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E-administration : la transformation numérique de l'État

Temps de lecture  12 minutes

Par : La Rédaction

La transformation numérique de l’État est continue depuis plus de 25 ans. Grâce à l’évolution des technologies, de nombreux services dématérialisés ont été créés (téléservices, simulateurs...). Aujourd'hui, le numérique est devenu le premier canal d'accès aux services publics et l'intelligence artificielle se déploie dans les administrations.

Du PAGSI en 1998 à la modernisation de l’action publique (MAP) jusqu'en 2017

Tous les gouvernements, depuis la fin des années 1990, ont souhaité développer l’administration électronique, avec l'objectif de moderniser l'administration et sa relation avec les usagers. 

La période 1998-2007

Ce mouvement débute en 1998 avec le programme d’action gouvernemental pour la société de l’information (PAGSI). Il débouche notamment sur l’adoption par les ministères de programmes pluriannuels de modernisation (PPM) et sur la création en 2000 du portail de l’administration, Service-public.fr.

La politique poursuivie vise à faire de l’État un acteur exemplaire et un accélérateur, plus transparent et plus efficace, en facilitant la diffusion en ligne des informations publiques essentielles et en généralisant les téléprocédures. Il s’agit de mettre en place "une administration à accès pluriel" pour les usagers (guichets physiques, courriers, services en ligne ou téléphonie).

Ce mouvement de modernisation se poursuit avec le plan ADministration ÉLEctronique (ADELE) sur la période 2004-2007. La finalité de ce plan, doté d’un budget de 1,8 milliard d’euros, est de faire de l’administration électronique un levier de la modernisation de l’État. Le plan prévoit 140 mesures (comme le numéro unique de renseignement administratif 39-39 ou le service unique de changement d'adresse) afin que l’ensemble des démarches administratives puissent être accomplies à distance par téléphone ou par internet à l’horizon 2006. L’agence pour le développement de l’administration électronique (ADAE), créée en 2003 auprès du Premier ministre, assure la mise en œuvre du plan.

La période 2008-2011

En 2008, le plan "France numérique 2012" prend le relais d’ADELE. Il a notamment pour but d'accroître l’accessibilité des sites Internet publics, de développer le paiement en ligne, d'améliorer l’interopérabilité entre administrations et d'ouvrir les données publiques (open data). Selon un bilan présenté en novembre 2011 par le gouvernement, le plan "France numérique 2012" a permis la dématérialisation de 76% des procédures les plus attendues par les usagers. Un référentiel général d’interopérabilité (RGI) est publié en 2009 et valorise les standards ouverts. Quant à la politique d'ouverture des données, elle se concrétise par la création en 2011 de la plateforme interministérielle de données publiques, data.gouv.fr, développée par la mission Etalab. Cette structure, placée sous l’autorité du Premier ministre, est également née en 2011.

La période 2012-2017

En 2012, le Secrétariat général à la modernisation de l’action publique (SGMAP) est institué. Il est chargé de mettre en œuvre la politique de modernisation de l’État, notamment en matière numérique. Des comités interministériels de la modernisation de l’action publique (CIMAP) décident des actions à engager, conformément au "choc de simplification" annoncé par le président de la République en mars 2013.

Une nouvelle stratégie technologique de l’État est mise en place via le réseau interministériel de l’État (RIE) et le projet dit de "l’État plateforme". Un décret du 1er août 2014 place les différents systèmes d’information (SI) ministériels sous la gouvernance du Premier ministre en créant un système d’information unifié de l’État (socle matériel et logiciel commun).

En 2014 toujours, le gouvernement présente un projet pour faire du numérique l’instrument de la transformation de l’État. 40 nouvelles mesures de simplification des démarches administratives pour les particuliers sont annoncées. La majorité correspond à la création par les ministères de nouveaux services numériques (par exemple simulateur pour estimer ses droits aux prestations sociales). Un administrateur général des données est nommé pour animer et impulser la politique d’open data au sein des administrations de l’État.

Fin 2015, les usagers se voient proposer un nouveau service numérique : celui de saisir par voie électronique (SVE) - dans les mêmes conditions qu’une saisine postale - les administrations d’État pour près de neuf démarches administratives sur dix. Cette saisine peut être effectuée par le biais d’une téléprocédure, d’un formulaire de contact ou par courriel.

