sont particulièrement riches et plusieurs évolutions sont aujourd'hui concevables et possibles. L'office du juge peut être repensé en fonction de son périmètre ou de son niveau d'intervention sur les matières qu'il traite.
Le juge peut en effet être une instance de contrôle, de recours mais aussi de validation. Cela peut évidemment conduire à mettre en uvre des procédures qui favorisent le règlement non contentieux des litiges, mais à condition d'y mettre les garanties nécessaires pour que les droits de chacun soient effectivement garantis.
En ouvrant ce débat - je dis bien j'ouvre le débat donc je ne veux pas le conclure, c'est ce que j'avais dit à la garde des Sceaux et ce serait quand même peu respectueux de ce vous allez entreprendre ensemble - mais en ouvrant ce débat, je voulais simplement vous dire que le Gouvernement attend beaucoup de vos travaux parce qu'il va vous revenir, au cours de ces deux jours, de conduire une réflexion qui doit aboutir à une réforme, qui doit permettre de la réforme et ce que vous avez à faire est un travail - ce que nous avons à faire est un travail - considérable. J'en suis parfaitement conscient, et je tiens pour cela d'abord à saluer tous ceux qui se sont impliqués dans la préparation de ces travaux : l'institut des Hautes Etudes sur la Justice, d'abord mais aussi les présidents des groupes de travail : Antoine GARAPON, Sylvie PERDRIOLLE, Boris BERNABÉ de l'IHEJ, Pierre DELMAS-GOYON, Didier MARSHALL et Jean-Louis NADAL. Je remercie également Martine COMTE et Dominique LE BRAS, qui président le comité de pilotage des réformes judiciaires.
Merci donc à tous ceux qui se sont mobilisés pour permettre la tenue de ce grand rassemblement et permettre aussi qu'il tienne ses promesses parce que je sais que l'attente est forte. Alors bien sûr, personne n'imagine le grand soir où on ferait table rase de tout et on reconstruirait. Non, bien sûr mais ce qui est à craindre c'est le déception, ce qui est à craindre, c'est que l'attente qui est très forte ne débouche pas sur une stratégie de réforme et qui se mette en uvre peu à peu mais de façon déterminée et concrète et qui en tout cas en ayant tracé une perspective, donné un sens, fixé un cap, garantit que la réforme se fera bien. Donc c'est tout l'enjeu et je sais que c'est difficile parce que tout le monde est d'accord au départ pour la réforme, tout le monde en ressent le besoin et puis ensuite lorsque l'on rentre dans les détails c'est plus complexe, c'est plus difficile, il peut y avoir des craintes et elles peuvent être parfaitement légitimes et en tout cas, elles doivent être prises en compte ou peut-être des blocages, des conservatismes ou des intérêts particuliers. Donc je sais que si vous êtes là, aussi nombreux, c'est que vous comprenez tout ça et que vous êtes conscients de la nécessité de bouger, d'avancer. C'est donc une grande réforme que nous devons construire mais une réforme pour les Français, une réforme ambitieuse, qui renforcera l'institution judiciaire dans sa légitimité, dans son autorité, dans son respect et donc dans son rôle au cur de la République.
Nous avons tous un combat à mener aujourd'hui pour le redressement de la France et un combat à mener pour le respect concret des valeurs républicaines et aussi pour la cohésion de notre société, pour la consolidation du pacte social qui parfois est fragilisé. Donc nous avons chacun notre part à prendre et la Justice bien sûr aussi et je dirais même beaucoup. Cet objectif, cet objectif du redressement de la mise en marche de notre pays qui doit retrouver confiance en lui, confiance dans ses capacités, dans son histoire, dans ce qu'il est et dans les défis qui à chaque grande tempête, il a su relever, il n'y a aucune raison que nous n'y parvenions pas aujourd'hui mais parfois le doute s'installe dans les esprits. C'est donc notre tache, je sais qu'elle est immense d'engager les réformes nécessaires, de leur donner tout le sens qui convient pour qu'elles soient comprises et partagées et surtout qu'elles se réalisent.
