Déclaration de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, sur la place du département dans l'organisation territoriale, sa vocation de collectivité de proximité et de territoire de solidarités et sur la nécessité de le doter de ressources financières suffisantes, Béziers le 17 octobre 2001.

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Circonstance : 71ème congrès de l'Assemblée des départements de France à Rodez (Aveyron) les 17 et 18 octobre 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame la Préfète,
Madame et Messieurs les Présidents,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'assister pour la deuxième fois, depuis que je suis Ministre de l'Intérieur, au congrès de l'Assemblée des Départements de France. Après celui de Metz, l'année dernière, et après quelques réunions et entretiens entre nous, je me réjouis de vous retrouver à nouveau, Monsieur le Président Jean Puech, dans ce département de l'Aveyron dont vous présidez l'assemblée départementale et dans cette belle ville de Rodez, capitale du Rouergue, dont la beauté et la qualité de vie sont réputées. Je vous remercie de vos mots de bienvenue.
Cette rencontre avec les responsables de tous les conseils généraux - que l'on appellera bientôt conseils départementaux, selon un amendement adopté lors de l'examen du projet de loi sur la démocratie de proximité, - est importante car elle fournit, notamment, l'occasion d'un utile échange sur le rôle des collectivités départementales de notre pays.
Je salue tous les Présidents présents et, particulièrement, les 21 nouveaux présidents élus au printemps dernier. Cet important renouvellement des exécutifs départementaux est un signe incontestable de vitalité démocratique. Je m'en félicite. Pour autant, je suis bien au regret de constater que Madame d'Ornano est toujours la seule présidente. Je vous salue, Madame, tout spécialement. Je voudrais enfin adresser un signe amical aux présidents venus de l'outre-mer, qui peuvent enrichir vos réflexions de leurs expériences particulières.
Parmi les thèmes sur lesquels vous réfléchirez ce matin, je relève ceux de la proximité et de la solidarité. Lors de la table ronde de demain, vous vous interrogerez sur la place du département dans un paysage territorial et institutionnel en évolution.
Sur l'un et l'autre point, je voudrais répondre à vos interrogations en développant deux convictions, qui, je le sais, sont celles du Premier Ministre : le département doit conserver une place centrale dans notre organisation territoriale, dans une décentralisation rénovée et approfondie. Sa vocation demeure d'être la collectivité de la proximité et le territoire des solidarités.
1- Le Département doit conserver une place centrale dans notre organisation territoriale, dans une décentralisation rénovée et approfondie.
Le maintien d'un niveau départemental est parfois contesté et certains annoncent la fin prochaine des départements.
Vous connaissez les différents arguments avancés : nous aurions en France - davantage que dans les pays comparables - un trop grand nombre de niveaux d'administration locale -. Adapté à la France rurale, le département aurait été rendu anachronique par l'urbanisation, que l'intercommunalité et la région constituée autour d'une grande métropole traduiraient mieux dans l'organisation locale. Le département serait donc en sursis et ne pas le reconnaître relèverait d'un profond conservatisme.
Ces arguments sont très contestables. Les autres pays européens ont également un niveau d'administration locale intermédiaire entre la commune et la région. Alors que nos concitoyens expriment la demande d'une administration plus proche, il serait paradoxal que l'échelon départemental disparaisse au profit d'un niveau plus éloigné. Et si l'idée était de maintenir les services départementaux en les rattachant à la collectivité régionale, ne resterait-il pas gênant de perdre ce niveau de représentation démocratique de proximité ? L'organisation départementale de l'Etat n'est-elle pas également bien adaptée au terrain et réactive, par exemple en cas de catastrophe ou de crise ?
Il peut certes y avoir des cas particuliers, insulaires notamment, mais j'ai la conviction qu'en règle générale, le département peut et doit rester une pièce maîtresse de notre organisation territoriale.
Pour conserver toute sa place, la collectivité départementale devra, elle aussi, se rénover, dans le cadre d'une nouvelle étape de la décentralisation, que le Premier Ministre a engagée le 27 octobre 2000, que plusieurs actions ont commencé à traduire dans les faits et dans le droit de notre pays et qu'il appartiendra à la prochaine législature de mener à son terme.
Je voudrais seulement ouvrir aujourd'hui quelques pistes : Le premier thème de réflexion me paraît devoir être celui de l'articulation entre le département, les intercommunalités et le niveau régional.
