Déclaration de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, sur les comptes de la Sécurité sociale et les mesures prévues pour le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, Paris le 23 septembre 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion de la commission des comptes de la Sécurité sociale à Paris le 23 septembre 1996

Texte intégral

Je relève dans les comptes tendanciels que nous examinons ce matin et dans les commentaires qu’en a faits M. MARMOT que le rééquilibrage des comptes a été certes retardé par une conjoncture économique décevante, mais qu’il y a quand même des points positifs, pour le passé et pour l’avenir.

En premier lieu, il est maintenant certain que le rééquilibrage des comptes du régime général est amorcé en 1996. Le déficit baissera de plus de quinze milliards par rapport à 1995, ce qui, dans la conjoncture économique des douze derniers mois, n’est pas un résultat dont nous devons avoir honte.

En second lieu, et c’est le plus important, la progression des dépenses des prestations sociales s’est infléchie en 1996. Cette inflexion devrait se poursuivre en 1997 et permettre, en dépit d’un contexte de croissance encore très modérée, une nouvelle réduction spontanée du déficit.

Cependant, notre vigilance ne doit pas se relâcher, et nous devons trouver rapidement la voie d’un équilibre durable des comptes. Aussi, le projet de loi de financement que le Gouvernement soumettra aux Caisses, puis au Parlement, prévoit un effort supplémentaire d’inflexion des dépenses d’assurance-maladie et un ensemble de mesures de financement et de gestion qui nous permettront d’atteindre, sous les hypothèses économiques du projet de Loi de financement, un repli du déficit à 30 milliards de francs en 1997.

Cet objectif est ambitieux, et je me permettrai de revenir un peu sur les évolutions de ces dernières années pour illustrer mon propos.

Depuis le dérapage des comptes sociaux de l’année 1992, nous restons aux alentours d’un déficit annuel voisin d’une cinquantaine de milliards de francs.

Le simple fait de rester dans cette zone n’allait pas de soi. Cela implique que chaque année les dépenses n’évoluent pas plus vite que les recettes, ce qui n’est pas aisé, notamment lorsque la croissance économique est hésitante.

Franchir un pas supplémentaire, descendre au-dessous de ce chiffre de 50 milliards de francs, exige des efforts bien plus grands encore. Le Gouvernement s’était donné cette ambition à l’automne dernier. Mais le ralentissement brutal qui a affecté l’économie française ne nous a pas permis en 1996 de le réaliser. Et ce en dépit du fait que, dans leur quasi-intégralité, les mesures immédiates annoncées le 15 novembre dernier aient été mises en œuvre : la moindre progression de la masse salariale explique en effet à elle seule près de 90 % de l’écart entre les prévisions affichées le 15 novembre dernier et celles qui sont présentées aujourd’hui pour l’année 1996.

Je note au passage que si nous n’avions rien fait, ni reprise de dette ni mesures de redressement, ce n’est pas à un déficit de 51,5 mais à un déficit de 90 milliards que cette commission devrait faire face aujourd’hui.

C’est dire que s’assigner pour 1997 l’objectif de ramener le déficit à 30 milliards de francs est ambitieux. Mais cette ambition est nécessaire. Nous ne pouvons-nous satisfaire d’une situation qui conduirait à terme rapproché à des remises en cause drastiques de notre système de protection sociale, ce que dans leur très grande majorité les Français ne veulent pas.

Cette ambition est également raisonnée et raisonnable.

À force d’analyser et de commenter les chiffres du solde annuel et ses estimations successives, qui reflètent largement les fluctuations économiques, on finit par oublier qu’un certain nombre d’évolutions de moyen terme encourageantes sont à l’œuvre du côté des dépenses.

L’enjeu prioritaire des années 90 est bien en effet de parvenir à ce que l’évolution des dépenses en volume soit – durablement et structurellement – en phase avec le rythme de croissance qu’on estime être celui de l’économie française en moyenne période, c’est-à-dire – pour être prudent – de l’ordre de 2 à 2,5 %.

Et de ce point de vue-là, des progrès très significatifs ont été accomplis : le rythme annuel de croissance en volume des prestations du régime général, toutes branches confondues, était de plus de 4 % en 1990. En 1996, il devrait être réduit à 1,7 %.

Cette évolution ne peut être que graduelle. La tendance est engagée et nous la poursuivrons dans le projet de Loi de financement. Toutefois, sur le fait que nous nous refusons absolument à recourir à des mesures de déremboursement, qui ne feraient qu’accroître l’inégalité d’accès aux coins que nous combattons.

