Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureux de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de clore ce colloque au cours duquel vous avez réfléchi, pendant trois demi-journées, sur l'aménagement de la Réunion en 2020. En effet, cette réflexion vient en écho à celle qui avait été engagée le 9 mai dernier, rue Oudinot, lors d'un " entretien " dont le thème était " Des espaces à gérer autrement ".
J'avais alors évoqué une distinction qui, me semble-t-il, permet de mesurer l'enjeu et l'ampleur de la réflexion qui s'offre à nous sur un tel sujet. Je l'emprunte à Georges Balandier. Le lieu et l'espace, selon lui, désignent des réalités différentes. Le lieu, c'est un espace qu'on s'est approprié, un espace existentiel, chargé d'une histoire. Il a, pour ceux qui y vivent, une valeur patrimoniale ; il est l'objet, de leur part, d'un investissement affectif et symbolique. Le lieu, autrement dit, n'est pas une simple étendue, il est indissociable de l'identité personnelle de ceux qui y vivent, qui s'y retrouvent, plus encore, qui s'y forment. L'espace, au contraire, est une étendue définie par sa fonctionnalité, non par son histoire. Les espaces sont issus des organisations rationalisées et de la recomposition des lieux, imposées par les mutations économiques.
La modernité se traduit par une transformation croissante des lieux en espaces, due à l'expansion urbaine, à la massification et à la standardisation des besoins. Elle s'accompagne souvent de conflits, et parfois d'une crise identitaire, complexe dans toutes nos régions, sans doute plus particulièrement dans les départements et territoires d'outre-mer. La gestion rationnelle des espaces, nécessaire à l'intérêt général, paraît souvent une menace pour des lieux où la collectivité s'est constituée. Nous devons être sensibles aux craintes qu'elle entraîne. Nous le devons d'autant plus qu'outre-mer, et en particulier à la Réunion, le rapport des populations à l'espace est particulier.
Il y a d'abord à cela des raisons géographiques, qu'on ne peut ignorer. L'espace disponible est strictement limité par la mer d'un côté et par la montagne de l'autre. Il est limité aussi par la configuration physique de l'île : sur un territoire de 250 000 hectares, un tiers à peine est utilisable pour l'activité humaine.
A ces contraintes physiques s'ajoute une pression démographique forte : à la Réunion, vous l'avez indiqué, 300 000 habitants supplémentaires sont attendus pour 2020. Il me paraît significatif que le premier exposé prononcé dans le cadre de ce colloque dit pacte sur " le défi démographique ", car il emporte avec lui beaucoup de conséquences décisives pour l'avenir : nécessités de construire 9 000 logements par an dans les 10 années qui viennent, de prévoir les équipements collectifs nécessaires ; nécessité, aussi, d'organiser les déplacements d'une population en forte croissance.
Par ailleurs, l'activité économique nécessite des espaces relativement étendus. Les plantations de canne et plus largement une part importante de l'activité agricole, exigent, dans une certaine mesure, des zones qui ne sont pas accidentées. Et j'ai bien noté que, dans le cadre du Schéma d'Aménagement Régional adopté en 1995, un objectif de protection de 35 000 hectares de terres agricoles, dont 30 000 à vocation cannière, avait été fixé. De même, le tourisme suppose à la fois des infrastructures développées, notamment sur le littoral, et des espaces préservés, susceptibles d'attirer par leur splendeur de nombreux visiteurs.
Enfin, l'espace est l'objet, de la part des réunionnais, d'un investissement affectif et culturel. Les habitants aspirent majoritairement à posséder une parcelle de ce terrain dont ils ont été, pendant longtemps, exclus. La pratique fréquente de l'habitat spontané s'explique en partie ainsi. Exiguïté géographique, contraintes liées à la pression démographique, nécessités du développement, attachement affectif au lieu de vie, autant d'aspects qui, plus qu'ailleurs, rendent difficiles à la Réunion la conciliation entre les différents utilisateurs de l'espace ; autant d'aspects qui imposent la mise en œuvre d'un plan d'aménagement d'ensemble.
En ce sens, ma visite, ce matin, à l'Entre-Deux, m'a permis d'avoir une vision très concrète des problèmes spécifiques de structuration et de développement auxquels sont confrontées les communes des hauts.
Dans l'hexagone, l'aménagement de l'espace tient compte, d'une part, des spécificités locales de chaque région, d'autre part des grandes orientations nationales, définies par l'Etat, qui permettent l'harmonisation des politiques régionales.
Dans les départements d'outre-mer, cette distinction n'est pas aussi pertinente. En effet, aucune décision prise dans une de ces régions n'a réellement d'impact sur une autre zone du territoire national, et ne modifie l'équilibre d'ensemble. En revanche, toutes les décisions en la matière ont une importance réelle dans la vie économique de ces régions, et plus encore dans la vie quotidienne de leurs habitants.
