Interview de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, à RTL le 27 avril 1999, sur le projet de loi sur la couverture maladie universelle (CMU), et l'application en France de la directive européenne sur le travail de nuit des femmes.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Vous allez débattre, aujourd'hui avec l'Assemblée nationale, de la Couverture Maladie Universelle. « Un projet historique » dites-vous, c'est votre projet. Mais la gauche dit : pas si historique que ça, car vous manquez de générosité. Vous avez fixé un plafond de ressources à 3500 francs par mois pour bénéficier de ce système ; la gauche voudrait que vous alliez jusqu'à 3800.

- ”La première chose c'est que, si c'est un projet historique, c'est surtout les associations qui le disent. Celles qui travaillent au plus proche des exclus. Le président d'ATD-Quart-Monde a dit : “Nous mettons fin à un demi-siècle de résignation”. Cette résignation qui fait que, dans notre pays, on peut mourir ou on peut être très gravement malade parce qu'on n'a pas d'argent pour se faire soigner. Et ce projet c'est cela. C'est de faire en sorte que 6 millions de personnes, c'est-à-dire 10 % des Français, pas seulement des chômeurs, des exclus, mais des petits artisans, des petits salariés, des petits commerçants, puissent être soignés gratuitement sans faire l'avance de frais et être soignés comme tout le monde et dans les mêmes conditions que tout le monde.”

Q - 6 millions de personnes disposent seulement de 3500 francs par mois ?
 
- “Oui, 6 millions de personnes. Moins de 3 500 francs pour une personne seule et 5250 à deux, plus, évidemment, chaque enfant à charge. C'est la vérité aujourd'hui. Et il faut se la rappeler : 6 millions de personnes ! Vous savez que le Gouvernement, quand nous avons parlé de la loi contre les exclusions, a dit que nous ne cherchions pas l'assistance. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas relevé au-delà de ce que nous avons fait les minima sociaux, mais nous avons souhaité donner à chacun des droits réels. Et là, il s'agit d'avoir accès aux soins, donc à la santé, donc à l'avenir. C'est donc effectivement un projet considérable.”

Q - Et vous vous opposerez à une fixation du plafond de ressources à 3 800 francs ?
 
- “Vous savez, dès qu'on met un plafond, bien évidemment, certains souhaiteraient qu'on aille plus loin, et , on peut d'ailleurs les comprendre. Je ne pense pas qu'on puisse dire qu'à 3600 ou 3700 francs, on soit riche dans notre pays. Ce que je voudrais dire, c'est que, aujourd'hui, au-delà des seuils qui sont déjà fixés puisqu'aujourd'hui les RMIstes en-dessous du montant du RMI, sont soignés gratuitement -, déjà au-dessus de ce seuil, qui est de 2400 francs pour un individu seul en ce moment, il y a une aide sociale. C'est-à-dire, que les départements, les communes, les caisses d'action, sociale, par exemple de la CNAM, des caisses d'assurance-maladie, peuvent aider des personnes en difficulté. Cette aide sociale donc va perdurer. C'est-à-dire, qu'au-dessus du seuil de 3500 francs ou 5250 pour un couple, il y aura cette aide sociale. C'est-à-dire que, si une personne est en vraie difficulté et doit se faire, soigner, alors, par exemple, les 800 millions qui restent aux caisses d'action sociale des caisses, les 5 % que nous laissons aux départements dans les sommes que nous remontons, peuvent être utiles pour aider telle ou telle personne qui a des difficultés.”

Q - L'opposition de droite vous dit : mais on pourrait faire ça, remonter le plafond, même prévoir une dégressivité jusqu'au Smic, à la condition de faire des économies de fonctionnement sur l'ensemble de la Sécurité sociale…

- “Ecoutez, moi je répondrais à la droite que nous avons réussi en trois ans, à ramener le déficit de 55 milliards à - je ne sais pas ? – mais pas très loin de zéro cette année, sans avoir, ni augmenté les cotisations, ni déremboursé les médicaments, les forfaits pour les malades. Ceci ne s'était jamais fait. Donc les économies nous essayons de les faire. Si un jour il y a des excédents nous essayerons d'améliorer la couverture, notamment, en termes de lunettes ou de dentisterie pour l'ensemble des Français. Aujourd'hui nous faisons ce que certains départements ont fait et que certains départements de droite ont fait aussi, c'est-à-dire que nous augmentons ce plafond de ressources pour être soigné gratuitement. Je crois que c'est une nécessité dans cette fin de XXème siècle.”
 
Q - Mais l'opposition insiste et vous dit : mais avec votre projet qui ne prévoit pas pour l'ensemble de la Sécurité sociale, des économies de fonctionnement, il y aura inévitablement, du fait du coût de la CMU, des augmentations de cotisations. Et qui va trinquer ? Les classes moyennes.

