Texte intégral
Croissance exponentielle des services et du trafic, avènement du multimédia, recherche d'alliances industrielles à échelle internationale : une révolution est en train de bouleverser les télécommunications. Les enjeux de cette mutation sont tels que l'Europe devait s'y préparer à temps. L'idée de créer un marché unique des télécommunications s'est donc très vite imposée. Dès 1984, les États membres de l'Union européenne ont engagé le débat qui allait les conduire à la décision unanime d'ouvrir à la concurrence le secteur au 1er janvier 1998. C'est l'oeuvre de gouvernements, de gauche comme de droite, qui ont compris la nécessité d'adapter nos vieux monopoles à un jeu désormais mondial, caractérisé par l'émergence de technologies qui se jouent des barrières nationales.
Pour la France, cette mutation est un défi. Un défi inquiète toujours. Mais tout en comprenant les interrogations qu'un tel changement peut susciter, il faut rappeler qu'il est peu de domaines où notre pays présente autant d'atouts. Nous disposons avec France Télécom, du quatrième opérateur mondial. L'excellence technique de ses ingénieurs et de ses agents lui permettra de tirer avantage de la concurrence. Nos entreprises sont prêtes à démontrer leur capacité d'innovation. La libéralisation des télécommunications est une opportunité dont la France doit profiter. À condition de savoir nous préparer à ce changement dans les meilleures conditions.
Pour y parvenir, j'ai toujours été convaincu qu'il fallait renvoyer dos à dos un ultralibéralisme pour lequel le marché est censé tout régler et un conservatisme qui est une défense inadaptée du service public. L'ouverture à la concurrence, le gouvernement la veut maîtrisée et équilibrée : maîtrisée, car nous voulons garantir le service public auquel les Français sont légitimement attachés, équilibrée, car nous entendons favoriser une concurrence ouverte et stimulante au service des usagers.
Dans un secteur à la pointe de la modernité, il s'agit de démontrer par des engagements politiques précis, que l'avenir passe par une modernisation du service public dans le respect de la tradition républicaine.
Qu'espérer de la concurrence ? D'abord, le choix pour les usagers entre différents opérateurs de téléphone contre un seul aujourd'hui. Le choix du consommateur, c'est la possibilité pour lui de bénéficier de services supplémentaires et d'options tarifaires adaptés à ses besoins.
Ensuite, la concurrence provoquera une baisse globale des prix pour toutes les catégories d'utilisateurs, malgré un rééquilibrage nécessaire entre le coût de l'abonnement et celui des communications. Si on pratiquait, en France, les prix de l'opérateur suédois Télia ou de British Telecom, la facture téléphonique moyenne d'un ménage français baisserait de plus de 30 %.
Le service public sera-t-il assuré ? La France a une tradition dans ce domaine. La concurrence ira de pair avec la garantie du service public. Qui prendra connaissance des projets de nos voisins européens constatera que nous nous sommes fixé un objectif ambitieux en la matière. La nouvelle loi de réglementation des télécommunications précise le contenu du service public, fixe les conditions de sa fourniture et définit les modalités de son financement.
Le service public, c'est d'abord le téléphone pour tous, au même prix abordable, où que l'on se trouve sur le territoire, avec des cabines, l'annuaire et un service de renseignements. C'est ce qu'on appelle le service universel du téléphone, qui respectera – j'y ai veillé tout particulièrement – le principe de péréquation géographique, pour écarter toute discrimination fondée sur le lieu de résidence.
Son financement sera assuré par une contribution des autres opérateurs, contrepartie de la liberté dont ils bénéficieront pour localiser leurs services et fixer leurs tarifs. C'est aussi l'accès sur tout le territoire à des services spécialisés de télécommunications pour les entreprises et les particuliers, comme le réseau Numéris. C'est à France Télécom que la loi confie la mission d'assurer ce service public national des télécommunications de qualité pour tous, dès l'ouverture à la concurrence au 1er janvier 1998.