En 2016, France Connect est déployé. Cet outil permet d’utiliser un compte, un identifiant et un mot de passe uniques pour tous les services publics en ligne (impôts, caisse d’allocations familiales, mairie, etc.). La refonte du site Service-public.fr a également lieu. 2016 est aussi marquée par la publication de la loi pour une République numérique, dite loi "Lemaire". Elle impose notamment aux administrations d'ouvrir leurs données publiques par défaut, y compris leurs algorithmes, de plus en plus fréquents dans les décisions administratives (par exemple pour le calcul de l’impôt). La loi crée, en outre, un service public de la donnée.

En 2017, le plan "Préfectures nouvelle génération" (PPNG) est mis en œuvre. Les procédures de délivrance des titres (demande de permis de conduire ou de carte grise, pré-demande de passeport ou carte d’identité) sont dématérialisées. La réforme repose sur l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) et les nouveaux centres d’expertise et de ressources des titres (CERT) répartis sur tout le territoire. La mise en place de la téléprocédure pour obtenir sa carte grise a cependant rencontré de nombreuses difficultés qui ont provoqué d’importants retards dans la délivrance des titres.

Pour concevoir des services publics innovants dans des délais courts, des "startups d’État" au sein du SGMAP se multiplient, des "entrepreneurs d’intérêt général" (EIG) sont recrutés dans les administrations. Des hackathons regroupant des développeurs, chefs de projets, etc., des administrations de l’État sont aussi organisés.

D’après l’indice relatif à l’économie et à la société numériques (DESI, pour Digital Economy and Society Index) publié par la Commission européenne en mai 2018, la France occupe, à cette date, la 13e place européenne en matière de services publics numériques. Elle dispose d’une note moyenne en ce qui concerne l’étendue des services en ligne (87 contre 84 pour la moyenne européenne). En revanche, elle est considérée en avance en matière de données ouvertes (4e place en Europe).

Action publique 2022 et les plans de simplification ministériels 2024

En octobre 2017, le gouvernement lance un nouveau programme de réforme de l’État : le programme Action publique 2022, qui comprend des volets "simplification" et "numérique". Un comité interministériel de la transformation publique (CITP) chargé de définir la politique gouvernementale en la matière et de s'assurer de son application est institué, de même qu'un délégué interministériel à la transformation publique qui coordonne l'action des ministères. Le programme Action publique 2022 est piloté par la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), rattachée au ministère de la transformation et de la fonction publiques. La direction interministérielle du numérique (DINUM), service du Premier ministre, est quant à elle chargée d’élaborer et de piloter la stratégie numérique de l’État.

Améliorer la qualité des services publics par l'innovation numérique

La transformation numérique est l’un des cinq chantiers transverses d’Action publique 2022. Cette transformation reste en 2023 et 2024 une priorité du gouvernement. Huit comités interministériels de la transformation publique (CITP) se sont réunis depuis février 2018. Le dernier s'est tenu en avril 2024. Une administration plus proactive (échanges de données entre administrations, information des citoyens ...), l'ouverture des données publiques et les projets d'intelligence artificielle (IA) sont encouragés afin d'offrir de nouveaux services. 

Parmi les diverses réformes mises en oeuvre ou en cours figurent notamment :

