Texte intégral
M. Alain Desroc
M. Christian Poncelet, bonsoir, merci d'avoir répondu à notre invitation. Faut-il le préciser, vous êtes le Président en exercice du Sénat, le Palais du Luxembourg, puisque le Parlement se compose, bien évidemment, de l'Assemblée nationale et du Sénat. Alors, vous êtes un personnage important, puisque vous êtes, hiérarchiquement dans le protocole, le deuxième personnage de l'Etat. En cas d'empêchement du Président de la République, vous êtes amené à assurer un intérim. Et en même temps, tous ceux qui ne sont pas des spécialistes en droit constitutionnel penseront peut être à tort, un peu naïvement, que le Sénat a un rôle un peu minoré par rapport à l'Assemblée nationale parce que c'est toujours le Palais Bourbon qui, en final de compte, l'emporte. C'est toujours le Palais Bourbon qui a le dernier mot.
Est-ce que vous acquiescez à ce descriptif ou pas ?
M. Christian Poncelet
Non, le Sénat est une assemblée législative à part entière et aucun texte ne peut être publié s'il n'a pas reçu l'appréciation du Sénat. Et dans certains domaines, dans le domaine constitutionnel par exemple, le Sénat a un pouvoir identique à celui de l'Assemblée nationale. Dans les lois ordinaires, c'est vrai que l'Assemblée nationale a le dernier mot, mais je dois vous dire que le Sénat, par ses interventions sous forme bien souvent d'amendements, améliore les textes. J'ai pu compté qu'environ 68 % des amendements proposés par le Sénat pour améliorer un texte était retenu par l'Assemblée et le Gouvernement. C'est vous dire que le Sénat fait une travail législatif qui est apprécié, bien sur, par l'exécutif.
M. Alain Desroc
Premier constat, cela veut dire d'un mot que, sur le plan de l'évolution statutaire, rien ne se fera sans l'approbation du Sénat. Si révision de la Constitution il doit y avoir, cela se fera en des termes égaux.
M. Christian Poncelet
Et en termes identiques, si la réforme est présentée, elle doit être votée en termes identiques et par l'Assemblée et par le Sénat. En quelque sorte, le Sénat a un pouvoir de veto en la circonstance.
M. Alain Desroc
Vous êtes en cours d'une grande tournée aux Antilles, comme vous l'avez fait de la même manière dans les régions de France et de Navarre. C'est une première que je sache qu'un Président du Sénat vienne, comme cela, outre-mer. Vous y venez pourquoi ? Est-ce que c'est pour parler uniquement de la décentralisation.
M. Christian Poncelet
C'est effectivement la première fois que le Président du Sénat visite tous les départements et territoires d'outre-mer. J'ai tenu plusieurs états généraux dans les régions de France, exactement neuf, jusqu'à la dernière, celle des états généraux de Guadeloupe hier. De quoi s'agit-il ? Dès que j'ai été élu Président du Sénat, j'ai souhaité, entre autres choses, que le Sénat exerce la plénitude de ses pouvoirs, de sa compétence en ce qui concerne la représentativité des collectivités territoriales, et la défense de leurs élus ; ce qui est inscrit dans la Constitution. Et pour cela, j'ai organisé ces états généraux qui me conduisent à aller à la rencontre des élus, à les écouter, à recueillir leurs avis. Il ne s'agit pas, comme certains avaient tendance à considérer, de grands messes. Il s'agit bien sur de débats extrêmement enrichissants, qui permettent bien sur au législateur que nous sommes, d'être mieux informé pour bien légiférer. Ces états généraux ont débouché pour ceux du Nord-Pas-de-Calais, par exemple, une modification du Code pénal tendant à déterminer la faute intentionnelle de la faute non-intentionnelle car, auparavant, on constatait que beaucoup de décideurs publics et de décideurs privés se trouvaient mis en examen pour des fautes dans lesquelles ils n'avaient aucune responsabilité.
M. Alain Desroc
On peut y revenir à la fin de notre entretien. On peut se domicilier ici en Martinique. Quand vous dites relancer la réflexion sur la décentralisation, cela veut dire quoi au juste, parce que c'est un thème fétiche pour les élus locaux qui, naturellement, disent plus de pouvoirs locaux aux élus locaux ?