Par le contrôle du contenu et des tarifs du service universel et de son financement, et par la délivrance des licences aux opérateurs entrant sur le marché, l'État restera donc le garant du service public du téléphone. Cette garantie ira de pair avec des conditions de concurrence équitable pour tous les acteurs du marché.
De même qu'un service public adapté doit permettre l'accès de tous à des communications modernes, la concurrence doit, elle aussi, jouer pleinement au service des usagers. La loi organise donc la transparence et l'équité des règles qui régiront le marché. À quoi rimerait la libéralisation de nos télécommunications si les opérateurs privés s'installaient chez nos voisins pour écrémer à distance notre marché national ? Des conditions avantageuses doivent les inciter à investir en France. Dans ce but, les autorisations délivrées aux nouveaux opérateurs ne seront pas limitées, sous réserve de réciprocité pour les opérateurs étrangers, et les prescriptions contenues dans leur cahier des charges seront clairement définies.
Mais surtout, la loi prévoit la mise en place d'une autorité indépendante de régulation du marché français des télécommunications. Pourquoi une institution indépendante ? Parce que l'opérateur principal sur le marché, celui qui assurera le service public, restera sous le contrôle de l'État. Cette raison est déterminante : l'État ne saurait demeurer, de façon durable, l'actionnaire majoritaire de France Télécom – ce qui est le choix du gouvernement – et prétendre en même temps faire respecter la loi du marché avec toute l'impartialité requise.
Placer la puissance publique en position de juge et partie, cela reviendrait à fausser les règles de concurrence, à décourager la libre entreprise, bref, à tuer dans l'oeuf la libéralisation de nos télécommunications.
Les conditions de monopole qui ont fondé la prospérité de notre opérateur national sont donc appelées à disparaître. Son statut administratif, conçu jadis dans ce cadre protégé, doit être revu. Dans un secteur hautement concurrentiel, le fait de ne pas disposer d'un capital social est un handicap. Parmi les vingt premiers opérateurs mondiaux, un seul, France Télécom, n'a pas de statut à caractère commercial. Le statut actuel de France Télécom peut se révéler pénalisant dans le cadre d'une stratégie de partenariat durable, alors même que notre opérateur national a inauguré, cette année, son alliance stratégique avec Deutsche Telekom et l'américain Sprint pour conquérir un marché mondial.
Il serait donc irresponsable de nous ouvrir au grand large de la compétition internationale sans permettre à France Télécom de se battre avec les mêmes armes que ses concurrents. Son nouveau statut lui conférera une autonomie de gestion renforcée et lui permettra de trouver plus facilement les financements nécessaires à son développement, tout en poursuivant son désendettement.
Ce changement suscite des interrogations et des inquiétudes chez une partie des agents de France Télécom. Conformément à la méthode que j'avais définie en juillet dernier, le gouvernement procède à cette réforme, pas à pas, avec un souci permanent de dialogue et de négociation. Chacun peut constater la place privilégiée que notre projet de loi de réglementation accorde au service public et à l'opérateur national qui sera chargé de sa mise en oeuvre.
Le gouvernement a maintenant décidé de procéder à la transformation du statut de France Télécom en celui d'une entreprise nationale ayant la forme juridique d'une société anonyme, dont l'État détiendra directement plus de la moitié du capital.
Pour engager cette réforme, le gouvernement a décidé d'apporter, d'emblée, des garanties fortes aux personnels : les agents de France Télécom qui sont fonctionnaires conserveront leur statut de fonctionnaires de l'État, ainsi que le bénéfice de tous les droits et garanties associés, en particulier la garantie de l'emploi et des droits aux pensions de retraite. L'État, non seulement garantira le paiement des retraites, mais continuera à les verser directement.
L'ensemble du personnel, y compris les fonctionnaires, pourra devenir actionnaire et partagera les fruits de l'expansion de l'entreprise. France Télécom pourra, en outre, continuer à recruter des fonctionnaires jusqu'au 1er janvier 2002, après quoi s'instaurera la situation normale des entreprises du secteur concurrentiel. Il ne s'agit donc pas de privatiser France Télécom, mais d'en faire une véritable entreprise.