  • l'ouverture en 2018 de demarches-simplifiees.fr, qui permet aux administrations de dématérialiser rapidement des démarches et ainsi de s’affranchir des formulaires papier ;
  • la mise en place du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu en 2019 ;
  • la numérisation des 250 démarches administratives les plus utilisées et le suivi renforcé de la satisfaction des usagers avec la création en 2019 d'un observatoire de la qualité des démarches en ligne, renommé en 2023 "Vos démarches essentielles" qui permet de suivre la qualité des démarches et services numériques. L'objectif initial fixé par le gouvernement en 2017 de 100% des démarches dématérialisées à l'horizon 2022 a été recentré en 2019 sur ces 250 démarches ; 
  • le lancement en janvier 2021 du programme Services Publics + pour améliorer l'efficacité des services publics en continu ;
  • un partage des données des usagers entre administrations par défaut, selon le principe "dites-le-nous une fois", qui a permis par exemple l'automatisation de l'attribution des bourses scolaires aux familles à la rentrée 2024
  • une nouvelle méthode depuis 2023 de simplification des démarches à dix moments clés de la vie en s'appuyant sur le "Dites le nous une fois" ;
  • une stratégie des données publiques plus ambitieuse. La politique de la donnée devient une priorité stratégique de l'État (circulaire du Premier ministre du 27 avril 2021 qui fait suite au rapport Bothorel remis en décembre 2020). La DINUM a publié une nouvelle feuille de route en 2023 et chaque ministère dispose d'une feuille de route "numérique et données" et d'un administrateur des données, des algorithmes et des codes sources ;
  • un nouvel incubateur des produits de data sciences de l’État, le DataLab, afin d’accompagner des porteurs de projets, notamment sur l'intelligence artificielle ;
  • une identité numérique régalienne via l'application France Identité (lancement en septembre 2023) et le service FranceConnect+, la version de FranceConnect qui accompagne les usagers dans leurs démarches les plus sensibles.

De nouvelles mesures sont annoncées par les plans de simplification ministériels 2024. Ces plans déclinent, par ministère, dix mesures de simplification qui répondent aux principales préoccupations des usagers : diminuer les délais, réduire la paperasse, développer une culture de service... Par exemple, le ministère de l'intérieur s'engage à généraliser le recours à la plainte en ligne d’ici 2025 pour toutes les infractions simples (2 millions de cas chaque année) et à ouvrir le dépôt de plainte en visioconférence au niveau national. Sur le plan interministériel, on peut citer le programme "Procédure pénale numérique (PPN)" qui vise à dématérialiser l'ensemble des pièces qui constituent le dossier de procédure pénale à horizon 2025.
Ces plans ministériels devraient être renouvelés pour la période 2025-2027.

L'intelligence artificielle expérimentée

Pour améliorer la réponse aux usagers et anticiper les effets de cette technologie sur les métiers, l'administration expérimente par ailleurs l’utilisation de l’intelligence artificielle. Entre 2019 et 2022, un laboratoire pour l'intelligence artificielle, le"Lab IA", au sein de la DINUM a accompagné 26 projets. En 2022, le Conseil d’État, dans une étude commandée par le Premier ministre, plaidait pour la conduite d’une stratégie de l’IA dans les administrations résolument ambitieuse et au service de la performance publique.

Fin 2023, la première expérimentation d’usage d’une IA générative dans les services publics est lancée (recours à l'IA pour rédiger des réponses en ligne aux usagers sur Services publics+). En parallèle, la DINUM a développé un outil d’IA générative, souverain, libre et ouvert, dénommé "Albert", qui propose des réponses personnalisées et la transparence des sources. Depuis janvier 2024, Albert est déployé dans le réseau France services, auprès des conseillers volontaires. 

En outre, plusieurs administrations testent leurs propres outils basés sur l'IA, comme la Direction générale des finances publiques (DGFIP) qui a mis en place "LLaMandement", une solution d'IA pour traiter les milliers d'amendements parlementaires déposés chaque année sur le projet de loi de finances. 

Le fonds pour la transformation de l'action publique

Outre les outils, des moyens financiers accompagnent la transformation des administrations.

Un fonds pour la transformation de l’action publique (FTAP), au titre du Grand plan d’investissement 2018-2022, a ainsi été créé pour accompagner les administrations dans leurs projets de transformation et de simplification. Doté initialement de 700 millions d’euros sur cinq ans, il a été complété par deux enveloppes de 80 millions d'euros en 2022 et de 330 millions en 2023 et ce jusqu'en 2025. 

Dans le cadre du plan France Relance, un fonds d’innovation et de transformation numérique, doté de 500 millions d'euros, a également été consacré à la transformation numérique de l'État et des territoires. 

À noter : dans un rapport de juillet 2024 sur le pilotage de la transformation numérique de l’État par la DINUM, la Cour des comptes estime que la stratégie numérique de l’État a manqué de stabilité depuis 2011 et d'une adhésion interministérielle suffisante. La Cour formule plusieurs recommandations, notamment renforcer l'assise interministérielle de la DINUM et clarifier ses moyens budgétaires.