Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Le thème que vous avez choisi pour ces journées de réflexion et de dialogue est immense. Ne m’en veuillez pas si, avec beaucoup d’arbitraire, je n’en traite que quelques aspects, passant sous silence des questions vitalité qui – j’en suis convaincu – seront abordées par d’autres au cours de cette semaine. Au moins veux-je saluer d’entrée de jeu la sagesse peu banale des organisateurs de cette manifestation qui, choisissant à propos de la communication l’interrogation provocante « Et le politique », ont eu l’heureuse idée de demander notamment à quelques responsables politiques d’y répondre. J’apporterai volontiers ma contribution à la réflexion commune, comme observateur, comme acteur, comme législateur, mais surtout comme un citoyen qui sent, qui sait, comme vous, que dans cette société de l’information se trouve le plus formidable changement auquel nous ayons à faire face et dont même les plus imaginatifs d’entre nous n’ont encore qu’une faible idée.
Réfléchissant à ces thèmes, je m’apprêtais à les aborder en public dimanche dernier, lors d’une fête populaire à Frangy-en-Bresse, charmant village de Saône-et-Loire, lorsque certains éléments intervinrent que l’Histoire de France ne retiendra pas nécessairement, mais qui sont ma première contribution à notre réflexion. J’appellerai volontiers cela « l’apologue du micro, du satellite et de la friteuse ». J’avais donc prévu d’expliquer aux populations bressanes les conséquences à attendre de la société de l’information, comment maîtriser ces technologies sans être maîtrisés par elles, quelles actions le politique pouvait entreprendre pour éviter un creusement des inégalités dans chaque pays et entre les pays. La télévision nationale était là : TF1, France 2, France 3… car je devrais aborder quelques autres sujets.
Et voilà qu’à peine commencé mon propos, relayé par le micro indispensable pour s’exprimer devant un millier de spectateurs, dans un champ, sous le soleil, le micro s’interrompt. Mais pas une fois. Ni deux. Six fois. Cinq minutes de son, cinq minutes sans. Je ne sais si vous avez fait cette expérience. Elle est intéressante. Je termine malgré tout mon discours. Applaudissements : les Bressans sont polis. Je descends de l’estrade et je me renseigne. C’est là où nous entrons dans le vif de notre sujet. Renseignement pris : les organisateurs – militants politiques aguerris – de la fête et les journalistes avaient ensemble mis au point une installation dans laquelle un générateur d’énergie unique devait servir, à la fois, à alimenter le micro, le car de TF1 et la friteuse du stand de restauration voisin. Quand je dis « servir à la fois » c’est inexact. C’était ou bien TF1, ou bien le micro, ou bien la friteuse. Le résultat fut sans surprise. Ce fut le micro qui perdit. On pourrait tirer de cet apologue de nombreuses leçons. Que, même au temps de la société de l’information, les militants politiques ne connaissent pas toutes les conséquences de la technologie ; queTF1 est mieux ou moins bien équipée que France 2, celle-ci n’ayant pas connu la difficulté puisque, faute de matériel sur place, ses journalistes durent porter leurs cassettes à la plus proche station régionale de FR 3, ce qui explique sans doute qu’aucun reportage ne fut diffusé au journal de France 2 ce soir-là… je pourrais continuer la liste. En tout cas, j’en tire une incontestable leçon : on peut, on doit s’interroger sur « et le Politique ? », mais on ne doit jamais oublier la question pratique « et la friteuse ! »
Mesdames, Messieurs, même si en France, cela se fait avec beaucoup de retard, on comprend qu’en cette fin de siècle, si compliquée à déchiffrer, un phénomène surpasse les autres : le progrès spectaculaire des moyens de communication et de ce qu’il est désormais convenu d’appeler les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les NTIC. C’est le prélude à une révolution – la révolution numérique – qui va nous conduire d’une économie fondée sur la maîtrise et la transformation de la matière, à une économie organisée autour de signaux invisibles, intangibles, capables de circuler à la vitesse de la lumière en ignorant les frontières, les monnaies et parfois les lois. Leur coût ne cessera de se réduire, leur usage de s’étendre. Au-delà de l’économie-monde, c’est une culture-monde, une démographie-monde, un mode de vie-monde qui se profilent, ou risquent de se profiler c’est notre vie sociale et culturelle, notre système de formation, notre notion du temps, d’une certaine façon notre rapport aux autres qui vont s’en trouver bouleversées.