La question du lien entre les intercommunalités et le département doit être posée dans le cadre des transferts de compétences et des relations conventionnelles qui pourraient être établies avec les structures intercommunales. L'élection au suffrage universel direct des conseillers intercommunaux à partir de 2007 doit également être prise en compte, au moment où sera abordée l'évolution nécessaire du mode de scrutin des conseils généraux.
Je suis convaincu qu'il faut aussi mieux articuler le niveau du département avec celui de la région. Chez certains de nos voisins, l'échelon correspondant à celui du département est subordonné à la région. Cela correspond à une logique fédérale. Je n'en suis pas partisan, parce que je ne crois pas que le fédéralisme soit adaptable à notre pays, dont l'histoire est différente. Cependant, la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Trop de compétences sont enchevêtrées entre les deux niveaux de collectivités. Même si de bonnes relations entre les exécutifs ou des procédures contractuelles contribuent à mettre de l'ordre, une clarification est nécessaire.
Peut-être faudrait-il mettre fin aux compétences concurrentes en faisant en sorte que certains domaines soient clairement exclus de la compétence d'un des niveaux de collectivités ? Parallèlement, la coopération entre régions et départements pourrait être organisée sur un mode conventionnel, sans exclure, dans ce cas aussi, la possibilité pour la région de déléguer l'exercice de certaines compétences à un ou plusieurs départements, avec leur accord.
La réflexion pourrait porter aussi sur le mode de scrutin. Faut-il maintenir le renouvellement du conseil général par moitié, tous les trois ans, ou bien désigner les conseillers généraux en une seule fois, tous les six ans ? Les circonscriptions doivent-elles être territoriales - que les cantons subsistent ou qu'ils soient remplacés par les intercommunalités - ou bien doit-on préférer un scrutin de liste, pour tout ou partie des élus de l'assemblée départementale ?
Le troisième axe de réflexion pourrait être celui de l'interdépartementalité. De même que l'intercommunalité a permis de remédier à l'éparpillement communal, l'interdépartementalité - et aussi l'interrégionalité -seront utiles pour traiter des problèmes qui dépassent le cadre départemental ou régional.
2- La vocation du Département demeure d'être une collectivité de proximité et un territoire des solidarités.
Le département est l'échelon pertinent pour assumer des compétences qui nécessitent à la fois proximité et maîtrise de la complexité, à une échelle plus grande que la commune ou l'intercommunalité.
Il s'agit d'abord de l'action sociale. Un territoire d'intervention plus étendu que celui de la commune permet, ainsi, de pratiquer, face à des situations identiques, l'égalité de traitement à laquelle nos concitoyens sont, à juste raison, attachés. Il permet également de tenir compte des réalités locales. Les conseils généraux se sont, en règle générale, fortement investis dans cette fonction sociale, en particulier dans les politiques en faveur des handicapés et des personnes âgées, dans la protection maternelle et infantile et dans la protection des mineurs.
L'effort des départements en faveur des infrastructures et du cadre de vie n'a pas été moins spectaculaire : routes, collèges, équipements pour la protection de l'environnement, promotion du tourisme. Dans ces domaines, la capacité d'adaptation des départements à la réalité du terrain est incontestable, autant que l'effort de solidarité entre les territoires.
Les conseils généraux ont su faire face aux demandes des usagers en organisant des services publics de qualité, avec le concours de personnels territoriaux dévoués et de mieux en mieux formés.
Ils contribuent aussi efficacement à la mise en uvre de politiques gouvernementales.
Il en est ainsi du plan pour l'emploi des jeunes dont la réussite doit beaucoup aux collectivités départementales et qui constitue aujourd'hui encore l'une des priorités du Gouvernement.
Mais les conséquences financières de la mise en uvre de ces politiques nationales suscitent parfois vos préoccupations.
C'est le cas pour l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA. Les nouvelles modalités de prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées, instituées par la loi du 20 juillet dernier, constituent - personne n'en doute, me semble-t-il - une amélioration très significative par rapport au mécanisme de la prestation spécifique dépendance. Cette dernière écartait un trop grand nombre de personnes âgées qui auraient mérité d'être aidées.
Avec le nouveau dispositif, qui sera opérationnel au 1er janvier 2002, 800 000 personnes âgées dépendantes pourront bénéficier de l'allocation personnalisée d'autonomie.
Le Gouvernement a fait le choix de confier aux départements la responsabilité de la gestion de cette allocation, et en tant que ministre chargé des collectivités locales, j'ai plaidé dans le sens d'une amplification de vos compétences départementales, plutôt que dans le sens de la création d'un cinquième risque. Le rôle que jouent déjà les départements, dans la conduite des politiques sociales en faveur des personnes âgées, y conduisait tout naturellement, par souci de cohérence et d'efficacité.
