Déclaration de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, sur les orientations en faveur des collectivités locales en matière de développement local et de création d'emplois dans le cadre de la décentralisation et sur la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales, Lyon le 12 décembre 1997.

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Circonstance : Deuxièmes assises de la décentralisation à Lyon les 11 et 12 décembre 1997

Texte intégral


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je souhaiterais tout d'abord vivement remercier le Président BALLIGAND, et l'ensemble des membres de l'Institut de la décentralisation, d'avoir bien voulu m'inviter à ouvrir cette deuxième journée des Assises de la Décentralisation.
Depuis sa création, il y a maintenant plus de dix ans, l'Institut de la décentralisation a affirmé sa vocation de lieu privilégié d'échanges et de réflexion sur la vie publique locale et l'organisation territoriale.
Sa fidélité au pluralisme, la rigueur scientifique de ses travaux et son souci constant d'appréhender la décentralisation dans toute sa dimension politique - au sens le plus noble du terme - ont beaucoup contribué à l'accomplissement de la mission que s'est assignée l'Institut : éclairer l'action des pouvoirs publics. Lorsque je les ai reçus au ministère, au début du mois dernier, Jean-Pierre BALLIGAND et Daniel HOEFFEL m'ont rappelé toutes les initiatives prises en ce sens au cours des dernières années.
Je pense notamment aux premières assises de la Décentralisation, organisées en février 1996 à Lille, qui ont compté parmi les temps forts du débat public sur la décentralisation. L'intérêt des thèmes de discussion, la qualité des intervenants et le nombre des participants me laissent penser qu'il en sera de même de la seconde édition.
J'ajoute que l'attachement séculaire de la première de nos grandes métropoles régionales à la libre administration locale ainsi que son dynamisme concourent à faire de Lyon un choix particulièrement heureux pour la tenue de ces Assises.
La décentralisation a eu quinze ans cette année. Quinze ans, c'est bien sûr très court à l'échelle de l'histoire de notre pays et de sa longue tradition de centralisme politique et administratif.
Nous disposons pourtant du recul suffisant pour dresser un bilan. Rares sont, aujourd'hui, ceux qui contestent les acquis de la décentralisation. Elle apparaît comme l'une des plus grandes réformes que la France a connu au cours des vingt cinq dernières années.
La décentralisation a entraîné, à bien des égards, une vraie révolution des esprits, tant pour l'Etat que pour les élus locaux, qui s'est accomplie sans heurts, dans la sérénité et le dialogue, avec la volonté commune d'aller de l'avant.
Les pouvoirs locaux, longtemps considérés avec méfiance par l'Etat, sont désormais reconnus ; dans l'exercice des compétences qui leur ont été confiées par le législateur, ils ont su faire la preuve de leur vitalité, de leur capacité à mobiliser les énergies et à valoriser l'atout de la proximité.
Les effets de la décentralisation sont manifestes lorsque l'on parcourt nos régions ; par leurs investissements, les collectivités territoriales ont apporté une contribution essentielle à l'amélioration du cadre de vie. Notre niveau d'équipement collectif - dans les domaines éducatif, culturel ou sportif - fait l'envie de nombreux Etats industrialisés. Songeons - et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres- à l'importance de l'effort consenti depuis dix ans par les régions et les départements en faveur des bâtiments scolaires du second degré !
Ajoutons que le bilan de la décentralisation ne se limite pas aux équipements : le développement de nouvelles politiques essentielles à la cohésion de notre société, par exemple en matière de formation professionnelle et d'action sociale, est également à mettre à son actif.
Nos concitoyens ne s'y trompent pas : de récentes enquêtes d'opinion ont clairement montré qu'ils partagent, dans leur grande majorité, ce constat de réussite.
La France, en faisant en 1982 le choix de la décentralisation, a pris part à un mouvement dépassant ses frontières. Au cours des deux dernières décennies, la plupart de nos partenaires de l'Union Européenne - qu'il s'agisse de l'Espagne, de l'Italie, de la Belgique et, depuis peu, du Royaume-Uni, ont renforcé de façon très significative les compétences de leurs pouvoirs locaux.
Notre expérience de la décentralisation est, cependant, originale ; elle a pris en compte les spécificités héritées de notre histoire et repose sur un équilibre et une complémentarité dans l'action entre l'Etat et les collectivités territoriales.
Sans vouloir céder à la tentation de l'autosatisfaction, nous pouvons, à juste titre, considérer que cette expérience a fait ses preuves. Pourtant, ne nous voilons pas la face : la réussite de la décentralisation doit être nuancée par des dysfonctionnements et certaines insuffisances.
En premier lieu - et beaucoup d'élus le déplorent - nos concitoyens ne s'impliquent pas assez dans la vie publique locale. L'un des paris de la décentralisation était de rapprocher le pouvoir du citoyen et de renforcer l'intérêt de la population pour ce qu'il est convenu d'appeler la " chose publique ". Ce pari n'a pas encore été vraiment gagné : le regain d'engagement civique attendu ne s'est pas affirmé.