Que peut le politique face à cette révolution des NTIC ? Il n’en est pas l’instigateur, ni toujours l’acteur. Il en est quelquefois l’utilisateur, plus souvent l’observateur. Symétriquement, de nouvelles technologies ne remettent-elles pas en cause nos concepts mêmes de l’animation, du débat, de la discussion politique ? Vaste interrogation…
Ces questions conduisent en général à deux catégories de réponses et d’attitudes.
1. La première, « providentialiste », présente les nouvelles technologies comme le remède à tous les maux dont nos sociétés développées souffrent. Le chômage serait vaincu par les centaines de milliers d’emplois qu’elles créeront. La croissance économique sera dopée par un processus d’innovation en chaîne. La cohésion sociale sera refondée dans le cadre d’une démocratie participative numérique où tous les citoyens seraient réunis autour d’un forum virtuel.
Tout n’est pas faux dans ce raisonnement.
a) Nous savons que les nouvelles technologies ne sont pas un phénomène isolé, mais s’insèrent dans un mouvement global de transformation de l’économie et de la société, lié à leur tertiarisation et à leur mondialisation. Nous pouvons beaucoup en attendre, notamment dans la lutte contre le chômage. De nouveaux services et de nouveaux métiers seront suscités par le télétravail, le télépaiement, le télé-enseignement, le diagnostic médical à distance. Certains chiffrent à plus d’un million les emplois que l’Europe pourrait créer simplement en comblant son énorme retard dans les NTIC.
b) Nous savons aussi que les longues phrases d’expansion économique sont engendrées par l’élaboration et la diffusion massive des nouvelles technologies. C’est le processus de destruction créatrice cher à Schumpeter. Aux États-Unis, une récente étude leur attribue le tiers de la croissance enregistrée l’an passé.
c) Nous savons enfin qu’il existe un lien fort entre la communication, les nouvelles technologies et la démocratie. On se souvient des étudiants de la place Tiananmen qui communiquaient au reste du monde leur désir de liberté par le biais de leurs fax ou par les images télévisées si fortes qui étaient retransmises. Le multimédia sape les sociétés répressives.
Attention, cependant, à ce que j’appellerai le « principe d’émerveillement ». Les nouvelles technologies peuvent stimuler la croissance, elles ne résoudront pas nos difficultés sociales. Elles peuvent et doivent participer à la réforme de l’Etat : je pense par exemple aux maisons de service public en milieu rural. Elles peuvent contribuer à la rénovation de la démocratie, notamment de la démocratie locale par la mise en réseau des collectivités territoriales. Mais elles n’assureront pas, à elles-seules, la reconquête du civisme. Qui plus est, au moment même où nous parlons de la rénovation numérique comme si elle avait déjà abouti, quatre milliards de personnes n’ont pas encore le téléphone. En France, quelques centaines de milliers de personnes seulement accèdent au réseau Internet. Et rappelons-nous la friteuse : ne confondons donc pas une cyber oligarchie, même éclairée, avec la démocratie.
2. À ces données brutes, s’ajoute la liste des effets pervers possibles dont l’inventaire structure un second type de discours, « catastrophique ». Big Brother revu par Microsoft ! Une telle dramatisation n’est pas le seul fruit de fantasmes millénaristes ; elle a des raisons.
