Interviews de M. Jack Lang, membre du bureau national du PS, à Europe 1 le 22 octobre 1999 et à RTL et LCI le 24, sur la défense des droits de l'Homme et la visite en France du président chinois, le cumul des mandats, la défense de l'exception culturelle, le procès de M. Papon, la gestion de Paris et le projet de taxation des oeuvres d'art.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde LCI - Europe 1 - La Chaîne Info - RTL - Télévision

Texte intégral

Europe 1 le 22 octobre 1999

Arlette Chabot : Le président chinois arrive ce soir en France à Lyon, venant de Grande-Bretagne. On met les petits plats dans les grands comme on dit en France pour l'accueillir. Est-ce que l'on doit le recevoir et sans états d’âme ?

Jack Lang : Pas de discussion sur son accueil à Paris, il est normal que nous préservions et même approfondissions les relations d'Etat à Etat. La Chine est une grande nation, nous la respectons, nous l'aimons et personnellement je me réjouis du réchauffement des relations d'État à Etat. Mais pour autant on ne doit pas réserver le tapis rouge aux seuls officiels chinois, je pense qu'il faut aussi réserver un minimum d'attention aux citoyens chinois dont la liberté est souvent en cause.

Arlette Chabot : Vous avez une répartition des rôles : Président de la République, le Premier ministre, les présidents des assemblées reçoivent le président et puis vous, tout à l'heure, vous allez recevoir un des grands dissidents chinois, c'est ça ?

Jack Lang : Il n'y a pas de répartition des rôles organisés, peut-être que l'on peut objectivement constater qu'il y a deux partitions qui j'espère seront complémentaires, et je ne doute pas que les hautes autorités de l'Etat qui rencontreront le président chinois lui diront en tête à tête, face à face ce qu'elles pensent de la situation des droits de l’homme en Chine et en particulier le Premier ministre qui est un militant de toujours des droits de l’homme, et de même lorsque le président de l'Assemblée nationale le recevra lundi.

Arlette Chabot : Vous ne pensez pas quand même que l'on est franchement hypocrite avec la Chine ? On veut bien défendre les droits de l’homme, défendre aussi le Tibet, mais on ne veut pas rater un contrat.

Jack Lang : C'est absurde. Je persiste à penser que la Real Politik n'est pas la plus réaliste des politiques et que les régimes d'autorité ne respectent pas nécessairement ceux qui seraient trop complaisants avec eux…

Arlette Chabot : Donc il ne faut pas être complaisant, mais en faire plus alors ?

Jack Lang :  … J'observe que la diplomatie des petits pas qui est menée depuis quelques années, a échoué. On a retiré de la Commission des droits de l’homme des Nations unies la question des droits de l’homme en Chine. Avec quel résultat ? J'observe que le président Clinton qui s'est rendu à Pékin avait publiquement interpellé le président chinois sur le Tibet et le président chinois avait dit : "Oui, j'entreprends un dialogue avec le Dalaï Lama à travers un canal particulier." Résultat néant. Le successeur du Dalaï Lama qui, aujourd'hui a 10 ans, est depuis quatre ans cache quelque part, il a été enlevé par les autorités chinoises, on est sans nouvelle de lui et c'est sans doute l’un des prisonniers politiques les plus jeunes du monde.

Arlette Chabot : Vous êtes en train de critiquer l'attitude du Président de la République et l’attitude du Premier ministre à l’égard de la Chine. Vous dites : « La diplomatie des petits pas, ça ne marche pas. »

Jack Lang : Je crois qu'il y a des stratégies différentes. Je ne mets pas en cause les convictions naturellement certaines des uns ou des autres en faveur des droits de l’homme. Mais il n'est pas mal que l’Assemblée nationale, et en particulier la commission que je préside qui depuis deux ans et demi a voulu être une tribune des droits de l’homme et des droits des peuples – nous avons reçu il y a deux ans le Prix Nobel de Timor, nous avons reçu d'autres personnalités pour bien montrer l'attachement de notre pays aux droits de l’homme... Et puis, je dirais plus globalement, que nous nous sommes battus les uns et les autres – et personnellement je m'en suis réjoui - pour les droits de l’homme au Kosovo. Nous avons fait la guerre à la Serbie, faut-il tout à coup céder lorsque c'est un grand pays, la Chine...

Arlette Chabot : C'est quand même plus facile de s'attaquer effectivement à Milosevic ou à Pinochet à la retraite qu'a Jiang Zemin, non ?

Jack Lang : Où qu'il habite, un citoyen du monde doit se sentir protégé dans ses droits d'être humain. Aucune considération stratégique ou commerciale ne doit nous détourner de notre idéal.

Arlette Chabot : Pour vous, Jiang Zemin c'est un dictateur ?

Jack Lang : Certes, depuis la révolution de 1949 des progrès économiques et sociaux ont été accomplis, depuis Deng Xiaoping une certaine liberté d'être dans la vie et les mœurs s'est réalisée. Mais en même temps les arrestations arbitraires se multiplient, les interdictions de partis politiques sont maintenues, les exécutions massives – record mondial : 3 000 par an – se multiplient, les emprisonnements sans procès, sans compter la destruction du patrimoine chinois et en particulier du vieux Pékin, et personnellement – je n'ai pas la mémoire courte – je n'oublie pas les massacres de Tien An Men.

Arlette Chabot : Est-ce que lorsque le Président de la République reçoit son homologue chinois en Corrèze à Bity, vous êtes choqué ?

Jack Lang : Je n'ai pas à apprécier, en cette période, le Président de la République...

Arlette Chabot : Il en fait trop ?

Jack Lang : II accomplit sa mission comme il l'entend et je ne vais pas m'immiscer dans sa façon de concevoir les choses. Ce qui me paraît important, c'est que, lorsqu'ils rencontreront le président chinois, les plus hauts responsables de l'Etat puissent lui dire ce qu'ils pensent sur ces sujets. Et je suis certain en particulier que le Premier ministre, L. Jospin, dira ce qu’il a à dire sur ces sujets.

Arlette Chabot : La seule solution c'est de parler du problème des droits de l’homme avec les Chinois ou il faut faire plus ? Et quoi ?

Jack Lang : Personnellement je crois qu’il faudrait faire plus en effet et en particulier. Par exemple, je souhaiterais que la question des droits de l’homme en Chine revienne à l’ordre du jour de la Commission des droits de l’homme aux Nations unies.

Arlette Chabot : La Chine a ratifié deux pactes des Nations unies sur les droits économiques et sociaux et sur les droits civils et politiques. Ce n'était pas un pas, ça ?

Jack Lang : Oui, mais ça ne se traduit par rien, c'est simplement une décision d'apparence. Mais prenons là tout de même pour ce qu'elle est et demandons aux Chinois de mettre en application leurs engagements.

Arlette Chabot : Puisque vous voulez être plus volontariste que d'autres, vous irez manifester avec ceux qui protestent contre le sort fait au Tibet ou contre les dissidents chinois ?

Jack Lang : J'y serais volontiers allé, simplement je dois tout à l'heure partir à Blois pour un...

Arlette Chabot : Ce n'est pas une bonne excuse ça !

Jack Lang : Non, pas du tout, absolument pas ! Si dimanche je peux revenir à temps de Blois, j'irais à la manifestation à Paris.

Arlette Chabot : Quels conseils avez-vous donnés à L. Jospin avant cette visite ? Il vous l'a demandé ?

Jack Lang : Je n'ai pas de conseils lui donner. C'est un homme qui a à la fois le sens de l'Etat, c'est un homme d'Etat, c'est un humaniste qui se bat là où il le peut, avec sa propre façon d'être, pour les droits de l’homme, et je ne doute pas une seconde qu'il dira ce qu'il a à dire au président Chinois.

Arlette Chabot : Comment suivez-vous le feuilleton de la Mairie de Paris ? Est-ce que vous vous dites : « C'est bon pour la gauche, en 2001 on va gagner la mairie » ?

Jack Lang : Il faut éviter que cette situation ne porte à la tête des uns et des autres. Il ne faut pas aujourd'hui perdre le sens commun. Paris est une ville qui, de toute façon, est difficile pour la gauche.

Arlette Chabot : Vous êtes parmi ceux qui sont cités pour être candidats, vous réfléchissez de plus en plus ?

Jack Lang : C'est une question qui n'est pas dans mon esprit à l'heure qu'il est.