M. Christian Poncelet
Tout simplement, nous considérons que ce que nous souhaitons, au niveau européen, puisse s'appliquer au niveau de la nation française dans son ensemble. Lorsque nous avons construit l'Europe, nous avons considéré que la subsidiarité pouvait jouer et que les états composant l'Europe avaient à s'occuper de problèmes particuliers à chaque état. Nous disons qu'il appartient à l'Etat d'accomplir pleinement sa fonction régalienne dans le domaine de la défense, dans le domaine des affaires étrangères, dans le domaine de la justice, de la santé, de l'éducation, mais que, par contre, quand il s'agit de certains problèmes concrets touchant bien sur les communes, les départements, les régions, laissons aux élus communaux, aux élus départementaux, aux élus régionaux, le soin d'appréhender leurs problèmes, de les gérer eux-mêmes et pour cela, donnons leur davantage de compétences, d'autant mieux qu'il a été reconnu à plusieurs reprises que les élus de proximité que sont ces élus territoriaux géraient mieux. C'est M. le Ministre de l'éducation nationale de l'époque, M. Jospin, aujourd'hui Premier ministre, qui déclarait que les départements réalisaient mieux et davantage de collèges que l'Etat le faisait.
M. Alain Desroc
Alors, c'est une manière de faire vivre à l'évidence la démocratie locale sur le terrain, mais vous n'ignorez pas que vous arrivez ici à un moment donné où le grand thème récurant non achevé, c'est celui de l'évolution statutaire ou institutionnel et au risque d'être schématique, il y a trois grandes options : la départementalisation, même saupoudrée de beaucoup de décentralisation approfondie, et élargie ; il y a l'autonomie ; il y a l'indépendance. Vous qui êtes un proche de Jacques Chirac et, à l'orée des campagnes des législatives, votre faveur ira plutôt vers qui ?
M. Christian Poncelet
Et bien, en ce qui me concerne, je ne veux pas infléchir aujourd'hui la décision des élus locaux. Je viens à leur rencontre. Je viens les écouter. Je ne veux pas que, demain, on puisse nous reprocher d'avoir légiférer en l'absence de dialogue, en l'absence de débat avec les intéressés eux-mêmes. C'est vrai ce que vous dites. Certaines régions veulent davantage de pouvoir, certains départements d'outre-mer veulent conserver leur statut, d'autres veulent aller plus loin. Et bien nous leur disons " Exprimez-vous, exprimez-vous ! " Je suis dans un département, une région, la Martinique où les élus ont pris l'initiative d'organiser un congrès. Au sein de ce congrès, élus régionaux, élus départementaux dialoguent, réfléchissent et j'ai constaté que, dans la déclaration de Basse Terre, par exemple, il avait été posé un principe auquel je suis très attaché et sur qui, vous l'avez déjà deviné quel est mon sentiment, et je n'irai pas plus loin, à savoir qu'il nous fallait présenter aucune disposition, aucune proposition qui puisse porter atteinte à l'unité de la République et qui puisse laisser apparaître un "désancrage" avec l'Union Européenne.
M. Alain Desroc
Je ne veux pas trahir votre pensée, mais vous dites en résumé, en accéléré, banco pour une évolution mais dans le cadre de la République Française ?
M. Christian Poncelet
Dans le cadre de l'unité de la République Française et surtout de maintenir l'" ancrage " avec l'Union Européenne, surtout au moment où cette Union Européenne va se solidifier au travers de la monnaie unique qui vient d'entrer en application.
M. Alain Desroc
Mais, vous savez qu'au moment où commence à entrer en vigueur la Loi d'orientation dans ces deux volets : volet économique et volet institutionnel, vous vous êtes plutôt prononcé pour une loi de programmation. Et là on voit resurgir un thème que Jacques Chirac, en tant que Président de la République, avait déjà esquissé, lors d'un discours à Madina, en Martinique.
M. Christian Poncelet
C'est vrai. C'est vrai, mais je ne veux pas mélanger les genres. J'ai commencé à organiser les états généraux depuis un peu plus de trois ans. Je suis ici aujourd'hui en Martinique et je dois vous dire tout de suite que ma préoccupation n'est pas l'élection présidentielle, ni les élections législatives. En tout cas, dès que la campagne sera officiellement ouverte, j'arrêterai mes rendez-vous avec les élus locaux. Mais, en ce qui concerne la loi de programmation, je voudrais vous dire que lorsque a été voté la Loi d'orientation, on a évoqué la possibilité d'accrocher à cette Loi d'orientation une loi de programmation. L'engagement avait été pris, mais cela n'a pas été fait. Je crois que cette loi de programmation s'impose et j'entend qu'elle est réclamée par les élus ; ceux qui sollicitent demain la confiance des populations devraient peut-être en tenir compte.
