Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le débat qui nous occupe aujourd'hui n'est pas seulement inspiré par une actualité tragique. Si, périodiquement, des suicides collectifs ou des faits divers spectaculaires troublent la conscience de nos sociétés, c'est quotidiennement que la défense sociale et la sauvegarde des personnes doivent s'organiser.
L'impuissance à empêcher des dérives dramatiques pourrait, c'est vrai, nous faire succomber à la tentation de légiférer sur le sujet. Mais la réalité des sectes, comme les travaux de votre commission le démontrent, n'est pas de celles que l'on cerne aisément en droit. Il n'est pas facile, comme le note très bien M. Guyard, de faire la distinction entre l'engagement et le fanatisme, le simple prestige du chef et le culte du gourou, le libre arbitre et le choix induit, la persuasion habile et les manipulations programmées.
Il n'est pas évident, non plus, de distinguer les pratiques illicites souvent dissimulées et le danger des doctrines professées, souvent cachées derrière des paravents inoffensifs.
Et vous savez d'expérience qu'il est toujours délicat d'intervenir sur des domaines qui touchent à la liberté de conscience et à la liberté d'association, libertés dont nous reconnaissons tous la valeur fondamentale. Et je rejoins sur ce point la prudence de M. Loos.
Qu'on me comprenne bien : rejeter la tentation de légiférer, ce n'est pas l'inaction.
Bien au contraire, le Gouvernement entend actionner tous les leviers de l'arsenal juridique existant pour permettre à la société de se défendre et d'assurer à certains de ses membres une sauvegarde qu'ils ne peuvent plus se garantir par eux-mêmes.
Aucune faiblesse des pouvoirs publics ne peut être admise, qu'il s'agisse, cela va de soi, de sectes dont les méfaits se traduisent par des actes criminels, mais aussi de celles dont les méfaits, pour être moins spectaculaires, impliquent la négation de la liberté personnelle et l'asservissement de l'individu, comme l'a souligné, avec sa force de conviction habituelle, M. Geney dans son intervention.
Tout d'abord, nous avons la loi du 1er juillet 1901. Je vous rappelle qu'elle prévoit la nullité des associations fondées sur une cause ou un objet illicite contraires aux lois ou aux bonnes mœurs. A cet égard, les tribunaux ne considèrent pas seulement l'objet indiqué dans les statuts, mais celui qui est réellement poursuivi par l'association. J'ai demandé aux préfets d'exercer une vigilance constante en ce domaine et de saisir en temps utiles le juge.
L'administration doit également se montrer rigoureuse envers les sectes qui souhaiteraient la reconnaissance du statut d'association cultuelle sur le fondement de la loi de séparation des églises et de l'État.
Une telle reconnaissance offre en effet la possibilité de recevoir, outre le produit de quêtes ou de collectes, des dons et legs dans des conditions fiscales avantageuses. Le ministère de l'Intérieur et localement les préfectures surveilleront particulièrement cet aspect de la question.
Si elles recherchent parfois la reconnaissance du caractère cultuel, les sectes ont de plus en plus souvent recours au statut de société commerciale. Il ne saurait être admis que, sous couvert du bénévolat de l'adepte, soit méconnue la législation du travail ou les règles de la protection sociale. Les services spécialisés, et notamment l'inspection du travail, doivent être mobilisés sur l'ensemble de ces points.
Dans un ordre d'idées semblable, doivent être contrôlés et systématiquement bloqués, le cas échéant, les mouvements de fonds de l'étranger. Les règles applicables en matière fiscale ou financière permettent d'atteindre les sectes là où elles sont vulnérables : leurs intérêts matériels, qui constituent bien souvent la préoccupation centrale de leurs dirigeants.
Et je partage l'appréciation de M. Myard sur l'utilité évidente de l'arme du contrôle fiscal contre les sectes. Diverses expériences récentes l'ont montré.
Mobiliser les services pour appliquer la loi, telle est l'orientation du Gouvernement. Mon collègue Jacques Toubon vous en a parlé, il importe notamment que la loi pénale soit utilisée dans toute sa rigueur : publicité mensongère, exercice illégal de la médecine, escroquerie, interdiction des quêtes sur la voie publique... les incriminations ne manquent pas. La loi comporte aussi, au bénéfice des mineurs, les protections utiles et définit les moyens nécessaires à la protection de leurs droits, y compris leur droit à l'éducation dont j'approuve, comme M. Hage, le caractère prioritaire.
Il va de soi que, dans le cadre de ce débat, j'insiste plus particulièrement sur notre obligation en matière de répression, car nous devons protéger les enfants contre tout ce qui menace leur développement personnel ; et comme le souhaitent Mme Moirin et M. Reymann, je confirme l'engagement pris au nom du Gouvernement par le Garde des Sceaux, tout à l'heure, d'une application ferme et rapide de la loi pénale.
Faut-il envisager d'aller plus loin dans le droit positif à l'encontre des sectes les plus dures, comme le suggèrent M. Pierre Bernard et M. Brard ? Le Gouvernement, rejoignant en cela votre commission, ne le pense pas, car on doit pouvoir agir contre les sectes les plus dangereuses, si l'on sait à temps intervenir au pénal, voire au civil par la dissolution.
Je ne souscris d'ailleurs pas à la motion de défiance développée par Mme Martine David, qui semble accuser tous les gouvernements depuis vingt ans d'immobilisme. Votre rapporteur, M. Guyard, a illustré la variété des actions administratives et judiciaires mises en œuvre. Cela n'est pas négligeable, même si je suis persuadé qu'il y a toujours lieu d'aviver notre vigilance. C'est à mon sens une des vertus de ce débat que d'imposer ainsi une ardente obligation au Gouvernement, y compris au niveau international, comme le suggèrent à juste titre M. Myard et M. Moutoussamy, en particulier au sein de l'Union Européenne. A cet égard, M. Gest a rappelé que certains de nos partenaires, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, refusaient d'accueillir M. Moon sur leur territoire. Je lui répondrai que je ne suis pas persuadé que celui-ci soit pour autant très satisfait de l'accueil qui lui a été réservé en France par mes services, puisque son avocat vient de saisir le ministère de l'Intérieur d'un recours précontentieux.
En conclusion, nous devons aujourd'hui stimuler, activer les procédures de défense de la société. Une prochaine circulaire du Chef du Gouvernement rappellera à toutes les autorités concernées (préfets, procureurs, recteurs, services fiscaux, services sociaux) les moyens dont elles disposent et l'obligation qui leur incombe de coordonner leur action dans des structures appropriées. Cela répondra à une évidente nécessité en même temps qu'à l'aspiration unanime de votre commission, reprise avec talent par M. Rudy Salles dans son intervention. Cette circulaire rappellera aussi l'importance qu'il faut attacher à l'information des jeunes et à la formation des fonctionnaires à propos des risques induits par les sectes, en particulier des policiers et des magistrats, comme le suggèrent M. Gest et M. Reymann.
Soyez convaincus, par ailleurs, que le ministère de l'Intérieur ne relâchera pas son effort pour combattre ce fléau. Votre rapporteur a rendu hommage à la qualité du travail accompli par les renseignements généraux. Il sera poursuivi. Tous les éléments susceptibles de fonder une des procédures prévues par la loi seront portés à la connaissance de l'autorité capable d'agir, sans omission ni négligence.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Les lois de la République nous donnent les moyens de réprimer les diverses infractions commises par les adeptes des sectes. Alors, appliquons-les avec détermination.