C’est grâce au contraire au plein effet des réformes structurelles engagées, en 1993 en ce qui concerne l’assurance vieillesse, en 1995 en ce qui concerne l’assurance maladie, que nous pensons tabler sur une progression à nouveau ralentie sur un rythme de 0,9 % en volume en 1997.

Raisonnable, cette ambition l’est également parce que nous ne tirons pas un chèque sur la croissance économique de 97 : l’hypothèse retenue pour l’évolution des cotisations en 1997 (3,2 %) est plus proche du résultat décevant que nous escomptons pour 1996 (2,3 %) que de celle qui avait été retenue à l’automne dernier (5,3 %).

Ce n’est donc pas sur un volontarisme quant à la progression spontanée des recettes que notre schéma de redressement s’appuie. Mais sur des mesures d’économie et de financement dont je vais évoquer les principales pour les différentes branches.

Pour ce qui concerne la maladie, nous nous sommes d’abord appuyés sur les réflexions de la Conférence nationale de santé. C’est une première originalité. Il s’agissait d’un exercice nouveau et difficile, mais cette procédure a le grand mérite de faire d’abord apparaître les besoins et nous permet de ne pas tomber dans une approche trop strictement comptable.

Nous retenons en particulier la nécessité, qui a été soulignée par la Conférence nationale de santé, de renforcer les actions visant à prévenir la dépendance vis-à-vis de l’alcool et du tabac, notamment pour les adolescents. Le Gouvernement envisage de soutenir ces priorités de santé publique par deux mesures.

En ce qui concerne le tabac, le projet de loi de financement prévoit l’affectation d’une fraction du produit du droit de consommation sur les tabacs manufactures à la CNAM. Cette nouvelle recette, d’un montant de 3 milliards de francs, est pérenne.

En ce qui concerne les alcools, nous avons privilégié une hausse d’un droit de consommation affecte au FSV qui permet d’assujettir les boissons dites « premix », en raison de leur caractère incitatif à la consommation d’alcool, notamment auprès des jeunes. Le produit de cette majoration, estimé à 1,5 milliard en 1997, sera affecté intégralement à l’assurance maladie, à travers le transfert d’une partie des droits de consommation du FSV.

Les remarques de la Conférence nationale de santé sur l’importance des inégalités régionales devront également être prises en compte dans la mise en œuvre de ce projet de Loi de financement.

La seconde originalité est que le projet de Loi de financement doit prévoir un objectif national d’objectif d’assurance maladie.

Comment définir cet objectif ?

La priorité n’est pas, aujourd’hui, d’augmenter encore et de manière incontrôlée le volume des dépenses d’assurance maladie, même si des efforts spécifiques doivent être poursuivis dans des secteurs où des besoins importants, notamment le médico-social, restent encore à couvrir.

La réforme structurelle de l’assurance maladie, dont la mise en place sera achevée au début de 1997, permettra d’atteindre l’objectif de dépenser mieux plutôt que de dépenser plus, en excluant absolument toute perspective de rationnement des soins. Je me contenterai d’insister sur 5 points :

1) L’effet du renforcement en 1996 des outils de la maîtrise médicalisée des dépenses et la pratique du « juste soin » (respect des références médicales opposables, contrôle accru des arrêts de travail, des transports sanitaires et du respect des indications thérapeutiques des médicaments, formation médicale continue...) ;

2) La diffusion a toute la population du carnet de santé, et l’effet de responsabilisation qui devrait en découler ;

3) La répartition des moyens entre les hôpitaux, qui devrait permettre de mieux ajuster les budgets aux besoins, aux coûts et à l’activité réelle des établissements ;

4) Le développement accéléré des médicaments génériques que nous soutiendrons par des moyens appropriés ;

5) La cessation anticipée d’activité de médecins âgés de 56 à 65 ans.

La mise en œuvre de ces instruments sera source d’économie des 1997. C’est pourquoi nous proposons que les dépenses d’assurance maladie, dont le niveau prévisionnel atteint 604,5 milliards pour l’ensemble des régimes, soit fixé à 600,2 milliards dans le projet de Loi de financement.

Avec 600 milliards de francs en 1997, soit près de 10 de plus qu’en 1996, on ne peut sérieusement contester qu’il est possible d’assurer tous les Français des soins de qualité et ce sans aucune forme de rationnement, mais en recherchant à tous moments et à tous les niveaux le « juste soin ».