Arlette Chabot : C'est plutôt flatteur que l'on pense à vous, non, ce n'est pas gênant !

Jack Lang : Je n'ai pas à m'insurger contre le fait que mon nom ait pu être cité, ici ou là. Seulement, je crois qu'au-delà des élections, c'est vrai que Paris, par comparaison avec Rome, Londres, Berlin, qui aujourd'hui explosent de projets et de vie, Paris donne le sentiment de mener une sorte de train-train. Sans doute faudrait-il que l'Etat et la ville puissent concevoir un plan ambitieux pour la renaissance de Paris.

Arlette Chabot : Et si on fait appel à vous, vous ne direz pas « non » ?

Jack Lang : Je suis aujourd'hui le maire d'une très jolie ville. Dans quelques instants je pars à Blois, après avoir reçu le dissident chinois H. Cheng. Nous organisons un festival d'histoire consacré à l'histoire de l'alimentation. Cette ville me passionne, et pour l'heure ces questions ne sont pas dans ma tête.

Arlette Chabot : On parlait tout à l'heure des démocraties. Les démocraties ne sont pas sans faille, exemple la France et la fuite de M. Papon, Vous pensez que certaines négligences ont été commises ?

Jack Lang : On finit, à la faveur de ce qui se passe, par oublier une chose : c'est que c'est le Premier ministre, L. Jospin, qui a tout fait pour que ce procès de Papon ait lieu à l’époque où on disait qu'il y avait mille et un obstacles techniques qui s'y opposaient. Cc procès a eu lieu ! Les magistrats de Bordeaux ont libéré Papon. Ils l'ont fait en toute liberté. II y a dans notre droit un vide, une lacune tout à fait fâcheuse, qui fait que l'on ne pouvait pas établir un contrôle judiciaire sur Papon. Mais ce que je peux vous dire, c'est que...

Arlette Chabot : Donc, il n'y a pas de négligence selon vous ?

Jack Lang : … mais on ne pouvait pas s'emparer de lui sous peine de commettre une voie de fait, et par conséquent d'être en infraction avec l'une des vertus de ce Gouvernement : respecter la justice et respecter le droit. Je peux vous dire que dès la prise de décision par la Cour de cassation hier, dans l'heure, je dis bien dans l'heure, toute les mesures ont été prises – nationales et internationales – pour mettre la main sur Papon.

 

LCI le 24 octobre 1999

Olivier MAZEROLLE : Bonsoir Monsieur LANG.

Jack LANG : Bonsoir.

Olivier MAZEROLLE : Ancien ministre de la Culture et de l'Education nationale, actuellement président de la commission des Affaires étrangères à l'Assemblée nationale, vous vous êtes manifesté à plusieurs reprises cette semaine dans des domaines d'activités qui ont été ou qui sont toujours les vôtres. Avec d'autres députés et des artistes, vous avez dit votre crainte que l’exception culturelle soit menacée dans les négociations sur le commerce mondial à Seattle fin novembre et vous avez manifesté pas plus tard que cet après-midi encore pour les droits de l’Homme en Chine, jugeant par là qu'on en faisait peut-être un peu trop dans la chaleur de l'accueil réservé au Président Chinois JIANG ZEMIN. Alors Pierre-Luc SEGUILLON et Patrick JARREAU participent à ce Grand Jury retransmis en direct sur LCI et sur RTL. Le Monde reproduira l'essentiel de vos déclarations dans son édition de demain.
Alors avant d'être reçu au château de Bity à titre privé par le Président de la République, le Président chinois a annoncée l'achat de 28 Airbus par son pays. Alors d'un côté, on a la lutte pour les droits de l’homme, de l'autre côté, l'emploi assuré en France, contradiction insoluble ?

Jack LANG : Contradiction soluble, à supposer qu’il y ait une contradiction. Personnellement je n'oppose pas depuis longtemps, d'un côté les relations d'Etat à Etat, surtout entre deux grandes Nations, la Chine, la France, et le nécessaire devoir d'un pays comme le nôtre de protéger, autant qu'il le peut, les droits des peuples et les droits de l’homme. Je dirais même que la real politique n'est pas nécessairement la plus réaliste des politiques. Ces régimes autoritaires, sans doute dans l'instant sont très heureux qu'on les accueille avec faste mais il n'est pas star que sur la durée, ils respectent toujours les pays qui ne leur tiennent pas tête. En tout cas, je crois que l'originalité de la politique française doit consister à mener de front le maintien et l'approfondissement de relations d'Etat à Etat et d'autre part, je le répète, l'affirmation d'un certain nombre de principes touchant à la liberté des peuples ou aux droits de l’homme.

Patrick JARREAU : Est-ce que vous pensez que cette originalité, telle que vous venez de la décrire, a été respectée dans le cas de Monsieur JIANG ZEMIN dans les conditions de son accueil et notamment cette visite privée faite au domicile du Président de la République ?

Jack LANG : Je ne veux pas, le Président de la République est le chef de l'Etat, je respecte sa fonction, il ne m'appartient pas de commenter le choix du style de cet accueil...

Olivier MAZEROLLE : Ça a une importance quand même !

Jack LANG : Ça a une importance sans doute et François HOLLANDE, notre premier secrétaire, s'est exprimé comme il convenait sur ce sujet...

Olivier MAZEROLLE : En disant que c'était une maladresse.

Jack LANG : Oui.

Olivier MAZEROLLE : Donc vous partagez ce sentiment.

Jack LANG : C'est le sentiment exprimé par le parti socialiste.

Olivier MAZEROLLE : Vous, écoutez, vous pouvez nous donner votre propre sentiment !

Jack LANG : La question principale, elle n'est pas là. La question principale n'est pas là. Ne confondons pas l'accessoire et l'essentiel.
L'essentiel pour moi c'est, indépendamment de la consolidation des relations d'Etat à Etat, c'est que la France soit plus que jamais vigilante, à un moment où la répression en Chine est plus forte que jamais, la politique des petits pas préconisée depuis quelques années, a échoué, enfin on a voulu ménager les autorités chinoises avec quels résultats ? Rappelez-vous, nous avions décidé, les pays occidentaux, de retirer la question chinoise de la commission des droits de l’homme des Nations Unies, avec quels résultats ? Certes, la signature des deux conventions universelles des droits de l’homme mais la ratification ne vient pas et surtout dans la réalité que se passe-t-il, des exécutions massives pour impressionner le peuple et maintenir l'ordre social, des arrestations arbitraires qui continuent, des prisonniers politiques nombreux, sans compter alors les droits culturels du peuple tibétain qui sont toujours bafoués.

Pierre-Luc SEGUILLON : Mais qu'est-ce que vous opposez à l'interprétation alors cette fois ci, ou l'analyse de l'Elysée qui dit que, finalement on obtient plus par le dialogue que par une confrontation sur ce thème des droits de l’homme et je reviens a la réception à Bity, vous dites c'est accessoire ou anecdotique, c'est très symbolique, c'est donc un choix politique !

Jack LANG : Ce qui m'intéresse, ce sont les actes et en effet les résultats que nous pourrions obtenir sur le plan diplomatique mais aussi sur le plan des valeurs qui sont les nôtres et dans ce domaine je dirais que l'expérience commune nous a instruit, même lorsque l'on s'exprime avec un peu plus de force, les autorités chinoises ont l’art de ne pas tenir les engagements qu’ils prennent notamment en matière de droits de l’homme. Rappelez-vous la visite du Président Clinton voici un an à Pékin. Il avait demandé courageusement, qu'un dialogue soit établi entre le Dalaï Lama et les autorités chinoises. L'actuel Président chinois a dit oui, je vais nouer le dialogue d'ailleurs un canal existe qui permet de discuter. Quels résultats ? Néant, les autorités chinoises continuent à nier les droits culturels du peuple tibétain.

Olivier MAZEROLLE : Mais qu'est-ce que vous mettez en cause fondamentalement parce que bien sûr…

Jack LANG : Excusez-moi, je ne remets pas en cause la visite du Président chinois, il est tout à fait normal que le Président chinois vienne à Paris et qu'il soit reçu avec respect et dignement.

Olivier MAZEROLLE : Mais qu'est ce qui cloche dans cette visite ?

Jack LANG : Non ce qui était important c'est que l'on fasse entendre en même temps qu'on le reçoit comme on doit recevoir le chef d'une nation, qu'on fasse entendre la voix des chinois qui souffrent.