Je sais que vous comprenez tout ça ; je sais que vous partagez cette ambition au-delà des approches de chacun, des sensibilités de chacun mais c'est là l'intérêt du débat. C'est donc là encore un énorme travail, un grand défi qui nous attend mais à vous voir tous rassemblés Madame la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, me disait lorsque je suis arrivé que vous aviez été obligés de refuser des inscriptions, donc c'est un signe et je sais cette mobilisation, elle n'est pas ici dans cette belle salle de l'Unesco, tout un symbole qui a été choisi pour vos travaux mais que c'est aussi une mobilisation qui existe sur le terrain. Et lorsque Christiane Taubira me parle de ses visites dans les juridictions où elle prend le temps d'écouter, j'ai eu avec elle cette expérience lorsque je m'étais rendu à l'Ecole nationale de la magistrature de Bordeaux après avoir rencontré les stagiaires, les personnels et j'avais fait la visite aussi du Tribunal de grande instance de Bordeaux où j'avais discuté avec tous les professionnels et cela avait été passionnant et surtout ce qui m'avait beaucoup impressionné c'était la passion, qu'au-delà des attentes, au-delà de la volonté de réforme que les personnels dans leur diversité mettaient dans l'exercice dans leur métier, parce qu'ils y voient évidemment quelque chose d'élevé et qu'eux-mêmes y mettent beaucoup de leur personne, de leurs convictions, de leur attachement aux principes républicains et qu'ils veulent les faire vivre concrètement et que parfois ils souffrent des obstacles qui les empêchent de le faire avec plus d'efficacité et aussi plus de partage des citoyens et des justiciables, de ce qu'ils entreprennent pour faire respecter les lois de la République. Donc je sens une force qui monte mais qui est positive, une attente, une volonté.
Alors merci pour tout ce que vous allez apporter dans ces travaux. Votre sens du service public et de l'intérêt public va nous permettre d'avancer, d'innover, de faire uvre utile pour les Français. Cela n'est pas une affaire de corporatisme où seraient là uniquement les professionnels de justice entre eux ; non, c'est les Français qui sont concernés, c'est la France et donc à l'avance, merci de ce que vous allez faire pour eux, et que vous allez faire pour notre pays.
Source http://www.gouvernement.fr, le 13 janvier 2014
Monsieur le Premier président près la Cour de Cassation,
Monsieur le Procureur général,
Monsieur le Président de la commission des lois du Sénat, Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le président du Conseil économique, social et environnemental,
Mesdames, messieurs les magistrats de l'Ordre judiciaire, magistrats de l'Ordre administratif, fonctionnaires des Greffes et fonctionnaires de justice, professionnels du droit, représentants d'associations partenaires, personnels pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse,
Mesdames et messieurs les hautes personnalités institutionnelles et universitaires,
Mesdames, Messieurs,
D'abord, permettez-moi de vous remercier de votre accueil et vous dire aussi l'importance que j'attache à ma présence pour répondre à l'invitation de madame la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, pour cet événement qui disons-le- est largement inédit. Inédit par son ampleur d'abord puisque vous êtes aujourd'hui plus de 1500 participants dans cette salle et puis dans une autre. Mais inédit aussi par sa méthode puisque c'est la première fois que l'ensemble des juridictions sur tout le territoire sont associées au lancement d'une réforme d'une telle ampleur.
Cette forte mobilisation est à la hauteur de l'enjeu dont chacun ressent aujourd'hui l'importance.
Car la justice affronte des défis redoutables. Comme toute institution publique en temps de mutation profonde de la société et du monde, elle n'échappe pas à la défiance du citoyen. Parce que ses règles et son fonctionnement sont généralement mal connues, elle est encore trop souvent perçue comme lente voire expéditive, onéreuse, complexe. Elle qui doit sans cesse rassurer et apaiser devient parfois une source d'inquiétude et d'aléa.
Je vous le dis comme je le pense, non pas pour en faire le reproche à qui que ce soit, car j'ai le plus grand respect pour l'institution judiciaire. Le Président de la République et le Gouvernement ont voulu rompre avec une période où les décisions de justice étaient publiquement contestées et certains magistrats même directement mis en cause.
La Justice doit être respectée. Elle mérite la confiance des Français. Et le rôle de l'exécutif, dans une démocratie, est d'être en première ligne pour manifester ce respect et cette confiance.
