Le logement, un secteur convoité
Avec près d'un quart du PIB (22%), le logement fait figure de poids lourd de l'économie française : en 2021, les dépenses de l'ensemble des agents économiques dans le domaine du logement s'établissaient à 551 milliards d'euros (Source : Compte du logement). En 1984, le secteur représentait 19,1% du PIB.
Le logement joue un rôle important dans les politiques publiques et le budget de l'État. Les différentes aides au secteur du logement – prestations d'aide au logement, subventions d'exploitation et d'investissement, avantages de taux et avantages fiscaux – s'élèvent à 38 milliards d'euros, soit 1,5% du PIB en 2021 (1,7% du PIB en 2006). Dans le même temps, le secteur a rapporté 88 milliards de prélèvements et de taxes au budget de l'État en 2021.
Plus d'un tiers (13,6 milliards d'euros) des aides au logement concerne les dépenses fiscales (couramment appelées "niches fiscales") c'est-à-dire les dispositions fiscales dérogatoires induisant un coût pour le budget de l'État (sous forme d'abandon de recettes fiscales). La Cour des comptes évalue leur montant à 18 milliards d'euros (2018). Cet écart entre les deux chiffres s'explique par des modifications apportées aux programmes et la différence entre prévision et réalisation. Par exemple, pour 2017, on constate une différence de 20% entre le chiffrage initial dans la loi de finances et son exécution établie dans le projet de loi de finances pour 2019. Ceci conduit à une certaine forme de sous-estimation des dépenses fiscales en faveur du logement.
Le volume des dépenses fiscales en faveur du logement est donc considérable. Ces dépenses constituent entre 14 et près de 20% de l'ensemble des dépenses fiscales (0,5 à 0,7% du PIB), soit la principale dépense fiscale du budget français, devant le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE).
Pluralité d'objectifs pour les aides à l'immobilier
Le secteur du logement est une cible importante des politiques publiques et ceci pour deux objectifs :
- le soutien à la demande de logements en solvabilisant les locataires et résidents en établissement (c'est-à-dire les consommateurs de services logements) notamment via le versement de prestations sociales (les aides personnelles au logement : allocation de logement familiale – ALF, l'aide personnalisée au logement – APL, l'allocation de logement social – ALS). Les propriétaires occupants ne peuvent plus bénéficier de l'APL depuis le 1er janvier 2020 ;
- le soutien à la construction avec différentes aides aux bailleurs, propriétaires accédants ou à l'investissement locatif (prêts aidés, primes en faveur des maîtres d'ouvrage s'engageant à construire, acquérir ou réhabiliter des logements, TVA réduite pour certains travaux).
L'immobilier fait l'objet d'une fiscalité très riche. Sont imposées :
- sa production (TVA, taxe d'aménagement...) ;
- son acquisition (droits de mutation...) ;
- sa cession (taxation des plus-values...) ;
- sa détention (impôt sur le revenu, taxe foncière, taxe d'habitation sur les résidences secondaires, taxe sur les logements vacants...).
Cette multitude d'impôts et de taxes offre de nombreux leviers à la politique du logement pour agir sur des populations ciblées ou poursuivre d'autres objectifs (par exemple écologiques, énergétiques ou en termes d'accession à la propriété). Une partie importante de ces leviers est proposée sous forme de dépenses fiscales.
Les dépenses fiscales à l'immobilier : quel volume et quelle forme ?
Les dépenses fiscales en matière de logement poursuivent trois grands objectifs :
- l'amélioration de l'habitat. Les propriétaires (notamment les bailleurs) sont encouragés à rénover leurs logements et à améliorer écologiquement et énergiquement les bâtiments. Les dépenses fiscales associées à cet objectif sont les plus importantes (plus de 6,9 milliards d'euros en 2022, prévision), dont notamment :
- TVA au taux réduit de 10% pour les travaux entrepris sur des logements de plus de 2 ans : 3,7 milliards d'euros ;
- déduction de l'impôt sur le revenu des dépenses de réparation, amélioration : 1,7 milliard d'euros ;
- éco-prêt à taux zéro en faveur des travaux de rénovation énergétique : 0,03 milliard d'euros ;
- TVA au taux réduit de 5,5% pour les travaux de rénovation énergétique : 1,5 milliard d'euros.