Par ailleurs, certains chevauchements et superpositions de responsabilités entre les différents niveaux de collectivités territoriales nuisent à la cohérence de l'action publique locale ; même s'il faut bien se garder de généraliser, on est arrivé dans certains domaines à un tel degré de complexité dans les compétences partagées et les financements croisés que l'on comprend la perplexité qui parfois s'empare des citoyens et des entreprises.
Enfin - et vos débats d'hier y ont été largement consacrés - la sécurité juridique qui doit accompagner les élus locaux dans leur action est actuellement insuffisante. Il est clair que l'exigence de probité, de respect de la loi et de responsabilité s'impose à tous les élus et il importe que chacun d'entre eux y veille avec le plus grand scrupule. Comme le Premier ministre l'a récemment rappelé devant le Congrès de l'Association des maires de France, l'immense majorité de nos quelque cinq cent mille élus locaux souscrit pleinement à cette exigence.
Force est pourtant de reconnaître que - complexité ou lacunes des textes aidant - l'on peut aujourd'hui, dans des domaines tels que l'économie mixte locale, les marchés publics ou les délégations de service public, franchir, en toute bonne foi, la " ligne jaune " de la légalité ! Certains champs de l'action publique locale sont ainsi devenus " minés " et la crainte de l'infraction conduit parfois les élus à renoncer à des initiatives pourtant intéressantes en termes de développement local (un signe a été donné, me semble-t-il, lors des élections municipales de 1995 où chacun a pu noter qu'une proportion importante de maires n'avait pas sollicité le renouvellement de leur mandat. Les difficultés auxquelles est confronté le contrôle de légalité, soulignées par le Conseil d'Etat et l'Inspection Générale de l'Administration, ainsi que l'absence relative d'homogénéité de la jurisprudence des juridictions administratives et financières ont pour effet d'accroître le désarroi et les interrogations des élus locaux.
A la lumière du bilan positif rappelé au début de mon propos mais aussi des faiblesses que je viens de relever, l'intention du Gouvernement est de réaffirmer résolument sa confiance dans les collectivités territoriales et les élus locaux en entreprenant, par des mesures concrètes, d'approfondir, au cours des prochaines années, la décentralisation.
Cet approfondissement ne peut être dissocié de la réforme de l'Etat dont j'ai également la responsabilité : il s'agit, dans les deux cas, de renforcer l'efficacité de la gestion publique et d'améliorer la qualité du service que le citoyen est en droit d'attendre de ses institutions que celles-ci soient nationales ou locales.
La première attente des Français est l'amélioration de la situation de l'emploi ; la dure bataille que le Gouvernement a entrepris de mener contre le chômage - tout particulièrement le chômage des jeunes - se livre avant tout à l'échelon local. Depuis quinze ans, les collectivités territoriales sont devenues des acteurs essentiels de la vie économique et sociale de la Nation ; le Gouvernement prendra les mesures nécessaires pour favoriser et mieux valoriser leurs initiatives en faveur du développement local et de la création d'emplois.
A cette fin, un cadre d'action rénové doit être proposé aux collectivités territoriales pour leur permettre de s'acquitter au mieux de leurs missions. Cinq orientations doivent être, à mon sens, privilégiées.
1. Clarifier les compétences.
Avant de réaliser de nouveaux transferts de compétences - perspective que le Gouvernement n'exclut pas à moyen terme - il est indispensable d'améliorer la répartition actuelle des responsabilités entre l'Etat et les différentes catégories de collectivités territoriales.
Cette nécessité s'impose tout particulièrement dans le domaine des interventions économiques. Dès le printemps prochain, je présenterai au Parlement un projet de loi modernisant le cadre juridique de l'action économique des régions, des départements et des communes, devenu très largement obsolète et répondant mal, de ce fait, aux besoins des entreprises. Ma collègue Martine AUBRY a engagé, de son côté, une réflexion sur une meilleure articulation des responsabilités de l'Etat et des départements en matière d'action sanitaire et sociale.
La même démarche va être appliquée à d'autres secteurs : transports collectifs, formation professionnelle...
D'une façon générale, l'objectif du Gouvernement n'est pas de créer des blocs de compétences rigides, sources de cloisonnements entre l'Etat et les collectivités territoriales. La coopération autour de projets d'intérêt commun est souhaitable et doit être encouragée mais ce partenariat gagnerait à être ordonné autour de règles claires et de procédures contractuelles.
2. Promouvoir une organisation territoriale reposant sur une plus grande solidarité locale.
Ces vingt dernières années ont vu s'accroître sensiblement les disparités de charges et de ressources entre collectivités locales, souvent dans de mêmes bassins de vie et d'emploi. Cette évolution n'est pas sans présenter des risques pour la cohésion de nos territoires urbains comme ruraux. Une décentralisation bien comprise doit s'accompagner du dépassement de certains individualismes locaux qui ne sont plus de mise ; je pense, en particulier, à la taxe professionnelle et à la répartition des dépenses liées à des fonctions de centralité.
