Texte intégral
Madame la présidente,
Mesdames et Messieurs les députés,
Dans ce débat difficile et nécessaire, je voudrais d'abord exprimer les principes qui guident notre action.
Le premier de ces principes, c'est le respect de la vie : il est inscrit dans nos lois et nos lois y veillent . Nous y veillons par le choix de nos politiques, notamment quand il s'agit d 'aider les personnes ou de contribuer à ce qu'elles vivent mieux. Nous y contribuons par notre politique de santé, notre politique sociale, en direction des personnes handicapées, des personnes âgées, des personnes en difficultés
Tous les professionnels de santé y veillent à ce respect de la vie : tous les jours, pour chaque acte qu'ils accomplissent c'est le choix de la vie qui les guident et les progrès de la médecine heureusement permettent de plus en plus de choisir la vie.
Deuxième principe : la dignité de la personne humaine doit être respectée qu'elle soit handicapée ou non, malade ou non et qu'elle que soit ce qui fait la personne : son être, son intégrité, son image, son intimité, ses croyances, ses origines
C'est ce qui nous a guidé également dans la politique en direction des personnes handicapées, des personnes âgées, mais aussi quand il s'agit de permettre à tous d'accéder à des soins, par la création de la CMU, ou encore quand il s'agit de lutter contre les discriminations, ou contre toutes les atteintes au droit des personnes.
Le troisième principe est le respect de la liberté et notamment celle de la femme par rapport à sa grossesse. La liberté de la femme est celle qui lui est donnée par la loi de 1975 d'interrompre sa grossesse. Dans les conditions qui sont celles de l'interruption volontaire dans le délai de 12 semaines et celles de l'interruption médicale, la femme a la liberté de choisir de poursuivre ou de ne pas poursuivre sa grossesse .Nul ne peut se substituer à elle, ni lui imposer un choix, c'est elle seule qui décide.
Il ne peut pas être question de remettre en cause ce qui a été décidé en 1975. La révision intervenue le 4 juillet 2001, que nous avons souhaitée, n'a comme objectif unique que d améliorer les conditions d'exercice de cette liberté.
La liberté de la femme est également rendue possible grâce à la contraception. Je vous rappelle les mesures que le gouvernement a prises :
d'abord pour une meilleure information : des campagnes pour la contraception ( j'ai présenté hier avec Nicole Péry celle qui débutera début janvier)
pour une meilleure accessibilité à la contraception : réduction du prix des stérilets, la contraception d'urgence pour les mineures gratuites
1. La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui poursuit un débat commence depuis plusieurs années
Cette proposition porte sur une question qui a déjà été abordée plusieurs reprises au travers d'amendements dans plusieurs projets de loi ( un amendement de J.F MATTEI dans le projet de modernisation sociale le 10 janvier 2001- un amendement du sénateur C. HURIET dans le projet de loi sur l'IVG le 28 mars 2001 -un amendement de J.F MATTEI et de Mr LAFFINEUR dans le projet de loi sur les droits des malades le 2 octobre 2001- un amendement de J.F MATTEI dans le projet de modernisation sociale, la semaine dernière °)
Elle s'inscrit dans un débat qui a mêlé plusieurs initiatives : celles des parlementaires, je pense en particulier à Jean le GAREC et à C. EVIN. Je pense également aux initiatives du gouvernement. J'ai saisi le Comité national consultatif d'éthique qui a rendu son avis le 15 juin 2000, Ségolène Royal a réuni autour d'une table ronde les associations, les juristes, des personnalités et encore la semaine dernière a rencontré les associations représentants les personnes handicapés et leur famille.
Bernard Kouchner et moi, avons reçu les professionnels de Santé ( les gynécologues obstétriciens, les radiologues, les echographistes )
2. Quelles sont les questions posées dans le débat ?
Ces questions se dégagent des inquiétudes et des craintes des familles et des personnes handicapées, et des professionnels de santé.
a) la première question concerne le regard que nous portons sur le handicap :
Le handicap est avant tout vécu par la personne handicapée, par sa famille et par ses proches. Ce sont ces personnes qui le vivent, avec tout ce que cela comporte de chagrins, de souffrances, mais aussi de joies et de don de soi .Tout ceci est profondément intime et mérite le respect.
Mais la société porte sur le handicap un regard tantôt compatissant , tantôt indifférent. Elle peine à faire toute leur place aux personnes handicapées. Il s'en dégage un sentiment de culpabilité collective, qui conduit à poser une autre question : Réparer le préjudice d'une naissance handicapée sur la base d'une faute qui n'a pas permis à la mère d'interrompre sa grossesse repose-t-il sur l'idée que le préjudice de l'enfant consiste dans sa vie même ?