- le développement de l'offre de logements. Cet objectif part du présupposé d'une demande de logement croissante et supérieure à l'offre. L'État espère rééquilibrer le rapport offre/demande et contribuer à des prix du logement accessibles en solvabilisant les ménages pour accéder à la propriété et en encourageant l'investissement locatif. Les aides sont chiffrées à plus de 4,4 milliards d'euros (prévision 2022), dont notamment :
- réduction d'impôt sur le revenu en faveur de l'investissement locatif intermédiaire (dispositif Duflot et Pinel) : 1,4 milliard d'euros ;
- déduction spécifique sur les revenus fonciers des logements en locations dans le cadre d'une convention ANAH : 0,03 milliard d'euros ;
- crédits d'impôt dans le cadre des prêts à taux zéro (PTZ à 0% et PTZ à zéro plus) : 0,9 milliard d'euros ;
- réduction d'impôt sur le revenu au titre de l'investissement locatif meublé non professionnel (dispositif Censi-Bouvard) : 0,09 milliard d'euros ;
- réduction d'impôt sur le revenu au titre de l'investissement locatif dans l'ancien (dispositif Denormandie) : 2 milliards d'euros. ;
- le soutien au logement social. Il s'agit de favoriser la production de logements sociaux, rénover le parc existant et contribuer à l'accession sociale à la propriété. Ces aides sont chiffrées à plus de 2,7 milliards d'euros pour 2022, dont notamment :
- taux de TVA de 10% pour certaines opérations relatives au logement locatifs sociaux : 0,9 milliard d'euros ;
- taux de TVA de 5,5% pour certaines opérations relatives à l'accession sociale à la propriété à usage de résidence principale : 1 milliard d'euros ;
- exonération des organismes d'HLM d'impôt sur les sociétés : 0,8 milliard d'euros.
Cette liste recense l'impact budgétaire des principaux dispositifs fiscaux en vigueur selon les données fournies par le Compte logement (choisi ici pour des raisons d'exhaustivité). Les données de la Cour des comptes sont, en moyenne, 15 à 20% plus importantes.
Beaucoup de ces dispositifs ont la particularité de peser longtemps sur les budgets, même après leur arrêt. Le dispositif "Pinel" que le gouvernement prévoit d'arrêter en 2024, pèsera sur les recettes fiscales jusqu'à la fin des années 2030. L'arrêt définitif de ce dispositif serait un tournant dans la politique du logement, car l'incitation à l'investissement locatif est très ancienne. Le premier dispositif de ce type, la loi Méhaignerie, date de 1984. Depuis, ce système s'est toujours renouvelé, avec le Périssol, suivi du Besson, du Scellier, du Duflot pour finir avec le Pinel. À l'avenir, le gouvernement compte toujours aider le secteur du logement intermédiaire, mais cible désormais davantage les investisseurs institutionnels (les organismes de foncier solidaire tels CDC Habitat ou Action Logement).
Évolution des dépenses fiscales : les avantages fiscaux prennent de l'importance
Le secteur du logement et de la pierre a été aidé en 2021 à hauteur de 38 milliards d'euros, dont près de 53% sous forme de prestations sociales aux consommateurs (notamment ALF, APL et ALS), suivies des avantages fiscaux (dépenses fiscales) à 36%.
| 2021 | En % | |
|---|---|---|
| Prestations sociales (consommateurs) | 20 099 | 52,7 |
| Subventions d’exploitations (producteurs) | 232 | 0,6 |
| Subventions d’investissement (producteurs) | 3 317 | 8,7 |
| Avantages fiscaux | 13 682 | 35,9 |
| - aux consommateurs | 2 097 | - 5,5 |
| - aux producteurs | 11 584 | - 30,4 |
| Avantages de taux (producteurs) | 831 | 2,2 |
| Ensemble des aides | 38 160 | 100 |
Source : Compte du logement 2021.
