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"Pas d'aménagement du territoire sans transfert de compétences et de ressources"
L'Association nationale des élus régionaux (Aner) s'est récemment réunie à Paris avec, pour la première fois, les présidents du Nord-Pas-de-Calais, du Limousin et des Territoires d'outre-mer. L'occasion pour "La Gazette" de rencontrer le président de l'Aner, Valéry Giscard d'Estaing, et de lui faire prendre position sur le grand débat de l'aménagement du territoire. Les présidents de région travaillent actuellement à la rédaction d'une plate-forme commune pour le mois de mai.
Q. : Quelles avancées souhaitez-vous en matière de décentralisation régionale ?
V. G. E. : Nous avons eu, avec mes collègues, une discussion générale sur cette question des transferts de compétences. Nous avons examiné un avant-projet le 9 février. L'aménagement du territoire suppose un transfert de compétences et de ressources en direction des collectivités locales. L'aménagement du territoire comporte deux grands volets : une perspective nationale qui dépend de l'État et de sa gestion pour mieux équilibrer le territoire (grandes infrastructures) et l'animation du territoire qui passe par le transfert de compétences et de ressources vers les collectivités locales et, sur ce point, nous souhaitons une clarification. Pour ce qui concerne les régions, nous souhaitons que l'aménagement du territoire soit confirmé comme compétence régionale, que l'action économique, via une remontée des départements et un transfert des compétences de l'État, devienne compétence régionale. Nous sollicitons également un rôle accru dans les domaines de la formation et de l'éducation par le transfert complet de la formation professionnelle. Nous souhaitons, enfin, un renforcement du rôle des régions en matière de protection de l'environnement lorsqu'il s'agit de l'environnement naturel régional, de culture avec une réelle décentralisation des crédits, et, enfin, des sports, à l'exclusion des sports de haut niveau. C'est ce que nous avons dit, Charles Millon, Olivier Guichard et moi-même, à Charles Pasqua et Daniel Hoeffel lorsque nous les avons rencontrés.
Q. : Parlez-vous de cette clarification avec les maires et les présidents de conseils généraux ?
V. G. E. : Oui. C'est un débat que nous souhaitons avoir avec eux. Personne ne conteste le niveau de compétence communal mais l'existence des autres niveaux se justifie par les compétences qu'ils exercent. Et puisqu'il doit y avoir plusieurs niveaux, ce qui est le cas, il faut qu'ils exercent des compétences diverses. Nous sommes donc tout à fait ouverts à cette discussion sur le "Qui doit faire quoi". Une des clés dans la future loi de décentralisation sera un dispositif codifiant la double intervention des collectivités locales, c'est-à-dire excluant le fait qu'au-delà du niveau communal, il puisse y avoir une double intervention locale. La loi d'orientation du territoire doit comporter un volet décentralisation important. Ce débat est un peu faussé actuellement, car on a parfois l'impression que chaque niveau cherche à spolier l'autre. Nous souhaitons que l'institution régionale demeure une structure légère d'un point de vue administratif. Nous concevons très bien que les actions de proximité soient gérées par les départements. La règle doit être celle de la compétence exclusive. Cela marche pour les lycées. Cela doit marcher avec les autres compétences, dès que l'on s'accordera sur la notion de compétence exclusive. Les financements croisés sont source de complication, de lenteurs et de gaspillages ; je connais des projets qui, pour être mis en œuvre, nécessitent jusqu'à cinq accords.
Q. : Êtes-vous toujours favorable à la décentralisation complète de l'Éducation nationale et au transfert des personnels vers la FPT ?
V. G. E. : Oui. C'est un sujet difficile, à traiter avec précaution. Nous avons en France un enseignement public très centralisé, qui comporte des avantages de qualité et des possibilités de vérification des connaissances. Je crois que l'on pourrait introduire de la flexibilité dans ce système, lui permettant de coller au plus près aux réalités locales : je pense notamment à l'enseignement des langues ou à certaines matières à option. L'État doit rester en charge des responsabilités pédagogiques. C'est une garantie pour le niveau de l'enseignement et des diplômes. Mais l'introduction d'une certaine souplesse pour certains types d'enseignement et la gestion des personnels concernés sur le modèle de la gestion des fonctionnaires locaux (selon les principes des corps ou des cadres d'emploi) pourraient être envisagées. La décentralisation de la formation professionnelle et de la formation par alternance laisse apparaître le système du monitorat à cheval entre l'enseignement général et l'action de l'entreprise. On peut imaginer que les collectivités régionales aient un pouvoir de recrutement sur certains types d'éducateurs ou de formateurs.
