Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés
Nous voilà – et devant l'Assemblée Nationale, M. le Président – pour débattre de l'essentiel. Pour débattre de la France et de son avenir avec la répression nationale, après en avoir longuement débattu, dans toutes les régions de France, avec les Français et leurs élus locaux.
La discussion de ce projet s'ouvre en effet après que des millions de Français et de multiples institutions et organismes y ont participé. Jamais un débat législatif n'a été précédé d'une aussi large constitution. C'est le peuple qui a été directement associé à la préparation du projet. Il s'y est profondément intéressé, attestant ainsi son adhésion à la démarche engagée. N'est-ce pas d'ailleurs l'esprit même de nos institutions qu'il puisse infléchir son destin soit qu'il en décide par référendum, soit qu'à défaut, il l'influence par sa participation directe aux grandes décisions démocratiques ?
Le message des Français nous invite bien à parler de la France. De la France dans son ensemble et non pas dans chacune de ses composantes. De la France considérée comme un tout et non comme la juxtaposition de collectivités et de communautés aux destins isolés les uns des autres. De la France telle que nous, nous voulons qu'elle franchisse le cap du XXIe siècle, c'est-à-dire comme une seule et même communauté de valeurs et d'intérêts, au sein de laquelle les différences ne seraient pas devenues d'irréconciliables divergences. Une France capable d'affronter par là-même, unie et sereine, une compétition internationale qui fait fi des solidarités les plus naturelles.
C'est de cela, Mesdames et Messieurs les Députés, qu'il nous faut maintenant débattre. C'est à cette question qu'il nous faut répondre : y aura-t-il encore, en l'an 2015, une France au sens où nous l'entendons et cette France sera-t-elle encore une République ? Ou bien sera-t-elle un espace non identifié où cohabiteront tant bien que mal des collectivités et des communautés de plus en plus antagonistes ? Certes, il y a en France des villes et des campagnes, des plaines et des montagnes ; il y a des régions, des départements et des communes ; il y a sans doute sur notre sol, – Braudel y voyait le fondement de l'identité de la France – plus de diversités que sur celui de tous nos voisins réunis.
Mais il y a avant tout des Français qui expriment inquiétude et angoisse devant les exclusions, le chômage, les menaces qui pèsent sur le développement économique de nombreux territoires, l'inconfort des agglomérations, le désordre dans des quartiers fragiles, le délaissement de tant de campagnes. Mais des Français qui témoignent en même temps de leur volonté de les surmonter. Leur espoir d'y parvenir est d'autant plus fort qu'il se nourrit d'une prise de conscience des causes véritables de ces maux.
Alors, ils en appellent une nouvelle fois à l'État de façon d'autant plus pressante qu'à une conjoncture autrefois favorable en succède une autre, durablement tendue.
À l'essor démographique, à l'expansion régulière, au plein emploi ont succédé le vieillissement de la population, l'intensification de la compétition mondiale, l'arrêt de la croissance.
Les Français ont compris qu'il n'y a certes pas de solution de rechange crédible à cette compétition européenne et mondiale, mais que si les grands courants d'échange internationaux, dont nous ne pouvons-nous extraire, ignorent les frontières, ils n'ignorent pas pour autant les territoires où ils localisent leurs activités.
Voilà pourquoi les Français invitent l'État à assurer de nouveau ses responsabilités en matière d'aménagement du territoire, ce qu'aucune loi, d'ailleurs, ne lui avait prescrit de délaisser.
Ce que les Français nous demandent, c'est de ne pas laisser aller les choses comme elles vont, sous prétexte que rien ne saurait valablement plus être opposé aux forces anonymes de la concurrence internationale.
Faut-il laisser le marché décider seul du visage de la France et de son organisation géographique, humaine et sociale ? Voilà la question capitale qui nous est posée et à laquelle le Gouvernement a entrepris de répondre, vous l'avez compris, par la négative.
La politique de développement du territoire apparaît ainsi comme une réponse de notre temps à des défis de notre temps. Ce n'est ni la nostalgie des temps révolus où la France se suffisait à elle-même, ni la résurgence d'un État imposant souverainement sa conception des choses. C'est une politique nationale, ça oui, mais une politique nationale à la mesure du monde qui vient, qu'elle entend, autant que faire se peut, concilier avec les valeurs et avec le mode de vie en commun auquel nous sommes attachés.