Olivier MAZEROLLE : Quand le Président de la République fait savoir par son porte-parole que pendant trois heures, au cours du dîner au château de Bity, il a parlé des droits de l’homme avec le Président chinois et en pensant d'ailleurs qu'il est plus facile de lui en parler dans ce cadre privé que dans un cadre officiel parce que ça permet de mieux faire passer le message, qu'est-ce que vous, vous vous dites ?

Jack LANG : Disons que, ne me transformez pas en l'instant en commentateur de l'accueil du Président CHIRAC. Je dis que c'est une très bonne chose pour notre pays qui doit la fois être un pays plein d'ambitions économiques et politiques et diplomatiques et en même temps un pays fidèle à ses valeurs, c'est une très bonne chose qu'il y ait si j'ose dire, 2 partitions, celle des autorités exécutives qui ont choisie et en particulier le Président de le recevoir de cette manière que vous exposez à l'instant, et celle de l'Assemblée nationale, en tout cas d'un certain nombre de parlementaires dont je suis qui peuvent ainsi se faire les porte-voix ou la tribune des Chinois qui souffrent.

Pierre-Luc SEGUILLON : Donc la bonne approche c'est une partition à deux voix, les uns contestant le non-respect des Droits de l’homme et les autres jouant l'accueil et le dialogue ?

Jack LANG : Et d'après ce que vous rapportez, exposant aussi au Président chinois les inquiétudes sur la situation des Droits de l’homme en Chine. Mais en même temps, je crois qu'à partir de...

Pierre-Luc SEGUILLON : Mais c'est pas un peu hypocrite comme attitude ce partage du travail ?

Jack LANG : Pas du tout hypocrite, bon c'est la France dans sa double volonté, je répète, de maintenir de bonnes relations d'état à état et de sauvegarder les droits de l’homme.
Mais je dirais qu'à partir du moment où nous avons reçu ainsi avec faste le Président chinois, nos devoirs collectifs en tant que Nation qui est porteuse depuis la Révolution française au moins, d'une vision de l'homme, d'une conception des droits de l’homme et d'accomplir un certain nombre de gestes au cours des prochains mois.
Je souhaite par exemple que le Dalaî Lama soit reçu, soit officiellement reçu comme il l'a été naguère. Je souhaite que nous demandions que la question des droits de l’homme soit à nouveau inscrite à l'ordre du jour de la commission des droits de l’Homme des Nations Unies pour que l'on puisse en rediscuter et juger, de même que je souhaite que notre pays soutienne matériellement et psychologiquement les mouvements des démocrates chinois.

Patrick JARREAU : Mais alors que répondez-vous aux pays du sud, on l'a vu lors de la récente assemblée générale de l'ONU, qui considèrent cette exigence au regard des droits de l’homme comme une forme de néocolonialisme du nord vis à vis du sud ?

Jack LANG : Je crois que le droit international contemporain est justement un droit qui a réussi à faire coexister plus ou moins harmonieusement deux principes juridiques, d'un côté le respect de la souveraineté de l'Etat, c'est pourquoi personnellement je n'accepte pas le concept d'ingérence, il faut respecter la souveraineté des peuples et des Etats, et d'autre part, la protection des droits des peuples et des droits de l’homme.
Alors c'est une contradiction en effet qu'il faut essayer chaque jour de résoudre à travers des solutions ingénieuses.

Olivier MAZEROLLE : Et quelles solutions ?

Jack LANG : La solution, ça consiste selon les cas à s'exprimer publiquement, à prendre des initiatives, à dire qu'on ne se laissera pas berner par des promesses plus ou moins solides. Bon moi je veux bien que l'on nous propose des commandes d'avions, je vous demande simplement de faire l'inventaire de toutes les promesses faites par les autorités chinoises aux uns et aux autres depuis des années, sous la forme de ce que d'ailleurs les démocrates chinois appellent les cartes de vœux, on vient dans un pays et puis on annonce l'achat de ceci, l'achat de cela, nous verrons bien ce qu'il en résultera concrètement.

Pierre-Luc SEGUILLON : Alors vous disiez réagir selon les cas. Prenons un cas précis, c'est celui de la Tchétchénie. Les bombardements effectués par les Russes contre la Tchétchénie et notamment contre la capitale, on vient de le voir récemment. Comment réagir concrètement à des situations qui peuvent apparaître révoltantes ?

Jack LANG : Oui et je crois qu'en effet il faut chaque fois analyser la situation dans sa complexité, dans sa réalité nationale, certains ont assimilé la Tchétchénie au Kosovo, ce n'est pas assimilable...

Pierre-Luc SEGUILLON : Où est la différence ?

Jack LANG : La différence c'est que, quoiqu'on pense de la politique russe qui comporte un certain nombre d'erreurs et parfois même de fautes, même quelques crimes à l’égard des populations civiles, il n'y a pas eu dans la politique russe depuis ces dernières années, une politique disons discriminatoire à regard des Tchétchènes comme celle qui a été menée par les régimes à l’égard des Kosovars et jusqu'à preuve du contraire, la Tchétchénie fait partie intégrante du territoire russe mais en même temps nous devons dire aux russes avec fermeté et amitié la solution militaire conduira à ['impasse, il faut une solution politique, il faut une solution de négociation et en aucune manière vous n'avez le droit, dans le cadre du droit international contemporain, de massacrer des populations civiles.

Pierre-Luc SEGUILLON : Est ce qu'il faut en rester à un discours ou est ce qu'il faut imaginer des mesures, rétorsion notamment dans le soutien financier apporté à la Russie ?

Jack LANG : Croyez-moi, le discours déjà, ce discours que j'explique à l'instant, s'il était repris clairement par les uns et par les autres, notamment par l'Union européenne, porterait ses fruits.

Olivier MAZEROLLE : Alors se trouve qu'à la fin de cette semaine, le Président iranien, Monsieur KATAMI va venir à Paris pour se rendre à l'UNESCO mais il va être reçu également par le Président de la République, c'est une visite heureuse ?

Jack LANG : Là aussi, je crois qu’il faut chaque fois tout en étant fidèle en permanence à nos principes, respect de la souveraineté, protection des droits de l’homme, il faut tenir compte de la réalité de chaque pays et de chaque situation, le Président KHATAMI est un homme qui, semble-t-il s'efforce dans, au sein du régime iranien qui est un régime autoritaire et qui est un régime qui s'est illustré par des graves atteintes aux  Droits de l’homme. Le Président KHATAMI s'efforce de libéraliser, d'ouvrir les portes, de favorises des expressions politiques, des expressions culturelles multiples et si nous pouvons à notre manière contribuer à favoriser cette ouverture, ce sera une bonne chose.

Olivier MAZEROLLE : Quels sont les sujets que vous souhaitez voir évoquer avec lui concernant les droits de l’homme ?

Jack LANG : Et bien par exemple la situation des femmes ou encore la liberté d'expression des journaux et puis un retour progressif à une démocratie pleine et entière.

Pierre-Luc SEGUILLON : Alors, sur un autre sujet...

Jack LANG : Et j'imagine que ces sujets seront abordés par le Président CHIRAC comme par le Premier Ministre Lionel JOSPIN. Quant à Lionel JOSPIN que je connais pour avoir travaillé avec lui depuis si longtemps, c'est un humaniste attaché aux droits de l’homme et je ne doute pas que demain ou après-demain, lorsqu'il verra le Président chinois, il lui dira avec toute son âme et tout son cœur ce qu'il pense de cette situation, de même que le Président de l'Assemblée Nationale.

Pierre-Luc SEGUILLON : Alors puisque nous faisons le tour des pays sur lesquels on pourrait...

Jack LANG : II y en a quelques-uns hélas !

Pierre-Luc SEGUILLON : Il y en a quelques une sur lesquels on est particulièrement discrets...

Jack LANG : II y en a un tout proche dont on parlera ce soir, c'est la Tunisie précisément.

Pierre-Luc SEGUILLON : Vous ne trouvez pas précisément que les pouvoir publics, le gouvernement, l'Elysée sont très discrets sur la manière dont est gérée la Tunisie par le Président Ben Ali ?

Jack LANG : Vous savez quand le Président tunisien est venu à Paris, j'ai refusé personnellement d'assister aux cérémonies qui l'ont entourées. Ce peuple tunisien qui est un peuple amical, riche de traditions, qui est d'une grande gentillesse, ne mérite pas d'être ainsi traité, d'être ainsi écrasé, c'est un pays qui avait été un pays modèle sur le plan de la construction des sociétés modernes, la place des femmes, le recul de l'islamisme, pourquoi infliger à ce peuple ce régime quasiment policier dans lequel les droits d'expression sont limités, il y a des prisonniers politiques et je crois que notre devoir collectif là encore est de dire que nous sommes favorables à une Tunisie démocratique.