L'objectif est donc d'accroître les compétences du département dans un domaine où il a fait ses preuves.
L'allocation personnalisée d'autonomie va entraîner une dépense supplémentaire pour les départements, mais elle sera atténuée par l'intégration dans l'APA de plusieurs dépenses déjà à la charge des départements et par l'effet de la baisse des dépenses d'aide sociale pour les personnes âgées, qui est constatée depuis cinq ans. Le Gouvernement a également prévu que la contribution du fonds de financement serait versée à taux plein dès le 1er janvier 2002, alors que la montée en charge des dépenses de l'APA devrait être progressive.
Pour répondre à vos préoccupations, et en accord avec le Premier ministre, je vous propose, en tout état de cause, qu'un premier bilan de l'application de cette réforme soit effectué dès la fin de la première année d'application, c'est-à-dire en 2002, avant le bilan expressément prévu à la fin de 2003.
La réforme des services départementaux d'incendie et de secours, proposée dans le projet de loi sur la démocratie de proximité, a été conçue avec le même objectif de reconnaître pleinement aux collectivités départementales leur rôle dans un domaine où elles s'impliquent déjà fortement et avec succès. Il n'y a pas en effet de meilleure manière de conforter l'institution départementale que de lui accorder des ensembles d'attributions cohérents, dans les secteurs qui comportent des enjeux fondamentaux pour notre pays. Les catastrophes naturelles, qui ne nous ont pas épargnés ces dernières années, l'explosion dramatique de Toulouse, les menaces d'attentats montrent l'importance majeure que revêt pour la sécurité de notre pays la disponibilité de l'outil humain et technique exceptionnel que constituent les services départementaux d'incendie et de secours.
Les dispositions du projet de loi, en rendant les conseils généraux majoritaires dans les conseils d'administration des services départementaux d'incendie et de secours et en rationalisant les modalités de leur financement, parachèveront la départementalisation des SDIS, incomplètement réalisée en 1996.
Madame et Messieurs les Présidents,
Comme vous l'avez vous-même noté dans le document introductif aux travaux de votre congrès, le cadre institutionnel et le paysage territorial dans lequel évoluent les départements se sont profondément modifiés au cours des dernières années.
J'ai déjà évoqué la question de la place du département, entre les régions et les structures intercommunales. Je voudrais maintenant souligner le rôle des départements dans les politiques d'aménagement du territoire.
Le département est un partenaire des politiques contractuelles, qu'il s'agisse des actions des contrats de plan Etat-région, de la définition des axes stratégiques des programmes européens ou des orientations des contrats de ville, dont vous êtes co-signataires.
Le département est un territoire de cohérence pour les intercommunalités. Il est également au sein de l'espace régional, voire interrégional, un territoire de référence pour la constitution des pays et des agglomérations.
Le département est donc devenu un acteur important de la politique nationale d'aménagement du territoire, collectivité charnière entre le rural et l'urbain, en charge de nombreux équipements collectifs, responsable de certains des services publics les plus ramifiés sur le territoire. Comme circonscription de l'Etat et comme collectivité, le département constitue l'armature de notre espace national.
3 - Les responsabilités exercées nécessitent des ressources financières suffisantes et sur lesquelles les départements puissent avoir une influence effective. J'ai bien entendu, Monsieur le Président, les fortes préoccupations que vous exprimiez à ce sujet. J'ai eu l'occasion également d'en débattre avec plusieurs d'entre vous.
Le projet de loi de finances pour l'année 2002, un budget de soutien à la croissance et à l'emploi, vous apporte une première réponse : l'effort financier de l'Etat en faveur des collectivités locales, progressera, à périmètre constant, de 6,40 % en 2002, et la dotation globale de fonctionnement augmentera de 4,07 %, le plus fort taux de croissance depuis 1993.
Le Gouvernement, a en outre, proposé la reconduction en 2002 du contrat de croissance et de solidarité. Ce contrat, a permis aux collectivités d'exercer pleinement leurs compétences pendant ces quatre années. Du fait de la croissance retrouvée - grâce aussi à leur bonne gestion, en règle générale - la situation des finances des collectivités locales est globalement saine. Les départements ont pu se désendetter fortement, augmenter leur épargne de gestion et baisser globalement les taux de la fiscalité locale, accompagnant ainsi l'effort de l'Etat pour la diminution de la pression fiscale.