L'enjeu est de taille car jamais la demande de Justice n'a été aussi forte, que ce soit en matière pénale ou civile, et dans tous les domaines : économique, familial, social, environnemental. Et la Justice y fait face au quotidien, jour après jour, et au prix d'un investissement personnel considérable de chacune et chacun d'entre vous. D'ailleurs c'est pour moi l'occasion rendre hommage à votre dévouement, et votre professionnalisme ; j'ai déjà eu l'occasion de le faire, je l'avais fait solennellement à l'Ecole Nationale de la Magistrature, à Bordeaux, en mars dernier mais je le redis encore devant vous ce matin.
Je sais les conditions difficiles dans lesquelles se rend la Justice, à quel point les professionnels déplorent de ne pouvoir répondre, au quotidien, aux besoins des justiciables, de voir toujours augmenter des tâches chronophages qui les éloignent de leur cur de métier.
Or, le cur du métier, au-delà de l'acte de juger, c'est le service des citoyens. C'est cela que le Président de la République a rappelé lors de l'audience solennelle de la cour de cassation le 18 janvier de l'année dernière.
Cela suppose en premier lieu de restaurer la confiance dans la Justice et le respect qui lui est dû. Car c'est la condition de la confiance dans la démocratie et dans la force de notre Etat républicain qui est en cause. La Justice est la gardienne des droits et des libertés. Elle est le défenseur de l'intérêt général et du respect des lois, mais aussi souvent l'ultime recours du plus faible. Chaque fois que la justice s'affaiblit, c'est le pacte républicain lui-même qui est fragilisé.
C'est pourquoi nous n'avons eu de cesse, depuis vingt mois, avec Christiane Taubira, de travailler à construire une Justice dont les citoyens se sentent plus proches, parce que là est sa vraie force et que là aussi naît sa légitimité et le respect de son autorité.
C'est le sens des textes que nous avons fait adopter par le Parlement pour renforcer l'indépendance de la Justice.
La loi du 25 juillet 2013 interdit toute instruction du Garde des sceaux dans des affaires individuelles.
Les lois relatives à la transparence de la vie publique ont également marqué une avancée importante. La loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique a ainsi permis de créer un parquet financier, dont l'indépendance est garantie par la loi et qui sera bien mis en uvre au 1er février 2014.
Mais c'est aussi le sens du projet de réforme constitutionnelle, qui s'inscrit dans cette même volonté de réaffirmer l'indépendance de l'institution. Les débats ont été riches sur ce texte. Ils n'ont pas permis de réunir d'emblée la majorité nécessaire, mais le Chef de l'Etat n'a pas renoncé, et lundi dernier, a été particulièrement clair : il a demandé au Gouvernement de poursuivre le travail, pour acter ce qui a fait consensus et trouver la majorité qualifiée qui permettra de faire aboutir la réforme. D'ores-et-déjà, pour la nomination des procureurs, l'avis du CSM est systématiquement suivi.
Ces obligations nouvelles de transparence et d'indépendance sont nécessaires à la confiance des citoyens. Elles constituent, pour eux, des garanties et des droits nouveaux.
Et c'est pour renforcer ces droits, pour conforter nos libertés publiques et faire toujours mieux respecter la loi que nous devons travailler sans relâche.
Le projet de loi qui maintient le principe de la collégialité de l'instruction renforcera les droits des personnes mises en cause mais aussi des victimes. Actuellement devant le Parlement, ce texte sera examiné avant l'été.
Quant à la réforme pénale, elle constituera une autre étape importante. Ce projet de loi qui a été adopté par le Conseil des ministres, répond à une triple exigence : la fermeté, l'efficacité dans la lutte contre la délinquance, et le respect des droits des victimes comme des personnes poursuivies. La peine doit être utile et elle doit avoir du sens. C'est pour cette raison que le projet de loi réaffirme le principe de l'individualisation des peines. Preuve a en effet été faite en France, en Europe et ailleurs qu'une peine individualisée, aussi bien dans son prononcé que dans son exécution, est plus efficace pour lutter contre le risque de récidive.
