La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) veille au respect des libertés garanties par le droit de l'Union européenne (UE). Parmi celles-ci, l'une des plus importantes est la liberté de circulation des citoyens européens et leur droit de s'établir dans un autre État membre que celui d'origine.
Cette liberté a progressivement permis à la CJUE d'imposer aux États membres interdisant certaines pratiques, comme les mariages entre personnes de même sexe ou les transitions de genre, de les reconnaître lorsqu'elles ont été légalement effectuées dans un autre État membre. Le point sur l'évolution de la jurisprudence de la Cour en la matière.
Liberté de circulation et droit à une égalité de traitement
La liberté de circulation des personnes et leur droit de s'établir dans un autre État membre de l'UE était initialement destinée aux travailleurs européens. Elle a été consacrée dès 1957, avec l'adoption du Traité de Rome créant la Communauté économique européenne (CEE). La liste des bénéficiaires de la liberté de circulation et d’établissement s'est ensuite progressivement élargie à l'ensemble des ressortissants d'un État membre de l'UE.
Aujourd'hui, la liberté de circulation et de séjour est l'une des prérogatives liées à la citoyenneté européenne. Elle est garantie par les traités fondateurs (articles 3 du traité sur l'UE, 20 et 21 du traité sur le fonctionnement de l'UE) ainsi que par la Charte européenne des droits fondamentaux (article 5). Tout citoyen de l'UE a ainsi le droit de circuler librement au sein de l'UE et de séjourner dans un autre État membre que celui dont il est originaire. Les membres de la famille du citoyen européen, à savoir le conjoint et les enfants, disposent quant à eux de droits "dérivés", notamment en matière de séjour, sous certaines conditions.
De cette liberté de circulation et de séjour découlent plusieurs droits, parmi lesquels le droit du citoyen européen qui s'établit dans un autre État membre à une égalité de traitement avec les nationaux de cet État d'accueil. Ce droit permet de garantir l'effectivité de la liberté de circulation et de séjour dans la dignité, l'égalité et l'absence de discrimination selon la nationalité.
Cette interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité entre les citoyens de l'UE s'applique principalement au secteur de l'emploi, mais pas uniquement. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) est compétente pour veiller au respect de ce principe dans plusieurs domaines.
Mariage entre personnes de même sexe
L'effectivité du droit à la liberté de circulation peut rencontrer des obstacles lorsque les législations diffèrent d'un État membre à l'autre. C'est le cas notamment du mariage entre personnes de même sexe et de la reconnaissance de la filiation homoparentale, toujours interdits dans certains États européens.
La CJUE, dans un arrêt du 5 juin 2018, Coman, avait dû se prononcer sur le refus des autorités roumaines de qualifier de "conjoint" un ressortissant états-unien marié en Belgique à un ressortissant roumain. La Roumanie justifiait son refus par l'interdiction du mariage entre personnes de même sexe par sa législation nationale. Cette non-reconnaissance du statut marital empêchait le ressortissant états-unien de bénéficier d'un droit de séjour permanent en Roumanie, qui n'est accordé qu'aux conjoints de Roumains.
La Cour a affirmé que le ressortissant états-unien relevait bien de la notion de "conjoint", au nom de la liberté de circulation et de séjour. Le ressortissant états-unien disposait donc d'un droit de séjour dérivé à ce titre.
Il s'agissait ici de garantir à l'ensemble des citoyens de l'UE et aux membres de leur famille de bénéficier pleinement de la liberté de circulation et de séjour, et ce quelle que soit la législation en matière de mariage dans l’État d'accueil. Par ailleurs, le refus de la reconnaissance du statut de conjoint entravait le droit au respect de la vie privée et familiale des requérants, en limitant dans la durée le droit au séjour du ressortissant états-unien en Roumanie.
Mais cet arrêt n'a confirmé la reconnaissance d'un mariage célébré dans un autre État membre que sous le prisme du droit au séjour. La reconnaissance de la filiation homoparentale se limite également aux documents de voyage nécessaires pour permettre à l'enfant de circuler et séjourner librement, avec ses deux parents, en tant que citoyen de l'UE (arrêt du 14 décembre 2021, Pancharevo).