A la lettre, les arrêts de la cour de cassation indemnisent non le handicap, mais le préjudice lié au handicap. Il n'indemnise pas la naissance. Que ce soit la décision du 17 novembre, celles du 13 juillet ou encore celle du 28 novembre dernier, la Cour de cassation ne retient que l'indemnisation de ce handicap.
Pour autant toutes les questions qui tournent autour " d'un droit à ne pas naître " reposent sur l'idée que le préjudice de l'enfant consiste dans la vie même de l'enfant. Il est difficile de contester que la naissance est en effet ce qui a permis le handicap mais doit-on en déduire qu'elle constitue, cette naissance, en elle-même le préjudice ? C'est parce que l'enfant vit qu'il souffre, mais il ne souffre pas de vivre, il souffre de son handicap. L'être que l'on a laissé venir au monde a gagné avec lui quelque chose qui excède son handicap : il a gagné sa dignité humaine et il serait effectivement contraire aux droits les plus fondamentaux de considérer que la vie elle-même puisse constituer un préjudice.
b) la deuxième question est celle de la responsabilité médicale :
è Les professionnels de santé que nous avons reçus ne remettent pas en cause la responsabilité médicale pour faute. Les fautes médicales doivent être sanctionnées. Les arrêts de la Cour sont d'ailleurs fondés sur l'existence d'une faute., il s'agit de fautes avérées.
pour Nicolas Perruche , il s'agit de la communication de résultats d'examen biologique erronés qui ont fait croire que Madame Perruche n'avait pas la rubéole alors qu'elle l'avait.
- Dans les trois arrêts du 13 juillet 2001, il s'agissait de négligences dans l'examen du ftus à l'échographie ( et non pas pour les échographistes le fait de ne pas avoir vu ce qui ne pouvait pas être vu)
- Dans un des arrêts du 28 novembre dernier (Yvan) le médecin a refusé de prescrire des examens de dépistage qui auraient permis de mesurer le risque d'anomalie. A l'occasion d'une deuxième grossesse ,les parents avaient signalé avoir une belle sur trisomique, le médecin, sur ces indications a prescrit les tests de dépistage, mais ils n'ont pu être pratiqués en raison d'une fausse couche. Il a refusé de prescrire à nouveau ce dépistage à l'occasion d'une troisième grossesse .
Dans l'autre décision du même jour (l'enfant Lionel) : il s'agit de l' absence de réaction du praticien auquel ont été communiqués les résultats alarmants d'un dépistage de la trisomie qu'il avait pourtant lui-même demandé
- Dans tous les cas, l'existence de la faute d'un professionnel de santé a été considérée comme avérée par les juges au regard des pratiques médicales considérées comme normales dans la situation en cause.
è les professionnels de santé ne veulent pas non plus une remise en cause de la loi sur l'interruption volontaire de grossesse
è en revanche , tout en admettant leur responsabilité pour les fautes qui leur sont directement imputables ils estiment être poursuivis ou de risquer de l'être, pour un dommage dont ils ne sont pas directement responsables Ce malaise repose sur l'interprétation qu'ils font des décisions de la Cour : pour eux avoir à indemniser le préjudice intégral lié au handicap revient à dire qu'ils sont à l'origine de ce handicap ; c'est toute la question de la causalité du préjudice.
Ils soulèvent, ces médecins, un risque éthique : celui qui découlerait des pressions que pourraient exercer les parents pour une interruption de grossesse fondée sur l'existence d'un handicap mineur ou dès lors que le moindre doute serait exprimé par le médecin, alors que pourtant c'est le devoir du médecin d'informer.
Le risque professionnel pour ces médecins est lié à la judiciarisation croissante des rapports entre les médecins et leurs patients qui pourrait les conduire à se protéger en modifiant leur attitude professionnelle face au diagnostic et à l'interruption de grossesse, en adoptant des comportements de précaution et de protection, comme par exemple conseiller une interruption de grossesse au moindre doute.
Si ces comportements venaient à se produire , ce sont par contre coup tous les mécanismes du diagnostic prénatal et ses conséquences incluant l'interruption de grossesse qui en serait menacé.
Le risque économique est bien évidemment lié aux précédents, il s'agit de l'augmentation des primes d' assurances.
A ces craintes qui posent des questions légitimes, nous apportons déjà des réponses en légiférant. Le projet de loi sur les droits des malades et la qualité du système de santé, que Bernard Kouchner défend devant le parlement, et qui a été voté en première lecture par votre assemblée au mois d'octobre dernier contient des dispositions sur la responsabilité médicale .
Ces dispositions réaffirment l'exigence de la faute.
Le projet prévoit par ailleurs une obligation d'assurance pour les professionnels et les conditions de cette obligation qui devraient nous permettre d'engager des discussions avec les assureurs pour limiter le coût des primes d'assurance.