Les peines planchers seront donc supprimées, tout comme les révocations automatiques de sursis. C'est aussi l'objectif des dispositions visant à mieux encadrer la sortie de prison des délinquants. Je pense à la procédure de libération sous contrainte que nous créerons, pour éviter les sorties sèches, sans aucun suivi, qui favorisent, chacun l'admet maintenant, la récidive.
Actuellement, ces sorties sèches, je tiens ici à le rappeler, représentent près de 80% des sorties de prison, et ces sorties aboutissent à une récidive dans deux cas sur trois. Cette politique est donc inefficace et même dangereuse. Elle n'est donc pas acceptable.
Dans la réforme que nous proposons, aucune peine actuellement existante ne sera supprimée. Nous en ajouterons même une nouvelle : la contrainte pénale, qui permettra au juge de fixer les mesures les plus adaptées et donc les plus efficaces.
Et comme il ne s'agit pas seulement de faire une loi mais de donner à la Justice les moyens de la faire appliquer, j'ai décidé d'augmenter substantiellement les emplois nécessaires pour les services d'insertion et de probation, pour créer d'ici 2016, 1000 postes supplémentaires et donc 400 dès 2014. Leur rôle est en effet essentiel pour la réinsertion des personnes condamnées et l'engagement très concret que j'ai pris est de ramener le nombre de personnes condamnées suivies par chaque agent à un maximum de 40, contre 90 en moyenne, je dis bien en moyenne parce que parfois c'est plus aujourd'hui.
C'est donc un engagement fort, de changement, de nouvelles règles, mais aussi de nouveaux moyens. J'ai évoqué la proximité, et au nom de cette proximité de la justice, et de son efficacité, le Gouvernement a également pris la décision de lui redonner progressivement les moyens dont elle a besoin.
Vous connaissez, les contraintes budgétaires, la nécessité de maitriser nos comptes publics, de réduire notre dette, de retrouver des marges de manuvre, c'est l'intérêt national qui le commande, personne ne nous l'impose, c'est nous qui le décidons pour nous-mêmes. Mais en même temps nous devons faire des choix, et c'est le sens de la politique, et de l'engagement et de la décision politique. C'est pourquoi nous avons pris cette décision, au sens le plus fort du terme politique, des décisions politiques, de donner à la Justice la priorité, comme à la sécurité, comme nous l'avons fait aussi pour l'éducation. C'est donc un choix.
Après une augmentation de 4,2% en 2013, le budget de la Justice progresse encore de 1,7% en 2014. 209 millions d'euros ont été récemment dégelés pour financer le fonctionnement et les frais de justice du ministère, ainsi que 5 millions d'euros en urgence pour les travaux immobiliers les plus urgents des juridictions.
Ces efforts ont permis à la Garde des Sceaux de prendre des mesures en faveur des personnels, et notamment ceux qui ont les plus petits revenus. La prime pour les fonctionnaires de catégorie C s'ajoutera ainsi à la restructuration des grilles négociée pour l'ensemble de la fonction publique. La revalorisation du statut des surveillants, négociée avec le syndicat majoritaire de la pénitentiaire, sera également mise en uvre. Enfin, des moyens nouveaux seront investis pour sécuriser l'action des personnels : 33 millions d'euros au total pour la sécurité dans les prisons.
Cet effort financier a permis de mettre en place un plan sans précédent pour recruter des magistrats et des fonctionnaires. Le rythme de 500 créations d'emplois est donc tenu pour chaque année passée et à venir.
Bien sûr, j'entends les messages qui remontent du terrain, 395 postes de magistrats sont aujourd'hui vacants. Mais là encore nous payons les conséquences de longues années de suppressions de postes. Pendant cinq ans, les recrutements n'ont en effet représenté qu'à peine le tiers des besoins.
Et face à cette situation, notre choix n'a pas été de boucher les trous en urgence, mais de reconstruire une politique cohérente de recrutement.
C'est évidemment long, car il faut 31 mois pour former un magistrat. Et c'est pourquoi la situation ne s'améliorera vraiment qu'à partir de septembre 2014 avec la prise de fonction des auditeurs de justice de la promotion 2012 et celle des lauréats des concours complémentaires 2013 : plus, plus de 250 magistrats en tout. Et, en 2014, pour la première fois depuis longtemps, les arrivées seront plus nombreuses que les départs, et ce sont 384 nouveaux magistrats qui seront recrutés : l'un des meilleurs taux de recrutement depuis 10 ans!