C'est dans cet esprit, les yeux tournés vers l'avenir, que doit s'engager la reconquête du territoire dont ce projet de loi entend donner le départ.
L'effort à accomplir sera celui d'une génération. L'horizon 2015 surgit devant nous comme un point singulier de notre histoire, accessible à notre imagination et aux prévisions que nous pouvons aujourd'hui établir. "Intéressons-nous à l'avenir puisque nous y passerons le plus clair de notre temps", nous dit Paul Valéry. Que nous permet-il d'entrevoir ? Le Maghreb surpeuplé et sans ressources suffisantes, les européens de l'Est confrontés à un changement de civilisation et de régime économique, l'Asie qui nous dispute notre créativité et conteste les droits que nous croyons avoir acquis sur le monde, l'Afrique que tant d'incommensurables difficultés assaillent.
2015, c'est une nouvelle étape pour entrer dans le siècle qui vient, plus imprévisible que celui si sanglant qui s'achève. C'est pour maîtriser cet avenir, qu'il nous faut reconquérir notre territoire, éviter qu'il se déchire davantage et nous y réunir comme dans une base de départ. Il faut l'aménager comme le tremplin d'un nouveau bond vers la grandeur de la France, qu'il faut replacer au centre de gravité du développement en Europe.
Ainsi, le premier impératif, c'est bien à l'État qu'il est fixé, Il est de diffuser sur tout le territoire les chances et les moyens du développement, d'organiser à cette fin des réseaux de ville, des systèmes de transport et de communication, de répartir la recherche, l'enseignement, la formation au plus près des habitants.
Il est de compenser les écarts les plus extrêmes de richesse et de pauvreté entre les citoyens et les collectivités locales.
Il est d'aider, en concertation avec les collectivités locales, les entreprises publiques et les entrepreneurs privés, à la genèse de projets de développement local intégrés à des stratégies adaptées aux dimensions et aux données du marché d'aujourd'hui.
Il est d'accompagner cet effort de la préservation de notre sol, de nos paysages, de nos œuvres d'art, de nos ressources naturelles, d'une identité culturelle fragile et d'une certaine "intimité" nationale sans lesquelles nous ne reconnaissons plus pour ce que nous sommes, au risque de devenir indifférents les uns aux autres.
Parce qu'après avoir cheminé au long de tant de siècles, nous avons autant d'héritages à conserver que de richesses et de forces nouvelles à créer, c'est bien à l'État que la question est posée et c'est bien à lui d'y répondre au premier chef.
C'est cette réponse qui fonde le projet de loi d'orientation qui vous est soumis. Cette loi est une loi de développement économique et social et non – nous le ferons dans un second temps – une nouvelle loi de décentralisation. Il s'agit ici de renouer avec l'un des principes fondamentaux du pacte social, je préfère dire du pacte républicain.
Voilà pourquoi les réformes immédiates concernent d'abord le rôle et l'organisation de l'État, en tant qu'aménageur principal du territoire et, surtout, responsable de la cohésion et de l'unité nationales.
Bien entendu, ces réformes appellent aussi celles de la décentralisation, de la fiscalité et des finances locales. Mais elles exigent d'abord la réforme de l'État.
C'est ainsi un chantier législatif considérable qui s'ouvre devant nous, dont les travaux s'étaleront sur plusieurs années. Le projet de loi en trace le cahier des charges, en quelque sorte. Nous aurons l'occasion d'y revenir tout au long de ce débat. C'est dans cet esprit, Mesdames et Messieurs les Députés, que le Gouvernement vous invite à examiner le présent projet de loi. Il sait que la représentation nationale, dont c'est là le rôle éminent, aura à cœur de hisser le débat au niveau où je viens de situer l'enjeu : faire en sorte qu'il existe encore, dans vingt ans, un pays qui s'appelle la France, et que les Français aient toujours le sentiment de partager une seule et même République.
Aussi, n'est-ce pas pour enrichir notre vocabulaire administratif que le Gouvernement ajoute à la notion traditionnelle "d'aménagement du territoire" celle plus riche et plus ouverte de "développement du territoire". En réalité, nos concitoyens ne se sentent plus autant concernés par les antinomies traditionnelles Paris/Province, métropoles/villes moyennes, villes/campagnes, stéréotypes reproduits depuis des années et qui entretiennent des querelles sans objet saisissable.