M. Alain Desroc
Incidemment, la majorité du Sénat est une majorité de droite, mais singulièrement en Martinique, il y a deux sénateurs qui sont tous les deux des sénateurs de gauche. L'un appartient au PPM, c'est Claude Lise, l'autre est un ancien PPM. Il l'a quitté il y a quelques mois, c'est Rodolphe Désiré qui, lui, se prononce en faveur d'une très large autonomie. Le PPM, lui, se prononce pour une nation martiniquaise. Cela vous heurte ?
M. Christian Poncelet
Je ne fais pas de politique politicienne et la meilleure preuve est que j'ai invité à ce dialogue tous les élus toutes tendances confondues. Je leur demande de s'exprimer. Je les écoute. A certains, il m'arrive de dire : " Je crains que, dans ce domaine, vous n'alliez un peu loin. Mais, exprimez-vous ! " Je crois savoir qu'à l'issue de cette concertation des élus au sein de leur congrès, ils consulteront les populations qui auront, elles aussi à faire connaître leur sentiment.
M. Alain Desroc
C'est important cela pour vous la consultation du peuple, de la population ou du peuple ?
M. Christian Poncelet
On m'a toujours dit qu'il était souverain.
M. Alain Desroc
Très bien, vous dites également... je crois que vous avez coutume de dire que le changement institutionnel n'est pas une fin en soi, c'est une manière d'esquisser la nécessaire articulation avec le développement économique et le maintien des acquis sociaux ?
M. Christian Poncelet
Non, c'est un instrument pour assurer un meilleur développement économique et, partant, un progrès social. Il ne peut y avoir de progrès social, s'il n'y a pas une économie en rapport, sinon c'est l'illusion, c'est utopique. Il faut donc qu'il y ait une économie qui génère des richesses, qu'il convient de répartir le plus équitablement possible. Par conséquent, la réforme institutionnelle n'est pas une fin en soi. On sent très bien la volonté pour les élus de prendre leurs responsabilités, la volonté d'appréhender eux-mêmes les problèmes auxquels ils se trouvent confrontés quasi-quotidiennement sans avoir recours à une interprétation au niveau central. Ce qui me conduit à demander, dans le moment où je souhaite une plus grande décentralisation, à demander une plus grande déconcentration, afin que soit confiée aux préfets, sur des questions courantes, la possibilité de prendre des décisions sans avoir recours à un chef de bureau qui va prolonger l'étude pendant des mois et des mois, voire des années. Tout cela dans un souci d'aller très vite, aujourd'hui la vie impose la rapidité. Ceux qui sont dans l'entreprise savent très bien que le client est exigeant. L'électeur est exigeant. Il veut que ses besoins soient, dans les meilleurs délais, satisfaits. Il veut avoir de meilleures conditions de vie, il veut voir une amélioration de sa situation. Il faut répondre assez rapidement.
M. Alain Desroc
Vous comprenez donc la nuance puisque vous venez de déjeuner avec les socio-professionnels, une nuance qui a été esquissée par M. Marcel Osonat le Président de l'AREM, au nom des chefs d'entreprise. Il faisait un distinguo entre évolution statutaire et évolution institutionnelle. Vous êtes sensibles à cette nuance ?
M. Christian Poncelet
Je crois que les industriels souhaitent, si j'ai bien compris, que, le plus rapidement possible, on arrête des décisions concernant cette décentralisation et concernant éventuellement la modification institutionnelle, si modification il y a, pour pouvoir eux engager leurs investissements, sachant que ceux-ci seront pérenniser.
M. Alain Desroc
Alors demain évidemment, un rendez-vous important, ce sont les états généraux des élus locaux. Est-ce qu'il y a un message particulier primordial que vous allez tenter de faire passer ? Et comment mettre en oeuvre les deux thèmes qui vous sont chers ? Je crois que c'est d'abord comment garantir une autonomie financière des collectivités locales et quels moyens leur donner ? Et aussi, un véritable statut de l'élu ? Quelles précisions allez-vous esquisser ?