Je ne vois donc pas de raison de s'alarmer, non plus que d'imaginer des mécanismes constitutionnels complexes et figés pour garantir aux collectivités locales une autonomie fiscale à laquelle le Conseil constitutionnel veille déjà, comme le montre sa jurisprudence. Je suis pour ma part et je vous l'ai déjà dit, favorable au renforcement du lien entre le contribuable et la collectivité ainsi qu'à la responsabilité et l'équité fiscale. Je ne suis pas favorable à ce qui pourrait être compris comme de l'égoïsme des collectivités les plus riches.
Le Gouvernement a fait en sorte depuis 1997 que les collectivités reçoivent de justes contributions, avec un volontarisme qu'aucun observateur de bonne foi ne peut nier. J'entends bien que la croissance s'est ralentie, sous l'effet des difficultés rencontrées par plusieurs pays, dont les Etats-Unis, mais le projet de loi de finances a pris en compte cette situation nouvelle en renforçant les mesures de soutien à l'investissement et à l'emploi. Chacun doit maintenant faire preuve, dans ses actes et ses commentaires, de sens des responsabilités.
Si les concours de l'Etat aux collectivités locales traduisent la volonté du Gouvernement de faire vivre la décentralisation, il reste que notre système des finances locales est souvent obsolète et largement injuste.
Le Gouvernement en est pleinement conscient. Je vous ai adressé, comme aux autres grandes associations d'élus, une note d'orientation préfigurant un rapport de propositions pour une réforme des finances locales. Je lirai avec attention les propositions que vous jugerez utile de faire en la matière
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Ainsi, et comme vous le voyez, ce Gouvernement, sous l'autorité du Premier ministre et dans le droit fil de Pierre MAUROY et Gaston DEFFERRE en 1982, s'est engagé depuis plusieurs années dans une démarche volontaire d'approfondissement de la décentralisation.
De nombreux textes réglementaires et législatifs depuis 1997, l'illustrent et le soulignent ; la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, la loi de renforcement de l'intercommunalité, la loi de non cumul des mandats ou celle introduisant la parité sur les femmes et les hommes, pour ne citer que ceux-là
S'appuyant sur les 154 conclusions de la Commission sur l'avenir d'une décentralisation plus légitime, plus efficace et plus solidaire, le Premier ministre a, en outre, dégagé les priorités de son action décentralisatrice le 17 janvier dernier à l'Assemblée Nationale. Le projet de loi sur la démocratie de proximité en est la première traduction législative, le rapport sur les finances locales permettra, enfin, de répondre aux enjeux formidables en faveur des populations les plus fragiles que recèle cette réforme indispensable. Comme je vous l'ai dit, Monsieur le Président, je suis, en outre, favorable à l'étude de transferts de compétences à destination d'autres niveaux de collectivités territoriales que les Régions, si ceux-ci peuvent être menés à leur terme dans le cadre du projet de loi sur la démocratie de proximité. Le droit à l'expérimentation déjà largement mis en uvre a, par ailleurs, fait l'objet d'une proposition de loi qui a obtenu l'accord du Gouvernement.
La démarche est tracée et de nombreux éléments sont en cours d'adoption ou de mise en uvre. A l'issue de cette législature, comme je vous en ai donné quelques exemples, plusieurs réformes joindront leurs effets au bénéfice premier du citoyen qui doit être au centre de l'action publique.
Pas de mécano, pas de réformes à l'emporte-pièce, pas d'effets d'annonces aussi brillantes que trompeuses, mais une action volontaire, concrète et bien pesée, voilà ce que le Gouvernement fait.
Le Gouvernement compte sur les assemblées départementales pour soutenir les politiques d'intérêt national.
Je pense en particulier aux politiques de sécurité. Les départements peuvent apporter une contribution importante, comme le font déjà certains d'entre eux, en particulier en participant aux contrats locaux de sécurité. Qu'il s'agisse de l'action sociale, de la prévention spécialisée ou de la sécurité dans les établissements scolaires, les départements, dans leurs domaines de compétences, ont un rôle déterminant à jouer. La sécurité, en effet, n'est pas uniquement une question incombant à la police et à la justice ; tous ceux qui peuvent y contribuer ont le devoir d'y concourir, tout spécialement pour faire reculer les formes nouvelles de violence, notamment au détriment des populations les plus fragiles, en zone urbaine comme en zone rurale.
Loin d'être une collectivité du passé, le Département est à tous les rendez-vous du présent. Je ne doute pas qu'il soit aussi à ceux de l'avenir.
Je vous souhaite plein succès pour l'ensemble de vos travaux.
(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 19 octobre 2001)