Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, sur le budget 1997 et la politique de la culture, à l'Assemblée nationale le 4 novembre 1996.

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Circonstance : Présentation du budget 1997 pour la culture, à l'Assemblée nationale, le 4 novembre 1996

Texte intégral

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés,

Au-delà des chiffres et des pourcentages, un budget est d’abord et avant tout, le reflet d’une politique.

Il en a pourtant été beaucoup question, de ces chiffres et de ces pourcentages. Je les rappelle brièvement. Je vous propose un budget qui s’établit à 15,1 milliards de francs en dépenses ordinaires et crédits de paiements, soit environ 0,97 % du budget de l’État. Ou encore 14,9 milliards de francs en dépenses ordinaires et autorisations de programme, soit une baisse inférieure à 1 %.

Cette baisse s’explique, pour une large part, par une diminution de 570 millions de francs des crédits attribués aux grands travaux, dont l’achèvement est proche.

Hors transferts de compétences et grands travaux, ce budget passe de 13,6 milliards de francs à 12,9 milliards de francs, soit une baisse d’environ 5 %.

Mon ministère participe ainsi, pleinement, à l’effort de rigueur demandé par le Premier ministre à l’ensemble du Gouvernement.

Il y participe, d’abord, en étalant sur les trois années à venir - 1997, 1998 et 1999 - l’exécution de la loi de programme sur le patrimoine et les opérations des contrats de plan entre l’État et les régions. Cet effort est partagé et accompli par l’ensemble des lois de programme. Je sais les interrogations que cet effort peut susciter. Nous y reviendrons.

Il y participe, ensuite, en poursuivant son effort d’économies de fonctionnement, pour son administration comme pour ses établissements publics.

Malgré un effort de rigueur partagé par ce ministère comme pour l’ensemble de l’État, sans précédent sous la Ve République, le budget du ministère de la Culture reste très proche du pourcentage emblématique : le 1 % du budget de l’État. Surtout, ses capacités d’interventions sont intactes.

Je vous donnerai un seul indicateur : depuis 1994, le ministère de la culture a vu croître d’un milliard de francs le montant des crédits consacré à ses compétences « traditionnelles », c’est-à-dire à champ de compétences inchangé. Par ailleurs, il s’est vu attribuer de nouvelles prérogatives qui consolident son rôle et son influence : l’architecture, la cité des sciences et de l’industrie, la contribution de l’État au soutien des missions culturelles de l’audiovisuel public.

Cette année, il s’agit de la part de la dotation globale de décentralisation allouée par l’État aux bibliothèques publiques. Ces nouvelles compétences, ne se font pas au détriment des compétences traditionnelles.

Je crois que le ministère de la culture doit avant tout s’attacher à l’égalité d’accès de chacun à la culture.

Je suis persuadé que l’État doit inscrire son action dans la continuité, dans le pluralisme et la tolérance.

Rappelons-nous les mots de Malraux à Amiens, en 1966 : « la maison de la culture, c’est vous (...) et si vous le voulez, je vous dis que vous tentez l’une des plus belles choses qu’on ait tentées en France, parce que alors, avant dix ans, ce mot hideux de province aura cessé d’exister ».

Rééquilibrer les actions de l’État entre Paris et les régions. Je m’y emploierai dans le contexte budgétaire difficile que vous connaissez. Pour cela, je serai volontaire, tant dans les choix d’équipement que d’aide au fonctionnement.

Je vais donc consacrer deux tiers les crédits d’équipement à cet effort de rééquilibrage. Si les maisons de la culture ont été la grande œuvre des années cinquante et soixante, l’État peut et doit encore faire beaucoup pour soutenir l’équipement culturel : les équipements lourds qui structurent le réseau culturel ; les équipements de proximité, qui en assurent l’irrigation.

L’État doit, d’abord, réfléchir à son propre réseau, et s’interdire désormais de penser qu’un équipement d’envergure nationale doit être forcément construit à Paris. C’est pourquoi la Maison de la mémoire contemporaine, qui renfermera les archives de la Ve République, sera construite à Reims, après le centre des archives du monde du travail de Roubaix et les archives d’outre-mer d’Aix-en-Provence. C’est pourquoi le Centre national des costumes de scène sera accueilli, à Moulins, dans l’ancienne caserne Villars. C’est pourquoi, nous aiderons l’auditorium de Dijon et le musée d’art contemporain de Toulouse.

