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Groenland : les relations avec l'Union européenne en quatre questions

Temps de lecture  7 minutes

Par : La Rédaction

Le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis confirme, après un premier mandat marqué par une tentative d’achat du Groenland, que l’île arctique est un enjeu géopolitique. Quels sont les défis qui entourent le Groenland, ce territoire rattaché au Danemark et dont la superficie équivaut à quatre fois celle de la France ?

Le Groenland, Kalaallit Nunaat ou "terre verte" est une île de plus de deux millions de kilomètres carrés située au nord-est du Canada dont elle est séparée de 26 kilomètres par le détroit de Davis. Bien que situé géographiquement en Amérique du Nord, le Groenland fait partie de la sphère économique et juridique de l'Europe en raison de son appartenance au Danemark, État membre de l'Union européenne (UE). Il est considéré comme faisant partie des pays nordiques.

Sur un total de 58 000 personnes, environ 45 000 (soit 78%) vivent dans les villes, dont la principale est Nuuk qui compte près de 20 000 habitants, une population composée de Groenlandais (80%) et de Danois (14,5%).

Colonie danoise à partir de 1721, le Groenland est aujourd'hui un territoire autonome du Danemark sur le plan juridique. L'île est dotée d’une autonomie politique depuis 1979. Cette autonomie a été renforcée en 2009. Le Danemark a cédé à son ancienne colonie 32 domaines de compétences, dont la police et la justice. La politique monétaire, la défense et la politique étrangère restent sous contrôle danois. La loi d’autonomie de 2009 prévoit, en outre, qu'il revient au peuple du Groenland de prendre toute décision concernant l’indépendance du territoire.

Le Groenland dispose de son propre parlement (Inatsisartut), de son gouvernement (Naalakkersuisut) et de sa propre fonction publique. Le chef d'État actuel est le roi du Danemark, Frédéric X.

Résultats des élections législatives du 11 mars 2025

Plus de 70% des électeurs sont allés aux urnes. Selon les résultats préliminaires, le parti Demokraatit a recueilli 29,9% des suffrages (contre 9,9% au scrutin précédent en 2021). Ce parti plaide en faveur d'une transition lente vers l’indépendance de l'île et pour la mise en place de fondations économiques solides pour réussir cette étape. Il est suivi par le parti Naleraq avec 24,5% (contre 12% en 2021) qui pour sa part demande une indépendance rapide. La coalition sortante composée d'Inuit Ataqatigiit (écologiste) et des sociaux-démocrates de Siumut qui ont obtenu respectivement 21,4% (contre 36,6% en 2021) et 14,9% (contre 30,1% en 2021), sort perdante du scrutin.

L'isolement géographique de la grande île par rapport au Danemark, la scolarisation en kalaallisut, la participation des Groenlandais aux affaires publiques... ont contribué à ce que les habitants se considèrent comme une nation au même titre que les Danois, plutôt qu'une minorité autochtone de nationalité danoise. Ainsi, les liens avec le Danemark sont essentiellement administratifs et non identitaires.

Quelle est la langue officielle du Groenland ?

La langue officielle du Groenland est le kalaallisut. Elle appartient à la famille des langues inuit. Elle est la seule langue officielle du Groenland. Le danois peut cependant être utilisé, y compris par l'administration locale, quand cela est jugé nécessaire.

Le Groenland est un territoire autonome qui est géopolitiquement lié à l’Union européenne par l’intermédiaire du Danemark. Le traité sur le Groenland, entré en vigueur en 1985, adapte l'application des traités européens sur le territoire du Groenland. Un protocole additionnel annexé au traité définit un certain nombre de dérogations relatives à la pêche. 

L'île, territoire constitutif du Royaume du Danemark, est inscrite sur la liste de territoires d'outre-mer associés à l'UE. Elle bénéficie à ce titre d’une coopération renforcée avec l’UE. Au cours de la période 2021-2027, le Groenland bénéficie de 225 millions d'euros de l'UE à l'appui des secteurs du développement durable, de l'éducation et de la croissance verte.

Pays et territoires d’outre-mer (PTOM)

Le Groenland fait partie des Pays et territoires d’outre-mer qui dépendent, sur le plan constitutionnel, de trois États membres de l’UE. Les ressortissants des PTOM sont des citoyens européens, mais les PTOM ne font pas partie du territoire de l’UE. Ce statut souligne sa relation particulière avec l'UE. Il concerne  

  • le Danemark (Groenland) ;
  • la France (Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis et Futuna, Terres australes et antarctiques françaises) ;
  • les Pays-Bas (Aruba, Curação, Sint-Maarten, Bonaire, Saint-Eustatius et Saba).

