Interview de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, dans " Revue politique et parlementaire" de mai 1998, sur l'adaptation du droit à l'évolution des nouvelles technologies et sur les différents aspects du projet de loi sur l'audiovisuel.

Prononcé le 1er mai 1998

Intervenant(s) : 

Média : Revue politique et parlementaire

Texte intégral

R.P.P. : Pouvez-vous nous définir les grandes lignes de votre politique en matière de communication ?

Catherine Trautmann : L'ensemble du monde des médias est aujourd'hui soumis au double défi de la mondialisation du marché de la communication et des nouvelles potentialités que porte la généralisation des technologies numériques. La convergence tendancielle des supports - le téléphone, l'ordinateur et la télévision mais aussi l'écrit, le sonore et le visuel - conduit à un bouleversement des usages qui se manifeste déjà dans l'essor de la diffusion télévisuelle payante et des produits multimédias ou la segmentation des offres thématiques. Une politique moderne de la communication, loin de nier la force de tels développements, doit se soucier de permettre aux principaux acteurs, privés comme publics, d'être à l'initiative dans ces domaines de haute concurrence. Dans le même temps, ni la technique, ni le marché ne suffisent à garantir que ces développements s'opèrent au bénéfice d'un renouvellement de l'offre des programmes et sans menace pour la pluralité de l'information ou de la création. C'est pourquoi, comme la France l'a souvent défendu en rangs unis au plan international, il est essentiel que nos modes de régulation économique ou de contrôle du pluralisme sachent prendre en compte les bouleversements en cours.

Face aux tendances à la dispersion des programmes et des audiences, les pôles de référence que constituent la presse écrite, les chaînes généralistes et, parmi elles, le secteur audiovisuel public constituent des enjeux décisifs. Ils doivent être parties actives des nouveaux développements industriels de la communication tout en consolidant leur rôle classique de rassemblement des publics et de vecteurs principaux du pluralisme. De même, il est indispensable que l'ouverture des nouveaux marchés de la télévision payante contribue effectivement au développement d'une production renforcée dans sa diversité et son indépendance. Une vigilance particulière s'impose également, face à la croissance nécessaire des groupes investis dans la communication, en ce qui concerne l'indépendance de l'information. C'est donc à un équilibre dynamique entre les exigences du développement économique et celles de l'épanouissement démocratique et culturel que je veux aujourd'hui contribuer en tant que ministre chargé de la communication. Et je n'oublie pas à cette égard qu'en dernière analyse, une telle politique n'a qu'un destinataire : le spectateur et l'auditeur, le lecteur, le citoyen.

R.P.P. : Nous vivons une époque de bouleversements technologiques. Selon vos propos, le service public doit accompagner et pourquoi pas, impulser ces bouleversements. Comment traduisez-vous cette volonté politique forte dans les actes et plus précisément encore, dans le budget de votre département ? Pouvez-vous nous parler de votre projet de loi sur l'audiovisuel ? Quelle place occupe le multimédia dans votre réflexion ?

Catherine Trautmann : La réforme de l'audiovisuel que je prépare a quatre objets principaux : la défense du pluralisme et l'indépendance de l'information, le soutien au développement économique du secteur, le souci des intérêts du téléspectateur, la réaffirmation du rôle du secteur public.

Le pluralisme et l'indépendance de l'information : réussir à éloigner les médias des marchés publics est un enjeu essentiel pour la démocratie. L'histoire complexe de la télévision des quinze dernières années nous a conduits, en France, à une situation atypique, puisque nos trois grandes chaînes de télévision privées ainsi que toutes les chaînes en gestation  appartiennent à des entreprises qui tirent l'essentiel de leurs ressources de la commande publique. Ceci a fait naître dans l'opinion l'inquiétude que les entreprises de médias puissent être soumises à des intérêts financiers, voire à une collusion entre le politique et l'économique. Ce soupçon d'influence et dangereux pour notre système démocratique. Nous devons régler cette question au même titre que le cumul des mandats, l'indépendance des parquets et le financement des partis politiques.

Pour assurer cette indépendance, le projet de loi comportera un faisceau de mesures qui, prises isolement, peuvent paraître modestes, mais qui toutes ensemble créent un vrai dispositif de protection de la liberté éditoriale des chaînes de télévision. Ce faisceau de mesures, vous le connaissez : cantonnement des activités de communication au sein d'une holding, organisation en conseil de surveillance et directoire des entreprises audiovisuelles ayant des activités d'information, interdiction du cumul des fonctions, obligations de transparence, information du CSA sur les marchés publics, prise en compte comme critères d'attribution des fréquences par le CSA de l'existence de sociétés de rédacteurs ou de chartes déontologiques, mais aussi du degré d'indépendance des actionnaires vis-à-vis des marchés publics.