On peut considérer que seul l'Etat est légitime lorsqu'il est nécessaire d'organiser l'aménagement du territoire dans une perspective nationale. Une telle option, cependant, est contraire à l'esprit qui anime la décentralisation, en œuvre depuis 1982. En outre, on risque alors de rester insensible à la singularité culturelle des populations. Ce risque existe pour toutes les régions françaises, et particulièrement pour les régions d'outre-mer.
Il est préférable, pour cette raison, que l'Etat veille à renforcer les responsabilités des collectivités locales en matière de gestion de l'espace, qu'il complète les outils dont celles-ci disposent à cet effet et qu'il accompagne les efforts de ces collectivités.
Vos travaux ont permis, de façon très exhaustive, de dresser la liste des actions à entreprendre pour préparer la Réunion de 2020. Je voudrais pour ma part vous indiquer par quelles principales mesures l'Etat entend jouer son rôle dans cette stratégie.
La loi d'orientation pour l'outre-mer renforce les compétences des collectivités dans plusieurs domaines décisifs du point de vue de l'aménagement du territoire. J'en soulignerai quelques uns, en précisant comment ce transfert de compétence est appuyé par d'autres actions de l'Etat.
La politique du logement, tout d'abord, doit bien sûr satisfaire les importants besoins de la population. Elle est aussi un outil essentiel de rééquilibrage du territoire et d'intégration sociale. Afin de mieux associer les collectivités à sa définition, la loi d'orientation prévoit que les conseils général et régional soient saisis pour avis des orientations de cette politique. Dans la même logique, le Conseil départemental de l'habitat sera dorénavant présidé par le président du conseil général.
Vous avez souligné dans vos débats, l'importance de la question du foncier, et en particulier de sa viabilisation. La région, le département et l'Etat ont mis en place à la Réunion, depuis 1994, un fonds régional pour l'aménagement foncier urbain (FRAFU). Cette expérience réussie est maintenant consolidée par la loi. Le contrat de plan pour 2000-2006 prévoit d'ailleurs une enveloppe financière de 760 MF à cet effet. La maîtrise du foncier nécessite également, je crois que chacun s'en est aujourd'hui convaincu, la création d'un outil spécifique tel qu'un établissement public foncier. La loi SRU favorise d'ailleurs la mise en place d'outil de ce type. J'y suis pour ma part favorable et je puis vous confirmer que le gouvernement soutient la création de cet établissement par laquelle 75 millions de francs sont inscrits au contrat de plan, comme je puis vous assurer de la collaboration active des services de l'Etat dans le département afin d'aboutir rapidement.
Concernant le logement à proprement parler, le gouvernement s'était engagé, à l'occasion de l'alignement du RMI, à ce que le niveau de la ligne budgétaire unique ne soit pas affecté par la disparition de la créance de proratisation. Le projet de loi de finances pour 2002 montrera que cet engagement sera tenu, cette année encore. Ces crédits importants trouveront leur meilleure efficacité dans une adaptation permanente des types de logements construits aux besoins des populations. Ainsi, par exemple, l'auto-amélioration des logements peut-elle maintenant être financée sur la LBU. Ceci correspond, je le sais, à une forte demande de la Réunion. De même, la réforme des conditions d'éligibilité des programmes de réhabilitation doit permettre de dynamiser la remise en état des anciennes résidences. Les bailleurs sociaux bénéficieront en outre de conditions avantageuses pour financer leurs plans de patrimoine.
La loi d'orientation précise également les modalités de révision des schémas d'aménagement régionaux et en complète le champ d'application. Elle y inclut en particulier les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Celles-ci, j'en suis convaincu, doivent en effet être partie intégrante d'une vision à long terme de l'aménagement du territoire. Vous savez que plusieurs mesures complémentaires ont été prises par le gouvernement pour en favoriser l'essor : ce secteur fait maintenant partie de ceux qui peuvent bénéficier du soutien fiscal à l'investissement ou de l'exonération de charges sociales. J'ai également mis en place, dans le cadre d'un " programme pour la société de l'information outre-mer ", un Fonds internet pour l'outre-mer (FIPOM). Ce fonds, doté de 10 MF, est destiné à soutenir des initiatives dans le domaine non-marchand, solidaire, culturel et associatif. La connexion de ce département au réseau mondial est également importante. Je me félicite donc de l'arrivée à l'île de la Réunion, depuis avril dernier, du câble sous-marin SAFE, qui la relie au reste du monde.
Plus généralement, je suis convaincu que ces schémas d'aménagement constituent un outil essentiel de la programmation de l'aménagement de l'espace. Je suis sûr que vous partagez cette conviction, puisque la Réunion a été le premier DOM à mettre en place, depuis le 6 novembre 1995, un SAR. Il faut bien sûr faire un bilan sans complaisance de son exécution, comme vous l'avez fait au cours de vos travaux : il est nécessaire de continuer à œuvrer pour que ses prescriptions soient respectées ; il faut réfléchir à sa révision, et bien des projets à l'étude la justifieront (je pense par exemple au Parc National des Hauts). Mais, en tout état de cause, le SAR constitue bien le cadre, reconnu explicitement dans la loi SRU, sans lequel aucune réflexion sur l'avenir d'un territoire comme le votre ne peut trouver à s'appliquer.