L’ensemble de ces opérations s’inscrit dans le programme des grands projets en région. J’y consacrerai plus de 200 MF l’an prochain.

Au-delà de ces projets ambitieux, l’État doit aussi, au jour le jour, aider les collectivités territoriales dans leurs projets. Car, s’il doit prendre conscience qu’il n’est plus seul, et que les collectivités territoriales apportent autant d’argent public au financement de la culture que tous les ministères réunis, l’État peut et doit apporter l’argent nécessaire aux projets les plus à même de rapprocher les citoyens de la culture.

Ce seront, l’an prochain, 60 MF pour des lieux de diffusion artistiques adaptés aux besoins des publics : salles municipales, centres d’art, petits lieux de diffusion musicale ou chorégraphique...

Ce seront aussi 75 MF pour les musées des collectivités territoriales. Si l’État a su donner l’exemple en rénovant ses grands musés, s’il poursuit cet effort avec constance, il se doit aussi d’aider les collectivités désireuses de donner à leur patrimoine un cadre convenable et attractif.

Ce seront, enfin, 40 MF pour des lieux de proximité culturelle, au plus près des besoins des populations éloignées de l’offre culturelle en milieu rural comme en milieu urbain. Je vous en donne un seul exemple. Malraux voulait des cathédrales de la culture dans les grandes villes de France. Ce furent les maisons de la culture. Un de mes prédécesseurs lança les Zéniths, salles de concerts plus légères que les grands vaisseaux de la décentralisation culturelle.

Je voudrais lancer l’an prochain la réalisation de zéniths mobiles, afin que les villes moyennes ou petites puissent aussi accueillir des concerts d’envergures. Quelques heures de montage ou de démontage suffiraient. De la cathédrale immobile attirant les fidèles à des lieues à la ronde à la vedette rapide sillonnant les routes, vous voyez que notre conception de l’équipement culturel peut évoluer tout en restant fidèle à l’esprit de Malraux.

L’État doit, aussi, rapprocher ces centres de décision de ses partenaires et se donner les moyens de ses ambitions.

Je poursuivrai résolument la déconcentration des crédits. Grâce à la globalisation qui vous est proposée dans le présent projet de budget, les préfets et les directions régionales des affaires culturelles sont désormais pleinement maîtres des crédits qui leurs sont délégués, pour décider avec les élus des priorités réelles, parce que le partenariat se construit d’abord sur le terrain. Les crédits déconcentrés augmenteront de 50 MF l’an prochain.

Deuxième exemple : j’ai décidé d’accroître très significativement les crédits d’intervention (+ 17 %) de la direction du patrimoine, afin que l’État puisse non seulement améliorer l’accueil dans les monuments historiques dont il a la charge, mais aussi développer son aide au réseau des routes historiques et des villes d’art et d’histoire, avec les collectivités.

Vivre la culture, c’est s’efforcer de l’offrir à chacun, comme le voulait l’auteur de L’espoir. À l’habitant des banlieues et des cités comme au village des causses, à l’érudit et au chercheur comme à l’écolier, au prisonnier ou au malade. Car, je suis persuadé que la culture n’est pas une fin pour l’homme, mais un moyen. Le moyen d’être pleinement lui-même, libre, responsable, citoyen. Le moyen d’aimer et de choisir ses amours en toute liberté, qu’il s’agisse de rock, de bande-dessinée, de cinéma, de musique baroque ou de littérature, de culture scientifique et technique.

Cela nécessite que les interventions de mon ministère soient d’abord et toujours centrées autour des publics réels et potentiels de la culture. Mais, cela nécessite aussi une réflexion de fond sur les voies de l’accès à la culture, qui débouche inévitablement sur ce besoin, évident, mais encore assez largement insatisfait, d’éducation artistique et de sensibilisation culturelle.

Tous les publics doivent être concernés.

Je consacrerai plus de 160 MF l’an prochain aux publics défavorisés. L’expérience des projets culturels de quartiers a été lancée cette année. Elle porte ses premiers fruits. Cet élan ne sera pas brisé. Je soutiendrai les initiatives les plus originales, les plus prometteuses, comme, par exemple, la transformation de la friche de la belle de mai, en pôle de développement culturel et économique.