Ils ont perçu qu'ils n'expliquent pas à eux seuls les désordres urbains actuels, les menaces sur l'économie de vastes territoires, le déficit d'entrepreneurs, les exclusions, le chômage et les abandons d'espaces ruraux. Ils les mettent au compte de multiples autres facteurs.
Si des handicaps géographiques, imposés souvent par la nature, peuvent partiellement les expliquer, ils ne sauraient être absolument déterminants. Nos concitoyens perçoivent que ce sont tout autant et sinon plus des déficits de services publics, des lacunes dans l'organisation des services collectifs, l'insuffisance du tissu d'entreprises, des archaïsmes institutionnels et corporatifs qui empêchent le développement local, font obstacle à l'égal accès au service public, compromettent l'égalité des chances et l'insertion de tous dans le progrès général de la nation.
Développer le territoire, c'est donc organiser l'habitat, la production, les services et l'ensemble des activités humaines sur des espaces homogènes tels que chacun puisse y disposer d'un cadre de vie et d'un environnement meilleur, puisse accéder à d'autres territoires, aux grands réseaux qui commandent à l'information, à la connaissance et à l'emploi sur un marché désormais étendu aux dimensions du monde.
Pour y parvenir, le Gouvernement a estimé que les règles de droit et les procédures publiques de la politique du développement du territoire devaient prendre appui sur des principes fondamentaux, que ce projet de loi affirme.
Ces principes sont déduits de notre droit constitutionnel et de la tradition législative républicaine. Le projet de loi les complète par une prescription nouvelle tendant à ce qu'il en soit fait l'application non seulement à quelque catégorie sociale que ce soit, mais à tous les espaces où nos concitoyens résident et exercent leurs activités.
Notre législation s'inspire déjà de la nécessité d'assurer l'égalité des chances, de faire droit au principe de l'égal accès au service public. Elle fait aussi obligation à l'État de dispenser divers droits économiques et sociaux inscrits dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen et développés par le Préambule de la Constitution de 1946, textes rattachés à la Constitution de 1958. Ainsi, des législations particulières, dérogeant au principe que la loi doit être la même pour tous, ont voulu corriger des handicaps sociaux pour que la situation de chacun soit la plus équitable possible.
Le projet de loi d'orientation suit la même démarche, mais en vue de réduire des handicaps nés de circonstances locales. Il pose en conséquence le principe que le législateur doit pouvoir moduler les charges imposées à chacun en raison de sa situation géographique et non plus simplement économique et sociale. Il ajoute qu'il faut aussi réduire les écarts de ressources entre les collectivités territoriales en tenant compte de leurs charges et non plus seulement de leur richesse ou de leur pauvreté, critères en réalité moins significatifs.
Ces principes, nous aurons l'occasion de le préciser lors de la discussion de chaque article du projet, ont fondamentalement un caractère constitutionnel même si leur forme ne les place pas à ce rang. Ils vont au-delà de la simple déclaration d'intention. Ils sont susceptibles d'effets juridiques. Ils inspirent en tous les cas la réforme à laquelle le Parlement est invité à donner immédiatement force de loi.
Cette réforme prend tout d'abord appui sur un schéma national de développement du territoire. Indicatif, comme l'est tout document de planification établi par l'État, il n'oblige que par la conviction qu'il suscite. Nous aurons l'occasion, je crois, d'en reparler longuement.
La réforme englobe celle des outils financiers. Prioritaires, l'aménagement et le développement du territoire doivent autant que faire se peut, échapper aux aléas du budget général en disposant de moyens financiers autonomes et durables.
Ceux-ci seront assurés par des lois de programmation particulières et des fonds d'investissement spécialisés et autonomes, sur la finalité et les ressources desquels nous reviendrons.
Les lois de programmation quinquennale organiseront la réalisation des équipements prévus au schéma national et réuniront les financements correspondants. Des documents annexés au budget feront apparaître les dépenses de l'État dans chaque région, ce qui permettra de mieux évaluer leur situation financière au regard de leurs charges.
Le fonds national de développement du territoire regroupera divers fonds d'État existants. Cette réforme permettra de gérer les crédits destinés à l'aménagement du territoire avec plus de souplesse et de façon déconcentrée.