Le développement du secteur de la communication est un enjeu économique essentiel. Ce secteur peut être créateur d'emplois et de richesses ; c'est là que se trouve une bonne partie des métiers de demain. À nous de savoir accompagner sa croissance. Cet enjeu de développement, le projet de loi le prend en compte sous plusieurs aspects.

Je commencerai par celui qui peu paraître le plus paradoxal : le cantonnement, c'est-à-dire la séparation des activités audiovisuelles et celles qui relèvent des métiers de base des opérateurs. Je ne perçois pas cette obligation comme un frein pour les entreprises : au contraire, je considère que ce dispositif, d'ailleurs spontanément choisi par certains opérateurs, n'a pas seulement pour avantage de permettre la transparence des activités, mais aussi de favoriser, en conformité avec la notion de convergence, la constitution de grands groupes de communication.

Nous créons également les conditions d'un développement harmonieux du secteur en favorisant le jeu d'une concurrence saine et en permettant l'entrée de nouveaux acteurs. Au fil  des ans, une notion est apparue de plus en plus centrale dans le secteur de l'audiovisuel : celles de concurrence. Les chaînes et le métier se sont multipliés. Il y a aujourd'hui mille façons de « faire de la télévision » : en étant diffuseur, en étant éditeur, en étant détenteur de droits, gestionnaire d'abonnements... Pour permettre au secteur de fonctionner correctement, de se développer et en même temps pour protéger le pluralisme des opérateurs, il m'a semblé nécessaire de mieux faire fonctionner les mécanismes existants en matière de régulation économique.

Les missions du CSA seront étendues à cet égard. Le contrôle des mouvements capitalistiques dans le secteur de l'audiovisuel pourrait donc reposer sur deux autorités, le CSA et le Conseil de la concurrence, chacune étant investie d'une mission différente. Le Conseil de la concurrence, veillera, dans une collaboration avec le CSA que nous voulons renforcer, à ce que sur aucun marché lié à la communication, un acteur ne puisse acquérir une part de marché qui lui permettrait de bloquer le développement du secteur, de former l'accès aux nouveaux entrants ou d'abuser de sa position dominante. C'est là un objectif essentiel, qui ne peut être atteint par une simple mesure de plafonnement des parts du capital. Une entreprise peut parfaitement être en position dominante, alors même que son capital est extrêmement dispersé. Pour sa part, le CSA veillera à ce que les opérations d'acquisition impliquant un opérateur audiovisuel ne nuisent pas au pluralisme de l'information ou de la création. Je souhaite également revenir sur la disposition datant de 1986 et empêchant le Conseil de la concurrence de remplir son rôle en matière de contrôle des concentrations dans le secteur audiovisuel.

Troisième aspect du développement du secteur, l'adaptation de notre droit à l'évolution des techniques. La télévision a changé de fond en comble, on est passé de la rareté à l'abondance des chaînes, de la télévision généraliste à la télévision thématique, du tout hertzien au câble et au satellite, du tout gratuit à l'abonnement. Il fallait donc moderniser notre droit en le simplifiant, mais en maintenant les acquis de notre système d'aides à la production et les règles de diffusion que nous avons en tant de mal à préserver lors des négociations du GATT, et pour lesquels nous devons continuer à nous battre au niveau communautaire et au niveau international. Je propose donc, dans ce projet de loi, de créer le cadre juridique moderne, adapté au nouveau paysage : la France a été en retard d'une loi pour le satellite ; aujourd'hui, il nous faut non seulement rattraper ce retard, mais aussi prendre l'avance qu'appellent les évolutions prévisibles. Je propose aussi de supprimer le conventionnement pour toutes les chaînes qui n'utilisent pas une ressource rare. Une simple déclaration suffira en matière de câble comme de satellite. C'est là une mesure d'assouplissement essentielle. La loi devra également préciser le statut, nécessairement peu contraignant, des nouveaux services en ligne, et surtout, prévoir les adaptations du régime de régulation nécessaire pour préparer le développement à venir du numérique hertzien terrestre.

