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© Garo - Phanie/AFP

L'aide médicale de l'État en six questions

Temps de lecture  8 minutes

Par : La Rédaction

Mise en place en 2000, l'aide médicale de l'État (AME) permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'un accès aux soins sous conditions de ressources et de résidence. Vie-publique.fr fait le point sur ce dispositif en six questions.

L'aide médicale de l'État est créée par la loi du 27 juillet 1999 portant création d'une couverture maladie universelle (CMU). Cette protection santé s'adresse aux ressortissants étrangers en situation irrégulière et précaire :

  • résidant en France depuis plus de trois mois (sauf pour les mineurs, qui en bénéficient immédiatement) ;
  • n'ayant pas de titre de séjour depuis plus de trois mois ;
  • ne dépassant pas certains plafonds annuels de ressources, différents selon le lieu de résidence (département d'outre-mer [DOM] ou Hexagone) et la composition familiale.

Les demandeurs d'asile ne bénéficient pas de l'AME mais ont accès à la protection universelle maladie (Puma) après trois mois de résidence en France.

L'AME donne droit à la prise en charge à 100% des soins médicaux et hospitaliers dans la limite des tarifs de la sécurité sociale.

Les bénéficiaires peuvent justifier de leurs droits et bénéficier d'une dispense d'avance de frais qui s'impose à tout professionnel de santé grâce à une carte AME valable douze mois et renouvelable.

L'AME ne s'applique pas à Mayotte. 

Jusqu'en 1993, l'aide médicale départementale (AMD) couvre les besoins des personnes les plus précaires, y compris les étrangers en situation irrégulière. La loi du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, dite "loi Pasqua-Debré", introduit une condition de régularité de séjour pour bénéficier de l'assurance maladie.

La loi de 1999 qui crée l'AME répond, selon un rapport de 2019 de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF), à une triple motivation :

  • un principe d'ordre éthique et humanitaire, nécessitant d'assurer une couverture santé à toutes les personnes présentes sur le territoire national. En découle l'obligation de soulager les souffrances d'autrui et de reconnaître le statut de malade à toute personne, indépendamment de son statut administratif ;
  • la conduite d'une politique de santé publique cohérente, notamment en matière de lutte contre la propagation des maladies contagieuses. Refuser un suivi médical standard à une partie de la population reviendrait à favoriser le développement de maladies graves ;
  • la pertinence de la dépense publique. Refuser l'accès aux soins primaires à des personnes en situation de précarité peut conduire la société à devoir assumer des dépenses plus importantes, notamment hospitalières.

Une première modification est envisagée en 2002 mais ne sera jamais appliquée. La loi du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002 instaure le principe d'une participation financière des bénéficiaires de l'AME et renvoie à un décret d'application qui ne sera jamais publié.

En 2003, une condition de résidence ininterrompue de trois mois est créée afin d'accéder à l'AME. Le dispositif des soins urgents est destiné aux personnes ne remplissant pas cette condition.

Alors que Nicolas Sarkozy est président de la République, un droit d'entrée à l'AME de 30 euros est instauré à compter du 1er mars 2011. Le périmètre des ayants droit est réduit. Un rapport remis au gouvernement en novembre 2010 de l'IGAS et de l'IGF recommandait pourtant de ne pas mettre en œuvre le droit d'entrée à l'AME, pour des raisons tant financières que sanitaires, et de mieux articuler CMU et AME, éventuellement de les fusionner en un seul dispositif.

La loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, promulguée durant la présidence de François Hollande, supprime ce droit d'entrée à l'AME de 30 euros.

En 2020, durant la présidence d'Emmanuel Macron, un décret dispose que certains soins et traitements non urgents ne sont pris en charge qu'après un délai de neuf mois après l'admission à l'AME pour les nouveaux bénéficiaires ou pour ceux qui n'en ont pas bénéficié depuis plus d'un an.

Lors des débats parlementaires sur la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, un amendement du Sénat transforme l'AME en une aide médicale d'urgence (AMU). Dans un rapport de décembre 2023, Claude Évin et Patrick Stefanini soulignent que le dispositif de l'AME est "correctement cadré sur le plan réglementaire et largement opérationnel". L'amendement du Sénat est supprimé en commission mixte paritaire et ne figure pas dans le texte promulgué.