Sur le plan des principes d’abord, l’extension incontrôlée des moyens de collecte et de traitement des données informatisées sur les individus pose un redoutable problème moral. Face à cela, le politique ne doit pas oublier que l’une de ses missions, peut-être la plus essentielle, consiste à protéger les droits des personnes, l’intégrité de leur vie privée et l’ensemble de leurs libertés. Respect des individus, sécurité des transactions, responsabilité des acteurs, c’est à la loi de dire cela.
Le problème existe notamment en matière de surveillance des réseaux. Pornographie, pédophilie, prostitution, racisme et antisémitisme, appel à la violence et résurgence des idéologies fascistes, trafic de drogue et activités illicites se transportent aussi sur Internet. Comme l’argent sale a ses paradis fiscaux, les commerces inavouables ont leur paradis télématique. On répond souvent : rien à faire. Cela me paraît trop rapide. Laisser-faire et affairisme se rejoignent parfois. Pour faire appliquer les lois humaines dans un espace numérique et virtuel, n’est-il pas possible de développer une sorte d’Interpol électronique chargé de patrouiller à travers les réseaux ? Les réseaux l’auraient définitivement emporté sur toute régulation ? Impossible de renoncer sans combattre. Pour que la réalité virtuelle ne devienne pas un espace de non-droit.
Les nouvelles technologies risquent surtout d’amplifier les inégalités. Les nouvelles technologies n’ont pas à elles-seules le pouvoir de réduire les difficultés d’intégration sociale. Bien au contraire, elles peuvent ajouter des obstacles en provoquant une accentuation de l’individualisme, doublé d’une fracture technologique entre inforiches et infopauvres. « Et le politique ? » Et bien le politique et plus encore la gauche parce que l’égalité est le cœur de son combat, ont, dans leur tâche, de chercher à assurer à tous une participation à la société de l’information, un motif et une faculté d’agir ! La société de l’information ne peut pas être la société de l’exclusion. Cela passe notamment par la diffusion des nouveaux savoirs à l’école, j’y reviendrai…
Une dernière crainte empruntée aux arguments du discours « catastrophiste » mérite d’être examinée. Les Toffler l’ont baptisé « Powershift », « changement de pouvoir ». Celui qui maîtrise les infrastructures de transmission et de diffusion de l’information dispose d’un moyen de domination économique linguistique, culturel. Sur l’hégémonie des réseaux, se bâtiront des plus-values culturelles, donc financières. Sur ce nouveau cosmopolitisme peut s’installer le conformisme, la banalisation, l’homogénéisation. Le contrôle des ressources naturelles, des armements, des frontières ou des réserves monétaires, apanages traditionnels de la puissance étatique, ne suffira plus à assurer l’intégrité des États-nations. Les réseaux contre les nations ? Par ce biais, c’est aussi une idéologie, celle de l’hyperlibéralisme, qui risque de triompher, niant ou gommant l’effet des décisions politiques au profit du seul jeu des forces du marché… et des États-Unis.
Car ceux-ci ont compris avant les autres, l’extraordinaire puissance qu’ils pouvaient tirer de la maîtrise des infrastructures de communication. Ils ont créé à des fins militaires le réseau Internet, puis encouragé son développement auprès du grand public. Ils ont inventé et popularisé l’idée d’autoroutes de l’information. Les ordinateurs, mêmes si l’on traduit leurs interfaces, « parlent et réfléchissent » en anglais. La quasi-totalité des microprocesseurs sont fabriqués aux États-Unis. Sur les dix premiers fournisseurs mondiaux de logiciels, huit sont américains. Tels sont les faits, graves notamment pour la France et la Francophonie. Pour autant, il n’y a rien d’inéluctable. De grandes réussites françaises ont été possibles dans le domaine informatique. Nous pouvons dominer la source de l’innovation notamment en matière de composants et de services (je songe bien sûr à Thomson). L’Europe possède une puissance technologique considérable. Forte et unie, elle peut faire exister sa culture, son originalité, ses idées, son modèle. À condition de savoir coopérer. Cela passe par un plan d’ensemble européen dont la France pourrait être à l’origine : un plan européen pour les NTIC.