Tout sera mis en œuvre pour atteindre cet objectif qui deviendra celui de la Nation par le vote du Parlement. Il ne s’agit pas pour autant d’une enveloppe de crédits limitatifs, à la différence des lois de finances. Des droits sont ouverts et les prestations seront évidemment servies tous sans aucune limite quantitative.

Le respect de cet objectif exige bien sûr – et cela sera encore plus vrai pour 1997 – des changements de comportement mais aussi la modification d’un certain nombre de règles du jeu :
      – certaines relèvent d’évolutions structurelles permises par les ordonnances du 24 avril ;
      – d’autres procèdent d’adaptations ponctuelles, d’un souci de bonne gestion. La CNAM nous a adressé en ce sens, à notre demande, toute une série de propositions très intéressantes que nous étudions attentivement.

Nous nous félicitons de ce souci de responsabilité qui anime les gestionnaires de l’assurance maladie.

Bon nombre de propositions sont susceptibles d’être mises en œuvre rapidement, notamment en ce qui concerne les médicaments et la fixation d’un prix pour les matériels actuellement remboursés sur facture.

Pour ce qui concerne les actes médicaux, la révision de la nomenclature doit se faire à un rythme soutenu et en pleine concertation avec les professionnels concernés, sans exclure la revalorisation de certains actes, mais sans hésiter à remettre en cause des cotations sans rapport avec la réalité des actes effectues.

Quant aux mesures concernant les cliniques privées et les laboratoires d’analyse, elles doivent, comme la CNAM le propose, être abordées dans le cadre des discussions conventionnelles pour 1997.

Voilà pour la maladie.

En ce qui concerne la vieillesse, les modifications de la structure du chômage entre chômeurs indemnisés et ceux qui ne le sont pas, et l’existence de disponibilités au FSV, permettent de revoir à nouveau à la hausse les transferts prévus au titre de la solidarité nationale. C’est pourquoi le Gouvernement souhaite améliorer, par une mesure réglementaire, le taux de prise en charge par le FSV des périodes de validation pour les chômeurs non-indemnisés. Cette mesure contribuerait à l’équilibre de la branche vieillesse à hauteur de 1,5 milliard de francs.

En .ce qui concerne la famille, le projet de Loi de financement intègre les perspectives ouvertes par la Loi famille de juillet 1994. De 1994 à 1996, les prestations versées au titre de l’APE, de l’AGED et de l’AFEAMA ont doublé. Des surcoûts élevés en découlent bien entendu : estimés initialement à 5,5 milliards de francs en 1996, le coût de ce dispositif sera majoré de plus de 3 milliards en 1996 et en 1997.

Par ailleurs, la réflexion se poursuit dans le cadre de la Conférence nationale de la famille. D’ores et déjà, pour tenir compte de l’attachement manifesté par le mouvement familial à l’universalité des versements des allocations familiales, le Gouvernement a décidé de ne pas revenir sur le non-assujettissement des allocations familiales à l’impôt sur le revenu et à la CSG.

Il y a enfin des mesures ayant un impact financier sur les toutes les branches du régime général.

La première mesure est une rationalisation des exonérations des cotisations sociales qui ne sont pas compensées par le budget de l’État.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1997 entend mettre en œuvre la volonté affichée par le Parlement et partagée par le Gouvernement de rationaliser les aides à l’emploi. En ce sens, le Gouvernement propose de supprimer la possibilité de cumul sur un même emploi du bénéfice des conventions de préretraite progressive et de l’abattement de 30 % sur les cotisations patronales pour emploi à temps partiel. La mesure porterait uniquement sur les nouveaux bénéficiaires et aurait un rendement de 200 millions de francs la première année.

La seconde mesure favorable aux ressources de toutes les branches vise à l’amélioration du recouvrement des cotisations sociales.

Le taux de recouvrement des cotisations sociales est très élevé (plus de 98 %). Néanmoins, et eu égard à l’importance des sommes en question, toute mesure permettant son augmentation doit être recherchée. C’est le sens de la proposition du Gouvernement d’étendre le régime de garantie des salaires gérée par l’Association pour la gestion du régime d’assurance des créances des salariés (l’AGS), aux cotisations salariales. Cette disposition devrait permettre d’accélérer le recouvrement des créances des entreprises en liquidation judiciaire. Son rendement est estimé à 1,55 milliard en 1997.

Enfin, la réforme du financement de la sécurité sociale qui est mise en œuvre dans le projet de loi de financement devrait apporter un supplément de ressources à la sécurité sociale.

