Déclaration de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, sur les relations entre l'Etat et les collectivités locales, notamment la réforme de l'intervention économique des collectivités locales, la lutte contre l'exclusion sociale et la déconcentration de l'action publique en matière de solidarité et d'action sociale, Paris le 18 novembre 1998.

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  • Émile Zuccarelli - ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation

Circonstance : 81ème Congrès des maires de France à Paris le 18 novembre 1998

Texte intégral

Je remercie Monsieur Jean-Paul DELEVOYE, président de l'Association des maires de France, de m'avoir invité à conclure les travaux de cet atelier dont le thème « emploi, précarité, exclusion et lien social » me paraît être au coeur de la problématique de ce 81e congrès centré sur le lien social.

Un récent sondage a mis en évidence un profond malaise des maires. Et n'est-il pas révélateur que le principal motif avancé soit précisément celui du délitement du lien social, de la perte de relation avec leurs administrés ? Il est clair, en effet, que les habitants des agglomérations urbaines éprouvent souvent le sentiment d'une forte distance entre eux-mêmes et les instances de décisions. Lorsque sa population est inférieure à un certain niveau, 20 000 habitants par exemple, la commune constitue naturellement ce lien si nécessaire de la démocratie de proximité. Pour s'assurer de ce lien, dans les communes les plus importantes, il serait sans doute souvent utile de développer des formules qui associent, selon diverses modalités, autour des conseillers municipaux de chacun des quartiers, les représentants des associations ou des « forces vives » du quartier.

La précarité du sort d'un trop grand nombre de nos concitoyens depuis la fin des « 30 glorieuses », la menace d'une société à deux vitesses ne sont pas pour rien dans l'affaiblissement du sentiment d'appartenir à une communauté dotée d'un projet : la crise du social conduit à la crise de la citoyenneté et donc à la crise du politique. Je n'aurai garde d'oublier que nous sommes au coeur de la Semaine de la solidarité où l'attention de la collectivité se tourne, encore plus qu'à l'ordinaire, sur la situation des plus démunis. Les chiffres, hélas, sont trop connus : 10 % des ménages ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté, 6 millions de personnes dépendent des minima sociaux, 2 millions ne vivent que grâce au RMI…

Les causes en sont multiples : le chômage dû à la faiblesse de la croissance, l'urbanisation accélérée de notre pays qui a privé les plus pauvres des solidarités traditionnelles du monde rural, l'éclatement du monde du travail qui a fait disparaître des réseaux d'entraide, l'évolution des technologies qui déqualifie certains, la « bulle » financière qui déstabilise les économies, etc. Plus que jamais la solidarité de proximité est à l'ordre du jour : là encore, les communes, pivot traditionnel de l'intégration sociale, ont un rôle éminent à jouer.

Contrairement à ce que l'on a pu dire ici ou là, la commune n'est pas une entreprise. Il suffit d'écouter un maire parler de sa ville ou de son village : il le fera avec passion, comme s'il évoquait un être humain. Nous sommes bien là au coeur de notre sujet : comment faire pour reconstruire le pacte républicain, comme l'a dit le Premier ministre, pour éviter la dangereuse reconnaissance d'une rupture entre insérables et non insérables, l'institutionnalisation de la précarité ?

Le premier des enjeux et bien sur l'accès à l'emploi : c'est la priorité du gouvernement auquel j'appartiens. La création du dispositif « emplois jeunes », dès l'été 1997, en constitue le signe le plus tangible en direction d'une jeunesse douloureusement frappée par le chômage. Fin octobre, plus de 100 000 embauches avaient été réalisées dont plus de 75 000 dans les associations et collectivités locales. Ces résultats encourageants doivent inciter à redoubler d'efforts pour atteindre l'objectif de 250 000 emplois à la fin de 1999.

Cette lutte pour l'emploi revêt de multiples facettes. Ce n'est pas le lieu, ici, de les décliner d'autant plus que, malgré la forte attente témoignée par leurs concitoyens, les maires, en cette matière, ne se voient guère reconnaître de responsabilité particulière par la loi et ne disposent, souvent, que de moyens modestes. Ces moyens sont d'autant plus faibles que les problèmes sont aigus.