Q. : Croyez-vous que la loi d'orientation du territoire en préparation soit de nature à amorcer le rééquilibrage du territoire souhaité ?
V. G. E. : Depuis les lois de 1983, les régions sont en première ligne en matière d'aménagement du territoire, qu'il s'agisse de grands équipements structurants, de formation professionnelle ou de l'action économique. Bien sûr les départements (aménagement rural, action sanitaire et sociale) ou les communes (urbanisme et logement) ont des compétences importantes. Les objectifs d'une véritable politique d'aménagement du territoire, doivent être clairs :
– la revitalisation des zones rurales par des activités économiques porteuses d'avenir et le maintien des services publics, qu'il s'agisse des écoles, des transports ou des services postaux ;
– la rénovation effective des banlieues et des quartiers en difficulté. Celle-ci passe souvent par la destruction de logements collectifs inadaptés, vétustes ou trop denses. Celle-ci passe aussi par des mesures incitatives pour l'emploi ;
– il faut également rechercher un meilleur équilibre entre la région parisienne, dont la vitalité et le poids sont un atout pour la France et les autres régions. Je suis favorable à la décentralisation de services publics implantés à Paris et pour un meilleur maillage du territoire en moyens de communication modernes. Ceci relève de la compétence de l'État. Nous voulons une loi forte qui va au fond des choses. Il faudra aborder la question des équilibres entre les grandes régions de concentration urbaine et les autres, une indication sur la répartition des grandes missions de l'État sur le territoire (universités, recherche, culture), des mesures organisant la solidarité financière entre les villes, les départements et les régions, ainsi qu'une liste de transferts de compétences et de ressources adéquats. Ce sont des sujets difficiles mais pas des sujets polémiques sur le plan politique. Il y a évidemment des questions d'intérêts mais pas de clivage droite/gauche.
Q. : Êtes-vous favorable à une réforme de la taxe professionnelle ?
V. G. E. : Il y a un aspect sur les défauts de la taxe professionnelle qui relève de la réforme fiscale. On peut en effet s'interroger aujourd'hui sur un impôt qui est assis en partie sur l'emploi. L'autre problème concerne les collectivités : celui de savoir si cela doit être un impôt local, à qui il doit être affecté et si cet impôt doit faire l'objet de perceptions multiples. Je pense qu'il faut aller vers un impôt de compétence exclusive car c'est la seule manière de développer la responsabilité fiscale locale et de donner des marges de manœuvre. Il n'y a rien de plus frustrant pour une collectivité locale que de voter la modération fiscale et de se voir contredit pas une décision d'une autre collectivité. Mon sentiment est qu'il faut aller vers une fiscalité exclusive et que la taxe professionnelle doit être perçue au niveau départemental, le département transférant au niveau communal l'assiette de certains impôts personnels. On peut, par ailleurs, introduire dans la taxe professionnelle des éléments de valeur ajoutée.
Q. : L'idée de péréquation régionale à l'allemande, préconisée par les sénateurs, vous semble-t-elle pertinente ?
V. G. E. : Il ne s'agit évidemment pas de copier le système allemand, mais c'est une idée très intéressante. Outre-Rhin, le land le plus favorable reçoit 95 % des ressources et celui qui est le plus en difficulté 105 %. Cette fourchette est trop étroite pour notre pays. C'est une idée qui me paraît juste car les phénomènes de richesse ou d'appauvrissement fiscal sont cumulatifs. Plus vous êtes riche, moins votre fiscalité est élevée et plus les investisseurs viendront chez vous. Cette idée de péréquation doit être étudiée avec soin en ayant le souci d'élargir la fourchette.
Q. : Quel rôle pourra jouer le Comité des régions dont les pouvoirs sont limités ?
V. G. E. : Nous aurions souhaité une plus forte présence des régions, car c'est à leur niveau que se traitent de nombreuses questions. C'est un organe consultatif, il devra veiller à une simplification des procédures, à la répartition des fonds structurels sur le territoire de la Communauté car on a longtemps insisté sur les pays les plus pauvres au détriment peut-être des zones en difficulté des pays les plus riches. Il y a déjà eu dans l'actuelle répartition sur l'objectif 2 une évolution favorable dans ce sens. Le Comité des régions sera écouté car y siégeront des élus importants.