Le projet crée ensuite un dispositif d'indemnisation de l'alea thérapeutique, avec la création d'un fonds d'indemnisation.
Enfin et ce n'est pas négligeable non plus, le projet renforce les dispositions relatives à la formation médicale continue, qui doit garantir l'obligation de moyens ,et non de résultat qui s'imposent aux professionnels de santé .
J'ajoute que sur la question spécifique du diagnostic prénatal et l'information aux parents, Bernard Kouchner et moi avons demandé à l'ANAES , en relation avec les professionnels d'élaborer un guide des bonnes pratiques.
Bernard Kouchner, je pense, reviendra sur ces questions.
c) La troisième question est celle des inégalités que soulèvent les décisions, inégalités d'abord entre l'enfant handicapé dont les parents auront demandé un diagnostic prénatal (qui aura été erroné de manière fautive) et celui dont les parents n'auront rien demandé ;seul le premier aura droit à indemnisation. Il y a une autre inégalité celle qui résulte du fait que dans certains cas des parents agissent au nom de leur enfants , et dans d'autres en leur seul nom.
La réponse à ces inégalités se trouve dans la solidarité nationale et en particulier dans la politique sociale en direction des personnes handicapées.
Depuis 1997, le gouvernement mène une politique volontaire avec trois objectifs prioritaires - Ségolène Royal y reviendra peut-être :
la socialisation et l'intégration des jeunes handicapés ( par le renforcement de la formation générale des jeunes handicapés, la préparation à la vie professionnelle, l'intégration scolaire) le gouvernement a décidé de mettre en place la réforme de l'allocation d'éducation spéciale,
la formation et l'accompagnement des travailleurs handicapés (et notamment le renforcement des COTOREP),
l'accompagnement des personnes handicapées dans leur vie quotidienne, en milieu ordinaire et dans les instituions médico-sociales, (un programme par exemple de recrutement de 3000 auxiliaires de vie sur 2001-2003)
Cette politique vise à permettre aux personnes handicapées de vivre aussi bien que possible dans toutes les étapes de la vie, sans rupture de leur prise en charge, de l'école à l'emploi, et à tous les moments de la vie quotidienne: le transport , le logemment et les loisirs
Ayant dit cela j'ai bien conscience qu'il reste beaucoup à faire, mais en tous cas c'est une de nos priorités.
d) La quatrième question est celle de la crainte de voir un jour un enfant se retourner contre ses parents du seul fait de sa naissance.
On peut effectivement imaginer qu'un enfant puisse un jour reprocher à ses parents et non pas aux médecins d'avoir choisi la vie. Mais j'entends rappeler ce que j'ai dit sur la liberté de la mère . Il ne peut y avoir de faute pour la mère de faire un choix plutôt qu'un autre. Sa liberté d'avorter ou de ne pas avorter ne peut être une faute.
Certes ce risque ne s'est pas encore produit. Mais il est craint par certains qui voudraient l'empêcher par la loi ; faut-il le faire alors que notre droit ne permet pas qu'une telle action aboutisse ?
Voilà je crois toutes les questions et les inquiétudes posées. On ne peut pas nier que la jurisprudence crée une certaine zone d'instabilité, qui oblige à faire progresser la réflexion , et le cas échéant aussi la législation , notamment sur la question de la responsabilité médicale face aux handicaps graves incurables et à l'origine desquels aucune faute médicale n'a concouru .
Mais attention des propositions hâtives ne contribuent pas à la qualité du travail de réflexion et du travail législatif, encore moins si les propositions de légiférer n'apportent pas de solution efficace.
3. Or la proposition de loi dont nous discutons ce matin, soulève à mes yeux plus de questions qu'elle n'en résout
a) En premier lieu , elle prétend résoudre les problèmes ( réels) soulevés par les arrêts Perruche en mettant fin à ces arrêts. Mais en interdisant une action en responsabilité du fait de la naissance, la proposition de loi n'interdit pas une indemnisation telle que l'a décidée la Cour de cassation qui est l'indemnisation du préjudice lié au handicap. Malgré cette proposition de loi , la Cour pourra continuer à statuer dans le même sens
b) en deuxième lieu, je pense que cette proposition de loi ne va pas assez loin. Car elle ne répond qu'imparfaitement aux problèmes soulevés.
è Si l'on explore cette voie qui consiste, comme vous le proposez, Monsieur le rapporteur, à interdire à l'enfant tout recours, on crée de nouveaux problèmes éthiques là où on tentait d'en supprimer.