Olivier MAZEROLLE : Mais le danger islamiste n'était pas réel en Tunisie ?

Jack LANG : Mais le danger islamiste ne doit pas justifier qu'on écrase des peuples. On exhibe en permanence le danger islamiste qui est réel non pas en Tunisie mais en d'autres endroits du monde pour réprimer. En Tunisie c'est Bourguiba qui a écarté l'islamiste extrémiste, il n'y a plus de danger de ce type en Tunisie, par contre il y a un besoin de démocratie, alors si on parle de l'islamisme alors qu'on s'intéresse un peu plus à ce qui se passe en Afghanistan si nous faisons le tour du monde où le fondamentalisme fait des ravages, déstabilise toute cette région du monde et il serait vital que les Etats-Unis aient enfin une politique claire, que l'union Européenne s'associe à une politique claire pour faire reculer l'islamisme fondamentaliste qui actuellement abouti à des souffrances considérables de la par des populations qui vivent dans ces pays et pas en particulier les femmes.

Pierre-Luc SEGUILLON : Mais pardonnez-moi je reviens un instant sur la Tunisie, est ce que ça illustre le partage des tâches ou du travail que vous évoquiez tout à l'heure, c'est-à-dire qu'il appartient au Président de la commission des affaires étrangères de tenir un discours sévère sur la Tunisie à la manière dont elle est gouvernée.

Jack LANG : Pas sur la Tunisie, mon discours sur la Tunisie est un discours d'amitié, est un discours d'affection, ma persévérité elle porte sur le régime.

Pierre-Luc SEGUILLON : Sur le régime j’entends bien et il appartiendrait par ailleurs au ministre des affaires étrangères de faire en sorte que les relations soient bonnes et sans nuages ?

Jack LANG : Bon la situation est ainsi et puis je crois que par ailleurs, à de nombreuses reprises, Hubert VEDRINE me l'a indiqué, le gouvernement et notamment le Ministre des Affaires étrangères, ont exprimé aux responsables tunisiens ce que nous pensions sur telle ou telle atteinte aux libertés.

Olivier MAZEROLLE : Pour en revenir un moment quand même sur le rôle des droits de l'homme dans une politique internationale, il y a l'exemple soviétique qui est là pour montrer que des pays qui étaient régis par une dictature ne deviennent pas facilement de grandes démocraties, il y a des heurts, des cahots, des guerres parfois. Est ce qu'on ne peut pas redouter la même chose avec la Chine, dans le fond les autorités chinoises disent « mais bien sûr on démocratise mais petit à petit seulement parce que un milliard d'habitants lâchés comme ça dans la démocratie, ça ne peut pas se faire du jour au lendemain ».

Jack LANG : Oui, au nom d'un tel raisonnement on aurait pu perpétué l'ancien régime monarchique et ne jamais faire place en France a la République, il faut bien qu'un jour les choses changent quand même et naturellement qu'un changement comporte toujours sa part de risque mais croyez-moi le maintien d'un système qui ne fait pas sa place à l'expression des citoyens, fini par connaître de graves crises sociales, économiques et politiques.

Pierre-Luc SEGUILLON : Puisque vous êtes très sourcilleux sur les droits de l’homme, quel est votre sentiment sur deux pays dans lesquels nous sommes intervenus, je veux dire les occidentaux, je pense à l’Irak, aujourd'hui toujours sous embargo et puis par ailleurs, je ne compare pas les deux situations, mais à ce qui se passe au Kosovo ou après le départ de Kosovars on voit les serbes qui, à leur tour, sont chassés.

Jack LANG : Alors là aussi si vous le permettez, je crois qu'il faut quand même distinguer...

Pierre-Luc SEGUILLON : J'entends bien, je les ai...

Jack LANG : Oui, oui, bien sûr. Pour le Kosovo, d'abord je dirais car il faut quand même apporter des notes d'espoir dans ce que nous visons sur l'évolution de la société internationale. Moi je considère que la démocratie dans le monde a progressé depuis 20 ans. En Europe il n'y a plus de dictature, rappelez-vous le Portugal naguère, l'Espagne, la Grèce, en Amérique latine il n'y a plus de dictature, sauf peut être le cas de Cuba, aujourd'hui le Chili est libre, l'Argentine est libre, on va y voter d'ailleurs cette nuit et certainement Monsieur DE LA ROA sera élu et ce sera certainement un bon président. Le Brésil est un pays libre, etc... En Afrique, ça marque un peu le pas malheureusement.
Bref la démocratie a quand même progressé et conquis de nouvelles terres.
Le droit international a progressé et ce qui a été entrepris au Kosovo par les pays européens et spécialement par notre pays et de ce point de vue je me suis réjouis de cette unité nationale, Président de la République, Premier Ministre et Parlement pour mener cette opération au nom du droit au Kosovo...

Pierre-Luc SEGUILLON : Et non pas du devoir d'ingérence ?

Jack LANG : Non parce que cela s'est fait dans le cadre d'une discussion avec le régime Milosevic et la compétition entre le respect de la souveraineté et la protection d'un peuple s'est traduite par une action internationale au nom du droit pour protéger ce peuple.
Alors aujourd'hui, alors d'un mot quand même, au Timor de même, la société internationale a progressé et I'ONU qui est souvent critiquée a quand même là, marqué des points heureux.
Au Kosovo, d'un mot ce n'est pas facile de reconstruire en quelques mois ce qui a été des années de violence, de déchirements, on ne peut pas comme ça, en appuyant sur un bouton, créer la réconciliation mais le travail accomplis sur place par Bernard Kouchner, par les Nations Unies, par la force internationale, je m'y suis rendue il y a un mois et j'ai vu à quel point les militaires français en particulier, accomplisse là-bas un travail remarquable de reconstruction. Je suis plus optimiste que ce que je lis ici ou là sur le Kosovo.

Patrick JARREAU : Bien alors monsieur Lang, dans un peu plus d'un mois vont s'ouvrir à Seattle, va s'ouvrir un nouveau site de négociations commerciales. Au fond sur I'OMC donc qui existe depuis 1994, on entend deux thèses, celle du Premier Ministre qui explique que l'organisation mondiale du commerce est un instrument de protection face aux risques de domination américaine et puis celle plutôt de l'appel que vous avez signé avec 125 autres personnalités et qui voient dans l'organisation mondiale du commerce telle qu'elle est aujourd'hui la ruine des conquêtes sociales acquises depuis, dit cet appel, presque deux siècles.

Jack LANG : Non, le texte en question ne dit pas cela. Le texte dit que si les négociations s'engagent sans prendre de grandes précautions, en effet cela pourrait se traduire par un recul d'un certain nombre de droits touchant à la protection sociale, à l'environnement ou à la culture, donc l'OMC est là, existe et je crois qu'il faut préserver I'OMC comme organe d'arbitrage mais en même temps il faut que les pays qui sont attachés à un certain nombre de valeurs touchant à l'environnement, à la protection sociale et à la culture, fassent front pour éviter que ces négociations ne se retournent contre les peuples.

Pierre-Luc SEGUILLON : Est-ce que l'OMC aujourd'hui, vous la considérez comme un organisme d'arbitrage neutre ou comme un organisme qui est en fait dominé et aux mains des Etats-Unis ?

Jack LANG : C'est un organisme qui est neutre, oui neutre, il n'est pas engagé en faveur des uns ou des autres mais comme vous le savez bien, tout cela est aussi une question de rapport de force, de capacité à s'organiser, l'OMC n'est pas une sorte d'institution dans les nuages qui se déciderait en fonction, de critères purement abstraits. C'est pourquoi ceux qui, dans la société, parmi les gouvernements, souhaitent que les futures négociations préservent les valeurs dont je parlais, doivent s'organiser.

Olivier MAZEROLLE : Sur l'exception culturelle, les quinze européens se sont mis d'accords sur un texte dans lequel il est indiqué que chacun peut préserver et mettre en œuvre la politique audiovisuelle de son choix mais néanmoins il n'a plus été question de ce qu'on appelle les instruments réglementaires c'est-à-dire de ce qui permet en réalité d'exiger des quotas et un certain nombre d'autres mesures. Considérez-vous que le texte adopté par les européens en vue des négociations à Seattle soit suffisant ?