Je veillerai également à soutenir les politiques tarifaires qui facilitent l’accès des jeunes à des représentations, expositions, concerts, à intensifier les actions lancées pour apporter la culture à ses publics les plus improbables, car éloignés de ses réseaux traditionnels : incarcérés, malades, handicapés, personnes âgées.

Porter une attention particulière aux publics qui ont le plus de difficulté d’accès à la culture ne signifie pas l’abandon des pratiquants réguliers d’une activité culturelle, ni de ce véritable et permanent prosélytisme culturel, par le biais de réseaux et d’institutions implantés sur l’ensemble du territoire. C’est le sens du maintien à un niveau historiquement très élevé des crédits d’intervention, afin de maintenir et d’approfondir des actions qui ont fait leurs preuves.

Pour le théâtre, je conforterai le réseau de la décentralisation dramatique ; j’intensifierai les efforts en direction des jeunes ; je développerai les théâtres missionnés, dont la subvention est conditionnée à une politique culturelle d’offre de qualité en faveur du grand public. Un programme de captation et de restitution audiovisuelle du spectacle vivant sera engagé.

Les théâtres lyriques en régions, les grandes institutions chorégraphiques et musicales, les festivals de premier plan retiendront bien sûr toute mon attention. Mais je veillerai avant tout au soutien des institutions les plus proches des publics et de leurs pratiques quotidiennes, notamment en zone rurale. Sans négliger la chanson et le jazz, aujourd’hui formes majeures d’expression. En 1997, un « hall de la chanson » devrait voir le jour au cœur du parc de la Villette, cet exemple quasi-unique au monde de réussite d’intégration culturelle, architecturale et paysagère.

L’État consacrera plus de 80 MF de crédits d’intervention et de soutien supplémentaires au secteur du cinéma et de l’audiovisuel, en cette année du cinquantième anniversaire du festival de Cannes. L’État doit plus que jamais affirmer sa présence et son rôle de régulation du secteur des industries culturelles, du multimédia naissant au cinéma centenaire, sans oublier le livre et le disque.

Abandonner ce soutien, livrer ces secteurs aux lois aveugles d’un marché mondialisé serait plus qu’une renonciation, une lâcheté, alors même que la France s’est battue et a gagné pour sauvegarder l’exception culturelle.

Le but de la politique culturelle est, avant tout, d’accomplir la République, au sens le plus noblement politique de ce terme, c’est-à-dire, de donner à chacun, par un accès réellement égal aux œuvres de l’esprit, la possibilité de se former une conscience citoyenne dans sa plénitude. L’heure est venue de faire pour l’éducation artistique et culturelle ce que Jules Ferry a fait pour l’instruction.

Le ministère de la culture ne saurait y parvenir seul. C’est bien une mobilisation nationale qui est nécessaire. Celle de l’État tout entier. Elle peut s’engager grâce à une forte coordination des initiatives entre mon département ministériel, celui de l’éducation nationale et celui de la jeunesse et des sports, mais aussi celles des collectivités territoriales.

À son niveau, le ministère de la Culture, peut intervenir selon deux axes.

Premier axe : Il est chargé de la formation supérieure. Celle des artistes, des créateurs, des architectes de demain, mais aussi des professeurs de musique, de danse ou d’art dramatique. Il veille à leur donner le meilleur environnement et la meilleure formation possible, initiale et permanente. C’est pourquoi l’Ecole du Louvre sera érigée en établissement public autonome. C’est la raison pour laquelle j’augmenterai de 26 % les crédits de fonctionnements alloués aux écoles d’architecture, qui m’ont été transférées l’an dernier, tout en consacrant 57 MF à leur équipement ou à la construction de nouveaux bâtiments. Cela explique les 8 MF supplémentaires que je consacrerai à la formation continue des professionnels, au développement de nouvelles formations pour les créateurs et à la sensibilisation des publics scolaires.

Deuxième axe : le ministère de la Culture doit rationaliser ses interventions dans l’ensemble de son domaine d’action. Je voudrai commencer ce travail par l’enseignement de la musique et de la danse. Je vous proposerai donc l’an prochain de débattre d’un projet de texte clarifiant les compétences de l’État et des collectivités territoriales.

Je crois que l’architecture est l’art le plus immédiat, le plus proche de notre quotidien. Le ministre de la Culture doit veiller à en préserver les plus remarquables témoignages tout en favorisant la création. La culture est faite de cette permanente dialectique entre l’héritage et le legs futur. Le Corbusier disait je le cite :  « l’architecture est le jeu savant, correct et magnifique, des formes assemblées dans la lumière ».