Bien évidemment, il faut nous garder de ces réponses providentialistes et catastrophistes. Ou d’un autre discours, celui du technocratisme triomphant, pour lequel il suffirait que les pouvoirs publics décident que les nouvelles technologies doivent être maîtrisées pour qu’elles le soient. Certes, il fut une époque où l’État en France, ayant décidé de moderniser son réseau de télécommunication, de créer Transpac et de promouvoir le Minitel, se plaçait en tête du mouvement. Mais aujourd’hui le modèle qui a produit ces grands succès est largement obsolète. Ne pensons donc pas à répéter ce « modèle » car devant la multitude des options technologiques possibles, le temps des grandes constructions unilatérales décidées par décret élyséen ou matignonesque est révolu. Je ne dis pas pour autant que le politique et l’intervention publique soient devenus inutiles, au contraire, mais ils ne peuvent plus prendre la même forme qu’auparavant. Stimulation, régulation, incitation, amplification doivent être les maîtres mots d’une société mixte où la puissance publique et l’initiative privée se complètent, d’une société en réseau. Dans ce cadre, la société de l’information naissante doit entretenir avec les schémas classiques de la pensée et de la vie politique une relation nouvelle. Des actions sont possibles et nécessaires pour encourager la révolution provoquée par les nouvelles technologies de l’information tout en la maîtrisant. Il est grand temps d’agir pour combler le fossé qui actuellement s’élargit entre individus pré et post numériques. Le Premier ministre a exposé hier son analyse, qui, nous l’espérons tous, se traduira par un indispensable tournant. Sans revenir sur notre retard calamiteux (aux États-Unis 40 % des foyers sont équipés d’un micro-ordinateur, 4 % seulement en France), j’insisterai pour ma part sur trois points.
1. En matière d’éducation.
Nul doute que le gouvernement fera rapidement des propositions sur ce point.
1. Il est, en effet, indispensable de former les élèves à l’utilisation des nouvelles technologies à la fois comme discipline à part entière, comme moyen d’enrichir l’enseignement des matières traditionnelles et comme outil de recherche.
2. La formation des enseignants aux nouvelles technologies dans les IUFM devrait être non seulement rendue obligatoire, mais également réorientée vers l’utilisation pédagogique de l’outil informatique, ainsi que la formation continue des enseignants.
3. Les établissements doivent être équipés. Il sera nécessaire de réaliser un état précis du parc installé dans le but d’établir un plan pluriannuel d’équipement. Il faudra, sans doute, mettre en place un partenariat entre l’État, les collectivités territoriales, les constructeurs et les opérateurs portant sur les conditions d’acquisition du matériel. Est-ce un rêve que de tracer la perspective d’un ordinateur par enseignant, d’une mise en réseau des enseignants et des établissements, voire de la réalisation d’une salle de visio cours interactif dans chaque collège et dans chaque lycée ? En tout cas, ne perdons pas de temps.
4. Ne nous cachons pas que ce sont là des investissements importants. Ils sont indispensables si on veut combler le retard et favoriser dès l’enfance, l’âge des apprentissages, la pratique de ce nouveau savoir. Ils auront des effets économiques positifs en aidant à surgir ou à se développer, par le volume de commandes qu’exigera l’achat de ces équipements, un certain nombre d’entreprises du secteur. Mais les moyens des équipements scolaires ne sont pas infinis. De même qu’il est nécessaire que le coût de la connexion téléphonique à Internet soit forfaitisé pour ces usagers d’un type particulier, il faudra sans doute sous l’égide du ministère de l’éducation nationale accroître et étendre à l’ensemble des NTIC la procédure dite de « licence mixte » qui permet aux établissements scolaires d’acquérir à des tarifs préférentiels certains logiciels dont l’utilité et le contenu pédagogiques ont été validés.
Tout commence à l’école et avec les enseignants. C’est là que se maîtrisera la société de l’information.