Des fonds d'investissement et de développement des infrastructures de transport et de communication abondés par des dotations budgétaires de l'État et des contributions spécifiques, permettront de financer les équipements prioritaires dont notre pays a besoin, la péréquation permettant d'échapper au seul critère de rentabilité immédiate pour les grandes liaisons routières, ferroviaires, fluviales, aériennes, qu'impose le développement harmonieux de la France.
Le fonds de gestion de l'espace rural alimenté par le budget de l'État et éventuellement à l'aide de ressources spécifiques, permettra de maîtriser l'abandon de certains biens fonciers et immobiliers et de pallier la disparition de prestations qui ne sont plus spontanément assurées en milieu rural.
Enfin, le projet de loi entend parier sur l'esprit d'entreprise et sur les entrepreneurs. La reconquête du territoire appelle une politique vigoureuse en faveur de la création d'activités nouvelles, à laquelle il faut donner la priorité sur la délocalisation des entreprises existantes.
Mobiliser une partie significative de l'épargne locale, nationale, ou même internationale, pour donner aux entrepreneurs les moyens d'entreprendre, et en même temps orienter cette épargne vers le développement local : tel doit être l'un des principaux leviers de la politique de développement du territoire.
Il revient donc à l'État d'intervenir pour orienter dans ce sens une partie de l'épargne. C'est dire l'importance stratégique que le Gouvernement accorde au Fonds d'aide à la Création d'Entreprises. Certes, ses modalités d'intervention sont encore limitées et ses moyens financiers ne sont pas encore arrêtés. Mais le principe est clairement posé et un cadre est créé, que les travaux de votre commission ont grandement contribué à améliorer.
En même temps que seront mobilisés au profit des entrepreneurs les capitaux qui leur seront nécessaires pour entreprendre, sera mis en œuvre dans des zones spécifiques, le principe de la fiscalité dérogatoire, à travers notamment une réduction des droits de mutation et des exonérations de Taxe Professionnelle et d'Impôt sur les Sociétés. Ce régime dérogatoire permettra de compenser les handicaps dont souffrent non seulement les zones en retard de développement mais aussi les quartiers en difficulté et les bassins de reconversion.
Telle se présente l'architecture de la réforme des principaux instruments de la politique de développement du territoire que le législateur est appelé à décider. Elle concrétise certes, une volonté de l'État mais du même État qu'hier. Il s'agit d'un État simplifié, accessible et déconcentré, nous allons le vérifier. Cette volonté, j'en entends parler comme d'une atteinte à l'ordre décentralisé. C'est au contraire quand l'État abandonne les responsabilités que la loi lui confie, que l'ordre républicain est menacé et que la décentralisation s'enlise dans l'impuissance ou se perd dans la rivalité. J'espère que notre débat nous permettra d'évacuer, une fois pour toutes, cette fausse querelle.
Mais, aménager le territoire, plus encore le développer, ce n'est pas seulement décliner du sommet à la base une vision idéale de son utilisation, ni prévoir les moyens nécessaires.
C'est associer l'ensemble des partenaires du développement économique et social à un projet qu'ils partagent. C'est bien là le sens du deuxième message que nous a délivré le débat national, quand il nous demande de "placer le citoyen au cœur du développement du territoire".
Le territoire n'est pas en effet un sujet de droit. C'est le support de l'action des hommes.
Placer le citoyen au cœur du développement du territoire conduit à lui offrir des voies nouvelles d'initiative et d'action dans le cadre des communautés locales dans lesquelles il agit. Cela implique aussi d'instaurer entre ces communautés de divers statuts des relations nouvelles encore trop pragmatiques ou occasionnelles. C'est soumettre le territoire au gouvernement de la démocratie. C'est démentir le propos désabusé selon lequel "la politique est l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde".
Il apparaît d'abord nécessaire que l'État adapte sa propre organisation aux réalités humaines, économiques, culturelles et sociales, telles qu'on peut aujourd'hui les constater.
La déconcentration véritable en est le principe.
La loi du 6 février 1992 a bien voulu fixer que c'est la déconcentration qui est désormais le régime de droit commun applicable aux services déconcentrés de l'État. Mais le concept se heurte à de grandes différences d'interprétation par les différents ministères concernés.