En laissant subsister l'action des parents, des proches ( frères et surs ) , votre proposition n'accepte-t-elle pas l'idée que la vie handicapée cause un préjudice à autrui alors que l'on ne reconnaît pas ce même préjudice à la personne handicapée elle-même ?
Ce n'est pas aller au bout de la réflexion éthique qui me semble-t-il mérite bien des approfondissements .
è surtout, elle ne résout strictement rien quant à l'inquiétude du monde médical et aux risques induits de comportements de précaution ;
elle laisse intact l'engagement de la responsabilité médicale par les autres personnes que l'enfant handicapé lui-même et ne répond pas aux craintes de dérives qui se manifestent ici et là et qui peuvent faire redouter une remise en cause du principe même du diagnostic prénatal et de l'interruption de grossesse. Ce que personne, je pense, ne souhaite.
c) en troisième lieu, la proposition présente le risque d'aller trop loin, car elle pourrait empêcher des actions " légitimes " celle de l'enfant né d'un viol, celle encore de l'enfant handicapé qu'une faute médicale n'aurait pas permis de soigner avant sa naissance
En conséquence, la proposition ne répond pas aux inquiétudes soulevées par les arrêts de la Cour de Cassation, soit qu'elle n'atteint pas son objectif : elle n'empêche pas d'autres arrêts Perruche ; soit parce qu'elle va trop loin : en fermant trop absolument l'accès à l'indemnisation des handicapés, soit parce qu'elle ne résout pas les problèmes liés à la responsabilité médicale.
Voilà, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, ce que je souhaitais dire ce matin sur le fond de notre débat.
Quant à la procédure, j'ai eu l'occasion à maintes reprises de m'exprimer sur la méthode qui consiste à présenter, dans l'urgence et l'improvisation, des amendements successifs à des textes de lois qui ne traitent qu'indirectement du sujet que vous évoquez.
Les arrêts de la Cour de cassation obligent à faire progresser la réflexion et sans doute à légiférer, car le législateur doit en effet dire le droit. Mais il faut qu'il dise bien le droit. La vraie question est comment bien légiférer ?
Par son projet de loi relatif aux " droits des malades ", que votre assemblée a déjà débattu en première lecture, le Gouvernement a proposé de préciser les conditions de la mise en uvre de la responsabilité médicale, des règles relatives à l'assurance des professionnels et un dispositif d'indemnisation de l'aléa thérapeutique ; c'est déjà en soi une très grande avancée, qui a nécessité un long travail de préparation et de concertation avec les professionnels concernés. Si nous devions être amenés à constater ensemble que la question de la mise en uvre de la responsabilité des médecins devait être approfondie, le Gouvernement est ouvert à des modifications dans le cadre de ce projet de loi, et ce dès la prochaine lecture au Sénat, dans le courant du mois de janvier.
En revanche, s'il s'agit de traiter du droit à réparation, notamment pour les enfants ayant subi un handicap à la naissance, je pense que nous devons approfondir notre réflexion. D'ailleurs, de nombreux amendements, y compris de M. Mattei lui-même, ont été déposés sur cette proposition de loi. Cela montre bien que le débat n'est pas abouti. Donnons nous le temps et trouvons une proposition qui ne soit pas un leurre, nous pourrons dans quelques semaines l'introduire dans le projet droit des malades, dont nous savons qu'il sera voté avant la fin de la législature.
Au terme de ce débat général je constate :
qu'il n'y a pas d'accord évident sur la question grave du droit à réparation ouvert aux enfants ayant subi un handicap à la naissance : certains veulent le supprimer, d'autre l'encadrer, d'autres enfin le limiter aux seuls accidents liés à des gestes médicaux.
Que les rédactions proposées sont encore changeantes sur tous les bancs de cette assemblée ; il y a plus de 10 ans, que les plus hautes juridictions du pays s'efforcent d'apporter des solutions sur le lien de causalité entre le diagnostic erroné, l'examen prénatal et le handicap.
Que dans quelques semaines, le débat prévu sur la loi portant sur le droit des malades et la responsabilité médicale, ainsi que la loi bioéthique, nous donnent l'occasion de légiférer de manière utile avant la fin de la législature et organisée en intégrant la question d'aujourd'hui dans le cadre général de la responsabilité médicale.
Depuis 4 ans le gouvernement a approfondi les réflexions sur la bioéthique. Nous sommes sur un sujet grave et le débat de ce matin nous a fait progresser dans une réflexion qui doit être fondée sur l'écoute et sur l'humilité. Dans un tel domaine il me paraît préférable de ne pas légiférer séparément sur chacun des sujets soulevés par la jurisprudence. Nous avons besoin de la législation, mais ne découpons pas les solutions. Disons le droit car c'est le rôle du législateur, mais légiférons bien.