Jack LANG : Oui c'est un bon texte et je crois que la France a œuvré avec beaucoup d'efficacité pour l'obtenir. C'est un texte protecteur qui reconnaît le droit pour chaque pays à organiser comme il l'entend sa politique cinématographique, audiovisuelle ou artistique.

Olivier MAZEROLLE : II n’est pas trop flou à votre égard ce texte ?

Jack LANG : Là est l’essentiel. Ce qui était demandé c'est que I'OMC ou les négociations commerciales nous fichent la paix et laissent chaque pays ou chaque continent s'auto-organiser sur ce plan. Donc je dis que ce qui a été décidé voici quelques jours par l'initiative du gouvernement français est bon.
Mais en même temps, si vous le permettez puisque je crois avoir inventé cette expression exception culturelle voici quelques années, je ne voudrais pas non plus que l'on se contente comme on le fait volontiers de façon un peu gallicane ou gauloise, de brandir le drapeau de l'exception culturelle à des fins purement défensives. L'exception culturelle, quand ce concept a été mis au point, signifiait qu'une politique de la culture devait pouvoir s'ordonner selon des règles originales de financement et de droit et de législation. Et si l'on veut être entendu sur le plan international, il faut que les pays européens soient un peu plus offensifs pour encourager leur culture, leur éducation, leur système de création intellectuelle...

Olivier MAZEROLLE : Ça ne s'est pas passé ?

Jack LANG : Or aujourd'hui la politique européenne pour la culture confine au pas grand-chose disons pour ne pas être trop brutal et les politiques nationales des arts sont en crise.

Olivier MAZEROLLE : Vous mettez la France dans l'eau ?

Jack LANG : La France depuis deux ans a essayé de rattraper le temps perdu pendant quelques années sous les gouvernements précédents mais il y a encore beaucoup à faire. Songez que le ministère de la culture aurait besoin, pour retrouver ses moyens des années 92-93 de 3 milliards de francs, alors quand on sait ce que sont aujourd'hui les finances publiques nationales, je ne comprends pas bien que l'on puisse pas faire cet effort au moins sur deux ans ou trois ans, récupérer ces 3 milliards de francs qui manquent.
De même, même s'il y a eu un effort certain en faveur de l'audiovisuel public, nous ne sommes pas au bout du compte, l'audiovisuel public français c'est une réalité, est sous-financé par rapport à l'audiovisuel public allemand ou l'audiovisuel public britannique, c'est pourquoi il faudrait que dans les prochains mois, grâce à la bonne politique économique qui a été mené par le gouvernement français, nous puissions donner un nouvel élan à cet encouragement à la culture et à l'audiovisuel.

Pierre-Luc SEGUILLON : Quand vous parlez de l'audiovisuel, nouvel élan financier donc vous souhaitez un nouvel apport, est-ce qu'il ne faudrait pas aussi, est-ce que vous ne vous interrogez pas sur la cohérence des efforts en matière d'audiovisuel ?
Est-ce qu'il n'y a pas une dispersion des efforts avec l'ensemble des chaînes qui peuvent exister, qui mériteraient peut-être une plus grande rationalisation ?

Jack LANG : Bon c'est un sujet sur lequel les uns et les autres travaillent, une loi, vous le savez, est en préparation...

Pierre-Luc SEGUILLON : Et quel est votre sentiment ?

Jack LANG : Pour moi ce ne sont pas des questions essentielles, l'essentiel c'est une volonté, un enthousiasme, des moyens, de bons dirigeants et puis que les artistes et les créateurs fassent leur métier.

Olivier MAZEROLLE : À propos de culture, juste une incidente mais la langue est un vecteur important de la culture et il y a tout un débat en France sur la féminisation d'un certain nombre de titres. Alors l’Académie Française vient d'élire une femme au poste de secrétaire perpétuel, Madame Hélène CARRERE D'ENCAUSSE qui dit je veux qu'on m'appelle Madame Le Secrétaire perpétuel car il n'y a, à travers l'histoire qu'un seul secrétaire perpétuel incarné par différentes personnes. Alors Madame Le ou Madame La ?

Jack LANG : Si Hélène CARRERE D'ENCAUSSE que j'aime beaucoup, que je respecte infiniment, souhaite qu'on l'appelle Madame Le, pourquoi ne pas accéder à ses vœux ?

Olivier MAZEROLLE : II n'y a pas de fondamentalisme sur la féminisation des titres ?

Jack LANG : L'essentiel n'est pas là, l'essentiel c'est dans la réalité, d'établir la parité entre les hommes et les femmes, peut-être tout à l'heure nous en reparlerons à propos des futures élections municipales ou à propos des lois sociales ou à propos de l'accès à l'emploi, là est l'essentiel. Cette question de Madame Le ou Madame La ne m'a jamais beaucoup excitée.

Pierre-Luc SEGUILLON : Alors par-delà la remarque d’Olivier MAZEROLLE, si l'on veut rester un instant sur la langue et revenir à l'exception culturelle, est ce que l'un des problèmes auxquels se heurte l'exception culturelle n'est pas précisément la langue, autrement dit l'anglais est une langue qui permet un vaste marché pour la production venant par exemple des Etats-Unis alors que nous sommes confrontés, nous Européens à cette dispersion de langue ?

Jack LANG : Ce n'est pas inévitable. La première mondialisation, elle s'est produite au 15ème siècle, c'est à ce moment là que il y a eu d'un côté l’éclatement du monde, les découvertes en particulier et d'autre part une technologie, le mot n'existait pas à l'époque, révolutionnaire, l'imprimerie.
Or, précisément cette première mondialisation vous le savez, a été une source de créativité intellectuelle et artistique prodigieuse et en particulier, vous avez assisté à la fin du 15ème siècle et au début du 16ème siècle à l'explosion des langues nationales, l'italien, le français, sans compter naturellement la créativité artistiques, la renaissance artistique. Donc je ne crois pas que la mondialisation, si elle est maîtrisée, si elle est accompagnée de politique nationale ou de politique continentale originale et offensive, soit nécessairement synonyme d'uniformisation.
Alors ça veut dire concrètement toute une série de mesures, par exemple, je considère qu'il y a une négligence numéro 1 pour les pays européens, c'est d'introduire très vite, massivement l'initiation à deux langues vivantes étrangères dès le plus jeune âge dans chacun de nos pays d'Europe.
C'est inutile de verser les larmes de crocodiles sur l'anglais ou l'anglo-américain, ça ne sert à rien.
Attaquons le mal à la racine et que les jeunes d'aujourd'hui aient la chance réelle d'apprendre deux langues vivantes étrangères dès le plus jeune âge.

Patrick JARREAU : Maurice PAPON a été finalement arrêt& dans la nuit de jeudi à vendredi en Suisse où il s'était enfui. Mais est-ce que sa fuite vous paraît révéler, comme cela a été dit officieusement à l'Elysée, au moins des négligences coupables de l'attention portée cet homme entre le moment de son procès et le moment de son pourvoi en cassation ?

Jack LANG : Je ne vois pas. Mon sentiment en effet, est que cette affaire a été conduite du début à la fin, de façon assez exemplaire.
D'abord le procès a eu lieu et le Premier ministre, Lionel JOSPIN à tout fait pour qu'il ait lieu. Rappelez-vous, à l'époque, on multipliait les obstacles techniques ou autres pour le retarder indéfiniment. II s'est déroulé dans un climat ou je dirai, chacun puisse se faire entendre. II y a eu cette décision prise par les trois magistrats de la cour de Bordeaux de libération sur laquelle on peut, naturellement, s'interroger.
Mais enfin, c'était le droit des magistrats de la prendre.
Et puis il y a eu cette situation dans laquelle, pour des raisons liées à notre droit, une grave lacune du droit qu'il faudra vite réparer, le fait qu'on ne pouvait pas lui imposer un contrôle judiciaire.
Ensuite, je constate simplement que dès que la Cour de cassation a rendu sa décision, dans l'heure, je dis bien dans l'heure, toutes les mesures ont été prises par le gouvernement pour que sur le territoire national et sur les autres pays, les dispositions soient prises pour mettre la main sur Monsieur PAPON, ce qui s'est produit, je crois, au cours de la soirée.