Dans un arrêt du 25 novembre 2025, Wojewoda Mazowiecki, la Cour est allée plus loin en affirmant qu'un État membre de l'UE doit reconnaître le mariage entre deux citoyens européens de même sexe conclu dans un autre État membre. L'affaire concernait deux Polonais mariés en Allemagne qui avaient demandé la transcription de leur acte de mariage dans le registre d'état civil polonais. Les autorités polonaises avaient rejeté leur demande, là aussi au motif que le droit polonais n'autorise pas le mariage entre personnes de même sexe.
La Cour a sanctionné la Pologne en considérant que ce refus avait constitué une entrave à la liberté de circulation et de séjour de citoyens européens, ainsi qu'à leur vie privée et familiale. La Cour impose ainsi la reconnaissance de ces mariages, quel qu'en soit le moyen, en application des libertés accordées par le droit de l'UE aux citoyens européens. Elle n'impose pas pour autant aux États d'introduire le mariage entre personnes de même sexe dans leur droit interne. Les règles relatives au mariage relèvent en effet de la compétence des États membres.
Changement de prénom et de la mention du sexe à l'état civil
Autre domaine dans lequel la législation diffère d'un pays à l'autre : la procédure de changement de prénom et/ou de mention du sexe à l'état civil, dans le cadre d'une transition de genre. La CJUE a dû trancher à l'égard de citoyens européens de double nationalité, qui avaient obtenu ces modifications dans l'un des États dont ils étaient ressortissants et qui souhaitaient en obtenir la reconnaissance dans l'autre État dont ils avaient la nationalité. Concrètement, l'enjeu était d'obtenir la délivrance par ce second pays d'actes d'état civil intégrant les modifications effectuées.
La CJUE affirmait dès le début des années 2000 que les autorités d'un État membre ne peuvent systématiquement refuser d'enregistrer le nouveau nom reconnu à un citoyen européen dans un autre État membre dont il est également ressortissant, sauf sous certaines conditions (par exemple : pour des raisons impératives d'intérêt public). Elle a étendu ce principe au changement de prénom dans un arrêt du 2 juin 2016, Bogendorff von Wolffersdorff, puis dans un arrêt du 8 juin 2017, Freitag. La Cour considère que ces refus constituent une entrave à la liberté de circulation et d'établissement des citoyens européens.
Jusqu'à récemment, la CJUE ne s'était pas encore prononcée sur la prise en considération d'une procédure de transition de genre effectuée dans un autre État membre. Dans un arrêt du 4 octobre 2024, Mirin, la Cour confirme que le refus pour un État de reconnaître, dans les registres de l'état civil, le changement de prénom obtenu par un de ses ressortissants dans un autre État membre dont il a également la nationalité est contraire au droit européen. Surtout, elle étend ce principe au changement de la mention du sexe à l'état civil.
En l'espèce, un ressortissant de nationalité roumaine et britannique avait obtenu un changement de prénom et de la mention de son sexe à l'état civil au Royaume-Uni, à l'époque encore membre de l'UE. Le requérant avait ensuite sollicité de la part des autorités roumaines la délivrance d'un nouveau certificat de naissance intégrant ces deux modifications. Celles-ci ont refusé sa demande, en se fondant sur le droit roumain, qui impose une décision de justice définitive à cette fin.
Or, la procédure applicable en Roumanie est plus contraignante qu'au Royaume-Uni (procédure du "deed poll", qui permet la délivrance d'un certificat d'identité de genre sur simple déclaration). Le refus des autorités roumaines de prendre en compte les changements déjà opérés au Royaume-Uni imposait donc au requérant de réaliser les démarches judiciaires imposées par la Roumanie. Les autorités roumaines ont ainsi fait abstraction d'un changement pourtant légalement acquis dans un autre État membre.
Si l'état des personnes relève de la compétence des États membres, la CJUE est compétente pour s'assurer du respect du droit de l'UE dans l'exercice de cette compétence, notamment au regard de la liberté de circulation et d'établissement.