2. S’agissant des familles, nous sommes nombreux à considérer qu’il faut rendre plus facile l’acquisition de matériel micro-informatique multimédia et communicant. Par quelle méthode ? Là aussi des propositions seront certainement faites. Outil fiscal ? Il serait à mon avis souhaitable que soient étudiées des formules, notamment de prêt à taux zéro, pour qu’aucun foyer ne soit exclu de l’ouverture et du progrès que représentent ces nouveaux équipements.
3. Nous devons aussi nous adresser aux PME/PMI avec deux objectifs :
Encourager la création d’entreprises innovantes. Les jeunes entrepreneurs français sont souvent obligés de s’expatrier pour développer leurs projets. Cherchons – les députés y sont sensibles – à alléger les procédures étatiques encore beaucoup trop lourdes et encourageons l’utilisation du capital-risque.
Aidons aussi les PME à développer en interne l’usage des nouvelles technologies. Elles amèneront des gains de productivité. Des mesures d’incitation fiscale, comme le crédit d’impôt, sont à étudier.
Comment financer ? Plusieurs sources sont exploitables et il faudra bien trancher entre elles, car on n’avancera pas sans moyens concrets.
a) Utiliser partiellement la recette tirée d’une éventuelle ouverture du capital de France Telecom.
b) Affecter une partie de la contribution recherche et développement des opérateurs de télécommunications à l’équipement des établissements scolaires. Je rappelle qu’un cinquième de ces sommes représentent un milliard.
c) Réfléchir, au niveau international, à la question de savoir si et comment taxer les échanges commerciaux sur le net, qui échappent pour l’instant à tout prélèvement. Faut-il que le Web soit un espace totalement défiscalisé ? On ne peut pas faire l’impasse sur cette interrogation. Actuellement évalué à 6 milliards de francs, le commerce réalisé sur le net pourrait, à l’horizon 2000, dépasser 50 milliards pour le grand public et plusieurs centaines de milliards pour la sphère professionnelle.
II. – La réflexion sur le développement des nouvelles technologies n’est pas séparable de celle sur l’audiovisuel. C’est le second aspect que j’aborderai brièvement.
Le futur projet de loi sur lequel s’est exprimé Madame Trautmann viendra dans quelques temps à l’examen du Parlement. Au moins cinq principes me paraissent à privilégier : la fiabilité de l’information, la liberté d’accès à celle-ci, la qualité des programmes, le soutien à notre production, la défense de notre exception culturelle. Si ces principes ne s’appliquent pas totalement de la même façon au secteur privé et au service public, il me semble que toutes les entreprises audiovisuelles doivent y être soumises. Pour qu’ils soient appliqués, le conseil supérieur de l’audiovisuel (dont le président de l’Assemblée nationale nomme un membre sur trois), devra voir son indépendance renforcée. Une totale transparence de ses décisions, une motivation systématique de ses avis me paraissent nécessaires et une fusion éventuelle pourrait être étudiée avec l’autorité de régulation des télécommunications. Le président du CSA vient d’ailleurs de s’exprimer d’une façon fort intéressante sur plusieurs de ces sujets. Enfin, rien ne sert d’accroître les moyens de contrôle si l’on augmente pas également les possibilités de sanction, notamment en matière de renouvellement de concessions. Ne serait-il pas utile qu’elles soient désormais encadrées par des conditions indiscutables ? Mais cette clarté ne peut être unilatérale, si elle ne veut pas être injuste. Il faut aux pouvoirs publics balayer devant leur porte et instaurer enfin ce code de l’audiovisuel qui fait actuellement défaut aux juristes, aux professionnels et aux téléspectateurs. Une loi mieux connue, mise à la disposition de tous et faisant davantage place au droit et à la justice, sera, je l’espère, mieux respectée.