(Source http://www.social.gouv.fr, le 27 décembre 2001)
Mesdames et Messieurs les députés,
Dans ce débat difficile et nécessaire, je voudrais d'abord exprimer les principes qui guident notre action.
Le premier de ces principes, c'est le respect de la vie : il est inscrit dans nos lois et nos lois y veillent . Nous y veillons par le choix de nos politiques, notamment quand il s'agit d 'aider les personnes ou de contribuer à ce qu'elles vivent mieux. Nous y contribuons par notre politique de santé, notre politique sociale, en direction des personnes handicapées, des personnes âgées, des personnes en difficultés
Tous les professionnels de santé y veillent à ce respect de la vie : tous les jours, pour chaque acte qu'ils accomplissent c'est le choix de la vie qui les guident et les progrès de la médecine heureusement permettent de plus en plus de choisir la vie.
Deuxième principe : la dignité de la personne humaine doit être respectée qu'elle soit handicapée ou non, malade ou non et qu'elle que soit ce qui fait la personne : son être, son intégrité, son image, son intimité, ses croyances, ses origines
C'est ce qui nous a guidé également dans la politique en direction des personnes handicapées, des personnes âgées, mais aussi quand il s'agit de permettre à tous d'accéder à des soins, par la création de la CMU, ou encore quand il s'agit de lutter contre les discriminations, ou contre toutes les atteintes au droit des personnes.
Le troisième principe est le respect de la liberté et notamment celle de la femme par rapport à sa grossesse. La liberté de la femme est celle qui lui est donnée par la loi de 1975 d'interrompre sa grossesse. Dans les conditions qui sont celles de l'interruption volontaire dans le délai de 12 semaines et celles de l'interruption médicale, la femme a la liberté de choisir de poursuivre ou de ne pas poursuivre sa grossesse .Nul ne peut se substituer à elle, ni lui imposer un choix, c'est elle seule qui décide.
Il ne peut pas être question de remettre en cause ce qui a été décidé en 1975. La révision intervenue le 4 juillet 2001, que nous avons souhaitée, n'a comme objectif unique que d améliorer les conditions d'exercice de cette liberté.
La liberté de la femme est également rendue possible grâce à la contraception. Je vous rappelle les mesures que le gouvernement a prises :
d'abord pour une meilleure information : des campagnes pour la contraception ( j'ai présenté hier avec Nicole Péry celle qui débutera début janvier)
pour une meilleure accessibilité à la contraception : réduction du prix des stérilets, la contraception d'urgence pour les mineures gratuites
1. La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui poursuit un débat commence depuis plusieurs années
Cette proposition porte sur une question qui a déjà été abordée plusieurs reprises au travers d'amendements dans plusieurs projets de loi ( un amendement de J.F MATTEI dans le projet de modernisation sociale le 10 janvier 2001- un amendement du sénateur C. HURIET dans le projet de loi sur l'IVG le 28 mars 2001 -un amendement de J.F MATTEI et de Mr LAFFINEUR dans le projet de loi sur les droits des malades le 2 octobre 2001- un amendement de J.F MATTEI dans le projet de modernisation sociale, la semaine dernière °)
Elle s'inscrit dans un débat qui a mêlé plusieurs initiatives : celles des parlementaires, je pense en particulier à Jean le GAREC et à C. EVIN. Je pense également aux initiatives du gouvernement. J'ai saisi le Comité national consultatif d'éthique qui a rendu son avis le 15 juin 2000, Ségolène Royal a réuni autour d'une table ronde les associations, les juristes, des personnalités et encore la semaine dernière a rencontré les associations représentants les personnes handicapés et leur famille.
Bernard Kouchner et moi, avons reçu les professionnels de Santé ( les gynécologues obstétriciens, les radiologues, les echographistes )
2. Quelles sont les questions posées dans le débat ?
Ces questions se dégagent des inquiétudes et des craintes des familles et des personnes handicapées, et des professionnels de santé.
a) la première question concerne le regard que nous portons sur le handicap :
Le handicap est avant tout vécu par la personne handicapée, par sa famille et par ses proches. Ce sont ces personnes qui le vivent, avec tout ce que cela comporte de chagrins, de souffrances, mais aussi de joies et de don de soi .Tout ceci est profondément intime et mérite le respect.
Mais la société porte sur le handicap un regard tantôt compatissant , tantôt indifférent. Elle peine à faire toute leur place aux personnes handicapées. Il s'en dégage un sentiment de culpabilité collective, qui conduit à poser une autre question : Réparer le préjudice d'une naissance handicapée sur la base d'une faute qui n'a pas permis à la mère d'interrompre sa grossesse repose-t-il sur l'idée que le préjudice de l'enfant consiste dans sa vie même ?