En attendant, et pour soutenir les juridictions où la situation est la plus tendue, ce sont plus de 100 emplois d'assistants de justice supplémentaires qui peuvent être recrutés aujourd'hui.
Cela vaut aussi pour la Protection Judiciaire de la Jeunesse, où nous avons recruté 300 postes sur les 650 supprimés par la précédente majorité. Mais également pour les greffiers, pour lesquels un important effort de recrutement est engagé : 2000 fonctionnaires des greffes partiront en effet à la retraite d'ici trois ans, soit près de 10% du corps. Mais là encore 1100 stagiaires sont actuellement en formation à l'Ecole Nationale des Greffes, qui arriveront en juridiction d'ici la fin de l'année 2014.
Certains pourront penser que ces efforts budgétaires ne sont pas suffisants. Oui, on peut toujours le penser, c'est vrai, je peux le comprendre, mais encore une fois, au regard du contexte budgétaire que vous connaissez, un effort important, et donc engagé, et surtout qui doit être inscrit dans la durée.
L'enjeu, mesdames, messieurs c'est bien de donner au citoyen les moyens de faire respecter ses droits en mettant la justice à sa portée. C'est ce que nous faisons depuis un an et demi, mais c'est surtout maintenant qu'il faut continuer.
L'accès au droit et à la justice est, à cet égard, un enjeu fondamental de réforme. On dit souvent que la France a besoin de réforme, oui, c'est évident, elle doit se moderniser, elle doit s'adapter, sans pour autant perdre les fondamentaux de son modèle social et républicain, mais le besoin de réformes évidemment doit être respecté, et ça vaut aussi pour la justice.
C'est donc au nom de cette exigence que nous allons corriger la réforme de la carte judiciaire dans huit villes ayant perdu leur tribunal de grande instance. Cinq nouvelles maisons de justice et du droit seront également ouvertes en 2014, essentiellement dans les zones de sécurité prioritaires. Enfin, l'aide aux victimes sera développée. Son budget a augmenté de 25% depuis 2012 et le seuil des 140 bureaux d'aide aux victimes vient d'être franchi. Il doit beaucoup à l'effort que nous avons consenti.
Au nom de l'accès au droit, nous avons aussi supprimé le droit de timbre instauré par l'ancien Gouvernement et ce tout en augmentant le budget de l'aide juridictionnelle de 28 millions d'euros. L'aide juridictionnelle qui est une politique publique essentielle de solidarité, nous avons donc le devoir de la réformer pour la préserver et c'est ce travail que nous avons engagé sur la base des travaux d'évaluation lancés par l'Inspection générale des services judiciaires.
Simplifier est toujours un moyen de remettre le citoyen au cur du système. Et cette année encore, le Gouvernement va poursuivre le grand chantier ouvert par le Président de la République. Dans les domaines qui vous concernent directement, un projet de loi a été présenté, visant à légiférer par ordonnances. Plusieurs mesures visant à simplifier la procédure civile et à alléger dans toute la mesure du possible la charge de travail des magistrats et des fonctionnaires des services judiciaires au bénéfice des justiciables. Voilà le sens de cette ordonnance.
Toutes ces réformes ont été menées de front depuis un an et demi à un rythme soutenu. Mais nous arrivons aujourd'hui au point où une nouvelle étape doit être franchie, celle de la réforme de l'organisation judiciaire.
Il n'y a pas de modernisation sans réforme de structures, sans une vision globale et cohérente de ce que doit être l'avenir. Et cela vaut aussi pour la Justice, comme cela vaut pour tous les domaines de la vie de la Nation.
Le moment est donc venu de bâtir une Justice plus simple, plus proche, plus efficace, et de le faire ensemble. Car on ne réformera pas la Justice sans ses agents, et encore moins contre eux, comme on a parfois tenté de le faire dans un passé récent. C'est la conviction qui anime la garde des Sceaux depuis le premier jour de sa prise de fonction. Une telle réflexion d'ensemble n'a pas eu lieu depuis 1958, c'est dire le défi. Et la Justice n'a connu depuis cette date que des réformes partielles quant à son organisation, qui ont, le plus souvent, ajouté des complexités supplémentaires dans l'organisation de nos juridictions.