Le Gouvernement doit désormais choisir les critères de portée générale qui, utilisables par chaque ministère, permettront d'organiser un partage clair, stable et compréhensible des compétences, des attributions et des moyens entre les administrations centrales et les administrations déconcentrées. Le projet de loi prévoit ainsi des transferts de compétences à l'intérieur de l'organisation de l'État.
Le Gouvernement sait que si l'État fait l'effort de simplifier et d'adapter son organisation aux tâches à accomplir, il apportera aux citoyens, à leurs élus et aux entreprises, un concours décisif. Le débat national confirme que la modernisation, la simplification, le rapprochement de l'État des citoyens sont unanimement souhaités.
Les partenaires de l'État doivent pouvoir rencontrer un interlocuteur unique et responsable. Le Préfet, et en ce qui le concerne le sous-préfet, qui représentent le Gouvernement de par la Constitution, doivent ainsi devenir cet interlocuteur.
Tout aussi importante que d'adapter son organisation apparait la nécessité d'adapter l'action de l'État aux réalités nouvelles.
Nos concitoyens habitent certes dans une commune, dans un département, dans une région. Mais ils vivent dans une agglomération urbaine, dans un pays en milieu rural, au niveau le plus fin dans ce qu'on appelle un bassin de vie.
C'est à la mesure des territoires ainsi identifiés que l'État doit agir, pour remédier à la carence du service public comme pour encourager les projets publics et privés de développement. Ces territoires sont, à n'en pas douter, l'échelle la plus pertinente du développement local et, partant, le critère privilégié de la coopération intercommunale.
Pour guider ce mouvement, le projet de loi propose d'identifier les nouveaux territoires de la solidarité quotidienne et d'y adapter notre organisation administrative.
C'est d'ailleurs précisément pour éviter que les services publics, éducatifs, sanitaires, sociaux, économiques et techniques, soient offerts aux habitants par des organismes qu'ils ne contrôleraient pas, que le législateur a multiplié depuis trente ans des modèles institutionnels de coopération et les incitations à leur création.
Un très grand nombre de communes ont créé des instances de coopération et accepté qu'elles disposent d'une fiscalité propre. Le mouvement en ce sens se développe en application de la loi du 6 février 1992.
Ces territoires, de dimensions variables dans le temps, sont soit plus larges soit plus réduits que celui des arrondissements ou des périmètres urbains définis par la notion d'agglomération. Le projet de loi prévoit que la commission départementale des élus chargés de l'application de la loi du 6 février 1992 identifiera ces nouveaux territoires à l'aide des critères que le Gouvernement établira. Ils seront déduits des principes directeurs fixés par la loi.
Le sous-préfet pourra en liaison avec les élus, les entrepreneurs, les gestionnaires de services publics, les associations sociales faire, en première analyse, l'inventaire des équipements et des services disponibles sur ces territoires et les convier à l'élaboration d'un projet de développement local dans le respect des compétences et des règles régissant l'action de tous les partenaires.
Pour ce faire, le sous-préfet serait doté d'un pouvoir coordinateur sur les services de l'État et de crédits destinés à stimuler et faciliter la coopération intercommunale à cette nouvelle échelle du territoire. Et plus tard, si l'initiative aboutit à des résultats tangibles, vérifiés par le gouvernement et le Parlement, les limites territoriales des arrondissements pourront être modifiées en conséquence.
Ce qui importe, en première phase, c'est que sur les territoires en cause, se développent des concertations entre divers partenaires, qu'ils y étudient ensemble des projets d'organisation des services et de développement des activités. Elles peuvent parfaitement commencer sans modifications importantes des compétences et des structures de financement. Ce n'est absolument pas un préalable. L'essentiel est que le mouvement s'amorce, l'État y veillera.
À terme, il importe de permettre un véritable contrôle démocratique sur de telles institutions. Aussi, l'élection au suffrage universel direct du conseil du niveau supérieur, particulièrement dans les agglomérations confrontées à la nécessité évidente de s'intégrer davantage, est une possibilité ouverte par la loi. Il est clair que, dans l'esprit du Gouvernement, cette solution doit être encouragée.