A la lettre, les arrêts de la cour de cassation indemnisent non le handicap, mais le préjudice lié au handicap. Il n'indemnise pas la naissance. Que ce soit la décision du 17 novembre, celles du 13 juillet ou encore celle du 28 novembre dernier, la Cour de cassation ne retient que l'indemnisation de ce handicap.
Pour autant toutes les questions qui tournent autour " d'un droit à ne pas naître " reposent sur l'idée que le préjudice de l'enfant consiste dans la vie même de l'enfant. Il est difficile de contester que la naissance est en effet ce qui a permis le handicap mais doit-on en déduire qu'elle constitue, cette naissance, en elle-même le préjudice ? C'est parce que l'enfant vit qu'il souffre, mais il ne souffre pas de vivre, il souffre de son handicap. L'être que l'on a laissé venir au monde a gagné avec lui quelque chose qui excède son handicap : il a gagné sa dignité humaine et il serait effectivement contraire aux droits les plus fondamentaux de considérer que la vie elle-même puisse constituer un préjudice.
b) la deuxième question est celle de la responsabilité médicale :
è Les professionnels de santé que nous avons reçus ne remettent pas en cause la responsabilité médicale pour faute. Les fautes médicales doivent être sanctionnées. Les arrêts de la Cour sont d'ailleurs fondés sur l'existence d'une faute., il s'agit de fautes avérées.
pour Nicolas Perruche , il s'agit de la communication de résultats d'examen biologique erronés qui ont fait croire que Madame Perruche n'avait pas la rubéole alors qu'elle l'avait.
- Dans les trois arrêts du 13 juillet 2001, il s'agissait de négligences dans l'examen du ftus à l'échographie ( et non pas pour les échographistes le fait de ne pas avoir vu ce qui ne pouvait pas être vu)
- Dans un des arrêts du 28 novembre dernier (Yvan) le médecin a refusé de prescrire des examens de dépistage qui auraient permis de mesurer le risque d'anomalie. A l'occasion d'une deuxième grossesse ,les parents avaient signalé avoir une belle sur trisomique, le médecin, sur ces indications a prescrit les tests de dépistage, mais ils n'ont pu être pratiqués en raison d'une fausse couche. Il a refusé de prescrire à nouveau ce dépistage à l'occasion d'une troisième grossesse .
Dans l'autre décision du même jour (l'enfant Lionel) : il s'agit de l' absence de réaction du praticien auquel ont été communiqués les résultats alarmants d'un dépistage de la trisomie qu'il avait pourtant lui-même demandé
- Dans tous les cas, l'existence de la faute d'un professionnel de santé a été considérée comme avérée par les juges au regard des pratiques médicales considérées comme normales dans la situation en cause.
è les professionnels de santé ne veulent pas non plus une remise en cause de la loi sur l'interruption volontaire de grossesse
è en revanche , tout en admettant leur responsabilité pour les fautes qui leur sont directement imputables ils estiment être poursuivis ou de risquer de l'être, pour un dommage dont ils ne sont pas directement responsables Ce malaise repose sur l'interprétation qu'ils font des décisions de la Cour : pour eux avoir à indemniser le préjudice intégral lié au handicap revient à dire qu'ils sont à l'origine de ce handicap ; c'est toute la question de la causalité du préjudice.
Ils soulèvent, ces médecins, un risque éthique : celui qui découlerait des pressions que pourraient exercer les parents pour une interruption de grossesse fondée sur l'existence d'un handicap mineur ou dès lors que le moindre doute serait exprimé par le médecin, alors que pourtant c'est le devoir du médecin d'informer.
Le risque professionnel pour ces médecins est lié à la judiciarisation croissante des rapports entre les médecins et leurs patients qui pourrait les conduire à se protéger en modifiant leur attitude professionnelle face au diagnostic et à l'interruption de grossesse, en adoptant des comportements de précaution et de protection, comme par exemple conseiller une interruption de grossesse au moindre doute.
Si ces comportements venaient à se produire , ce sont par contre coup tous les mécanismes du diagnostic prénatal et ses conséquences incluant l'interruption de grossesse qui en serait menacé.
Le risque économique est bien évidemment lié aux précédents, il s'agit de l'augmentation des primes d' assurances.
A ces craintes qui posent des questions légitimes, nous apportons déjà des réponses en légiférant. Le projet de loi sur les droits des malades et la qualité du système de santé, que Bernard Kouchner défend devant le parlement, et qui a été voté en première lecture par votre assemblée au mois d'octobre dernier contient des dispositions sur la responsabilité médicale .
Ces dispositions réaffirment l'exigence de la faute.
Le projet prévoit par ailleurs une obligation d'assurance pour les professionnels et les conditions de cette obligation qui devraient nous permettre d'engager des discussions avec les assureurs pour limiter le coût des primes d'assurance.