Selon un rapport de l'Assemblée nationale de mai 2023 sur l'évaluation du coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière, le coût de l'AME est estimé à 1,2 milliard d'euros (contre 904 millions d'euros en 2018) ainsi répartis :

  • AME de droit commun : 968 millions d'euros ;
  • AME soins urgents : 86,2 millions d'euros ;
  • AME humanitaire et autres dépenses de l'AME : 0,5 million d'euros.

Le rapport rappelle "que l'AME représente une infime partie des dépenses publiques de santé".

Le rapport Évin-Stefanini souligne que l'AME est "un dispositif sanitaire utile et globalement maîtrisé mais qui subit l'augmentation récente du nombre de ses bénéficiaires et mérite d’être adapté". L'augmentation du nombre de bénéficiaires de l'AME dans l'Hexagone sur la période 2015-2023 concerne en particulier les tranches d'âge des mineurs (+65%) et des plus de 60 ans (+75%). En 2023, sur les 439 006 bénéficiaires de l'AME, 107 967 sont des mineurs (soit près de 25%).

Selon le même rapport, la consommation moyenne trimestrielle par bénéficiaire est restée stable au cours des quinze dernières années, en dépit de l'augmentation du coût des soins sur cette période. Elle passe de 642 euros en 2009 à 604 euros en 2022.

La dépense de soins reflète logiquement les spécificités de cette population ainsi que les effets sur la santé de la précarité des conditions de vie. Le rapport note un atypisme concernant l'activité de dialyse et de séances réalisées dans le cadre des soins urgents pour les bénéficiaires de l'AME.

D'après le rapport Évin-Stefanini et les rapports de l'IGAS et de l'IGF, le coût de l'AME est pertinent dans le cadre de la dépense publique, puisque l'AME, par la prise en charge de soins non urgents, évite la dégradation de l'état de santé et des prises en charge tardives bien plus onéreuses ou la propagation de maladies contagieuses.

Une étude de mai 2023 du Défenseur des droits et de la Direction de la recherche, de l'évaluation, des études et des statistiques (Drees) met "pour la première fois en évidence des discriminations envers les bénéficiaires de l'AME qui, en moyenne, doivent appeler 1,3 fois plus que les patients de référence pour obtenir un rendez-vous médical".

Les bénéficiaires de l'AME ont :

  • entre 14% et 36% de chances en moins d'avoir un rendez-vous chez un généraliste ;
  • entre 19% et 37% de chances en moins d'avoir un rendez-vous chez un ophtalmologue ;
  • entre 5% et 27% de chances en moins d'avoir un rendez-vous chez un pédiatre.

Près d'un refus de rendez-vous sur dix opposé aux bénéficiaires de l'AME est explicitement discriminatoire, même si cette discrimination s'observe chez une minorité de médecins. Deux tiers des praticiens ne modifient pas leurs pratiques d'octroi de rendez-vous selon le profil des appelants.

Selon le rapport Évin-Stefanini, les refus de soins s'expliqueraient en partie par les formalités administratives et la crainte de certains médecins de ne pas être payés pour une partie des actes facturés dans le cadre de l'AME. L'informatisation de la carte AME et la télétransmission des actes allégeraient la charge et réduiraient ces craintes et probablement les refus de soins.

L'AME n'est pas un facteur d'attractivité pour les candidats à l'immigration selon le rapport Évin-Stefanini. 

L'absence de participation financière à l'AME comme facteur attractif pour les candidats à l'immigration doit être nuancée, puisque l'ouverture de droits est soumise à une condition de ressources (plafond annuel de 10 166 euros pour une personne seule).

En Belgique, au Danemark, en Italie, en Espagne, une participation financière est prévue mais ne rend pas les pays moins attractifs. Au Royaume-Uni, par exemple, la participation financière est au cœur du dispositif de soins pour les étrangers, avec un paiement d'avance fixé à 150% du tarif du Service national de santé. Pourtant, le Royaume-Uni connaît un flux de migrants persistant.

Le rapport de 2019 de l'IGAS et de l'IGF conclut que la volonté de réduire l'"attractivité [de la France pour les migrants] ne saurait justifier une restriction du dispositif en dehors des cas de fraude et d’usages abusifs".
Le rapport Évin-Stefanini observe par ailleurs qu'il s'agit d'"un dispositif encadré sur le plan réglementaire, mis en œuvre et contrôlé de manière professionnelle par les services de l'assurance maladie et qui ne génère pas de consommations de soins faisant apparaître des atypismes, abus ou fraudes structurelles".