Quatrième aspect du développement, permettre l'entrée de nouveaux entrants. Plusieurs éléments du projet de loi faciliteront l'arrivée de nouveaux opérateurs. D'abord bien sûr, cette arrivée sera favorisée par le rôle du Conseil de la Concurrence, qui devient compétent en matière de concentrations sur le secteur de l'audiovisuel, jusqu'à présent exclu de son champ d'action, Ensuite, nous créerons les possibilités juridiques de développer de nouvelles offres, notamment par le passage à la télévision numérique de terre qui multiplie par cinq les réseaux disponibles. Par ailleurs, nous prévoyons que lorsqu'un opérateur se portera candidat à l'attribution d'une fréquence disponible, le CSA sera tenu d'organiser une procédure d'appel d'offres, ou de motiver, le cas échéant, son refus par des considérations liées à l'intérêt général ou à la mauvaise qualité des fréquences concernées.

Enfin, nous reconsidérerons le système de reconduction automatique des autorisations d'usage de fréquences qui gèle les situations acquises au-delà de ce que justifie la protection des investissements initiaux consentis par les opérateurs. Par ces dispositions, nous facilitons donc l'arrivée de nouveaux opérateurs sur le marché, ce qui était aussi un de nos objectifs.

Le téléspectateur-auditeur : c'est vraiment lui dont les intérêts doivent être au cœur de notre dispositif. Toutes les mesures déjà évoquées le concernent, parce que c'est bien dans son intérêt de citoyen que nous voulons garantir le pluralisme de l'information, et dans son intérêt de consommateur que nous voulons favoriser le développement du secteur. Mais plusieurs points du projet de loi l'intéressent directement : la retransmission en clair des événements d'importance majeure, notamment sportifs ; la tin de l'exclusivité de France 2 et de France 3 sur TPS, les chaînes publiques devant être accessibles en numérique et en clair sur tous les bouquets ; la reconnaissance d'un statut particulier auprès du CSA des associations de téléspectateurs ; la compatibilité des décodeurs et des systèmes de navigation ; la priorité donnée aux radios associatives et aux radios généralistes faisant de l'information.

Mais enfin, et surtout le téléspectateur est concerné au premier chef par la consolidation du service public. Il faut au préalable définir ce que nous voulons que le service public audiovisuel soit demain, dans le nouveau paysage du numérique, de la télévision choisie. Face à un tel enjeu, il est indispensable que les entreprises audiovisuelles publiques disposent d'un financement pluriannuel, leur permettant de développer leur stratégie sur le moyen terme, stratégie qui sera contractualisée dans des plans pluriannuels présentés au Parlement. Elles seront ainsi en mesure de programmer leur développement, dans les mêmes conditions que les entreprises privées et de maîtriser l'adéquation de leurs missions et de leurs moyens ; tel est bien l'objet des plans stratégiques que j'ai demandés aux présidents de ces sociétés d'élaborer, comme base de la programmation financière que la future loi mettra en place. Les chaînes publiques auront alors les moyens d'améliorer le contenu de leurs programmes, ce qui est, en fin de compte, l'essentiel pour le téléspectateur. Il nous faut à cette fin leur assurer les moyens de parvenir à ces objectifs sans être tributaire à l'excès de la publicité, sans sacrifier leur mission à la surenchère commerciale. C'est la raison pour laquelle je proposerai de diminuer et de plafonner la part des ressources publicitaires dans le budget total des chaînes, une progression moderne mais régulière. C'est dans cette voie que je souhaite engager le secteur public à partir de 1999.

R.P.P. : Les négociations concernant l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) menées dans le cadre de l'OCDE ont provoqué des réactions hostiles dans les milieux artistiques français et européens. Selon vous, en quoi l'application d'un tel accord représente-t-il une menace pour la culture ? Quelles conséquences l'AMI « actuel » aurait-il sur l'audiovisuel ?

Catherine Trautmann : L'effet des nouvelles technologies de communication sur l'exercice du droit d'auteur n'est pas univoque. L'extension des capacités de reproduction, par la numérisation, et de diffusion, par le réseau fait craindre légitimement le risque d'un « électro-copillage » succédant au « photo-copillage » que nous connaissons aujourd'hui. En revanche, l'informatique autorise techniquement une identification assez fine des œuvres numérisées et de leur utilisation. Le ministère de la Culture et de la Communication travaille sur cette question avec l'AFNOR.

Il est certain que le réseau modifie ce qu'on pourrait appeler la socialité des œuvres et de la création. La technique des liens modifie, par exemple, la pratique ancienne de la citation. Les pionniers de l'Internet ont parfaitement saisi ce nouveau régime de circulation des œuvres. Par exemple. Ted Nelson, l'inventeur de l'hypertexte, visait justement à organiser de manière plus précise la détention et la collecte des droits d'auteur.