Le projet crée ensuite un dispositif d'indemnisation de l'alea thérapeutique, avec la création d'un fonds d'indemnisation.
Enfin et ce n'est pas négligeable non plus, le projet renforce les dispositions relatives à la formation médicale continue, qui doit garantir l'obligation de moyens ,et non de résultat qui s'imposent aux professionnels de santé .
J'ajoute que sur la question spécifique du diagnostic prénatal et l'information aux parents, Bernard Kouchner et moi avons demandé à l'ANAES , en relation avec les professionnels d'élaborer un guide des bonnes pratiques.
Bernard Kouchner, je pense, reviendra sur ces questions.
c) La troisième question est celle des inégalités que soulèvent les décisions, inégalités d'abord entre l'enfant handicapé dont les parents auront demandé un diagnostic prénatal (qui aura été erroné de manière fautive) et celui dont les parents n'auront rien demandé ;seul le premier aura droit à indemnisation. Il y a une autre inégalité celle qui résulte du fait que dans certains cas des parents agissent au nom de leur enfants , et dans d'autres en leur seul nom.
La réponse à ces inégalités se trouve dans la solidarité nationale et en particulier dans la politique sociale en direction des personnes handicapées.
Depuis 1997, le gouvernement mène une politique volontaire avec trois objectifs prioritaires - Ségolène Royal y reviendra peut-être :
la socialisation et l'intégration des jeunes handicapés ( par le renforcement de la formation générale des jeunes handicapés, la préparation à la vie professionnelle, l'intégration scolaire) le gouvernement a décidé de mettre en place la réforme de l'allocation d'éducation spéciale,
la formation et l'accompagnement des travailleurs handicapés (et notamment le renforcement des COTOREP),
l'accompagnement des personnes handicapées dans leur vie quotidienne, en milieu ordinaire et dans les instituions médico-sociales, (un programme par exemple de recrutement de 3000 auxiliaires de vie sur 2001-2003)
Cette politique vise à permettre aux personnes handicapées de vivre aussi bien que possible dans toutes les étapes de la vie, sans rupture de leur prise en charge, de l'école à l'emploi, et à tous les moments de la vie quotidienne: le transport , le logemment et les loisirs
Ayant dit cela j'ai bien conscience qu'il reste beaucoup à faire, mais en tous cas c'est une de nos priorités.
d) La quatrième question est celle de la crainte de voir un jour un enfant se retourner contre ses parents du seul fait de sa naissance.
On peut effectivement imaginer qu'un enfant puisse un jour reprocher à ses parents et non pas aux médecins d'avoir choisi la vie. Mais j'entends rappeler ce que j'ai dit sur la liberté de la mère . Il ne peut y avoir de faute pour la mère de faire un choix plutôt qu'un autre. Sa liberté d'avorter ou de ne pas avorter ne peut être une faute.
Certes ce risque ne s'est pas encore produit. Mais il est craint par certains qui voudraient l'empêcher par la loi ; faut-il le faire alors que notre droit ne permet pas qu'une telle action aboutisse ?
Voilà je crois toutes les questions et les inquiétudes posées. On ne peut pas nier que la jurisprudence crée une certaine zone d'instabilité, qui oblige à faire progresser la réflexion , et le cas échéant aussi la législation , notamment sur la question de la responsabilité médicale face aux handicaps graves incurables et à l'origine desquels aucune faute médicale n'a concouru .
Mais attention des propositions hâtives ne contribuent pas à la qualité du travail de réflexion et du travail législatif, encore moins si les propositions de légiférer n'apportent pas de solution efficace.
3. Or la proposition de loi dont nous discutons ce matin, soulève à mes yeux plus de questions qu'elle n'en résout
a) En premier lieu , elle prétend résoudre les problèmes ( réels) soulevés par les arrêts Perruche en mettant fin à ces arrêts. Mais en interdisant une action en responsabilité du fait de la naissance, la proposition de loi n'interdit pas une indemnisation telle que l'a décidée la Cour de cassation qui est l'indemnisation du préjudice lié au handicap. Malgré cette proposition de loi , la Cour pourra continuer à statuer dans le même sens
b) en deuxième lieu, je pense que cette proposition de loi ne va pas assez loin. Car elle ne répond qu'imparfaitement aux problèmes soulevés.
è Si l'on explore cette voie qui consiste, comme vous le proposez, Monsieur le rapporteur, à interdire à l'enfant tout recours, on crée de nouveaux problèmes éthiques là où on tentait d'en supprimer.
En laissant subsister l'action des parents, des proches ( frères et surs ) , votre proposition n'accepte-t-elle pas l'idée que la vie handicapée cause un préjudice à autrui alors que l'on ne reconnaît pas ce même préjudice à la personne handicapée elle-même ?