Les transferts financiers induits par cette réforme sont complexes. Aussi vais-je me contenter de vous en donner les traits principaux.

L’extension d’assiette sur les 2,4 points de CSG existants rapporte, comme il avait été annoncé le 15 novembre 1995, près de 7 milliards de francs (6,9 milliards exactement).

Le produit de l’extension d’assiette sur le 1,1 point de CSG affecté à la CNAF sera conservé dans la branche famille, pour 3,1 milliards.

Le produit de l’extension d’assiette sur le 1,3 point de CSG affecté au FSV sera quant à lui réaffecté à l’assurance maladie par un transfert de droits de consommation sur alcool. En effet, substituer un point de CSG à 1,3 point de cotisation sociale maladie pour les actifs (et 1 point pour les retraites) n’est pas une opération complètement neutre pour les régimes d’assurance maladie. Elle est en fait déficitaire pour eux de 1,7 milliards de francs.

Le transfert des droits de consommation du FSV viendra d’abord compenser ces pertes. Le solde résiduel apportera des ressources complémentaires à la CNAM et à la CANAM.

Au total, la réforme du financement apportera 5,2 milliards de francs de financement supplémentaire à la sécurité sociale qui, aux termes de ces différentes opérations d’affectation, iront pour 3,1 milliards de francs à la CNAF, pour 0,8 à la CANAM et pour 1,3 à la CNAM.

Mais l’objectif de cette réforme dépasse largement son effet financier de court terme. Elle constitue une grande ambition devant laquelle beaucoup de gouvernements ont reculé et qui est pourtant essentielle.

En effet, j’estime qu’il est fondamental de donner aux ressources de la sécurité sociale l’assise la plus large possible. J’y vois au moins trois raisons :

1) L’assiette actuelle pèse trop lourdement sur les revenus du travail et sur l’emploi,

2) La structure des revenus des ménages évolue ; il n’est pas normal que des revenus qui se développent (comme les revenus de remplacement et du capital) soient très peu associés au financement de la protection sociale.

3) La protection sociale couvre aujourd’hui la quasi-totalité de la population : il n’est plus logique que seuls les revenus professionnels soient mis à contribution, notamment dans la perspective de l’assurance maladie universelle.

La situation actuelle est de ce point de vue peu satisfaisante :
    – si l’institution de la CSG a permis de rénover le financement des branches famille et vieillesse, la branche maladie restait assise sur un financement exclusivement professionnel ;
      – certains revenus restaient en dehors de l’assiette de la CSG, notamment les revenus du capital ;
      – la coexistence de deux assiettes différentes pour la CSG et le RDS était source de complexité, notamment pour les entreprises.

L’élargissement de l’assiette de la CSG qui sera mis en œuvre en 1997 permettra de faire contribuer les revenus du capital au financement de la sécurité sociale en fonction de ce qu’ils représentent réellement dans les revenus des ménages.

Le projet de Loi de financement de la sécurité sociale prévoit en effet d’étendre l’assiette de la CSG à celle du RDS, sauf pour certains revenus de remplacement : allocations logement, prestations familiales, retraites et chômeurs à revenus modestes. Les assiettes de la CSG et du RDS seront donc exactement les mêmes pour les revenus du capital et les revenus d’activité.

Le basculement de 1,3 point de cotisation salariale maladie sur 1 point de CSG déductible permettra, parallèlement, d’alléger le poids du financement de la sécurité sociale sur les actifs.

Cette première étape de la réforme de financement permettra notamment un gain de pouvoir d’achat de 0,45 % du salaire net. Elle a vocation, en fonction du bilan qu’on pourra en tirer, à être suivie par d’autres étapes de substitution de CSG déductible à la cotisation maladie.

Ainsi, je crois pouvoir dire que le Gouvernement s’est courageusement attaqué à la situation financière du régime général, non pas par des déremboursements mais par des mesures structurelles tant sur l’offre de soins que sur le financement. Le déficit 1996 a pu être limité à 51,5 milliards de francs, dans une conjoncture difficile, alors qu’une évolution tendancielle des comptes conduisait à un solde de 90 milliards.

L’exercice 1997 constitue un pas supplémentaire vers une inflexion durable de tendance. Le projet de Loi de financement inscrit les comptes de la sécurité sociale dans une perspective de retour rapide à l’équilibre financier. Mais le respect de cet objectif, qui conditionne la sauvegarde de notre système de sécurité sociale, ne sera atteint qu’avec la mobilisation de l’ensemble des acteurs.