Il n'en reste pas moins que notre droit d'auteur est issu de la vision continentale (française et allemande) de l'œuvre et de l'auteur. Il doit avec Internet s'exercer dans un environnement dominé par la pratique et l'esprit du copyright qui n'organise pas de manière spécifique le droit moral de l'auteur.

R.P.P. : Dans le cadre des négociations sur l'AMI, pouvez-vous nous définir la position de la France vis-à-vis de l'Europe et des Américains ?

Catherine Trautmann : La rencontre des négociateurs de l'AMI qui s'est tenue les 27 et 28 avril derniers a marqué un très net recul des négociations. La divergence de vues entre Américains et Européens étaient trop forte pour qu'un accord soit conclu. En France, la question de l'exception culturelle a permis d'attirer l'attention de tous sur des sujets de désaccords profonds : l'application des lois Helm-Burton. La liste de réserves déposée par les Etats-Unis, mais aussi les questions relatives au droit social, au service public ou à l'environnement.

C'est donc les fondements mêmes de l'Accord qui ont été remis en cause.

Mais je m'arrêterai plus longuement sur le secteur de la culture et de la communication. Il faut être clair sur ce que l'on met derrière le mot « exception culturelle ». Ce que je défends à travers cette idée d'exception culturelle, c'est le droit au pluralisme, le droit il l'interpénétration des échanges, le droit des gouvernements de définir et de mettre en œuvre des politiques culturelles fortes. Il est certain que pour préserver la diversité, il faut maintenir des conditions de concurrence équilibrée - au risque de voir disparaître tout un pan de notre création et de notre culture.

Je rappellerai en effet que l'AMI aurait conduit, si nous n'avions pas obtenu une exception générale, au mieux au statu quo de nos systèmes d'aide - dans les secteurs du cinéma et de l'audiovisuel, du livre, du patrimoine - au pire à son démantèlement. J'ajoute que le système des droits d'auteur aurait été fermement menacé au profit du système de copyright qui prévaut outre-Atlantique.

Je vous rappelle qu'en dépit du nouveau délai que se sont accordés les négociateurs de l'AMI, le sujet est loin d'être clos. Il faut toujours garder à l'esprit que l'audiovisuel représente un enjeu économique, mais surtout politique majeur pour les Etats-Unis. La libéralisation des échanges dans ce secteur reste une priorité pour eux.

La récente tentative du Commissaire européen Brittan d'engager une négociation bilatérale Europe-Etat-Unis à quelques mois de la reprise des négociations du GATT dans le cadre de l'OMC est à ce titre éloquente.

Je pense qu'un des axes majeurs que nous ayons poursuivi est de renforcer et d'approfondir la politique européenne en matière de cinéma et d'audiovisuel. C'est notre meilleure protection.

R.P.P. : Espace de liberté, le Net est également le lieu de toutes les dérives. En juin dernier. Christian Pierret lançait l'idée d'un grand débat public sur une législation internationale permettant de contrôler le contenu illicite et préjudiciable de certaines informations véhiculées sur les réseaux Internet. Le projet de la réglementation européenne couvre-t-il également ce domaine particulier ?

Catherine Trautmann : La réflexion et la négociation progressent aux différents niveaux. Le Conseil d'État s'est vu confier par le Premier ministre une mission d'étude sur le droit de l'Internet. Au niveau européen et international, les premiers accords ont été conclus sur la protection des mineurs. Il faut mentionner aussi l'activité des associations propres à l'Internet, sur les questions d'éthique, de déontologie, d'autorégulation.

Je ne suis pas sûre, que, comparé aux autres médias, l'Internet puisse être particulièrement défini comme le lieu de toutes les dérives. Mais certaines de ses caractéristiques techniques peuvent amplifier les risques existants, et rendre caduque la logique des dispositifs de contrôle et de répression antérieurs.

C'est le cas, par exemple, de la délocalisation des émissions qui permet d'échapper aux législations nationales, ou de l'interactivité, combinée au rapprochement de la communication publique et de la correspondance privée, dont nous avons déjà pu mesurer les risques en France avec le minitel.

Face à de telles évolutions, je retiendrai plusieurs angles d'approche. La recherche d'une définition juridique de la responsabilité, plus solide et plus équitable, devrait déboucher sur une solution prochaine grâce aux travaux du Conseil d'État.

La coopération entre les États, même si elle ne remet pas en cause les différences de législation, notamment en matière d'expression des opinions, a produit récemment des succès remarquables. Je pense, en particulier, à l'identification de sites néo-nazis.