S’agissant du secteur privé, une question pèse depuis longtemps sur la vie publique : peut-on laisser des entreprises qui concourent de façon importante à des marchés publics exercer le contrôle d’une société, d’un groupe de presse écrite ou audiovisuelle sans que des garanties leur soient imposées et sans que l’indépendance managériale des sociétés de radio ou de télévision qu’ils contrôlent soit assurée ? Il me paraît souhaitable qu’on agisse à cet égard non seulement dans le sens d’une réelle moralisation, mais également, même s’il faut éviter de confondre les deux débats, qu’on se préoccupe de la concentration de certaines entreprises de presse et de communication, tout en sachant que nous avons besoin de grands groupes à base française et européenne.
La « moralisation » passe également par une moins grande dépendance du service public à l’égard des ressources publicitaires. Un maximum de recettes publicitaires nécessite un maximum de téléspectateurs, donc des programmes qui correspondent à cette nécessité économique. Cette logique ne peut pas être celle du service public. Son offre de programme doit obéir à une conception volontariste, qualitative et civique du rôle de la télévision. Sinon, un jour, quelqu’un finira par se demander pourquoi on paye la redevance et pourquoi telle chaîne est publique si elle diffuse les mêmes programmes que telle autre qui est privée. Telle n’est pas mon approche. L’État doit agir en véritable responsable du développement des chaînes publiques. Cela passe par des ressources suffisantes pour le « service public » et par une régularité pluriannuelle de celles-ci que le président de l’Assemblée nationale, quoique soucieux de l’annualité budgétaire, doit évoquer, car les gestionnaires de ces entreprises fragiles en ont besoin. Il faut enfin que les chaînes publiques – parce que le service public est par nature universel – soient accessibles dans les meilleures conditions de couverture et de réception, ce qui implique, me semble-t-il, de ne pas lier leur sort à un seul opérateur, mais au contraire d’obtenir de tous les satellites – actuellement Astra et Télécom 1 – qu’ils les émettent en clair et gratuitement.
L’objectif est d’une part de réussir la révolution numérique de l’audiovisuel, ce qui passe – je le dis incidemment – par une entente entre chaînes cryptées pour définir et choisir un décodeur unique (il faut tout de même respecter le téléspectateur), d’autre part, d’offrir la plus grande qualité de programme au plus grand nombre. Il peut y avoir bien sûr d’excellentes émissions sur TF1 ou M6 et de mauvaises sur les chaînes publiques. Et l’inverse. Mais on ne peut pas s’en tenir seulement aux forces du marché pour faire connaître au plus grand nombre certaines œuvres de l’esprit et certains aspects de notre culture. Il s’agit d’associer et non d’exclure l’une de l’autre les diverses télévisions. Le dynamisme d’Arte ou de la Cinquième prouve que le public peut être séduit par des programmes des chaînes publiques, sans ignorer la part qui doit être faite au divertissement et à la distraction. Cela exige, dans notre pays où, contrairement à la situation que vivent les États-Unis, il n’existe pas de « second marché » de la fiction, à la fois que la loi qui sépare les diffuseurs des créateurs soit appliquée afin d’appuyer le dynamisme de ces derniers et qu’un véritable marché européen se construise.
III. – Les chaînes publiques s’enrichiront bientôt d’une nouvelle venue : la chaîne parlementaire et civique, dont je souhaite – j’aborde ici plus directement certaines initiatives de l’Assemblée nationale – qu’elle puisse commencer à diffuser en 1998 et dont les modalités devront être concertées avec le Sénat. Nous savons que nos concitoyens ne sont pas les champions de l’éducation civique et que, par ailleurs, une certaine distance, dommageable, existe entre nos compatriotes et leurs représentants. Réduire ces lacunes, ces distances, voilà un des objectifs ambitieux de la chaîne parlementaire et civique qui, évidemment, ne devra pas être « une chaîne pensum ». Canal Assemblée existe, qui, en 1992, a commencé à retransmettre en direct les séances publiques. Je compte, dans les prochains mois, rendre publique, après toutes les concertations utiles, les grandes options de la future chaîne, son organisation, ses partenaires, son financement, sa ligne éditoriale, afin qu’elle soit en mesure d’émettre à l’automne 98. Ouverture, objectivité, interactivité seront indispensables. Ouverture aux problèmes de société au-delà du seul travail parlementaire. Objectivité pour que les programmes dispensés répondent à ce qu'on attend du Parlement. Interactivité afin d' enrichir et de multiplier les possibilités de choix du téléspectateurs.