Cette organisation doit donc d'abord être simplifiée pour le citoyen. Or le paradoxe veut que ce soit au niveau des tribunaux de première instance, là où le justiciable s'adresse en premier lieu à la justice, que cette dernière est la plus complexe.
Entre le tribunal d'instance, de grande instance, le juge de proximité, le tribunal des affaires sociales ou encore le conseil des prud'hommes, rares sont les citoyens qui spontanément savent s'adresser à la bonne juridiction. C'est donc un problème.
A la dispersion des compétences répond d'ailleurs la multiplication des procédures spécifiques pour chaque nature d'affaire : avec ou sans avocat obligatoire, devant un juge unique ou en formation collégiale, avec des juges professionnels, ou non, ou les deux.
Ces complexités peuvent être sources de délais, parfois d'erreurs, que ce soit pour ceux qui saisissent la Justice ou ceux qui la rendent. Cette organisation doit donc être simplifiée et ses procédures adaptées, pour mieux répondre à leur objet et aux publics qui y ont recours.
A cet égard, toutes les réflexions qui se sont développées autour du tribunal de première instance tel que le Président de la République a pu le dessiner l'année dernière vont dans le bon sens.
Mais repenser l'organisation judiciaire à travers l'architecture de ses juridictions et leur fonctionnement ne peut suffire. Encore faut-il en tirer toutes les conséquences nécessaires quant aux missions, aux métiers, bref à ce que l'on désigne par "l'office du juge".
Cela fait bien longtemps que la Justice ne se contente plus de dire le droit. Elle répare, elle protège, elle restaure, elle évalue, elle administre et a vu les contentieux qu'elle traite se diversifier en même temps qu'ils se massifiaient.
Et ce déploiement de la Justice au-delà de son offre traditionnelle a paradoxalement contribué à créer une distance supplémentaire entre la justice et le justiciable : l'autorité du juge a eu tendance à se diluer à mesure de l'extension de son office.
Les travaux menés sur ce sujet sont particulièrement riches et plusieurs évolutions sont aujourd'hui concevables et possibles. L'office du juge peut être repensé en fonction de son périmètre ou de son niveau d'intervention sur les matières qu'il traite.
Le juge peut en effet être une instance de contrôle, de recours mais aussi de validation. Cela peut évidemment conduire à mettre en uvre des procédures qui favorisent le règlement non contentieux des litiges, mais à condition d'y mettre les garanties nécessaires pour que les droits de chacun soient effectivement garantis.
En ouvrant ce débat - je dis bien j'ouvre le débat donc je ne veux pas le conclure, c'est ce que j'avais dit à la garde des Sceaux et ce serait quand même peu respectueux de ce vous allez entreprendre ensemble - mais en ouvrant ce débat, je voulais simplement vous dire que le Gouvernement attend beaucoup de vos travaux parce qu'il va vous revenir, au cours de ces deux jours, de conduire une réflexion qui doit aboutir à une réforme, qui doit permettre de la réforme et ce que vous avez à faire est un travail - ce que nous avons à faire est un travail - considérable. J'en suis parfaitement conscient, et je tiens pour cela d'abord à saluer tous ceux qui se sont impliqués dans la préparation de ces travaux : l'institut des Hautes Etudes sur la Justice, d'abord mais aussi les présidents des groupes de travail : Antoine GARAPON, Sylvie PERDRIOLLE, Boris BERNABÉ de l'IHEJ, Pierre DELMAS-GOYON, Didier MARSHALL et Jean-Louis NADAL. Je remercie également Martine COMTE et Dominique LE BRAS, qui président le comité de pilotage des réformes judiciaires.