Aussi est-il devenu indispensable de procéder à une réforme du cadre législatif et réglementaire de l'intercommunalité, tirant les enseignements des principales évolutions constatées ces dernières années. Lors de son intervention de clôture, mon collègue Jean-Pierre CHEVENEMENT vous présentera les principales orientations du projet de loi actuellement en cours de préparation.
Ce texte exprimera la volonté du Gouvernement de moderniser la coopération intercommunale pour en faire un levier encore plus performant de l'aménagement du territoire. Dans le même temps, le projet de loi de révision de la loi d'orientation relative à l'aménagement et au développement du territoire, sur lequel travaille actuellement Dominique VOYNET, facilitera la coopération entre les régions dans le cadre de l'exécution de contrats de plan inter-régionaux.
3. Permettre aux collectivités territoriales de disposer des collaborateurs indispensables à l'exercice de leurs missions.
J'ai annoncé, le 3 juillet dernier, devant le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, ma volonté de traiter les problèmes du recrutement et de la formation des fonctionnaires territoriaux.
En dépit des incontestables améliorations apportées par la loi du 27 décembre 1994 préparée par Daniel HOEFFEL, les collectivités locales continuent à éprouver de réelles difficultés pour recruter les collaborateurs dont elles ont besoin. Ces difficultés tiennent notamment aux délais d'organisation et à la plus ou moins bonne adaptation des épreuves des concours aux réalités de l'action des collectivités locales, mais également au contenu des formations et aux conditions de déroulement des carrières.
J'ai demandé à M. Rémy SCHWARTZ, maître des requêtes au Conseil d'Etat, de rédiger un rapport d'étude et de propositions sur l'ensemble de ces questions, permettant de mieux faire vivre le statut de la fonction publique territoriale sans remettre en cause ses grands équilibres.
Ce rapport, dont j'attends des préconisations pragmatiques, me sera remis à la fin du mois de janvier. Au cours du premier trimestre de 1998, je déterminerai, sur la base de ce document, les orientations que je soumettrai à la concertation avec l'ensemble des partenaires concernés.
4. Donner un nouveau cadre aux relations financières entre l'Etat et les collectivités locales.
Le Gouvernement a veillé pour 1998, s'agissant de l'évolution des dotations de l'Etat aux collectivités locales, au strict respect du pacte de stabilité mis en oeuvre depuis 1996. Il a par ailleurs, comme vous le savez, maintenu à son niveau actuel le taux de cotisation à la CNRACL.
Dès les prochains mois, il va nous falloir, dans la concertation avec les associations d'élus locaux, jeter, pour l'avenir, les bases d'un partenariat confiant qui devra concilier les contraintes d'évolution des dépenses publiques et la nécessité pour les collectivités locales de faire face aux missions qui sont les leurs.
Dans le même temps, comme l'a récemment confirmé le secrétaire d'Etat au budget, la réforme de la fiscalité locale sera parmi les principales priorités gouvernementales pour 1998. C'est un sujet sensible, au coeur depuis bien longtemps déjà de nombreuses discussions et propositions ; le Gouvernement a l'intention de passer aux actes.
5. Renforcer la démocratie locale.
Notre système de démocratie locale doit suivre l'évolution de la société française. Même s'il convient à mon sens de se garder de toute approche par trop hâtive de ce qu'il est convenu d'appeler la " crise " de la démocratie de représentation, nous devrons, incontestablement réfléchir, au cours des prochaines années, aux moyens permettant de favoriser une plus grande participation des citoyens à la vie locale.
Trois orientations - qui ne prétendent pas à l'exhaustivité - me paraissent souhaitables de ce point de vue :
nos concitoyens souhaitent de plus en plus que les élus soient davantage disponibles pour l'exercice de leur mandat : comme l'a récemment rappelé le Premier ministre, le moment semble venu de revoir le régime du cumul des mandats électifs et des fonctions ;
renforcer l'enracinement démocratique des structures intercommunales : le projet de loi sur l'intercommunalité abordera cette question ;
mieux associer les usagers, dans le cadre de structures consultatives, à la gestion des services publics locaux : un sondage, publié il y a quelques jours, montre que nos concitoyens, s'ils font très largement confiance aux collectivités territoriales pour gérer ces services, s'estiment insuffisamment informés sur leur fonctionnement.
Un large débat devra s'engager sur ces thèmes avec l'ensemble des acteurs de la vie locale, au terme duquel le Gouvernement fera, le moment venu, connaître ses choix.
L'Institut de la Décentralisation a déjà fait une large place dans ses travaux à la promotion de la citoyenneté. Sur ce sujet, comme sur ceux que j'ai précédemment évoqués, ses propositions seront les bienvenues.
Ces Assises représentent, d'ores et déjà, une contribution auquel le Gouvernement sera particulièrement attentif. Je souhaite dans l'immédiat pleine réussite à cette deuxième journée de débats et je vous invite à me communiquer dès que possible les fruits de vos travaux. Ils constitueront une base solide pour la concertation que j'entends poursuivre avec vous dans les mois à venir.
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 07 septembre 2001)