- “Il faut répondre très simplement là-dessus que : un, aujourd'hui, le fait, qu'on ne soigne pas des gens, de manière préventive au départ d'une maladie, cela coûte très cher à la Sécurité sociale. Une petite fille que j'ai connue, à Lille, atteinte d'une septicémie parce que ses parents n'ont-pas pu-soigner un abcès dentaire, coûte-plus cher à la Sécurité sociale que si nous avions prévenu. Des hommes et des femmes qui arrivent, aujourd'hui, avec des cancers éclatés à l'hôpital, sans avoir jamais vu un médecin - et ça arrive tous les jours aux urgences des grands hôpitaux, aujourd'hui, en France, ça coûte plus cher. Je ne vous parle même pas de l'aspect social qui est pour moi l'essentiel. Donc il faut savoir qu'en soignant mieux, en prenant plus tôt, c'est non seulement un devoir d'assistance à une personne en danger, mais c'est aussi des économies pour la Sécurité sociale. Enfin, je rappelle que ce projet, qui vise à donner une couverture complémentaire à ceux qui n'en ont pas, comme 85 % des Français qui en ont déjà, n'est en rien payé par la Sécurité sociale. Elle est payée par la solidarité nationale; c'est-à-dire : par le budget de l'Etat, par une contribution sur les assurances et sur les mutuelles et par les sommes qui reviennent des départements.”

Q - Vous êtes sûre qu'il n'y aura pas de hausse de cotisation ?

- “Il n'y aura pas de hausse de cotisation. Ça, je peux le dire à 100 %.”

Q - Vous introduisez la concurrence entre les caisses d'assurance-maladie et les assurances privées, en permettant aux uns et aux autres d'être en concurrence pour la prise en charge de la totalité des dépenses maladies des plus démunis. Alors pourquoi pas extension pour la suite ? Ça concurrence ? C'est pour demain ?

- “Soyons clairs : il s'agit là, vraiment d'un faux-procès. Il y a dans notre pays deux choses : le régime de base qui touche tous les Français sauf 200 000 environ, et ils vont être couverts. Et puis il y a le régime complémentaire qui ne dépend pas de la Sécurité sociale aujourd'hui pour aucun Français. Le régime complémentaire c'est quoi ? C'est le fait que vous avez une assurance, une mutuelle, ou une institution de prévoyance, qui vous paye en tout ou partie, le ticket modérateur sur les médicaments, sur la visite chez le médecin, ou le forfait hospitalier. Ceci n'est pas pris en charge par la Sécurité sociale, pour aucun Français aujourd'hui 85 % d'entre eux sont couverts par une complémentaire. Ce que nous voulons, c'est que les 6 millions de personnes qui, aujourd'hui, sont les plus défavorisées dans notre pays, aient le droit gratuitement à cette complémentaire comme tous les Français. Il n'y a donc aucune modification de frontière entre la Sécurité sociale de base et “la complémentaire” comme nous disons. Nous voulons simplement que ceux qui n'avaient pas les moyens de se la payer, puissent effectivement l'avoir gratuitement. Donc ceci est un faux-procès. Que certaines assurances rêvent, un jour, de prendre en charge la Sécurité sociale, peut-être. En tout cas tout ce que nous faisons pour qu'elle revienne à l'équilibre et qu'elle puisse perdurer, repousse, je l'espère, cette échéance à très lointain, à très long, pour ne pas dire à jamais.”

Q - La France est menacée de devoir payer une astreinte d'1 million de francs par jour, si elle ne met pas en application les directives européennes, qui prévoient que les femmes doivent travailler la nuit. C'est interdit en France.

- “C'est interdit essentiellement dans l'industrie ; enfin c'était interdit essentiellement dans l'industrie. Vous savez qu'il y a quand même 650 000 femmes qui travaillent de nuit - des femmes cadres ou des femmes dans les services, dans les commerces, dans l'artisanat. C'était interdit dans l'industrie jusqu'en 1992, où nous avons dénoncé la Convention du Bureau International du Travail, qui nous a engagé à interdire le travail de nuit des femmes. Nous l'avons fait sur injonction de la Commission européenne, qui considère que l'égalité entre les hommes et les femmes fait que, les femmes peuvent, doivent pouvoir travailler la nuit.”

Q - Comme les hommes.

- “Voilà. Depuis que nous avons dénoncé cette Convention, une femme qui le demande peut travailler la nuit. En revanche, nous devons réfléchir à ne pas banaliser le travail de nuit des femmes. Nous savons que ceci pose des problèmes d'organisation, notamment de la vie familiale. Et nous devons travailler pour trouver…”

Q - Mais vous allez faire quelque chose ?

- “Nous allons travailler pour trouver des conditions, pour aller au-delà de ce que nous avons déjà fait en 1992.”

Q - Mais vous allez abolir cette interdiction ou pas ?
 
- “On va y travailler !”.

Q - Oh, là, là ! Vous fuyez !
 
- “Pour l'instant, encore une fois, je le dis très simplement, personne ne peut empêcher une femme de travailler de nuit. C'est déjà ça la base de l'égalité. En revanche, les employeurs ne peuvent pas imposer dans l'industrie le travail de nuit aux femmes. Et c'est cela qui nous est reproché. Nous avions beaucoup travaillé en 92 ; je regrette que, sur ce dossier-là comme sur beaucoup d'autres, manque de courage sans doute, les deux gouvernements qui nous ont précédés, n'aient pas continué à avancer.”