Merci donc à tous ceux qui se sont mobilisés pour permettre la tenue de ce grand rassemblement et permettre aussi qu'il tienne ses promesses parce que je sais que l'attente est forte. Alors bien sûr, personne n'imagine le grand soir où on ferait table rase de tout et on reconstruirait. Non, bien sûr mais ce qui est à craindre c'est le déception, ce qui est à craindre, c'est que l'attente qui est très forte ne débouche pas sur une stratégie de réforme et qui se mette en uvre peu à peu mais de façon déterminée et concrète et qui en tout cas en ayant tracé une perspective, donné un sens, fixé un cap, garantit que la réforme se fera bien. Donc c'est tout l'enjeu et je sais que c'est difficile parce que tout le monde est d'accord au départ pour la réforme, tout le monde en ressent le besoin et puis ensuite lorsque l'on rentre dans les détails c'est plus complexe, c'est plus difficile, il peut y avoir des craintes et elles peuvent être parfaitement légitimes et en tout cas, elles doivent être prises en compte ou peut-être des blocages, des conservatismes ou des intérêts particuliers. Donc je sais que si vous êtes là, aussi nombreux, c'est que vous comprenez tout ça et que vous êtes conscients de la nécessité de bouger, d'avancer. C'est donc une grande réforme que nous devons construire mais une réforme pour les Français, une réforme ambitieuse, qui renforcera l'institution judiciaire dans sa légitimité, dans son autorité, dans son respect et donc dans son rôle au cur de la République.
Nous avons tous un combat à mener aujourd'hui pour le redressement de la France et un combat à mener pour le respect concret des valeurs républicaines et aussi pour la cohésion de notre société, pour la consolidation du pacte social qui parfois est fragilisé. Donc nous avons chacun notre part à prendre et la Justice bien sûr aussi et je dirais même beaucoup. Cet objectif, cet objectif du redressement de la mise en marche de notre pays qui doit retrouver confiance en lui, confiance dans ses capacités, dans son histoire, dans ce qu'il est et dans les défis qui à chaque grande tempête, il a su relever, il n'y a aucune raison que nous n'y parvenions pas aujourd'hui mais parfois le doute s'installe dans les esprits. C'est donc notre tache, je sais qu'elle est immense d'engager les réformes nécessaires, de leur donner tout le sens qui convient pour qu'elles soient comprises et partagées et surtout qu'elles se réalisent.
Je sais que vous comprenez tout ça ; je sais que vous partagez cette ambition au-delà des approches de chacun, des sensibilités de chacun mais c'est là l'intérêt du débat. C'est donc là encore un énorme travail, un grand défi qui nous attend mais à vous voir tous rassemblés Madame la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, me disait lorsque je suis arrivé que vous aviez été obligés de refuser des inscriptions, donc c'est un signe et je sais cette mobilisation, elle n'est pas ici dans cette belle salle de l'Unesco, tout un symbole qui a été choisi pour vos travaux mais que c'est aussi une mobilisation qui existe sur le terrain. Et lorsque Christiane Taubira me parle de ses visites dans les juridictions où elle prend le temps d'écouter, j'ai eu avec elle cette expérience lorsque je m'étais rendu à l'Ecole nationale de la magistrature de Bordeaux après avoir rencontré les stagiaires, les personnels et j'avais fait la visite aussi du Tribunal de grande instance de Bordeaux où j'avais discuté avec tous les professionnels et cela avait été passionnant et surtout ce qui m'avait beaucoup impressionné c'était la passion, qu'au-delà des attentes, au-delà de la volonté de réforme que les personnels dans leur diversité mettaient dans l'exercice dans leur métier, parce qu'ils y voient évidemment quelque chose d'élevé et qu'eux-mêmes y mettent beaucoup de leur personne, de leurs convictions, de leur attachement aux principes républicains et qu'ils veulent les faire vivre concrètement et que parfois ils souffrent des obstacles qui les empêchent de le faire avec plus d'efficacité et aussi plus de partage des citoyens et des justiciables, de ce qu'ils entreprennent pour faire respecter les lois de la République. Donc je sens une force qui monte mais qui est positive, une attente, une volonté.
Alors merci pour tout ce que vous allez apporter dans ces travaux. Votre sens du service public et de l'intérêt public va nous permettre d'avancer, d'innover, de faire uvre utile pour les Français. Cela n'est pas une affaire de corporatisme où seraient là uniquement les professionnels de justice entre eux ; non, c'est les Français qui sont concernés, c'est la France et donc à l'avance, merci de ce que vous allez faire pour eux, et que vous allez faire pour notre pays.
Source http://www.gouvernement.fr, le 13 janvier 2014