Ce n'est pas aller au bout de la réflexion éthique qui me semble-t-il mérite bien des approfondissements .
è surtout, elle ne résout strictement rien quant à l'inquiétude du monde médical et aux risques induits de comportements de précaution ;
elle laisse intact l'engagement de la responsabilité médicale par les autres personnes que l'enfant handicapé lui-même et ne répond pas aux craintes de dérives qui se manifestent ici et là et qui peuvent faire redouter une remise en cause du principe même du diagnostic prénatal et de l'interruption de grossesse. Ce que personne, je pense, ne souhaite.
c) en troisième lieu, la proposition présente le risque d'aller trop loin, car elle pourrait empêcher des actions " légitimes " celle de l'enfant né d'un viol, celle encore de l'enfant handicapé qu'une faute médicale n'aurait pas permis de soigner avant sa naissance
En conséquence, la proposition ne répond pas aux inquiétudes soulevées par les arrêts de la Cour de Cassation, soit qu'elle n'atteint pas son objectif : elle n'empêche pas d'autres arrêts Perruche ; soit parce qu'elle va trop loin : en fermant trop absolument l'accès à l'indemnisation des handicapés, soit parce qu'elle ne résout pas les problèmes liés à la responsabilité médicale.
Voilà, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, ce que je souhaitais dire ce matin sur le fond de notre débat.
Quant à la procédure, j'ai eu l'occasion à maintes reprises de m'exprimer sur la méthode qui consiste à présenter, dans l'urgence et l'improvisation, des amendements successifs à des textes de lois qui ne traitent qu'indirectement du sujet que vous évoquez.
Les arrêts de la Cour de cassation obligent à faire progresser la réflexion et sans doute à légiférer, car le législateur doit en effet dire le droit. Mais il faut qu'il dise bien le droit. La vraie question est comment bien légiférer ?
Par son projet de loi relatif aux " droits des malades ", que votre assemblée a déjà débattu en première lecture, le Gouvernement a proposé de préciser les conditions de la mise en uvre de la responsabilité médicale, des règles relatives à l'assurance des professionnels et un dispositif d'indemnisation de l'aléa thérapeutique ; c'est déjà en soi une très grande avancée, qui a nécessité un long travail de préparation et de concertation avec les professionnels concernés. Si nous devions être amenés à constater ensemble que la question de la mise en uvre de la responsabilité des médecins devait être approfondie, le Gouvernement est ouvert à des modifications dans le cadre de ce projet de loi, et ce dès la prochaine lecture au Sénat, dans le courant du mois de janvier.
En revanche, s'il s'agit de traiter du droit à réparation, notamment pour les enfants ayant subi un handicap à la naissance, je pense que nous devons approfondir notre réflexion. D'ailleurs, de nombreux amendements, y compris de M. Mattei lui-même, ont été déposés sur cette proposition de loi. Cela montre bien que le débat n'est pas abouti. Donnons nous le temps et trouvons une proposition qui ne soit pas un leurre, nous pourrons dans quelques semaines l'introduire dans le projet droit des malades, dont nous savons qu'il sera voté avant la fin de la législature.
Au terme de ce débat général je constate :
qu'il n'y a pas d'accord évident sur la question grave du droit à réparation ouvert aux enfants ayant subi un handicap à la naissance : certains veulent le supprimer, d'autre l'encadrer, d'autres enfin le limiter aux seuls accidents liés à des gestes médicaux.
Que les rédactions proposées sont encore changeantes sur tous les bancs de cette assemblée ; il y a plus de 10 ans, que les plus hautes juridictions du pays s'efforcent d'apporter des solutions sur le lien de causalité entre le diagnostic erroné, l'examen prénatal et le handicap.
Que dans quelques semaines, le débat prévu sur la loi portant sur le droit des malades et la responsabilité médicale, ainsi que la loi bioéthique, nous donnent l'occasion de légiférer de manière utile avant la fin de la législature et organisée en intégrant la question d'aujourd'hui dans le cadre général de la responsabilité médicale.
Depuis 4 ans le gouvernement a approfondi les réflexions sur la bioéthique. Nous sommes sur un sujet grave et le débat de ce matin nous a fait progresser dans une réflexion qui doit être fondée sur l'écoute et sur l'humilité. Dans un tel domaine il me paraît préférable de ne pas légiférer séparément sur chacun des sujets soulevés par la jurisprudence. Nous avons besoin de la législation, mais ne découpons pas les solutions. Disons le droit car c'est le rôle du législateur, mais légiférons bien.
(Source http://www.social.gouv.fr, le 27 décembre 2001)