À n'en pas douter, cette nouvelle organisation de l'État et cette dynamique coopérative intercommunale qu'elle entraînerait serait féconde, et permettrait de clarifier et de simplifier l'entrelacs dans lequel s'égare le citoyen. Elle permettrait aussi de réconcilier l'intercommunalité et le suffrage universel. La démocratie y gagnera, comme elle gagnera à l'instauration du référendum consultatif d'initiative populaire, à l'échelle de la commune ou du groupement de communes, disposition que connaissent déjà de nombreuses grandes démocraties occidentales.
C'est ainsi à un vaste inventaire des atouts, des ressources, des potentialités de la France qu'il convient de procéder, de façon à fertiliser de nouveau l'ensemble du territoire national, cet espace privilégié en Europe qui reste, n'en doutez pas, notre principale richesse et notre grande chance pour l'avenir.
Alors, à tous ceux qui s'obstinent à tenir leur seule région, leur seul département, ou leur seule ville pour le cœur de l'Europe et le carrefour naturel de tous les échanges, à tous ceux-là, le Gouvernement répond que c'est la France tout entière qui est, en réalité, le véritable support de leurs ambitions et, quoi qu'ils en pensent, leur meilleure promotion.
Voilà pourquoi, complémentarité, cohésion, solidarité, sont les maîtres mots de ce dessein qui n'est pas seulement un dessein économique, mais qui est aussi un dessein culturel et un dessein politique.
Voilà, Mesdames et Messieurs les Députés, les grandes réformes que le projet de loi d'orientation du territoire engage dès maintenant. Reste, à l'évidence, celles dont il pose les principes, c'est-à-dire le sommaire du grand chantier législatif dont je parlais tout à l'heure. Elles concernent essentiellement la décentralisation et la réforme des finances locales.
Après dix années de décentralisation, le besoin se fait sentir de clarifier les règles du jeu et de préciser les responsabilités de chacun.
Les transferts de compétences qui ont été opérés au profit des régions, des départements et des communes ont eu suffisamment d'effets positifs pour que personne ne songe sérieusement à en contester le principe.
En rapprochant les décisions du citoyen, en revivifiant la démocratie locale, en incitant chaque collectivité à s'assumer davantage, les lois de décentralisation ont contribué de façon décisive à la modernisation d'une société dont la centralisation, ainsi que l'avait pressenti le Général de Gaulle "ne s'imposait plus".
Ainsi, la décentralisation fait-elle aujourd'hui partie des mœurs politiques des Français. Il s'agit maintenant de la faire entrer dans l'âge adulte, en corrigeant les déséquilibres, les imperfections – et quelquefois les dérives – qu'une telle rupture avec une tradition multiséculaire ne pouvait manquer d'engendrer.
Une nouvelle étape doit être franchie, qui ne saurait être ni un retour en arrière, ni un saut dans l'inconnu. Cet approfondissement de la décentralisation doit être conçu de façon à favoriser les grands objectifs d'aménagement du territoire qui ont été définis : l'égalité des chances et le développement économique.
Dans cet esprit, de nouveaux transferts de compétence au département et à la région ne s'imposaient pas immédiatement. Ces deux institutions ont porté tout le poids de la décentralisation et si des progrès sont à accomplir dans cette direction, il appartient d'abord à une meilleure péréquation de leurs ressources eu égard à leurs charges, de les apporter.
En la matière, le projet de loi d'orientation donne leur direction aux réformes des mécanismes de péréquation instaurés entre les collectivités locales, ajoutés les uns aux autres au cours des ans et inspirés par des principes différents.
Ces orientations nécessitent d'être longuement et précisément étudiées, des hypothèses doivent être testées. Le projet de loi fixe des principes que j'exposerai plus en détail au cours de leur discussion. L'objectif est de présenter un rapport d'ensemble au Parlement dans le détail d'un an et lui proposer un projet de loi particulier.
S'agit-il pour autant d'évacuer, ainsi que je l'ai lu ici ou là, ce problème capital, qui explique la plupart des inégalités et surtout leur progression ?
Je voudrais faire litière de ces reproches, qui me paraissent être du ressort de la polémique plutôt que de la réalité, et être inspirés davantage par le mauvais que par le Saint Esprit.