M. Christian Poncelet
C'est un problème qui a déjà trouvé sa réponse puisque j'ai pris l'initiative, avec le Président de l'Association des maires de France, avec le Président des régions de France, avec le Président des départements, avec le Président du Comité des finances locales, de déposer une proposition de loi constitutionnelle tendant à inscrire dans la Constitution la garantie des ressources fiscales des collectivités locales. Pourquoi ? Parce que, dans ce pouvoir centralisé, l'Etat dispose très facilement des ressources des collectivités locales, dont il fait un paramètre d'ajustement de son budget. Il prend des décisions. La toute récente est une décision sociale, certes dotée d'intérêt, l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), mais il laisse le soin aux départements de financer l'essentiel à plus de deux-tiers. Et le président du Conseil général de ce département ainsi que celui du département voisin me faisaient remarquer toutes les difficultés qu'ils ont, par cette contrainte, pour établir leur budget et voir pénaliser leur population, dans l'investissement de leur structure et de leur infrastructure, pour leur apporter un enrichissement dans différents domaines culturel, scientifique, sportif et autres.
Il y a cela, d'une part. Voilà pour la garantie des ressources fiscales.
Quant au statut, au travers des états généraux, j'ai entendu des observations, j'ai été interpellé et je constate aujourd'hui que les Français ne sont pas égaux pour l'accession aux responsabilités par la voie élective. Que vous soyez issus du service public, et j'en parle d'autant plus facilement que je suis issu du service public, ou du secteur privé, votre situation ne sera pas la même. Etant issu du service public, vous aurez une meilleure protection, vous pourrez plus facilement réintégrer, après la fin de votre mandat par abandon ou par échec, l'activité professionnelle. Dans le secteur privé, ce n'est pas le cas.
M. Alain Desroc
Il nous reste moins d'une minute. Par une bretelle de raccordement, je reviens à ce dont nous discutions tout à l'heure. Sans préjuger de la procédure que va adopter le Congrès et de ses conclusion, nous sommes dans une région mono-départementale, beaucoup crient à l'hérésie juridique, à une bizarrerie vraiment juridique, vous êtes favorables à l'assemblée unique et si je vous ai bien compris, vous pousserez quand même dans ce sens. De retour à Paris, vous aiderez à ce que cette idée avance ?
M. Christian Poncelet
Dès l'instant où cette volonté d'avoir une assemblée unique, qui est particulière aux départements d'outre-mer, est la volonté des élus et de la population, pourquoi pas ? Et ceci entraînera bien évidemment une modification de l'article 73 de la Constitution pour qu'il en soit ainsi. Mais au travers de cette modification, on ne touche pas, et j'y tiens beaucoup, à l'unité de la République et, bien sur, on ne s'éloigne pas de l'ancrage de l'Europe.
M. Alain Desroc
D'un seul mot encore, dernière question, vous êtes un membre du RPR proche de Jacques Chirac. Les campagnes électorales des présidentielles et des législatives ne pourront que monter en puissance au fil des semaines et des mois. Est-ce que vous avez une proposition et suggestion particulière après ce que vous avez vu et entendu à formuler auprès de Jacques Chirac ?
M. Christian Poncelet
Je me garderai bien de répondre à cette question puisque je ne veux pas télescoper campagne électorale et réunions de travail comme celles que je conduis dans le cadre de mes attributions, ici, dans les départements d'outre-mer.
M. Alain Desroc
En tout cas, merci de toutes ces précisions. Je sais qu'à l'issue de votre séjour en Martinique, vous irez en Guyane. Donc, Guadeloupe, Martinique, Guyane, les trois DFA. Et ensuite peut-être la Réunion ?
M. Christian Poncelet
La Réunion et Mayotte et je m'arrêterai parce que commencera, à ce moment, la campagne électorale et je vous ai dit que je ne voulais pas mélanger les deux.
M. Alain Desroc
Et bien, je vous remercie beaucoup d'avoir répondu à nos question, M. Christian Poncelet. Je rappelle donc que vous êtes le président du Sénat. Encore une fois merci beaucoup !
M. Christian Poncelet
Merci de m'avoir invité.