La mise en œuvre d'une véritable politique de l'eau est une des clefs du développement durable. La loi sur l'eau de 1992 avait permis un premier pas avec la création de comités de bassin. Celui de la Réunion est ainsi opérationnel depuis 1996. Il a approuvé le Schéma Directeur d'Aménagement et de Gestion de l'Eau en juillet dernier. Il convenait d'aller plus loin en dotant les comités de bassin des DOM d'un organe exécutif à l'image des agences de bassin existant en métropole.
C'est ce que la loi d'orientation a prévu en créant, pour les DOM, des " offices de l'eau ". Leurs attributions recouvrent trois domaines d'action : la connaissance des ressources aquatiques et de leurs usages ; l'information, la formation, l'assistance technique et le conseil ; facultativement et sur demande du comité de bassin, la programmation et le financement d'études et de travaux. Le décret d'application permettant la mise en place de ces offices est actuellement examiné par le Conseil d'Etat. Il paraîtra avant le mois de décembre 2001, et je puis vous indiquer que le budget du secrétariat d'Etat à l'outre-mer prévoit des crédits pour aider à sa mise en place.
La réflexion sur l'aménagement de la Réunion dans les prochaines années resterait inachevée si la question des transports n'était pas évoquée. C'est une question urgente. Le trafic routier a en effet doublé entre 1993 et 1999. Le réseau routier se trouve aujourd'hui presque asphyxié sur certain de ses axes. Et, dans le même temps, certaines zones de l'île, telles que les Hauts, sont encore enclavées. Certes, beaucoup a été fait. L'organisation des transports en commun a nettement progressé. La réalisation du transport en commun en site propre de Saint Denis est une étape significative.
Il faut à l'évidence aller beaucoup plus loin encore. La possibilité offerte par la loi d'orientation de transférer à la région la compétence en matière de routes nationales peut permettre de rendre plus cohérents les procédures de programmation, dans la mesure où la région finance déjà les travaux sur ces infrastructures. De ce point de vue, l'extension du réseau et le réaménagement de la route du littoral sont certainement des investissements nécessaires. Le contrat de plan y consacre d'ailleurs des sommes importantes. Mais je suis convaincu qu'il n'y a pas de solution durable sans un développement encore plus résolu des transports en commun. Le projet de TCSP entre Saint Paul et Saint Benoît, projet de grande envergure, me paraît indispensable. L'Etat a d'ailleurs déjà marqué son intention de le soutenir en participant au financement d'une partie des études nécessaires.
L'aménagement est au service du développement, et celui-ci ne peut s'envisager sans une politique énergétique adéquate. Le fort accroissement de la consommation d'énergie est d'ailleurs, à la Réunion, un des symptôme de son dynamisme économique. Il est impératif de répondre à cette demande. Encore faut-il prévoir la structuration la plus judicieuse des réseaux de distribution et les lieux de production. Ici encore peuvent apparaître des conflits d'intérêts entre la construction d'unités de production et d'autres usages. Ces conflits doivent trouver leurs solutions dans une acceptation bien comprise de l'intérêt général par chacun des partenaires. Peut-être d'ailleurs faut-il pour faciliter le débat, intensifier l'exploitation des énergies renouvelables. La compétence en la matière a été donnée à la région par la loi d'orientation. Je sais cependant que la région Réunion s'en préoccupe depuis longtemps. L'Etat sera à ses côtés dans ses projets. Vous savez d'ailleurs que ce secteur est éligible, lui aussi, tant au soutien fiscal à l'investissement qu'au dispositif d'exonération de charges sociales.
Je ne voudrais pas terminer sans évoquer la loi du 19 février 2001 qui, à l'initiative du président VERGES, crée un observatoire national sur les effets du réchauffement climatique. Celui-ci a parmi ses missions celle d'informer les collectivités sur les effets de ce réchauffement. Dans une île comme la Réunion, et même si leur horizon est sans doute plus lointain que 2020, il est certain que ces effets ne seront pas sans interférer sur les perspectives d'aménagement. Aussi le décret d'application de la loi est-il en phase finale de rédaction afin que cet observatoire puisse commencer à fonctionner sans tarder.
Je voudrais en conclusion saluer à nouveau le caractère très positif, car très concret, de vos débats. De nombreuses pistes ont été ouvertes le long desquelles je puis vous assurer que l'Etat vous accompagnera. Je sais d'ailleurs que beaucoup de vos propositions étaient déjà présentes dans les contributions à l'élaboration des schémas de services collectifs que vous avez rédigées, et qu'elles y ont été intégrées. Ces schémas de services viennent d'être validés par le Conseil d'Etat.
(source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 14 novembre 2001)