Permettez-moi d'abord de redire qu'en ce qui concerne ses propres politiques, comme sa propre fiscalité, l'État entreprend un effort considérable. La péréquation entre les modes de transports, comme les exonérations fiscales qu'il compensera, par exemple, seront de puissants facteurs de rééquilibrage et de réduction des inégalités.
Mais il est clair que les inégalités ne concernent pas seulement les grands services publics et les investissements de l'État. Elles concernent aussi les équipements et les services locaux. Tout le monde est d'accord sur ce point. Il ne m'a pas échappé néanmoins que l'accord était beaucoup moins grand dès lors qu'on réfléchissait aux moyens de réduire ces inégalités-là, qui souvent ne viennent pas tant des différences dans la qualité de la gestion que des conditions dans lesquelles se trouvent les uns et les autres.
Le Gouvernement, à la demande générale des élus, a décidé de soumettre à une Commission l'étude de la réforme des finances locales, et tout d'abord de la taxe professionnelle.
Les entrepreneurs font un sport particulier à la taxe professionnelle. Ils en déplorent non seulement l'effet antiéconomique mais également sa complexité, son caractère imprévisible et perturbateur de la gestion. Le débat national s'est fait l'écho de ces doléances. Mais il en fait valoir d'autres, notamment l'aspiration à une fiscalité économique plus simple, plus adaptée à la fois aux exigences gestionnaires des entreprises et à la recherche d'un meilleur emploi de la ressource.
La loi d'orientation n'a pas prétendu apporter de solutions immédiates à ce problème extrêmement complexe et dont les enjeux dépassent ceux du développement local et de la gestion de l'économie. Le Gouvernement n'a pas voulu prendre le risque d'orientations définitives sans avoir testé leurs effets probables. L'Assemblée Nationale garde le souvenir des déboires et des désordres suscités par une réforme antérieure de la taxe professionnelle dont l'expérience a montré qu'elle fut hâtive et hasardeuse.
Le projet de loi contient néanmoins des orientations qui vont dans le sens des préoccupations évoquées. Une première, consiste à se servir de la notion de valeur ajoutée pour réformer l'assiette de la taxe professionnelle. D'autres, à échéance plus rapprochée, invitent à modifier l'aire territoriale de sa perception et de fixation de son taux afin de matérialiser la notion de périmètre de solidarité introduite par la loi d'orientation sur l'administration territoriale de la République.
D'autres encore concernent la péréquation de ses produits. Elles suivent deux principes directeurs du projet de loi : compenser les écarts de ressources et de charges, organiser la solidarité des territoires. Le Parlement et le Gouvernement en débattront sur la base des rapports destinés à tester les hypothèses alternatives proposées par le projet de loi.
Dans l'intervalle, le projet de loi institue, dès 1995, un fonds de péréquation doté de 3 milliards de francs environ, soit l'équivalent, je le dis sans crainte d'être démenti, de tout ce qui est actuellement redistribué !
Alors, qu'on m'entende bien ! Si l'Assemblée Nationale ou, dans quelques mois, le Sénat, sont à même de proposer au Gouvernement une solution qui fasse l'économie d'une Commission, le Gouvernement ne se dérobera pas. J'aurais d'ailleurs apprécié, sur ce point, que votre Commission, au sein de laquelle beaucoup ont réfléchi à ces problèmes depuis plus de cinq semaines, quoi qu'ils en disent, permette d'avancer davantage dans la direction que chacun dit souhaiter faire prévaloir.
Je le regrette d'autant plus que les moyens de la politique de développement du territoire ne sauraient se réduire à ceux dont l'État dispose, même si ceux qu'il maîtrise sont souvent les plus adaptés à la stratégie qu'il conçoit.
Mais ne nous en inquiétons pas trop. La politique de développement du territoire s'inscrit dans la durée de la Nation. Aucune tranche de l'histoire ne lui fixe de terme, tant que perdure l'idée nationale. La loi qui est soumise à votre examen trace un nouveau périmètre à l'action de chacun des acteurs du développement économique et social de la Nation. Elle offre un champ plus large aux ambitions et à l'esprit d'entreprise des Français. Elle n'est, à l'évidence, pas une fin en soi, mais bien, au-delà des mesures qu'elle prévoit, l'affirmation renouvelée du seul projet qui vaille : transmettre à ceux qui vont nous suivre une France à la hauteur de celle que nous avons reçue !