(source http://www.senat.fr, le 4 mars 2002)
M. Christian Poncelet, bonsoir, merci d'avoir répondu à notre invitation. Faut-il le préciser, vous êtes le Président en exercice du Sénat, le Palais du Luxembourg, puisque le Parlement se compose, bien évidemment, de l'Assemblée nationale et du Sénat. Alors, vous êtes un personnage important, puisque vous êtes, hiérarchiquement dans le protocole, le deuxième personnage de l'Etat. En cas d'empêchement du Président de la République, vous êtes amené à assurer un intérim. Et en même temps, tous ceux qui ne sont pas des spécialistes en droit constitutionnel penseront peut être à tort, un peu naïvement, que le Sénat a un rôle un peu minoré par rapport à l'Assemblée nationale parce que c'est toujours le Palais Bourbon qui, en final de compte, l'emporte. C'est toujours le Palais Bourbon qui a le dernier mot.
Est-ce que vous acquiescez à ce descriptif ou pas ?
M. Christian Poncelet
Non, le Sénat est une assemblée législative à part entière et aucun texte ne peut être publié s'il n'a pas reçu l'appréciation du Sénat. Et dans certains domaines, dans le domaine constitutionnel par exemple, le Sénat a un pouvoir identique à celui de l'Assemblée nationale. Dans les lois ordinaires, c'est vrai que l'Assemblée nationale a le dernier mot, mais je dois vous dire que le Sénat, par ses interventions sous forme bien souvent d'amendements, améliore les textes. J'ai pu compté qu'environ 68 % des amendements proposés par le Sénat pour améliorer un texte était retenu par l'Assemblée et le Gouvernement. C'est vous dire que le Sénat fait une travail législatif qui est apprécié, bien sur, par l'exécutif.
M. Alain Desroc
Premier constat, cela veut dire d'un mot que, sur le plan de l'évolution statutaire, rien ne se fera sans l'approbation du Sénat. Si révision de la Constitution il doit y avoir, cela se fera en des termes égaux.
M. Christian Poncelet
Et en termes identiques, si la réforme est présentée, elle doit être votée en termes identiques et par l'Assemblée et par le Sénat. En quelque sorte, le Sénat a un pouvoir de veto en la circonstance.
M. Alain Desroc
Vous êtes en cours d'une grande tournée aux Antilles, comme vous l'avez fait de la même manière dans les régions de France et de Navarre. C'est une première que je sache qu'un Président du Sénat vienne, comme cela, outre-mer. Vous y venez pourquoi ? Est-ce que c'est pour parler uniquement de la décentralisation.
M. Christian Poncelet
C'est effectivement la première fois que le Président du Sénat visite tous les départements et territoires d'outre-mer. J'ai tenu plusieurs états généraux dans les régions de France, exactement neuf, jusqu'à la dernière, celle des états généraux de Guadeloupe hier. De quoi s'agit-il ? Dès que j'ai été élu Président du Sénat, j'ai souhaité, entre autres choses, que le Sénat exerce la plénitude de ses pouvoirs, de sa compétence en ce qui concerne la représentativité des collectivités territoriales, et la défense de leurs élus ; ce qui est inscrit dans la Constitution. Et pour cela, j'ai organisé ces états généraux qui me conduisent à aller à la rencontre des élus, à les écouter, à recueillir leurs avis. Il ne s'agit pas, comme certains avaient tendance à considérer, de grands messes. Il s'agit bien sur de débats extrêmement enrichissants, qui permettent bien sur au législateur que nous sommes, d'être mieux informé pour bien légiférer. Ces états généraux ont débouché pour ceux du Nord-Pas-de-Calais, par exemple, une modification du Code pénal tendant à déterminer la faute intentionnelle de la faute non-intentionnelle car, auparavant, on constatait que beaucoup de décideurs publics et de décideurs privés se trouvaient mis en examen pour des fautes dans lesquelles ils n'avaient aucune responsabilité.
M. Alain Desroc
On peut y revenir à la fin de notre entretien. On peut se domicilier ici en Martinique. Quand vous dites relancer la réflexion sur la décentralisation, cela veut dire quoi au juste, parce que c'est un thème fétiche pour les élus locaux qui, naturellement, disent plus de pouvoirs locaux aux élus locaux ?