Le Groenland occupe une place particulière dans l’histoire européenne. C’est le premier territoire à s'être retiré de la construction européenne, sans avoir choisi d’y entrer. 

Lors du référendum de 1972 organisé au Danemark en vue de son adhésion à la Communauté économique européenne, le Danemark a voté oui mais les habitants du Groenland ont voté non à 70%. Cette situation politique a conduit à l'adoption d'un statut d'autonomie pour le Groenland en 1979.

Ce nouveau statut a permis au Groenland de se retirer de la CEE à la suite d'un référendum organisé en 1985.

Depuis 2009, le Groenland aspire à l’indépendance. Il est l’objet de convoitises de la part de certaines puissances comme la Chine, la Russie ou les États-Unis (potentiel en ressources naturelles, routes maritimes). L'île tente depuis de diversifier ses partenariats. 

En 2023, l'UE a signé un protocole d'accord avec le gouvernement du Groenland en vue d'un partenariat stratégique visant à développer des chaînes de valeur durables des matières premières. Il est centré sur le lien entre ses gisements de minéraux et l’ambition de l’UE d’accroître son autosuffisance énergétique et de diversifier ses fournisseurs. Parmi les 34 matières premières critiques considérées par la Commission européenne comme revêtant une importance stratégique pour l'industrie européenne et la transition écologique, 25 sont présentes au Groenland. 

L’UE envisage ainsi ses relations avec le Groenland sous l’angle de la dépendance stratégique vis-à-vis de la Chine, qui domine l’extraction et le traitement des minéraux et des terres rares, essentiels à la fabrication de matériel électronique et de technologies de transition énergétique. 

Au-delà de l'enjeu des matières premières, le Groenland est aussi l'un des PTOM les plus stratégiques pour l'Union européenne. Les conséquences du changement climatique ouvrent de nouvelles routes maritimes du fait de la fonte estivale de la banquise arctique. La route maritime par l'Arctique raccourcit de près de moitié (environ 40%) la distance entre l'Asie et l'Europe.

Vers une nouvelle politique européenne en faveur de la région arctique ?

Le dernier document stratégique de l’UE pour l’Arctique a été publié en 2021. Fin janvier 2025, le comité économique et social européen a appelé l'Union européenne à repenser sa stratégie dans l'Arctique pour y défendre "ses intérêts légitimes" dans cette zone qui "devient un point géopolitiquement sensible pour la Chine, la Russie, les États-Unis et l'UE." Il plaide pour une réévaluation de l'approche européenne y compris en faveur d'une participation des populations et une coopération étroite avec le Groenland.

Les États-Unis disposent, par un accord signé en 1951 et renouvelé en 2004, d'une importante base spatiale à Pituffik (anciennement la base aérienne de Thulé) dans l’extrême nord-ouest de l'île. 

Les États-Unis considèrent historiquement le Groenland comme un maillon essentiel de leur sécurité nationale. Depuis le XIXe siècle, les gouvernements successifs ont fait plusieurs tentatives pour acheter l'île au Danemark.

Entretien avec Annick Cizel.

  • QUESTION 1. Quelle a été la politique étrangère de la présidence Trump ?

    Il y a une politique étrangère de l’administration Trump pour son premier mandat.

    Je distingue, sur les quatre années, depuis janvier 2017 et son entrée à la Maison Blanche, trois phases différentes :
    Une première phase de continuité avec l’administration Obama, où véritablement sont aux manettes encore, d’anciens officiels de l’administration Obama, qui dressent le panorama d’ensemble, de ce que sera la présidence Trump, avec des intangibles qui sont (le doigt pointé vers deux puissances que sont) la Chine et la Russie. Et ces intangibles, nous les avons aujourd’hui renforcés, avec une administration, qui entre-temps, sous la houlette de Mike Pompeo, depuis la fin de l’année 2018, a fait basculer vers le département d’État, c’est-à-dire, vers le ministère des Affaires étrangères, le pilotage de toute la politique extérieure des États-Unis, avec une véritable cohérence donc sur les années 2018, mais surtout 2019 et 2020 et, en fin de mandat, aujourd’hui, outre la Chine et la Russie, nous avons des puissances régionales, telles l’Iran ou la Corée du Nord en phase de nucléarisation en Asie, qui sont véritablement les points forts d’une stratégie nationale qui devient cohérente au fur et à mesure donc  d’un premier mandat et prépare sans doute une politique étrangère très offensive et très présente à l’international.

    Parmi les points forts que l’on doit retenir, il y a cette volonté évidente, politique, électoraliste, surtout cette année, de rupture franche avec toutes les présidences avant lui. Que ce soit celle de Barack Obama, mais également avec George W. Bush, présidence républicaine avant lui, Donald Trump souhaitant réécrire les livres d’histoire.