La Cour considère que le refus de reconnaître le changement de prénom et de genre constitue une entrave à l'exercice de la liberté de circulation des citoyens européens. La coexistence de deux prénoms et genres différents peut en effet avoir des effets contraignants : confusion, obstacles administratifs, professionnels et privés... En outre, le fait d'imposer une nouvelle procédure au requérant l'expose au risque d'obtenir une réponse différente de celle obtenue dans le premier État.
Au-delà de la protection de la liberté de circulation et d'établissement, la Cour profite de cet arrêt pour inciter la Roumanie à mettre en place une procédure efficace et accessible permettant le respect et la reconnaissance de l'identité de genre des personnes trans. L'identité de genre fait en effet partie du droit au respect de la vie privée et familiale. La CJUE se réfère à un arrêt du 19 janvier 2021, X et Y c. Roumanie, dans lequel la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) avait considéré la procédure roumaine comme incompatible avec la Convention européenne des droits de l'Homme, car manquant de clarté et de prévisibilité.
La reconnaissance par la CEDH du droit à la reconnaissance de son identité de genre
Jusqu'à 2002, la CEDH considérait que le refus par un État membre du Conseil de l'Europe de modifier la mention du sexe sur les actes d'état civil d'une personne trans était conforme à la Convention européenne des droits de l'Homme. Dans un arrêt du 11 juillet 2002, Goodwin, la CEDH a opéré un revirement de jurisprudence en consacrant un droit à la reconnaissance juridique d'un changement de genre. Depuis cet arrêt, qui a marqué un tournant, elle appréhende l'identité de genre comme un "aspect important" de la vie privée, protégée par l'article 8 de la Convention.
Gestation pour autrui (GPA)
La question de la reconnaissance de la gestation pour autrui (GPA) se pose également sous le prisme de la liberté de circulation.
De nombreux pays européens, parmi lesquels la France, interdisent le recours aux mères porteuses. Celui-ci étant néanmoins autorisé dans d'autres États membres européens (Danemark, Pays-Bas, Grèce...), la reconnaissance de la filiation à l'égard d'un enfant né à l'issue d'une GPA soulève des questions.
La position de la CEDH et de la France
La CEDH s'est prononcée en 2014 au sujet de couples français s'étant vu refuser la transcription d'actes de naissance états-uniens de leurs enfants nés par GPA sur les registres de l’état civil français. La Cour a estimé que la France devait reconnaître le lien de filiation établi à l'étranger au regard du droit à la vie privée des enfants et du respect de leur intérêt supérieur. La CEDH apprécie chaque situation au cas par cas, en mettant en balance la marge d'appréciation des États et les droits de l'enfant.
En réaction aux arrêts de 2014, la Cour de cassation a révisé sa jurisprudence : elle considère désormais que la GPA ne fait plus obstacle, à elle seule, à la transcription de l'acte de naissance étranger régulièrement établi. Cette position s'applique aux filiations hétéroparentales comme homoparentales. La loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique a précisé que la transcription d'un acte d'état civil étranger d'un enfant né de GPA est limitée au seul parent biologique, le parent d'intention devant passer par une procédure d'adoption. La loi est plus contraignante que la jurisprudence de la Cour de cassation.
La CJUE n'a pour l'instant jamais reconnu le droit à la transcription d'actes de naissance d'enfants nés de GPA dans un État membre qui prohibe cette pratique. En matière de GPA, la Cour a simplement indiqué qu'une femme qui devient mère suite à un accord de GPA ne peut pas bénéficier des dispositions européennes relatives au congé maternité, qui ne s'appliquent qu'aux femmes ayant été enceintes (arrêts du 18 mars 2014).
La Commission européenne a adopté, le 7 décembre 2022, une proposition de règlement visant à harmoniser à l'échelle de l'Union les règles de droit international privé relatives à la filiation, au nom de l'intérêt supérieur et des droits de l'enfant. Une filiation reconnue dans un État membre le serait aussi dans tous les autres États membres, sans procédure spéciale. Elle prévoit ainsi la création d'un "certificat européen de filiation". Ce certificat permettra également la reconnaissance d'une filiation homoparentale dans l'ensemble des États membres. Le texte doit encore être adopté.
La Commission justifie également cette proposition sous l'angle de la liberté de circulation et de séjour des citoyens européens et de leurs enfants nés via GPA.