La péréquation des ressources des collectivités locales est à améliorer très sensiblement. En matière de taxe professionnelle, les trois quarts des produits sont perçus dans des communes où ne réside que la moitié de la population française, et près du quart de la population réside dans des communes qui ne perçoivent que 5 % du produit total. L'évolution spontanée joue au détriment des communes les plus touchées par les phénomènes d'exclusion. En milieu rural comme en milieu urbain, il est urgent de développer la solidarité intercommunale, avec la taxe professionnelle unique, pour mieux repartir les ressources et les charges : c'est l'objectif du projet de loi sur l'intercommunalité préparé par mon collègue Jean-Pierre Chevènement.

Les moyens d'action en matière économique ne sont pas inexistants et le gouvernement s'efforce de les améliorer. Tel est l'objet du projet de loi que je prépare sur la réforme de l'intervention économique des collectivités locales.

Sans entrer dans les détails d'un projet qui atteint le stade des derniers arbitrages, je voudrais en rappeler les principaux axes.

Il s'agit, par la mise en place d'un dispositif clair et cohérent, de sécuriser les élus pour leur permettre de donner le meilleur de leurs capacités d'initiative et de mieux adapter les aides aux besoins des entreprises.

Au-delà de la sécurisation juridique, il convient de prévoir une sécurisation financière. Le nouveau régime envisage un plafonnement des aides par entreprise et un plafonnement pour les collectivités locales par une série de ratios prudentiels variables selon le type de collectivités et selon qu'elles interviennent en groupement ou isolées.

Le dispositif vise aussi à favoriser l'intermédiation (sociétés de capital-risque ou sociétés de garantie). Les collectivités pourront loger des fonds dans les structures de ce type sans en être actionnaires et soutenir ainsi l'initiative en matière de création d'entreprises.

Enfin, et ce point n'est pas le moindre en matière de sécurisation juridique, un toilettage de la loi de 1982 sur les sociétés d'économie mixte locales est prévu. Il vise à renforcer le rôle des collectivités actionnaires, à clarifier les relations entre les collectivités et leurs SEM.

Favoriser l'insertion par emploi plutôt que par l'assistance, telle est bien la priorité du gouvernement : l'objectif des politiques publiques est d'aider chacun à recouvrer les moyens de son autonomie et, chaque fois que c'est possible, dans les délais les plus brefs.

C'est la raison pour laquelle le gouvernement a préféré la garantie des droits fondamentaux pour tous à la création de dispositifs particuliers pour les exclus. C'est le sens de la loi d'orientation relative à la lutte contre l'exclusion préparée par ma collègue Martine AUBRY, adoptée par le Parlement le 28 juillet dernier.

Ce texte sera complété par des dispositions législatives sur l'accès aux soins pour tous - la couverture maladie universelle -, texte qui se trouve en cour d'arbitrage - et l'accès aux droits. L'État, les collectivités locales et l'Europe consacreront 51 milliards sur trois ans à l'ensemble de ce dispositif de lutte contre l'exclusion qui, je le rappelle, s'articule autour de 7 grandes orientations :

1. L'accès à l'emploi avec, notamment, le programme TRACE (trajet d'accès à l'emploi) qui offrira aux jeunes un parcours d'insertion individualisé ;

2. Le droit au logement : la loi d'orientation comporte des dispositions quantitatives (augmentation des moyens d'intervention des fonds de solidarité logement, développement de l'offre de logements pour les plus modestes etc.). Les donneurs d'ordres doivent veiller à la diversification de l'offre afin de prendre en compte non seulement les problèmes de solvabilité mais aussi des contraintes diverses (familles très nombreuses, handicaps physiques, traitement médical à domicile des personnes âgées…). Mais cette loi se donne aussi des objectifs qualitatifs : la prise en compte de la notion de mixité sociale dans l'élaboration du plan départemental d'habitat doit en faire une composante forte de la politique de la ville.
Car les politiques d'intégration, de lutte contre l'exclusion, n'auront leur plein effet que lorsque le logement social sera mieux réparti, lorsque les attributions de logements aux populations qui connaissent les plus grandes difficultés cesseront de se concentrer sur certaines communes, certains quartiers et certains organismes. Une politique volontariste est indispensable pour lutter contre une ségrégation spatiale et sociale bien supérieure à celles des villes du XIXe siècle. En ce domaine, l'espace structurant est aujourd'hui celui de l'agglomération.
C'est donc à ce niveau qu'il convient de faire émerger un véritable pouvoir politique. C'est bien ce que prévoit la loi sur l'intercommunalité en encourageant la création de communautés d'agglomération. Car l'équilibre du parc de logements est la base de l'équilibre de la commune ;