M. Christian Poncelet
Tout simplement, nous considérons que ce que nous souhaitons, au niveau européen, puisse s'appliquer au niveau de la nation française dans son ensemble. Lorsque nous avons construit l'Europe, nous avons considéré que la subsidiarité pouvait jouer et que les états composant l'Europe avaient à s'occuper de problèmes particuliers à chaque état. Nous disons qu'il appartient à l'Etat d'accomplir pleinement sa fonction régalienne dans le domaine de la défense, dans le domaine des affaires étrangères, dans le domaine de la justice, de la santé, de l'éducation, mais que, par contre, quand il s'agit de certains problèmes concrets touchant bien sur les communes, les départements, les régions, laissons aux élus communaux, aux élus départementaux, aux élus régionaux, le soin d'appréhender leurs problèmes, de les gérer eux-mêmes et pour cela, donnons leur davantage de compétences, d'autant mieux qu'il a été reconnu à plusieurs reprises que les élus de proximité que sont ces élus territoriaux géraient mieux. C'est M. le Ministre de l'éducation nationale de l'époque, M. Jospin, aujourd'hui Premier ministre, qui déclarait que les départements réalisaient mieux et davantage de collèges que l'Etat le faisait.
M. Alain Desroc
Alors, c'est une manière de faire vivre à l'évidence la démocratie locale sur le terrain, mais vous n'ignorez pas que vous arrivez ici à un moment donné où le grand thème récurant non achevé, c'est celui de l'évolution statutaire ou institutionnel et au risque d'être schématique, il y a trois grandes options : la départementalisation, même saupoudrée de beaucoup de décentralisation approfondie, et élargie ; il y a l'autonomie ; il y a l'indépendance. Vous qui êtes un proche de Jacques Chirac et, à l'orée des campagnes des législatives, votre faveur ira plutôt vers qui ?
M. Christian Poncelet
Et bien, en ce qui me concerne, je ne veux pas infléchir aujourd'hui la décision des élus locaux. Je viens à leur rencontre. Je viens les écouter. Je ne veux pas que, demain, on puisse nous reprocher d'avoir légiférer en l'absence de dialogue, en l'absence de débat avec les intéressés eux-mêmes. C'est vrai ce que vous dites. Certaines régions veulent davantage de pouvoir, certains départements d'outre-mer veulent conserver leur statut, d'autres veulent aller plus loin. Et bien nous leur disons " Exprimez-vous, exprimez-vous ! " Je suis dans un département, une région, la Martinique où les élus ont pris l'initiative d'organiser un congrès. Au sein de ce congrès, élus régionaux, élus départementaux dialoguent, réfléchissent et j'ai constaté que, dans la déclaration de Basse Terre, par exemple, il avait été posé un principe auquel je suis très attaché et sur qui, vous l'avez déjà deviné quel est mon sentiment, et je n'irai pas plus loin, à savoir qu'il nous fallait présenter aucune disposition, aucune proposition qui puisse porter atteinte à l'unité de la République et qui puisse laisser apparaître un "désancrage" avec l'Union Européenne.
M. Alain Desroc
Je ne veux pas trahir votre pensée, mais vous dites en résumé, en accéléré, banco pour une évolution mais dans le cadre de la République Française ?
M. Christian Poncelet
Dans le cadre de l'unité de la République Française et surtout de maintenir l'" ancrage " avec l'Union Européenne, surtout au moment où cette Union Européenne va se solidifier au travers de la monnaie unique qui vient d'entrer en application.
M. Alain Desroc
Mais, vous savez qu'au moment où commence à entrer en vigueur la Loi d'orientation dans ces deux volets : volet économique et volet institutionnel, vous vous êtes plutôt prononcé pour une loi de programmation. Et là on voit resurgir un thème que Jacques Chirac, en tant que Président de la République, avait déjà esquissé, lors d'un discours à Madina, en Martinique.
M. Christian Poncelet
C'est vrai. C'est vrai, mais je ne veux pas mélanger les genres. J'ai commencé à organiser les états généraux depuis un peu plus de trois ans. Je suis ici aujourd'hui en Martinique et je dois vous dire tout de suite que ma préoccupation n'est pas l'élection présidentielle, ni les élections législatives. En tout cas, dès que la campagne sera officiellement ouverte, j'arrêterai mes rendez-vous avec les élus locaux. Mais, en ce qui concerne la loi de programmation, je voudrais vous dire que lorsque a été voté la Loi d'orientation, on a évoqué la possibilité d'accrocher à cette Loi d'orientation une loi de programmation. L'engagement avait été pris, mais cela n'a pas été fait. Je crois que cette loi de programmation s'impose et j'entend qu'elle est réclamée par les élus ; ceux qui sollicitent demain la confiance des populations devraient peut-être en tenir compte.