J'accorde enfin la plus grande importance à l'effort d'information. Le développement de l'Internet grand public impose de mettre à la disposition des familles, des collectivités, des moyens d'information sur les contenus, qui seraient à la fois fiables et transparents. Il nous faut répondre à la demande de prévention. Sans être l'otage de dispositifs de filtrage qui ne correspondraient pas à notre culture, ni à notre conception de la liberté d'expression.

R.P.P. : Internet est devenu un véritable phénomène de masse. A l'aube du XXIe siècle, le nombre des personnes connectées aura dépassé les 150 millions. Formidable outil de communication sociale, Internet facilite l'accès au débat politique ? Selon vous, peut-il être également le berceau d'une nouvelle forme de citoyenneté ?

Catherine Trautmann : L'histoire de la démocratie est étroitement liée à celle des techniques d'expression : le débat oral et l'écriture des lois à Athènes, l'imprimerie et la formation d'une opinion publique nationale au XXIe siècle, les médias de masse à l'époque des démocraties modernes.

A chacune de ces étapes, l'objectif reste identique : éviter l'excès de pouvoir de communication, par la mainmise des puissances politiques, économiques, religieuses ou autres ; favoriser l'égalité des citoyens devant l'accès à ce pouvoir, c'est-à-dire leur liberté d'expression.

Potentiellement, l'Internet présente les avantages des mass médias (la possibilité d'atteindre un large public), sans leurs inconvénients (la restriction de cette possibilité à ceux qui précisément détiennent le pouvoir d'information).

Le réseau peut favoriser une revitalisation de la vie publique en permettant à nos concitoyens d'être mieux informés sur les activités gouvernementales, le fonctionnement des institutions et des services publics, et de s'exprimer librement avec des moyens sans précédents. Cette facilité de communication est éminemment favorable aux initiatives citoyennes.

Ce n'est donc pas sacrifier à une approche utopique que d'observer ce qui dans le fonctionnement actuel de l'Internet s'avère clairement favorable au pluralisme, à l'activité associative, à la vigilance démocratique. Pour le moment, le « démocratie électronique » ne ressemble pas au règne du sondage permanent et au repli sur la sphère privée que craignaient certains. On peut raisonnablement attendre que l'émergence d'information, d'expression et de communication ne fera que croître.

R.P.P. : La révolution des nouvelles technologies de communication est en marche. Ces nouveaux supports techniques façonnent déjà la société d'aujourd'hui et préfigurent celle de demain. Selon vous, quels sont les atouts et les limites de ces nouvelles technologies, y compris au niveau de l'emploi ?

Catherine Trautmann : Le principal atour des technologies de l'information, c'est leur puissance. Leur force d'innovation, ininterrompue depuis un demi-siècle, croise l'expansion en propre du secteur de l'information, de la communication et de la culture, mais aussi le développement des activités de ce type dans l'ensemble de la société. C'est la notion même de « société de l'information ».

Cet atout constitue aussi la limite, ou le risque majeur des technologies de l'information, la domination de ceux qui maîtrisent ces technologies sur ceux qui ne feraient que les subir. Les logiques de domination sont multiples : pouvoir des spécialistes sur les simples utilisateurs, pouvoir des grandes sociétés multimédias sur le développement culturel et éducatif, pouvoir des États-Unis sur le marché mondial. L'expansion technologique de la société de l'information est une course qu'accompagne inévitablement certains d'entre nous et qui génère souvent un sentiment de  désorientation ou la crainte d'être dépassé.

L'emploi fournit un bon exemple de cette contradiction. Je note, comme cela a pu être relevé à l'occasion du débat autour du Livre vert sur la convergence, que nous ne disposons pas de chiffres fiables quant aux conséquences sur l'emploi du développement des activités caractéristiques de la société de l'information. D'un côté, c'est l'effet classique de l'automatisation, la productivité détruit des emplois. De l'autre, le marché de l'information et des télécommunications est en plein essor, et le développement des industries de contenu devrait être plus riche en emplois. Un point pourtant ne souffre pas de discussions : c'est l'inégalité de la création d'emplois dans ce secteur entre les États-Unis et l'Europe.

Pour toutes ces raisons, il est parfaitement clair que nos sociétés doivent réellement maîtriser les technologies de l'information. C'est le sens du programme d'action du gouvernement pour préparer l'entrée de la France dans la société de l'information.

Dans la mesure où l'ordinateur et le réseau deviennent des machines à lire et à écrire, des dispositifs de traitement de l'image et du son, les technologies de l'information sont des technologies culturelles. L'objectif du ministère de la Culture et de la Communication est donc très précisément de favoriser la maîtrise, l'appropriation culturelle des technologies de l'information.