Patrick JARREAU : Alois, Monsieur LANG, vous avez été proche de François MITTERAND et vous restez fidèle à sa mémoire. Vous venez d'entrer au Conseil d'Administration des amis de l'institut François-MITTERAND. Vous disiez vous-même qu'il a fallu au fond 18 ans pour que PAPON, puisque l'affaire démarre en 1981, les premières révélations sur son rôle apparaissent à ce moment là. Dix huit ans pour qu'il soit jugé, condamné et mis en prison.
Est-ce que vous partagez le sentiment de pas mal de gens que sous la période de François MITTERAND, le souhait du Président de la République de l'époque, n'était pas que les affaires liées à la période de l'occupation et mettant en cause d'anciens hauts fonctionnaires français, viennent devant la justice.

Jack LANG : Les faits démontrent le contraire, puisqu'il y a eu le procès TOUVIER. Puisqu'au moment où Monsieur BOUSQUET a été tué, je crois assassiner, la procédure était en marche pour qu'il soit jugé. Simplement on constate qu'en France, ce type de procès, chaque fois on réclamait des efforts et des efforts pour y parvenir. J'ajoute que c'est sur la présidence de François MITTERAND que l'on a mis la main sur BARBIE et que BARBIE a été jugé à Lyon.

Patrick JARREAU : II n'était pas Français.

Jack LANG : II n'était pas un Français, mais je veux dire qu’il y a eu une volonté d'exemplaire vis à vis de Français ou d'Allemands qui ont été auteurs de crimes contre l'humanité.

Patrick JARREAU : Mais l'enfermement de ce personnage, très âgé, un demi-siècle après les faits, est-ce qu'il ne traduit pas une espèce d'hésitation finalement de la justice française reflétée par sa justice à trancher de son cas ? Est-ce qu'il n'y a pas un peu quelque chose de misérable à se rattraper 50 ans après de ce que l'on pas a eu le courage de faire en temps voulu ?

Jack LANG : Vous savez, pour des raisons qui seraient trop longues à expliquer maintenant, il y a eu toute une période après la guerre ou beaucoup de gens se sont tournés vers le futur et ont voulu oublier, y compris ceux qui avaient souffert de cette époque.
Et puis il y a eu la malice de certains de ces personnages, dont PAPON pour cacher, dissimuler, tromper et quand le général de GAULLE a nommé PAPON, préfet de police, il ne savait rien des actes commis par l'ancien homme de Vichy. De même, lorsque Raymond BARRE, sous la présidence de Monsieur GISCARD d'ESTAING ont nommé Monsieur PAPON ministre du budget, ils ne savaient rien. Donc, 50 ans, on dit oui, mais c'est seulement depuis une vingtaine d'années que ces faits sont connus.

Olivier MAZEROLLE : Monsieur LANG, un des avocats de Maurice PAPON a expliqué que ses avocats avaient l'intention de solliciter une grâce présidentielle pour raisons de santé. Comprendriez-vous qu'il y ait une grâce présidentielle pour éviter qu'éventuellement, un homme de plus de 90 ans ne meure en prison ?

Jack LANG : Je n'ai pas à me prononcer sur ce sujet. Par définition, une grâce présidentielle appartient au Président de la république. Mais je crois, si vous voulez, que la mise en prison de PAPON à une grande vertu pédagogique vis à vis de ceux qui aujourd'hui ont 20 ans.
Ils perçoivent que des crimes monstrueux sont finalement ou doivent être finalement réparés. Et je pense qu'il n'y a pas à s'apitoyer particulièrement sur une personne qui a commis tant d'exactions, sans compter, ce n'était pas l'objet du jugement, ce qui s'est passé au moment des manifestations pendant la guerre d'Algérie. Ces dizaines de personnes tuées lorsqu'il était Préfet de police et qui ont été jetées à !a Seine.
Donc, personnellement, je n'ai pas le goût de la vengeance, je n'ai pas le goût de la répression, ce n'est pas mon tempérament. Mais je trouve que là, réellement, ces 10 années d'emprisonnement correspondent à une réparation juste qui doit être exécutée.

Olivier MAZEROLLE : Alors, une situation politique maintenant : Paris. Considérez-vous que la place soit ouverte pour que les Socialistes puissent remporter la mairie en 2001 ?

Jack LANG : Je lis comme vous les gazettes, les journaux, les déclarations des uns et des autres. Je trouve alors, en tant qu'observateurs, depuis les rives de la Loire qui sont plus paisibles peut être que les rives de la Seine, je constate que Paris monte un peu à la tête des uns et des autres. Sociologiquement, Paris est une ville très difficile pour la gauche. C'est la réalité sociologique et politique et on se trompe beaucoup en extrapolant à partir des résultats des élections européennes.
Et puis à partir d’une situation particulière liée à l'actuelle municipalité.

Patrick JARREAU : Comme observateur serein des rives de la Loire, est-ce que vous avez le sentiment aujourd'hui, indépendamment des problèmes de justice ou en tout cas de la manière dont la justice se prononce, que le Maire de Paris, Jean TIBERI, devrait quitter son poste comme d'autres, à un moment donné, ont souhaité que Roland DUMAS quitte la présidence du Conseil ?

Jack LANG : Cette question doit être appréciée par les responsables des différentes formations politiques à Paris. Celle de la majorité municipale et puis celle de l'opposition animée par Bertrand DELANOE. Moi, je n'ai pas envie de m'introduire dans la gestion des affaires de Paris.

Olivier MAZEROLLE : Quand même Monsieur LANG, quand on parle au Parti Socialiste de la possibilité de gagner la mairie de Paris, ils disent : «  mais on a un candidat, un bon, un possible et puis en plus, il a envie d'y aller. C'est Jack LANG ! ».

Jack LANG : Ce n’est pas mal de faire des romans, comme ça à l'avance. Oui.

Patrick JARREAU : Vous avez envie ?

Jack LANG : Écoutez...

Olivier MAZEROLLE : Est-ce que vous avez envie d'abord ?

Jack LANG : Envie de quoi ?

Olivier MAZEROLLE : D'y aller ?

Jack LANG : Je suis tellement heureux à Blois. J'en viens à l'instant. Nous avons organisé un festival d'histoire. J'ai d'ailleurs dû quitter mon ami Georges Semprun qui assurait la clôture de ce colloque pour vous rejoindre. Pourquoi voulez-vous que je me plonge dans la bouilloire parisienne ?

Patrick JARREAU : Parce que, parce que pendant des années, vous vous êtes intéressés aux grands travaux.

Jack LANG : C'est une autre question.

Patrick JARREAU : Oui, oui, mais pour donner ce développement culturel à Paris.

Jack LANG : C'est une autre question qui n'a pas un rapport direct avec telle ou telle candidature ou telle ou telle élection.

Patrick JARREAU : Si parce que c'est un projet et puis il faut quelqu'un pour le porter.

Jack LANG : II n'est douteux que Paris a besoin, pour le futur, d'une ambition nouvelle et c'est d'ailleurs une responsabilité qui n'est pas seulement celle de la municipalité ou du Conseil de Paris. C'est aussi celle de l'état. Et parfois, je suis un petit peu triste quand je constate qu'en ce moment Rome, Londres, Berlin, explosent de vie et de projets, d'initiatives et que Paris, bon, vit bien, mais sans projets qui mobilisent les enthousiasmes.

Patrick JARREAU : Vous avez le sentiment que Paris a été transformé un peu en musée, en très beau musée ?

Jack LANG : Ah si, il y a de beaux musées. De belles architectures.

Olivier MAZEROLLE : Il y a le réaménagement de la Place de la Concorde, quand même ?

Jack LANG : C'est un beau projet. Je l'approuve.

Olivier MAZEROLLE : Mais il ne vous suffit pas.

Jack LANG : C'est un projet d'ailleurs pour lequel nous nous battons depuis 30 ans. Je suis très heureux qu'il se réalise.

Olivier MAZEROLLE : II ne vous suffit pas ?

Patrick JARREAU : Quand vous dites qu'il faut que Paris explose ?

Jack LANG : Ça veut dire qu'il faudrait que l'Etat et la ville, main dans la main, j'allais dire pour une fois, parce que ça été exceptionnel que les deux travaillent ensemble, puissent concevoir pour Paris, Paris capitale ou Paris ville un projet ambitieux.

Olivier MAZEROLLE : Par exemple ?