M. Alain Desroc
Incidemment, la majorité du Sénat est une majorité de droite, mais singulièrement en Martinique, il y a deux sénateurs qui sont tous les deux des sénateurs de gauche. L'un appartient au PPM, c'est Claude Lise, l'autre est un ancien PPM. Il l'a quitté il y a quelques mois, c'est Rodolphe Désiré qui, lui, se prononce en faveur d'une très large autonomie. Le PPM, lui, se prononce pour une nation martiniquaise. Cela vous heurte ?
M. Christian Poncelet
Je ne fais pas de politique politicienne et la meilleure preuve est que j'ai invité à ce dialogue tous les élus toutes tendances confondues. Je leur demande de s'exprimer. Je les écoute. A certains, il m'arrive de dire : " Je crains que, dans ce domaine, vous n'alliez un peu loin. Mais, exprimez-vous ! " Je crois savoir qu'à l'issue de cette concertation des élus au sein de leur congrès, ils consulteront les populations qui auront, elles aussi à faire connaître leur sentiment.
M. Alain Desroc
C'est important cela pour vous la consultation du peuple, de la population ou du peuple ?
M. Christian Poncelet
On m'a toujours dit qu'il était souverain.
M. Alain Desroc
Très bien, vous dites également... je crois que vous avez coutume de dire que le changement institutionnel n'est pas une fin en soi, c'est une manière d'esquisser la nécessaire articulation avec le développement économique et le maintien des acquis sociaux ?
M. Christian Poncelet
Non, c'est un instrument pour assurer un meilleur développement économique et, partant, un progrès social. Il ne peut y avoir de progrès social, s'il n'y a pas une économie en rapport, sinon c'est l'illusion, c'est utopique. Il faut donc qu'il y ait une économie qui génère des richesses, qu'il convient de répartir le plus équitablement possible. Par conséquent, la réforme institutionnelle n'est pas une fin en soi. On sent très bien la volonté pour les élus de prendre leurs responsabilités, la volonté d'appréhender eux-mêmes les problèmes auxquels ils se trouvent confrontés quasi-quotidiennement sans avoir recours à une interprétation au niveau central. Ce qui me conduit à demander, dans le moment où je souhaite une plus grande décentralisation, à demander une plus grande déconcentration, afin que soit confiée aux préfets, sur des questions courantes, la possibilité de prendre des décisions sans avoir recours à un chef de bureau qui va prolonger l'étude pendant des mois et des mois, voire des années. Tout cela dans un souci d'aller très vite, aujourd'hui la vie impose la rapidité. Ceux qui sont dans l'entreprise savent très bien que le client est exigeant. L'électeur est exigeant. Il veut que ses besoins soient, dans les meilleurs délais, satisfaits. Il veut avoir de meilleures conditions de vie, il veut voir une amélioration de sa situation. Il faut répondre assez rapidement.
M. Alain Desroc
Vous comprenez donc la nuance puisque vous venez de déjeuner avec les socio-professionnels, une nuance qui a été esquissée par M. Marcel Osonat le Président de l'AREM, au nom des chefs d'entreprise. Il faisait un distinguo entre évolution statutaire et évolution institutionnelle. Vous êtes sensibles à cette nuance ?
M. Christian Poncelet
Je crois que les industriels souhaitent, si j'ai bien compris, que, le plus rapidement possible, on arrête des décisions concernant cette décentralisation et concernant éventuellement la modification institutionnelle, si modification il y a, pour pouvoir eux engager leurs investissements, sachant que ceux-ci seront pérenniser.
M. Alain Desroc
Alors demain évidemment, un rendez-vous important, ce sont les états généraux des élus locaux. Est-ce qu'il y a un message particulier primordial que vous allez tenter de faire passer ? Et comment mettre en oeuvre les deux thèmes qui vous sont chers ? Je crois que c'est d'abord comment garantir une autonomie financière des collectivités locales et quels moyens leur donner ? Et aussi, un véritable statut de l'élu ? Quelles précisions allez-vous esquisser ?