Cette structure a beaucoup évolué avec le temps, conséquence de la réforme du gouvernement de Raymond Barre en 1977 dont l'objectif était de diminuer les aides à la pierre et de développer sensiblement celles à la personne, avec notamment la création de l'aide personnalisée au logement (APL).
| 1984 | 1990 | 2000 | 2003 | 2006 | 2010 | 2018 | 2021 |
|---|---|---|---|---|---|---|---|
| 13,8 | 16,5 | 24,9 | 25,9 | 30,0 | 42,4 | 39,6 | 38,2 |
Source : Compte du logement
Globalement, l'aide au logement augmente fortement, puis stagne, voire recule légèrement depuis 2010. Mais contrairement aux objectifs de la réforme de Raymond Barre, les dépenses fiscales en faveur du logement et de la pierre ont gagné en importance : elles sont passées de 17% en 1984 à 36% en 2021. Les aides sous forme d'avantage de taux (PTZ, TVA réduite), quant à elles, ont nettement diminué. On observe donc un transfert des avantages de taux vers les avantages fiscaux. Une nouvelle hausse des avantages fiscaux est prévue pour 2022 (14,1 milliards d'euros).
| 1984 | 1990 | 2000 | 2010 | 2018 | 2021 | |
|---|---|---|---|---|---|---|
| Avantages fiscaux (aux producteurs et aux consommateurs)* | 2,3 (16,6%) | 3,5 (21,5%) | 6,1 (24,5%) | 13,2 (31,1%) | 14,5 (36,6%) | 13,7 (35,9%) |
| Avantages de taux (aux producteurs)** | 5,6 (40,5) | 3,7 (22,6%) | 2,1 (8,4%) | 5,6 (13,2%) | 2,7 (6,7%) | 0,83 (2,2%) |
* Dépenses fiscales sous forme d'exonérations d'impôts sur les sociétés HLM, exonération de taxe foncière, crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunt pour acquisition de résidence principale, avantages fiscaux sur les revenus fonciers, dispositifs d'incitation à l'investissement locatif privé, TVA à taux réduit pour travaux d'amélioration-entretien, crédit d'impôt développement durable (CIDD), etc.
** PTZ, Eco-prêt, Prêts action logement, Locatif social, Prêts épargne logement, TVA réduite, etc.
Source : Compte du logement
Les dépenses fiscales en faveur de l'immobilier : une efficacité très variable
Plusieurs documents publics ont récemment essayé d'apporter un chiffrage concret des aides au logement. Ainsi, l'annexe au projet de loi de finances pour 2022 montre que les dispositifs de TVA réduite pour l'amélioration de l'habitat renforcent la demande de travaux, incitent à la rénovation et luttent contre le travail non déclaré. L'efficience du point de vue du contribuable reste toutefois discutable : l'augmentation observée du nombre d'emplois demeurerait modérée face au coût annuel de la mesure (5 milliards d'euros par an en moyenne) et équitablement discutable (il profite surtout aux ménages aisés). L'éco-prêt à taux zéro, ainsi que la déduction des dépenses de grosses réparations et d'amélioration semblent être des instruments plutôt efficients, mais trop faiblement distribué pour le premier.
Le programme d'incitation à l'investissement Duflot-Pinel "n'a pas toujours rempli son objectif de développement d'une offre locative intermédiaire", notamment en termes de modération des loyers. En 2018, la Cour des comptes constatait déjà que "l'impact économique de ces aides est limité et leur efficacité, […], est faible". Le coût annuel pour les finances publiques d'un logement de 190 000 euros bénéficiant de l'avantage Pinel serait trois à quatre fois plus élevé que celui d'un logement social comparable ou deux fois plus élevé que celui d'un logement financé par un prêt locatif aidé d'intégration (PLAI).
Au sujet des prêts à taux zéro dans le cadre de l'accession à la propriété, une relative perte d'efficacité s'observe et un recentrage géographique paraît souhaitable. La réintroduction, en 2012, des plafonds de ressources déclenchant son éligibilité a permis de minimiser le nombre de ménages bénéficiaires qui n'avaient a priori pas besoin d'aide publique dans leur acte d'achat. Le nouveau recentrage prévu devrait accentuer encore son efficacité, tout comme la simplification du dispositif "Ma Prime Rénov". Enfin, le dispositif "Louer abordable" via l'ANAH, et l'aide à la location meublée (Censier-Bouvard) semblent atteindre leurs objectifs. Quant au programme Denormandie, il est encore trop récent pour apprécier sa pertinence.
Les dispositifs en faveur du logement social semblent plutôt efficaces : "cette dépense participe à l'atteinte des objectifs de construction de logements sociaux, de rénovation du parc et de l'accession sociale à la propriété".
L'évaluation des dépenses fiscales en faveur du logement demeure globalement insuffisante, notamment en raison de l'absence de données quantitatives pertinentes sur les logements et leurs occupants. De fait, le pilotage satisfaisant des politiques de logement n'est pas garanti.