C’est pourquoi, je place résolument l’architecture au cœur de ce projet de budget 1997. Hors écoles d’architecture, les crédits augmenteront de plus de 20 %. Je doublerai les crédits consacrés aux actions de promotion et de diffusion. Je multiplierai par sept les actions de sensibilisation et de formation professionnelle. Les moyens des services départementaux de l’architecture et du patrimoine seront accrus de 12 % et je consacrerai 18 MF à leur équipement. Enfin, je doublerai le soutien aux secteurs sauvegardés et aux zones de protection du patrimoine architectural et urbain, pour donner un nouveau souffle à la grande œuvre lancée, par Malraux en 1964.

C’est le sens de l’achèvement des grands travaux, mais aussi de la poursuite de la remise en état du patrimoine bâti des institutions culturelles.

La Bibliothèque nationale de France ouvrira ses portes au grand public à la fin 1996, et le musée de la musique début 1997.

Ainsi, seule l’opération de rénovation du grand Louvre est appelée à se poursuivre dans les prochaines années.

J’ai demandé à ce que soient mis en œuvre les compléments indispensables de cette opération : la passerelle Solferino reliant les Tuileries et Orsay sera construite ; trente millions de francs permettront d’installer les salles nécessaires à la présentation des arts premiers dans le plus grand musée du monde et de réaliser les études détaillées, nécessaires au projet de musée des arts et civilisations premières, que l’on appellera, le musée du Trocadéro.

Alors que les travaux de rénovation du Théâtre national de Strasbourg s’achèvent, pour une réouverture prévue en fin d’année, la réhabilitation du théâtre de l’Odéon entrera dans sa phase active, et celle du musée Guimet sera poursuivie.

Le réaménagement intérieur du centre Pompidou commencera en fin d’année 1997, afin qu’il puisse être réouvert en totalité au public le 1er janvier 2000.

De plus, j’engagerai la réhabilitation du site des Gobelins, qui accueille le mobilier national et les manufactures d’État, pour mettre en valeur les collections et ouvrir plus largement le site au public.

Dans le domaine du patrimoine, je veillerai à ce que le programme prévu fasse l’objet d’une remise en forme, nécessitée par l’étalement de la loi de programme, afin de privilégier la restauration des édifices les plus fragiles ou les plus menacés.

Conscient de l’importance économique considérable de ces crédits, pour les entreprises qui œuvrent à la restauration du patrimoine national, je mobiliserai les crédits mis en place les années précédentes et accélérerai l’utilisation des crédits de l’année, pour que le volume global des chantiers ouverts en 1997 ne soit pas réduit.

Enfin, le maintien des crédits d’acquisition au niveau exceptionnel atteint en 1996 permettra de poursuivre les achats d’œuvre, rendus nécessaires par l’expiration des certificats de sortie du territoire d’œuvres d’art émis en application de la loi du 31 décembre 1992, ainsi que de renouveler le soutien de mon ministère au marché de l’art contemporain.

Les effectifs du ministère seront maintenus en 1997. Un redéploiement permettra de renforcer les moyens en personnels des services de l’architecture et de poursuivre l’objectif de résorption des personnels vacataires. Un plan de rénovation des directions régionales des affaires culturelles sera engagé afin d’en faire de véritables lieux d’accueil et d’information des professionnels et des publics de la culture.

Mesdames et Messieurs les députés, nous saluerons bientôt l’entrée dans l’éternité de la République d’un homme que l’on qualifia de prophète et de visionnaire. Cet homme croyait simplement, au plus profond de son être, à ce qu’il faisait. Il connaissait suffisamment l’histoire séculaire de son pays, celles des grandes civilisations, pour savoir combien une culture est, à la fois, quelque chose de très fort et de profondément fragile.

Il disait  je le cite : « Si le mot culture a un sens, il est ce qui répond au visage qu’a dans la glace un être humain quand il y regarde ce qui sera son visage de mort. La culture, c’est ce qui répond à l’homme quand il se demande ce qu’il fait sur terre. »

La culture, œuvre de vie parce qu’en nous forçant à contempler la mort, elle nous en arrache. Formidable message, en ces temps où l’incertitude et l’angoisse se font parfois envahissantes.

Je vous remercie.