D'une façon plus générale, l'Assemblée cherchera à prêcher par l'exemple en faisant entrer vigoureusement les nouvelles technologies au Palais Bourbon. Cela se fera par la mise en œuvre du programme PRATIC, programme pour l'Assemblée des technologies de l'information et de la communication.
Nous chercherons d'abord à rendre plus accessible l'information parlementaire et civique. « Nul n'est censé ignorer la loi » : cet adage ne doit pas rester vain. En permettant l'accès libre et gratuit de tous aux textes officiels, comme l'a indiqué hier, et je l'en remercie chaleureusement, Lionel Jospin, ainsi qu'au contenu des débats, et aux rapports parlementaires, nous contribuerons à faire reculer la méconnaissance de la norme et nous étofferons le serveur Internet de l'Assemblée. Par ailleurs, en créant une messagerie parlementaire et en attribuant à chaque député une adresse électronique, nous offrirons aux citoyens un nouveau moyen possible de dialogue avec leurs élus et à ces derniers une nouvelle façon, s'ils le souhaitent, de tenir leur permanence. Enfin, je suis favorable à ce qu'avant la fin de l'année, tous les groupes politiques qui sont représentés puissent s'exprimer et dialoguer avec les citoyens sur le site de l'Assemblée nationale.
Les parlementaires eux-mêmes devront être sensibilisés et formés à l'usage des nouvelles technologies. Aussi installerons-nous rapidement à la jonction entre l'Hôtel de Lassay et le Palais Bourbon une salle multimédia ouverte aux élus et à leurs collaborateurs. Connexions multiples à Internet, accès à une large bibliothèque de CD-ROM, initiation aux produits ou projets innovants dans ce domaine, gageons qu'une fois leur timidité vaincue, beaucoup de mes collègues viendront y faire leur première expérience informatique et que le câblage généralisé de nos bâtiments et la multiplication des points d'accès au réseau progresseront rapidement.
Nous devons enfin, autre élément du programme PRATIC numériser la procédure législative. Un tel projet, ambitieux et complexe, consiste principalement à dématérialiser le processus de production des documents législatifs, des rapports de commission et des amendements ainsi qu'à rendre accessible aux parlementaires, en temps réel et depuis n'importe quel terminal, qu’ils se trouvent dans leur bureau ou ailleurs, l'ensemble des bases de données de l'Assemblée et des textes en cours de discussion. Le gain d'efficacité pour le travail législatif sera incontestable et fera pénétrer de plain-pied l'Assemblée et ses députés dans l'an 2000. Je n'oublie pas que c'est précisément la fonction qui m'a été confiée : préparer avec tous les députés de l'Assemblée nationale du nouveau siècle.
Mesdames, Messieurs,
J'ai la conviction, comme chacun ici, que les nouvelles technologies de l'information et de la communication doivent devenir une priorité de premier plan des pouvoirs publics et de la société tout entière. Non pas pour elle-même, car la technologie n'a pas de finalité propre, mais parce qu'elles nous fournissent à la fois l'occasion et le moyen de construire et de dominer notre avenir, au service de la personne humaine ! Un tel débat de fond, engagé hier excellemment par le Premier ministre, doit-il être porté devant l'Assemblée nationale ? Je réponds : oui et pourquoi pas dès cet automne ! La France est en retard. Notre volonté de combler ce retard doit nous permettre de réussir. Ne serait-ce pas une façon concrète de répondre à vos interrogations sur : « Et le politique ? »