Jack LANG : II y a beaucoup de choses. Par exemple. Songez que j’évoquais Rome à l'instant. En ce moment à Rome, on construit, je ne voudrais pas parler que de culture, mais on construit une salle de musique symphonique conçue par Enzo Piano. Aujourd'hui, à Paris, on est incapable depuis 10 ans, de réaliser la salle de musique symphonique qui avait été décidée en 1990 à La Villette. Mais pourquoi cette inertie, pourquoi cet immobilisme ?
Et cela met en cause et les uns et les autres.

Patrick JARREAU : Alors vous disiez à l'instant que Paris est une ville sociologiquement difficile pour la gauche. Vous en avez été l'un des élus pendant longtemps, un des principaux opposant à Jacques CHIRAC quand il était maire de la capitale. Quels conseils est-ce que vous donneriez aujourd'hui aux Socialistes et puis peut-être à l'ensemble de la gauche, pour tenter de l'emporter à Paris ?

Jack LANG : Quels conseils ? Ce serait très présomptueux. Pour donner des conseils, d'abord il faudrait se plonger réellement dans l'atmosphère, même si je connais assez bien Paris, on ne peut pas comme ça improviser entre deux portes, un programme ou des idées. Mais mon sentiment, les sentiments elles viennent rarement de votre noble cerveau.
Les idées, elles viennent de la réalité. Elles viennent des gens eux-mêmes et le conseil d'ailleurs que je pourrai donner à tout candidat, où que ce soit, pour les élections municipales en France, c'est de prendre le temps d'écouter, de regarder, d'ouvrir grands les yeux et les oreilles pour essayer de saisir les richesses, les faiblesses et, à partir de là, avec les citoyens eux-mêmes, bâtir un projet pour le futur.
Vous savez, il y a là une possibilité pour les élections municipales, partout en France, de construire une démocratie en acte dans laquelle les gens eux-mêmes sont coauteurs du destin de leur ville.

Olivier MAZEROLLE : A propos de municipale, la parité à 50/50 hommes-femmes ou femmes-hommes, ça va vraiment être possible en 2001 ?

Jack LANG : Je l'ai réalisé à Blois, voici 5 ans. Je ne vois aucun obstacle. Personnellement, je souhaite que quelque soit le contenu de la loi que nous voterons, le parti socialiste donne l'exemple et institue une parité 50/50. De même, je souhaite que dans cette loi, nous ramenions la durée du mandat des maires et conseils municipaux, de 6 ans à 5 ans.
C'est d'ailleurs une ligne du programme du Premier ministre : progressivement réduire tous les mandats à 5 ans et un jour nous arriverons à réduire à 5 ans le mandat du président de la république. Eh bien, il faut avancer. La prochaine fois, c'est pour les élections municipales.
Et puis enfin, il y a le grand problème du cumul des mandats. Je crois qu'il faut aller plus loin. Alors, naturellement, il y a l'obstacle du sénat. Bon, très bien. Mais les Socialistes là encore, la gauche, doivent donner l'exemple. On ne peut plus se contenter de dire : « on ne peut pas supprimer le cumul des mandats puisque le sénat s'y oppose ».
Je crois que nous devons maintenant, notamment pour les grandes villes, donner l'exemple.

Pierre-Luc SEGUILLON : Alors, vous-même, vous ne l'avez pas supprimé pour vous même le cumul des mandats, puisque vous êtes à la fois Député, Président de la Commission des Affaires étrangères et Maire de Blois. Est-ce que vous comprenez les arguments de ceux qui disent qu'au fond il est impossible d'exercer des responsabilités locales, sans être aussi présent à Paris ?

Jack LANG : Les grandes villes, ce n'est pas un problème de nombre d'habitants. Mais prenez l'exemple des autres pays d'Europe : l'Italie. Depuis une dizaine d'années, se produit une renaissance des villes italiennes. A Rome, à Naples, à Venise, voyez encore ce qui s'est passé à Barcelone. Toutes ces villes ont été dirigées ou sont dirigées par des maires qui consacrent la totalité de leur temps et qui n'ont aucun autre mandat, ni exécutif, ni législatif.
Et je crois que pour les grandes villes, alors où ça commence, je n'en sais rien. Pour les grandes villes, il faudrait que les futurs maires se consacrent à plein temps à leur mandat.

Pierre-Luc SEGUILLON : Mais ce qui a déjà été adopté à titre de pratique par le Premier ministre, c'est-à-dire qu'un ministre ne peut pas exercer dans une grande municipalité...

Jack LANG : C'était une bonne décision...

Pierre-Luc SEGUILLON : Ne risque pas politiquement de vous conduire dans une situation très difficile en 2001, avec un gouvernement littéralement décapité. C'est à dire que tous les poids lourds, on peut penser à Dominique STRAUSS-KAHN, candidat à Paris, Martine AUBRY candidate à Lille, pourquoi pas Jean-Pierre CHEVENEMENT, encore qu'il hésite, candidat à Belfort ? Qui est-ce qui va rester au sein de ce gouvernement ?

Jack LANG : II faudra bien qu'un jour, je ne veux pas du tout répondre à la place de ces excellents ministres ni à la place du Premier ministre. Mais, je crois qu'il faudra bien un jour se décider à agir et à prendre des décisions sur ce plan.
Et le Premier ministre a déjà ouvert la voix en effet, en limitant la possibilité pour les ministres d'être maire.
Mais prenez un exemple : Tony Blair a souhaité que Londres redevienne une ville de plein exercice. Madame Thatcher avait cassé le régime de Londres. II a demandé, il a proposé à son ministre de la santé, un très brillant ministre, d'être le candidat à la mairie de Londres. Eh bien, ce ministre vient de quitter le gouvernement pour se consacrer totalement à la campagne, puis s'il est élu à la gestion de la ville de Londres.

Olivier MAZEROLLE : Reparlons maintenant de la France et du budget. Vous avez fait donc de l'exception culturelle un de vos chevaux de bataille. Et bien apparemment, les députés communistes et socialistes ne partagent pas tout à fait votre opinion et considère que la culture est une marchandise comme les autres et ils étaient nombreux à vouloir que les œuvres d'art soient intégrées dans le calcul de l'impôt sur la fortune. Et vous, vous êtes très hostile à ça ?

Jack LANG : Votre question est très bien formulée d'ailleurs. Je trouve qu'il y a un bon argument là que vous venez de sortir que je vais réutiliser.
En effet, faute d'une réforme fiscale profonde, la tentation est toujours grande de se reporter ou de se diriger vers des mesures cosmétiques ou homéopathiques pour faire joli dans le paysage. Alors, on s'attaque aux œuvres d'art et une fois encore j'apprends que l'on veut les imposer au titre de l'impôt sur les fortunes.
Alors, on pourrait dire pourquoi pas ?

Olivier MAZEROLLE : II y a de la spéculation parfois autour des œuvres d'art.

Jack LANG : II y a parfois de la spéculation encore que, malheureusement, le marché de l'art français n'est pas très spéculatif. II est plutôt dans ses basses eaux, même s'il a un peu repris. Mais cette mesure, cette mesure proposée, je le dis très franchement, est stupide. Pour récupérer 3 kopecks. Ça ne rapportera rien, rien cet impôt. On risque de briser le marché de l'art qui déjà n'est pas très florissant.
Alors, Londres va se frotter les mains, dire : « bravo, merci messieurs les Français, grâce à vous davantage de tableaux, davantage de sculptures, davantage d'œuvres d'art viendront enrichir le marché de Londres. »
Et puis au-delà de tout cela, est-ce qu'on sait que le futur patrimoine des musées, provient de qui ? Provient des collectionneurs pour au moins un tiers. J'invite les députés amis à aller au Louvre, au Centre Pompidou dans les prochains jours. Qu’ils posent la question : « d'où viennent les œuvres que vous exposez ? » Plus du tiers proviennent de dons de particuliers ou d'héritages multiples.
Alors, veut-on tarir la source ? Veut-on priver les musées d'une source future en décourageant les collectionneurs ? Quand en plus vous savez que malheureusement la France n'est pas un pays de grands collectionneurs. Alors, si on veut achever vraiment la tradition si faible de collections, alors allons-y. Adoptons ce texte et je remercie ou je félicite le ministre, Dominique STRAUSS-KAHN d'avoir demandé la réserve sur ce sujet.

Pierre-Luc SEGUILLON : Mais vous avez dit, faute de réforme fiscale d'envergure, c'est précisément que vous avez le sentiment que ce Gouvernement est incapable d'envisager et de mettre en œuvre une grande réforme fiscale telle que celle qui avait été promise.