Ce que la Cour des Comptes notait en 2019 demeure d'actualité : "Les 66 principales dépenses fiscales en faveur du logement […] représentaient 18 milliards d'euros en 2018, soit près de 20% de l'ensemble des dépenses fiscales. Le coût de cet abandon de recettes est sous-estimé dans les lois de finances. […] La mesure de leurs effets économiques et sociaux est par ailleurs insuffisante, bien qu'essentielle, tout comme le contrôle de leurs contreparties sociales (loyer modéré…). Ces dépenses demeurent donc globalement encore trop peu maîtrisées pour être des instruments efficients de la politique du logement."
Assurer la cohérence de la politique du logement face à ses nouveaux défis
Dans une note thématique, publiée en juillet 2023, la Cour des comptes met en évidence le montant élevé des fonds publics mobilisés pour le logement pour une efficacité relative, notamment pour loger les plus modestes. La Cour propose trois types d'action pour répondre aux nouveaux enjeux (vieillissement de la population, décohabitation croissance, changement climatique, etc.) de la politique du logement dont les fondamentaux ont été élaborés il y a plus de 50 ans :
- améliorer la performance de la dépense publique en faveur du logement : mieux évaluer les dépenses, notamment fiscales, recentrer l’effort vers les publics les plus défavorisés et mieux coordonner l’action des multiples intervenants publics ;
- rééquilibrer les responsabilités entre l’État et les collectivités locales, au profit de ces dernières, pour mieux répondre aux besoins territoriaux ;
- privilégier une approche plus qualitative pour prendre en compte les nouvelles priorités sociales et environnementales.
Dépenses fiscales au logement : quels effets économiques ?
Une critique souvent formulée est l'effet inflationniste des aides à l'immobilier. Cet effet est maintenant bien documenté du côté des aides à la personne. Ces aides réduisent certes le taux d'effort des allocataires, mais l'augmentation de leur solvabilité et la hausse de la demande locative contribuent à la hausse des loyers. Il n'est pas à exclure qu'un mécanisme semblable soit à l'œuvre dans le domaine des dépenses fiscales. Dans le cadre de l'investissement locatif, la perspective de la réduction d'impôt pour l'investisseur privé peut se traduire par une hausse des prix des programmes de construction proposés par les promoteurs. Le même soupçon plane sur les mesures de TVA réduites pour travaux. L'avantage fiscal risque donc de ne pas profiter aux bénéficiaires visés par les politiques publiques.
Une autre critique porte sur le sens de certains dispositifs. Est-ce forcément une bonne chose d'inciter les particuliers à accéder à la propriété ? Les arguments en faveur d'une telle politique – comme l'autonomie et l'effet patrimoine – doivent être contrebalancés en regard des interrogations qu'elle suscite. Quels sont les effets sur la mobilité et le marché du travail ? En incitant des ménages à revenus modestes à devenir propriétaire, ne faut-il pas craindre l'apparition de propriétaires paupérisés et/ou localisés loin des zones d'emploi ?
Outre les possibles effets d'aubaine (tirer profit d'une mesure pour faire quelque chose qu'on aurait fait de toute façon), quels en sont les impacts sur les inégalités patrimoniales ? Les programmes d'investissement locatif du type Duflot-Pinel s'adressent principalement à des ménages dont les revenus sont relativement élevés.
On peut également s'interroger sur l'effet environnemental des dépenses fiscales en faveur du logement. Des dispositifs tels l'éco-prêt en faveur des travaux de rénovation énergétique ou MaPrimeRénov' ont un effet écologique certain, mais dans sa globalité, l'empreinte carbone, notamment de la construction, est très négatif. La production de ciment conventionnel, matière première du béton, est fortement émettrice de dioxyde de carbone. Pour l'instant, l'utilisation de ciment écologique est encore à ses balbutiements et l'octroi d'aides n'est pas conditionnée à son utilisation.
Enfin, d'un point de vue strictement économique, une collectivité a toujours intérêt à allouer ses ressources aux utilisations les plus efficientes et les plus productives. Le secteur de la construction est cependant traditionnellement un mauvais élève en matière d'innovation et de productivité, loin derrière l'industrie. En termes de valeur ajoutée, le secteur ne représente en 2021 que 5,6% du PIB (14% pour l'industrie). La dépense nationale en logement représente, elle, plus de 20% du PIB.