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© Sameer Al-DOUMY / AFP

Immigration : les premiers renvois de migrants prévus par un accord franco-britannique

Temps de lecture  5 minutes

Par : La Rédaction

Dans une déclaration du 14 octobre 2025, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a dénoncé l'accord franco-britannique conclu en juillet 2025. Cet accord instaure la règle dite du "un pour un" : pour un renvoi d'une personne étrangère vers la France, un accueil au Royaume-Uni.

Le 10 juillet 2025, un accord a été conclu entre la France et le Royaume-Uni afin d'organiser le renvoi de migrants entre les deux pays, jusqu'à juin 2026. 

Entré en vigueur le 6 août 2025, il instaure la règle dite du "un pour un" (en anglais : "one-in, one-out"). L'objectif poursuivi par cet accord est de dissuader les personnes étrangères arrivées en France de traverser illégalement la Manche pour rejoindre le territoire britannique. 

Des traversées de la Manche de plus en plus nombreuses et dangereuses

Chaque année, des personnes étrangères traversent la Manche, de manière illégale, pour rejoindre le Royaume-Uni depuis la côté française près de Calais. Le nombre de traversées augmente d'année en année. En 2024, les tentatives de traversées vers le Royaume-Uni via la Manche ont augmenté de 9% (67 552 franchissements irréguliers de la frontière) par rapport à l'année précédente.

Les traversées sur de petites embarcations précaires ("small boats"), organisées par des réseaux de passeurs, comprennent de hauts risques. Depuis 2014, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a recensé 355 migrants disparus sur la route de la Manche vers le Royaume-Uni. L'année 2024 a connu un pic avec 85 décès et disparitions sur cette route. 

Quel impact le Brexit a-t-il eu en matière d'immigration et d'asile ? 

La libre circulation des citoyens européens ne s'applique plus sur le territoire du Royaume-Uni depuis sa sortie de l'Union européenne (UE), entrée en vigueur le 31 janvier 2020 (Brexit). Le Royaume-Uni ne fait également plus partie du système d'asile organisé au niveau de l'UE, qui impose le dépôt d'une demande d'asile dans le premier pays de l'UE dans lequel le migrant arrive (règlement Dublin III de 2013). Les exceptions à ce principe, notamment celle permettant de demander un regroupement familial dans un autre État que celui d'arrivée, ne s'y appliquent plus. 

Le Royaume-Uni ne sera pas non plus soumis au principe de solidarité entre États membres instauré par le Pacte européen sur la migration et l'asile adopté le 14 mai 2024, qui entrera en vigueur en juin 2026. 

Le principe du "un pour un" : pour un renvoi vers la France, un accueil au Royaume-Uni

Un accord franco-britannique avait déjà été signé depuis le Brexit, le 14 novembre 2022, afin de lutter contre l'immigration illégale. Il prévoyait une augmentation des sommes versées par le Royaume-Uni à la France (plus de 72 millions d'euros pour 2022-2023) et, en contrepartie, l'augmentation des effectifs de forces de sécurité françaises sur les plages d'où partent les personnes étrangères souhaitant rejoindre le territoire britannique.

L'accord de juillet 2025, entré en vigueur le 6 août suivant, va plus loin dans la dissuasion des traversées de la Manche, en instaurant la règle du "un pour un"

  • une personne arrivée illégalement au Royaume-Uni peut être immédiatement retenue puis renvoyée vers la France (sauf si elle remplit les conditions requises pour bénéficier d'une protection internationale en tant que réfugié ou s'il s'agit d'un mineur non accompagné). Les réadmissions en France n'entraînent aucun droit au séjour, et le Royaume-Uni peut recouvrer les coûts de transport liés à la réadmission auprès des ressortissants étrangers renvoyés vers la France ;
  • le Royaume-Uni s'engage en contrepartie à accueillir une personne étrangère qui se trouve en France, sous plusieurs conditions, notamment celles de ne jamais avoir essayé de traverser illégalement la Manche et de justifier d'attaches familiales ou personnelles au Royaume-Uni. La demande devra être effectuée par le biais d'une plateforme numérique. 

L'accord cite parmi les objectifs visés par les deux États ceux de "poursuivre et [...] renforcer leur coopération afin de lutter de manière plus efficace contre les migrations irrégulières, de prévenir la circulation non autorisée et d'empêcher les traversées périlleuses entre la France et le Royaume-Uni" (voir le décret français de publication de l'accord du 11 août 2025).

La Commission européenne a approuvé cette initiative, qui doit prendre fin le 11 juin 2026 (date d'entrée en vigueur du Pacte européen sur la migration et l'asile), à moins qu'elle soit reconduite d'ici là. Les premiers renvois ont été organisés au mois de septembre 2025, des deux côtés de la Manche. 

Un accord dénoncé par la CNCDH

Dans une déclaration adoptée le 14 octobre 2025, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a dénoncé l'accord et ses conséquences. L'institution considère ce texte "attentatoire aux droits des personnes migrantes et contraire aux engagements internationaux de la France". La CNCDH considère que "les conditions d'entrée au Royaume-Uni manquent de transparence", sont "discriminantes" et portent atteinte au droit d'asile. L'institution s'interroge également sur la conformité de la procédure de ratification de l'accord par décret avec l'article 53 de la Constitution, qui impose que l'autorisation de ratifier un traité international soit actée par la voie législative lorsque le texte porte sur certaines matières. 

La gestion de l’immigration illégale est au cœur des discussions entre la France et le Royaume-Uni depuis plus de 30 ans.

En 1989, la construction du tunnel sous la Manche soulève des questions sur la sécurisation des points de passage entre les deux pays.

Effondrement du bloc soviétique, guerres dans l'ex-Yougoslavie, le nouveau contexte international des années 1990 entraîne une augmentation des migrations.

Les migrants demandent l’asile et, à défaut, tentent d’entrer illégalement au Royaume-Uni considéré comme un pays économique attractif.

En 1991, le protocole de Sangatte prévoit une meilleure coopération entre les deux pays et un renforcement des contrôles ferroviaires.

Ouvert en 1999, le centre de Sangatte près de Calais est destiné à accueillir les étrangers cherchant à rejoindre le Royaume-Uni.

Conditions de vie pénibles, tensions entre les nombreux réfugiés ou avec les riverains, le centre ferme ses portes en 2002.

Pour tenter de réguler le flux de migrants, sont signés le 4 février 2003 les accords du Touquet, lors d’un sommet franco-britannique.

Ce texte autorise les forces de l’ordre de chaque pays à procéder à des contrôles sur le territoire de l’autre pays et à traiter les demandes d’asile de la même manière.

Il s’agit de contrôles ferroviaires - pour l’Eurostar à Paris et à Londres - et de contrôles maritimes dans les principaux ports de la Manche et de la mer du Nord.

La mise en œuvre de ces accords repose surtout sur la France : il y a peu de départs du Royaume-Uni vers la France, l'essentiel du flux est à destination du Royaume-Uni.

Mais, avec les guerres en Irak et en Afghanistan notamment, ces accords n’empêchent pas la reconstitution de campements sauvages (jungle de Calais).

Des migrants périssent en mer ou dans le tunnel sous la Manche en tentant de rejoindre le Royaume-Uni.

Des accords complètent ce traité dans les années suivantes : la France renforce ses frontières en échange de compensations financières du Royaume-Uni.

La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne débouche sur la conclusion du traité de Sandhurst en 2018 pour tenter de trouver des solutions aux difficultés persistantes.

Ce traité porte notamment sur l’accueil des mineurs étrangers isolés et prévoit une nouvelle enveloppe financière pour la France de la part du Royaume-Uni.