    Et donc, il dit non à l’accord nucléaire iranien en 2018, il dit non, dès son entrée à la Maison Blanche, à l’accord commercial transpacifique, il dit non à l’Accord de Paris sur le climat, contre le réchauffement climatique.

    C’est-à-dire qu’il fait table rase, de l’antériorité de sa présidence, de manière à écrire une nouvelle page dans l’histoire des États-Unis, c’est lui-même qui le dit, c’est l’ADN de sa campagne électorale de 2016 et à nouveau en 2020, même s’il est aujourd’hui, le président sortant.

  • QUESTION 2. Y-a-t-il une méthode Trump ?

    Au-delà de ce que l’on observe plutôt comme un chaos, on parle d’une administration qui serait erratique, qui serait spontanée, d’un président impulsif.

    Au-delà de ces apparences, d’un président qui a un passé d’entertainer, a un passé de reality show à la télévision américaine, je pense qu’il y a une véritable méthode de l’administration Trump, une méthode de déconstruction, pour reconstruire le parti républicain dans un premier temps et, quels que soient le résultat des élections du 3 novembre prochain, le Trumpisme survivra au sein du parti républicain à Donald Trump. Il y a une méthode de tweets systématiques. Barack Obama l’a fait avant Donald Trump, mais les tweets présidentiels ont la force, ont la puissance d’expression et la force de loi, d’un décret présidentiel, ce que aucun président des États-Unis n’a fait avant lui.

    C’est une méthode qui lui permet d’être non seulement le chef de l’exécutif, ce qu’il est selon la Constitution, mais de prendre de vitesse le Congrès des États-Unis systématiquement, à la fois, le Congrès qui est aligné sur sa politique, le parti républicain, mais l’opposition démocrate, contrairement à la Constitution des États-Unis, puisque la Constitution place le législatif, le pouvoir législatif, le Congrès, devant l’exécutif des États-Unis.

    On a une méthode Trump, de systématiquement capter le débat, reprendre à son compte, au fil de déclarations qui ont valeur présidentielle.

    Et donc, l’exercice de la puissance se fait par cette forme de présidence impériale qui interprète la Constitution, qui ne s’oppose pas, c’est une interprétation de la Constitution, qui lui permet, notamment dans le domaine de la politique étrangère, de renforcer cet exécutif, de placer la politique étrangère des États-Unis au cœur de la campagne et au cœur des possibles réussites de son premier mandat.

  • QUESTION 3. Quelle politique étrangère après l’élection présidentielle ?

    Il semble assez évident que si Joe Biden et Kamala Harris gagnent les élections du 3 novembre, une nouvelle administration démocrate, reviendrait à certains présupposés, que nous avons connus sous Barack Obama. On a beaucoup tenté de comprendre, où l’administration Trump nous amenait sur le plan du multilatéralisme global, sur le plan de ce nouvel ordre mondial de 1945 qui est remis en question, aujourd’hui, par la nouvelle donne géopolitique globale.

    Il est certain que si Joe Biden entre à la Maison Blanche, le 20 janvier 2021, ce multilatéralisme cher à Barack Obama et au Parti démocrate, depuis 1945, et ce modèle de multilatéralisme négocié, pacifique, diplomatique pourrait permettre un retour vers des négociations avec l’Iran sur l’Accord nucléaire iranien. On peut imaginer, aussi sous l’impulsion des Chinois et d’un dialogue stratégique qui se rétablirait entre Washington et Pékin, que l’Accord de Paris sur le climat pourrait connaître une deuxième vie.

    Donc, il y a des ouvertures vers un renouveau du multilatéralisme, en gardant à l’esprit que l’administration Trump a un petit peu pivoté sur ses bases, elle reniait systématiquement, tout le multilatéralisme, de l’ONU à l’OMC en passant par l’Agence internationale pour l’énergie atomique et on voit aujourd’hui un retour des États-Unis, en partie en réponse à l’entrisme chinois dans ces entités multilatérales, mais également parce que la main tendue de l’Union européenne vers Washington a été saisie pour tenter de restabiliser un ordre mondial, qui n’était plus aussi favorable aux États-Unis.

    Il reste à savoir, si au lendemain des élections présidentielle et du Congrès des États-Unis, ce nouvel ordre mondial multilatéral sera plus progressiste, si Joe Biden et Kamala Harris sont élus, ou s’il sera plus conservateur, sous l’impulsion d’une deuxième administration Trump Pence, peut-être avec Mike Pompeo et une certaine continuité vers un internationalisme plus conservateur sous l’égide d’un Donald Trump 2.