3. L'accès aux soins : c'est l'objet de la couverture maladie universelle à créer en 1999. L'idée est d'instaurer, dès l'âge de 16 ans, un seul régime pour tous. La réforme doit permettre aux personnes en situation de précarité de se faire soigner comme les autres alors qu'actuellement 25 % de la population renoncerait à certains soins pour des raisons financières. Ce dispositif pourrait conduire à une recentralisation de l'aide médicale, ce que souhaitent les conseils généraux, sans préjudice des réflexions en cours sur les contingents communaux d'aide sociale versés au département ;

4. L'accès à l'éducation avec, en particulier, la relance des zones d'éducation prioritaire ;

5. L'accès à la culture par la contractualisation avec les collectivités locales et les associations ;

6. La prévention des exclusions afin de garantir des moyens d'existence aux plus démunis (indexation des minima sociaux sur les prix, réforme du traitement du surendettement, prévention des expulsions, exercice de la citoyenneté, garantie d'accès à l'eau, à l'électricité et au gaz…) ;

7. Enfin, l'État veillera, tout en mobilisant l'ensemble des acteurs concernés, à renforcer l'efficacité et la cohérence des actions menées. C'est un domaine, celui de la réforme de l'État, de la déconcentration, où je conduis une action patiente mais déterminée : la déconcentration est le complément indispensable de la décentralisation. Tous les élus locaux m'ont exprimé maintes fois leurs attentes et je partage leur avis.

Cette réforme sera décisive puisque les services déconcentrés de l'État regroupent 96 % des agents de l'État, gèrent les deux tiers des décisions administratives individuelles. D'ores et déjà, un millier d'entre elles ont été transférées à l'échelon départemental à mon initiative en décembre dernier. Mais il ne s'agit pas seulement de rapprocher les centres de décisions des usagers.

Tout le monde s'accorde sur le constat de l'organisation de l'action publique en matière de solidarité et d'action sociale :

- la stratification des dispositifs avec la superposition de conseils et commissions au niveau régional, départemental et local et autant de niveaux de programmes ;
- des questions de coordination mal résolues, surtout au plan infra départemental, entre les services territoriaux de l'État contribuant à la lutte contre l'exclusion (éducation nationale, culture, justice, police, gendarmerie, jeunesse et sports, agriculture, anciens combattants et, bien sûr, emploi et solidarité).

La coordination en milieu oral pose, de surcroît, des problèmes spécifiques bien souvent en raison du défaut d'intercommunalité et dans les zones de plus en plus peuplées de « rurbains ».

Le mouvement de déconcentration - globalisation des crédits - fournit, cependant, des résultats encourageants.

Au-delà de ce constat largement partagé, quelques pistes s'ouvrent à la réflexion :

- la mise en place de pôles opérationnels sur de objets très ciblés comportant un guichet unique pour les usagers.
Cette mutualisation des moyens conserve néanmoins à chaque administration la maîtrise de ses procédures et de ses crédits. La dynamique de traitement de l'urgence renforcent considérablement ce type de synergie. Elle n'exige pas nécessairement un guichet unique mais des outils communs de plus en plus indispensables (ex. formulaire unique pour les attributions d'aides d'urgence). De même, la question est posée de la reconnaissance d'une mission de premier accueil qui serait dévolue aux maires et aux CCAS dans l'ensemble des législations d'action sociale et de lutte contre les exclusions. Car, pour l'usager, c'est sans doute l'institution communale qui a la légitimité la plus immédiate et la plus forte ;
- la simplification du dispositif (lutte contre l'hyper spécialisation et la multiplication des commissions, poursuite du mouvement de globalisation et de fongibilité des crédits, développement des entrées uniques, renforcement des moyens de coordination autour de la personne…) pour rendre lisible un écheveau de procédures et de sigles ;
- maintien du médico-social dans la sphère des services de l'État en raison de la liaison forte à établir avec la lutte contre l'exclusion et de la gestion du médico-social qui constitue un objet essentiel du partenariat État - départements ;
- responsabiliser les services déconcentrés en privilégiant l'échelon départemental tout en s'appuyant sur une coordination de terrain à un échelon infra-départemental (commissions locales d'insertion, sous-préfets d'arrondissement, communes…). Ces dernières, par le biais des CCAS, affirment leur place privilégiée dans l'action sociale de proximité. On pourrait envisager, là où de grandes communes le revendiquent, de leur réserver un rôle plus important dans la gestion des politiques de lutte contre les exclusions (logement, urgence sociale, RMI…). A titre d'exemple, dès lors que des élus sont confrontés, tout particulièrement dans les quartiers en difficulté, aux problèmes liés à la précarité et au chômage, ne serait-il pas opportun que ces mêmes élus aient en charge la mise en oeuvre du RMI ?