M. Christian Poncelet
C'est un problème qui a déjà trouvé sa réponse puisque j'ai pris l'initiative, avec le Président de l'Association des maires de France, avec le Président des régions de France, avec le Président des départements, avec le Président du Comité des finances locales, de déposer une proposition de loi constitutionnelle tendant à inscrire dans la Constitution la garantie des ressources fiscales des collectivités locales. Pourquoi ? Parce que, dans ce pouvoir centralisé, l'Etat dispose très facilement des ressources des collectivités locales, dont il fait un paramètre d'ajustement de son budget. Il prend des décisions. La toute récente est une décision sociale, certes dotée d'intérêt, l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), mais il laisse le soin aux départements de financer l'essentiel à plus de deux-tiers. Et le président du Conseil général de ce département ainsi que celui du département voisin me faisaient remarquer toutes les difficultés qu'ils ont, par cette contrainte, pour établir leur budget et voir pénaliser leur population, dans l'investissement de leur structure et de leur infrastructure, pour leur apporter un enrichissement dans différents domaines culturel, scientifique, sportif et autres.
Il y a cela, d'une part. Voilà pour la garantie des ressources fiscales.
Quant au statut, au travers des états généraux, j'ai entendu des observations, j'ai été interpellé et je constate aujourd'hui que les Français ne sont pas égaux pour l'accession aux responsabilités par la voie élective. Que vous soyez issus du service public, et j'en parle d'autant plus facilement que je suis issu du service public, ou du secteur privé, votre situation ne sera pas la même. Etant issu du service public, vous aurez une meilleure protection, vous pourrez plus facilement réintégrer, après la fin de votre mandat par abandon ou par échec, l'activité professionnelle. Dans le secteur privé, ce n'est pas le cas.
M. Alain Desroc
Il nous reste moins d'une minute. Par une bretelle de raccordement, je reviens à ce dont nous discutions tout à l'heure. Sans préjuger de la procédure que va adopter le Congrès et de ses conclusion, nous sommes dans une région mono-départementale, beaucoup crient à l'hérésie juridique, à une bizarrerie vraiment juridique, vous êtes favorables à l'assemblée unique et si je vous ai bien compris, vous pousserez quand même dans ce sens. De retour à Paris, vous aiderez à ce que cette idée avance ?
M. Christian Poncelet
Dès l'instant où cette volonté d'avoir une assemblée unique, qui est particulière aux départements d'outre-mer, est la volonté des élus et de la population, pourquoi pas ? Et ceci entraînera bien évidemment une modification de l'article 73 de la Constitution pour qu'il en soit ainsi. Mais au travers de cette modification, on ne touche pas, et j'y tiens beaucoup, à l'unité de la République et, bien sur, on ne s'éloigne pas de l'ancrage de l'Europe.
M. Alain Desroc
D'un seul mot encore, dernière question, vous êtes un membre du RPR proche de Jacques Chirac. Les campagnes électorales des présidentielles et des législatives ne pourront que monter en puissance au fil des semaines et des mois. Est-ce que vous avez une proposition et suggestion particulière après ce que vous avez vu et entendu à formuler auprès de Jacques Chirac ?
M. Christian Poncelet
Je me garderai bien de répondre à cette question puisque je ne veux pas télescoper campagne électorale et réunions de travail comme celles que je conduis dans le cadre de mes attributions, ici, dans les départements d'outre-mer.
M. Alain Desroc
En tout cas, merci de toutes ces précisions. Je sais qu'à l'issue de votre séjour en Martinique, vous irez en Guyane. Donc, Guadeloupe, Martinique, Guyane, les trois DFA. Et ensuite peut-être la Réunion ?
M. Christian Poncelet
La Réunion et Mayotte et je m'arrêterai parce que commencera, à ce moment, la campagne électorale et je vous ai dit que je ne voulais pas mélanger les deux.
M. Alain Desroc
Et bien, je vous remercie beaucoup d'avoir répondu à nos question, M. Christian Poncelet. Je rappelle donc que vous êtes le président du Sénat. Encore une fois merci beaucoup !
M. Christian Poncelet
Merci de m'avoir invité.
(source http://www.senat.fr, le 4 mars 2002)