Mis en place en 2000 puis élargi notamment avec la loi pour l'initiative économique du 1er août 2003, le pacte Dutreil permet de transmettre des entreprises familiales avec :
- un abattement de 75% de l'assiette taxable (la valeur estimée d'une entreprise) ;
- une réduction de 50% de l'impôt dû dans le cas d'une donation en pleine propriété par un donateur de moins de 70 ans.
Dans le cas des donations et successions en ligne directe, le taux maximal des transmissions d'entreprises est de 45%. Le pacte Dutreil permet de ramener ce taux à 11,25% ou à 5,6% avec la réduction d'impôt.
Ce dispositif fiscal a deux objectifs qui ne sont pas complètement superposables :
- assurer la pérennité et le développement des entreprises en soutenant la détention longue de leur capital ;
- soutenir la souveraineté économique de la France.
Un rapport du 18 novembre 2025 de la Cour des comptes se penche sur ce dispositif qui n'avait jamais été évalué et examine notamment son impact sur les finances publiques ainsi que ses résultats économiques.
Quel montant pour cette dépense fiscale ?
Le montant de la dépense fiscale correspondant au pacte Dutreil est estimé par l'administration, dans le projet de loi de finances pour 2025, à 800 millions d'euros (M€), sur la base des données de l'exercice 2020.
La Cour des comptes l'estime à 1,2 milliard d'euros (Md€). L'estimation ne repose toutefois que sur les donations signalées comme des pactes Dutreil dans les données de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), qui ne sont pas exhaustives.
Sur la base d'un recensement plus complet pour les exercices postérieurs à 2020, la Cour estime ce montant à 5,5 Md€ en 2024. Cette augmentation de 4,3 Md€ depuis 2020 est probablement liée à la "crainte d'un resserrement du dispositif".
L'essentiel de l'avantage fiscal est lié à l'exonération de 75% sur l'actif transmis. Le coût de la réduction additionnelle de 50% pour donation en plein propriété avant 70 ans ne représente que 100 M€ en 2024.
Le montant de cette dépense fiscale est imputable à 1% des donataires et héritiers en 2024, soit 110 personnes. Selon la Cour, "la forte hausse récente du nombre de bénéficiaires et de la dépense fiscale appelle un suivi rapproché par l'administration au cours des années à venir".
Pour quels bénéficiaires et quelles entreprises ?
Selon la Cour, le nombre de transmissions d'entreprises sous pacte Dutreil serait passé de 3 000 à 4 000 en 2018 à 5 000 à 6 000 en 2024 avec un montant moyen par donataire de l'ordre de 1,8 M€.
Les entreprises concernées vont de la petite entreprise au groupe international dans des secteurs très variés (agriculture, industrie, transport, commerce ou encore hôtels-cafés-restaurants).
Sur 2018-2024, les entreprises transmises chaque année employaient 523 000 salariés et généraient une valeur ajoutée de 45 Md€, le commerce étant surreprésenté alors que les entreprises industrielles censées être les cibles prioritaires ne représentaient que 13% des transmissions, 21% de la valeur ajoutée et 23% de l'emploi.
Quels effets sur l'investissement et l'emploi ?
Les sorties de dividendes et les restructurations d'entreprise après transmission sont bien plus importantes hors pacte Dutreil (changement d'actionnaires, de contrôle, entrée d'actionnaires étrangers).
Cinq ans après la transmission, soit le minimum légal attaché à l'avantage fiscal, on constate un rattrapage des restructurations dans les entreprises transmises sous pacte Dutreil, dont un peu moins de 30% des entreprises transmises ont subi un changement de contrôle, contre un peu plus de 40% pour les entreprises transmises hors pacte. Le dispositif reste cependant favorable à la pérennité du contrôle familial et à la stabilité de l'actionnariat.
La probabilité de faillite ou de dissolution dans les neuf années suivant la transmission est un peu moins élevée pour les entreprises transmises dans le cadre du pacte Dutreil (6% contre 10%).
Pour les deux catégories d'entreprises, le taux d'investissement fléchit de 5,2% deux ou trois ans avant la transmission à 4,5% après la transmission.
Selon la Cour, "l'effet légèrement positif du pacte Dutreil sur la pérennité des entreprises" ne se traduit pas par une hausse de l'investissement et de l'emploi.
L'attribution du bénéfice de l'avantage fiscal est large et s'éloigne dans plusieurs cas des objectifs du dispositif (conservation de l'actionnariat et de la direction familiale). C'est le cas lorsqu'un donataire rachète les parts de ses frères et sœurs par l'intermédiaire d'une holding, à l'opposé des objectifs affichés du dispositif.
La Cour suggère deux axes de réforme afin de réduire le coût du dispositif pour les finances publiques et de supprimer des "dispositions exagérément favorables" :
- des mesures relatives au périmètre des actifs éligibles et à la durée d’engagement pour mettre fin aux cas d’optimisation fiscale ;
- une réforme du régime fiscal (diminution du taux de l'abattement de 75% sur l'actif transmis, notamment au-delà d'un certain montant transmis par donataire…).