Jack LANG : Non, je sais. J’ai appris à découvrir qu'on ne peut pas brutalement, sous peine d'aboutir à des désordres et parfois des contre effets, à un changement radical du système fiscal.

Pierre-Luc SEGUILLON : Mais vous n'avez pas le sentiment que les choses sont toujours reportées.

Jack LANG : Oui, parfois oui. Mais disons que dans le budget, tel qu'il a été adopté en première lecture, il y a des mesures positives dans le sens de la justice sociale. L'amendement HOLLANDE qui soumettra les indemnités de licenciement élevées à l'imposition sur le revenu. Le ministre Dominique STRAUSS-KAHN a promis, que dans le cadre d'une loi qui interviendrait en janvier, la question de la fiscalité des stock-options serait traitée. Donc, il y a quand même de bonnes directions.
De même, une mesure a été adoptée sur la taxe d'habitation. Simplement, personnellement, je souhaite que nous puissions accélérer encore si cela est possible les mesures de justice fiscale.

Patrick JARREAU : Mais quelle est votre orientation sur ce point ? Est-ce que, comme Laurent FABIUS dont vous êtes proche, vous estimez que les impôts devraient baisser, baisser plus vite qu'ils ne le font. Ou est-ce que vous considérez que le rythme auquel va le gouvernement dans ce domaine est le bon ?

Jack LANG : Personne n'est contre la baisse des impôts. La question qui se pose est de savoir : quels impôts et au bénéfice de qui ? Moi, je suis pour une baisse des impôts qui pèse sur les plus démunis, les personnes les plus en difficultés et à commencer par une baisse réelle de la taxe d'habitation municipale et départementale qui pèse sur les familles modestes. Et là, disons-le, nous avons – c'est un nous collectif – nous avons constamment reculé. Sous le .gouvernement BEREGOVOY, aujourd'hui.

Olivier MAZEROLLE : Là, quelque chose a été fait. Le montant maximal a été réduit.

Jack LANG : Quelque chose a été fait, puisqu'on a en effet décidé, une première mesure qui a été prise, je crois d'un abattement de 2 ou 300 francs. C'est bon à engranger. Mais il faudra bien s'attaquer un jour à cette taxe d'habitation et à toutes les situations où les classes les plus pauvres sont trop imposées.

Patrick JARREAU : Mais les classes moyennes, elles, ne sont pas trop imposées, à votre goût ?

Jack LANG : Je ne dis pas cela. Mais, il y a une priorité qui concerne les classes populaires qui ont été parfois matraquées exagérément. Naturellement, ça ne s'improvise pas. C'est pourquoi je redis que je comprends très bien qu'on ne puisse pas adopter une mesure fiscale générale. Pour autant, je n'accepte que pour se donner bonne conscience, on cherche à ramasser trois sous en s'attaquant aux œuvres d'art.

Olivier MAZEROLLE : Vous parliez de Londres tout à l'heure au sujet des œuvres d'art. Mais précisément, au sujet des stock-options et des entreprises innovantes dans le domaine de l'information, des nouvelles technologies, on voit que la Grande-Bretagne attire les nouveaux entrepreneurs, beaucoup plus que la France, précisément parce qu'il y a un régime fiscal qui est plus intéressant pour eux et notamment celui des stock-options.

Jack LANG : Bon, c'est un arbitrage à rendre. Je crois qu'il faut comparer les différentes législations et établir un système qui à la fois soit moralement acceptable et ne décourage pas la circulation des capitaux.

Pierre-Luc SEGUILLON : Mais vous n'avez pas le sentiment que la majorité des députés socialistes, dans leur réaction, par rapport à ces stock-options et peut-être réaction qui a été exacerbée par l'affaire JAFFRE ont une culture un peu décalée par rapport à ce qui se passe dans les autres pays ?

Jack LANG : Je ne le crois pas. Par ailleurs, je pense qu'il n'y a pas de raison que même si...

Pierre-Luc SEGUILLON : L'amendement BEAUREPOS ayant été un peu le symbole de cette réaction.

Jack LANG : Oui. Je crois que l'originalité, si vous voulez de la majorité actuelle qui accepte et même encourage la modernisation du pays, elle est aussi de préserver un certain nombre de préoccupations de justice et je crois qu’il faut, là encore, tenir les deux bouts de la chaîne. Encourager les initiatives, notamment la création d'entreprises, favoriser la modernisation et en particulier dans les nouvelles technologies. Et de ce point de vue, les décisions de Lionel JOSPIN ont été déterminantes et quelques autres. Mais, en même temps, il n'y a pas de raison que la justice fiscale dans ce pays, ne soit pas mieux assurée et par rapport à d'autres pays, nous ne sommes pas les champions pour la justice fiscale. Observez ce qu'est la lourdeur excessive des impôts indirects qui pèsent sur l'ensemble des classes sociales, par conséquent beaucoup plus lourdement sur ceux qui ont moins de revenus.

Olivier MAZEROLLE : À propos de justice tout court, il se trouve que Robert HUE va être renvoyé en correctionnel pour le financement du Parti Communiste. Cette décision de justice est-elle de nature à modifier l’équilibre au sein de la majorité plurielle ?

Jack LANG : Je ne le crois pas. Je ne crois pas, il n'y a pas de raison. D'abord je ne connais pas exactement le dossier dont il est question. Mais Robert HUE n'a en aucune manière été mis en cause pour son intégrité personnelle, pour son honnêteté personnelle.

Olivier MAZEROLLE : S'il était condamné comme Monsieur EMMANUELLI par exemple.

Jack LANG : D'accord, mais ça ne bouleverserait pas. D'abord, ne préjugeons pas. Pour l'instant, il est renvoyé devant un tribunal. Espérons que la justice pourra s'exprimer et se rendre sereinement, à l'abri des passions et des règlements de comptes politiques. II ne faut pas mélanger les deux choses : justice et politique. Ce sont deux domaines différents et donc, je ne veux absolument pas préjuger la décision qui serait prise. Mais cela concerne une question liée, je crois, au financement de son parti. II dit que d'aucune manière, son parti n'a été lié à cette affaire. Moi, je le crois. C'est un homme honnête, c'est un ami et je le crois.

Pierre-Luc SEGUILLON : Dans le cadre d'une autre affaire, celle de la MNEF, le directeur général de la mutuelle nationale des étudiants, l'ancien directeur pardon, Olivier Spitakis, dans un entretien, je crois, qu'il a accordé au Monde, dit qu'on lui a demandé de faire ce pourquoi il n'était pas fait. Quand je dis « on », c'est-à-dire les pouvoirs publics. Et notamment, il vous reproche d'avoir demandé la promotion deux locations logement spécial étudiant lorsque vous étiez ministre de l’éducation nationale. Qu'est-ce que vous répondez à cela ?

Jack LANG : Ça n'a rien à voir avec les questions qu'on évoque à l'instant. J'ai lu comme vous cet entretien hier ou avant-hier. Comme je l'ai répondu d'ailleurs à un journaliste du Monde, moi je réponds toujours aux questions qu'on me pose. Je ne me défile jamais. Comme je lui ai répondu, je lui ai dit que le ministre Lionel JOSPIN, à la tête de l'Education nationale, avait pris toute une série d'excellentes mesures en faveur des étudiants, en matière de bourse et il a cité l'allocation logement pour étudiants qui d'ailleurs, avait encouragé la création d'un grand nombre de logements étudiants. Seulement, lorsque je lui ai succédé, ces mesures excellentes qui venaient d'être tout récemment adoptées, n'étaient pas connues des étudiants. Donc, j'ai demandé à mes collaborateurs, c'était mon devoir, de les faire connaître aux étudiants. Alors, est-ce que mes collaborateurs ont fait appel à la MNEF ou tel autre organisme, pour les propager, je n'en sais rien.
Mais, je dirai même sans l'avoir réfléchi, quand bien fut été la MNEF, que ça ne paraîtrait pas anormal. J'imagine qu'une mutuelle, enfin autant que je le sache, mutuelle a pour devoir d'informer ses adhérents. Donc, il n'était pas anormal que cette mutuelle, à la demande du gouvernement ou sans la demande du gouvernement, remplisse son devoir d'information à l’égard des étudiants et donc, la personne en question a eu parfaitement raison de mener cette action d'information.

Olivier MAZEROLLE : Merci Monsieur LANG. C'était votre Grand Jury. Bonne soirée à tous.