La DDASS resterait, bien sûr, le pivot sur lequel le préfet peut s'appuyer.

Ensuite, cette responsabilisation passe par une plus forte déconcentration des moyens financiers et humains et des décisions administratives. L'idée d'une forme de dotation globale déconcentrée privilégiant les engagements contractuels pluriannuels conférant une plus grande sécurité budgétaire à certains opérateurs des politiques publiques de lutte contre les exclusions a été évoquée.

Par ailleurs, il faut songer bien évidemment au tissu associatif donc chacun connaît le rôle fondamental dans le domaine de l'insertion, de la lutte contre l'exclusion.

Le gouvernement, particulièrement conscient du rôle joué par les associations dans notre société à la fois par leur dimension militante, leurs capacités d'innovation et leur impact économique, entend en favoriser le développement.

Diverses mesures ont déjà été prises pour clarifier la situation fiscale des associations, réorganiser le fonds national pour le développement de la vie associative, élargir l'émission de la délégation interministérielle à l'innovation sociale et à l'économie sociale. Le Premier ministre a décidé d'organiser des assises nationales de la vie associative au début de l'année prochaine car les associations constituent le lieu privilégié pour l'expression d'une citoyenneté de proximité, pour « retricoter » le tissu social.

Les modalités d'un renforcement des pouvoirs de coordination et d'impulsion du préfet sont à rechercher notamment en vue d'une programmation pluriannuelle, à l'échelon départemental des moyens de la lutte contre l'exclusion.

C'est aux préfets départementaux qu'incombent la responsabilité de concilier deux logiques, l'une et l'autre légitimes, de conduire un projet territorial dans le respect d'objectifs nationaux. Ils répondront ainsi à la forte demande d'État qui expriment aujourd'hui beaucoup de nos concitoyens. L'État moderne ne doit pas être un État modeste.

Toutes ces réflexions n'ont d'autres finalité que d'instaurer une meilleure coordination des interventions autour de la personne. En effet, la prolifération des dispositifs d'aides financières ne garantit pas pour autant la couverture des besoins pour tous les publics. Une première réponse pourrait être recherchée dans la généralisation du traitement des situations sur la base d'un dossier unique, sans pour autant modifier les circuits d'examen des dossiers ou d'attribution des aides.

Il conviendrait, pour cela, d'établir une convention entre État, conseil général, CAF, communes, etc. Une seconde pourrait consister à s'appuyer sur les commissions locales d'insertion pour regrouper d'autres instances conviant à peu près les mêmes partenaires institutionnels dans un processus extrêmement chronophage.

Cette orientation faciliterait une appréhension globale des problèmes de la personne et renforcerait les dynamiques d'insertion. L'enjeu est décisive quand la fragmentation de la société révèle sans cesse de nouvelles catégories d'« oubliés » : femmes seules, pères « célibataires » âgés, etc.

Je sais, Mesdames et Messieurs, que ces quelques remarques n'épuisent pas le champ de la réflexion. Nous aurions aussi parler de la sécurité, des transports, etc., tant il est clair que la lutte contre l'exclusion relève de l'ensemble des politiques publiques, d'autant plus que les dispositifs spécifiques imaginés comme provisoires se trouvent confrontés à la durée. Fragiles par nature, les mécanismes de l'insertion n'en sont bien plus soumis à une tension permanente.

Cette politique appelle aujourd'hui une mobilisation de grande ampleur sur la longue durée. Mais l'alternative, nous en sommes tous conscients, est d'une plus grande ampleur encore : la liberté n'a pas de sens pour celui qui est dépourvu de tout et c'est l'avenir de notre société au XXIe siècle qui est en jeu. Cet avenir, je ne doute pas qu'en unissant nos efforts nous parviendrons, ensemble, à le dessiner.